Critique : Benoît Lobet, Être prêtre. Fragments d'autobiographie spirituelle
(Mon Dieu, je ne vous aime pas (Marie Noël)
Le curé-doyen d'Enghien, mon curé, publie chez Médiaspaul, Paris 2018, Être prêtre. Fragments d'autobiographie spirituelle (12 €) Un petit livre dense. Plein de réflexions inhabituelles sous la plume d'une personne qui remplit ces fonctions-là et, en même temps, aussi jeunes que ne l'est l'Evangile. Liliane Voyé en lisant le livre que Michel Cool a consacré en partie à B.Lobet Les Nouveaux penseurs du christianisme, estime que le mot "nouveau" est inexact tant nous nous habituons à une vision du christianisme qui est parfois l'antithèse de ce qu'il est réellement. On le constate d'un bout à l'autre ici.
Préface d'un athée
L'écrivain parisien qui le préface, René de Ceccaty écrit (p. 12) : « Il est assez logique que pour préfacer son livre ce soit à un athée comme moi qu'il s'est adressé. » On se demande pourquoi un Parisien, pourquoi un écrivain, pourquoi un athée. De Ceccaty nous répond entre autres raisons : parce que l'un des premiers grands souvenirs que donne B. Lobet dans ce livre, c'est sa rencontre fortuite avec un jeune philosophe anticlérical avec qui il a passé des nuits à discuter, à échanger, Jean (il ne nous donne que son prénom, ajoutant que Jean n'avait mis les pieds dans une église que lors de son ordination). Passer la nuit à discuter avec un ami c'est l'expérience humaine la plus extraordinaire qui soit. Cela vous tombe dessus. « Quand un fils de l'homme a connu une seule fois une telle plénitude » disait Jules Romains « il n'a rien à dire contre son destin ». L'auteur raconte pas mal de ces nuits. Autant dire que c'est l'amitié qui définit son parcours.
Pourquoi donc encore ce Parisien et cet écrivain ? La première chose qui les a réunis ce sont les funérailles d'un ami de De Ceccati mort du sida. Quand la pandémie a commencé, B. Lobet était à Paris pour y poursuivre, après son ordination sacerdotale, ses études de théologie à l'Institut catholique (licencié en philologie classique il est aussi docteur en théologie). Il était en même temps vicaire à la Paroisse St Thomas d'Aquin.
La rencontre de la littérature et de la communauté gay à Paris
Peu à peu cet amoureux de la littérature, lui-même écrivain, rencontre des tas d'écrivains et une réalité plus terrible : « J'ai vécu, donc, les funérailles de plusieurs écrivains précocement décédés du sida - des jeunes gens brillants, talentueux, foudroyés dans la trentaine par cette saloperie. Quelquefois je les ai accompagnés, souvent j'ai admiré leur courage devant la mort inéluctable. J'ai tenté des homélies pleines de reconnaissance pour les amis, les amants qui les avaient soutenus, aidés, lavés, soignés, jusqu'au bout-c'était de l'amour, un amour qui méritait respect et reconnaissance sociale. » (p. 46). Il insiste beaucoup sur la découverte de ce monde à Paris et d'abord de René de Ceccaty à l'occasion de ces premières funérailles « La rencontre fut plutôt brutale : René me dit qu'il n'était pas croyant, qu'il était carrément hostile à l'Eglise catholique, à ce qu'elle représentait pour lui d'institution intolérante, encombrante, assassine. » (p. 43). Ils finiront par s'apprivoiser et se comprendre dans la détestation des institutions et se revoir souvent jusqu'à aujourd'hui. Benoît, lui, pour entrevoir des mondes qu'il ne soupçonnait même pas, mit du temps. Il s'en explique : « Le monde gay d'abord, si présent dans les grandes villes européennes, monde à cette époque-là encore souterrain, que je n'avais jamais fréquenté, dont je ne connaissais pas les codes, les rites, les aventures, les complicités, les espérances ou les détestations. Un monde que la maladie épouvantable dévorait d'un coup [...] un monde que l'Eglise catholique non seulement réprouvait, mais ignorait ou méprisait [...] on entendait alors [...] la formule idiote de « punition de Dieu ». Idiote, oui et abêtissante pour Dieu lui-même ; en admettant (ce qui est éminemment contestable) que Dieu « punisse » le péché... » (p. 44).
Dieu ne punit pas ! Dieu ne punit pas !
Je me souviens d'une homélie de Benoît à Enghien, tirée tout droit de l'évangile (la fameuse tour de Siloé qui s'écroule et tue beaucoup de monde dont Jésus ne tire pas les enseignements « religieux » auxquels on s'attendrait). Il s'écria deux fois dans un grand silence attentif : « Dieu ne punit pas ! Dieu ne punit pas ! Il est extraordinaire qu'après deux millénaires de christianisme, il faille répéter cette vérité fondamentale. »B. Lobet est devenu à Paris l'ami de bien d'autres écrivains dont Hector Bianciotti avec lequel il a tenu une correspondance qui a été éditée. Bianciotti était catholique et avait rencontré l'excellent théologien louvaniste Adolphe Gesché, l'invitant avec Benoît Lobet à sa réception à l'Académie. Je revois, écrit-il, « nos deux silhouettes engoncées dans leur col romain, pendant que les gardes républicains nous rendaient les honneurs (dans l'institution fondée par un cardinal et qui, même républicaine, a de ces révérences ecclésiastiques) », p. 48.
Le mensonge en chacun de nous, détester Dieu
M'impressionne beaucoup aussi la rencontre entre Benoît et un prêtre français, Jean Lafrance (né un 14 juillet !). Il lui prêche une retraite à lui et à d'autres prêtres et leur conseille de faire oraison longtemps, quatre heures parfois ! Lui apprend à ne jamais avoir peur de la descente abyssale aux enfers de soi-même (p. 35). C'est la rencontre du vide parce que c'est de Dieu et on s'y vide. Jean-Claude Bologne, cet athée qui confie avoir eu une expérience mystique dit lui-même que c'est une expérience inopinée qui donne la sensation, à l'extrême de l'extrême, tout à la fois du vide ou de l'infini. La seule chose qui me dérange dans ses livres très bien écrits et où il relate à l'infini les innombrables expériences mystiques qu'on découvre dans la littérature aussi bien chez des croyants que des incroyants (Proust par exemple), c'est qu'il me semble la détacher de ce que l'on pourrait appeler le sérieux d'exister. Mais surtout de l'amour. Bergson a écrit cette parole fondamentale sur les mystiques chrétiens : « L'amour de Dieu n'est pas quelque chose de Dieu, mais c'est Dieu lui-même. » Il ne faut pas être mystique pour deviner ce que cela signifie. Cet amour vous tombe dessus. Certes, Benoît Lobet ne nous parle pas de l'expérience mystique, mais de celle du vide, de ce que la vie chrétienne « nous confronte au mensonge avec une acuité particulière » et il avoue qu'un grand combat se fait en lui entre la vérité et le mensonge: « En moi ! Je ne suis pas qui je dis que je suis, je me masque et me travestis toujours, et même dans la prière d'oraison, dans cette tranquillité où seule la nudité de soi devrait être au jour, oui, même là, il y a du cinéma. » (p. 88). Professeur, il confie le « truc » fondamental de ce métier : « je ne comprenais moi-même vraiment que ce j'étais capable d'expliquer » (p. 24). Directeur spirituel, l'expérience de cette religieuse lui avouant dix ans, avec le plus grand naturel, « son indifférence à tout, à toute vie spirituelle, à toute émotion religieuse » (p. 51). Prêtre « sa colère contre Dieu » face à la mort d'un adolescent d'une tumeur au cerveau. Lecteur de Marie-Noël, ces mots de révolte encore : « Mon Dieu, je ne vous aime pas, je ne le désire même pas, je m'ennuie avec vous. Peut-être même que je ne crois pas en vous [...] Si vous avez envie que je croie en vous, apportez-moi la foi. Si vous avez envie que je vous aime, apportez-moi l'amour. Moi, je n'en ai pas. Et je n'y peux rien... » (citée p. 58-59).
Pour un flirt avec toi. La prière
J'ai quand même retenu de mes leçons de catéchisme ce mot de mon instituteur : « Un saint triste est un triste saint ». Je ne canonise pas le doyen Lobet pour cela, mais je rassure sur son état d'esprit que souligne son préfacier en rappelant ce qu'il avoue p. 41 : « J'ai aimé cette légèreté qui sourit à tout, comme quelquefois, au mitan d'une chaude journée d'été, on déguste en frissonnant une coupe de champagne. » (p. 41), les danses en sa jeunesse à la musique de « Pour un flirt avec toi... » ou la vie dans le village où il est né près de Chimay, la paroisse, village dans le village, avec son curé dynamique, expansif, sympathique -« lieu naturel de vie, de débats, de rencontre ». Comme c'est bien vu. Je songe à la mienne, sur la rive gauche de la Meuse à Dinant un des summums de ce que j'ai vécu comme fraternité : Neffe. Enfin, Benoît est, cela est arrivé très souvent en Wallonie, le fils d'une femme et d'un homme séparés par la captivité du soldat en Allemagne, cinq longues années, et qui ont dû refaire couple après cette interminable séparation. Il décrit bien cela chez ses parents encore relativement jeunes en mai 40, lui qui est né tout de même 12 ans après la fin de la guerre. Je n'avais jamais si bien vu exprimer cette déchirure dont beaucoup d'historiens ne comprennent pas qu'elle est une expérience capitale en Wallonie. Cela me touche. Mon père et ma mère, fiancés avant le 10 mai 1940, ne se marièrent que le 23 août 1945 pour m'avoir quelques mois plus tard, 11 ans avant l'auteur.
Ces « fragments » évoquent aussi les rencontres avec Julia Kristeva, Jean-Claude Carrère, les cisterciens, les Focolarini, Maurice Bellet et, à travers ses livres, Bernanos et son refus des honneurs : « Quand je n'aurai plus que mes deux fesses pour penser, j'irai les asseoir à l'Académie. » (p. 45) Mais aussi l'exceptionnelle acuité avec laquelle il a compris ce qu'est le vivre-chrétien. L'auteur de Sous le soleil de Satan, met en scène la pire tentation, celle non de s'abandonner mais de désespérer d'aimer. Savoir cela n'est pas rien. Un savoir qui, tel l'amour féminin selon Berdiaev, délivre pour l'éternité. Benoît Lobet me l'a bien fait comprendre. C'est le plus précieux des savoirs. Et aussi celui-ci : « je ne sais pas c'est il y a « quelque chose après », je ne le sais pas de source scientifique, je ne le sais que par et dans la foi. (Du reste ces distinctions étriquées entre « agnosticisme », « croyance », « athéisme », héritée au fond du 18esiècle, me semblent peu aptes à rendre compte de la complexité d'une vie spirituelle qui passe par tous ces stades.) Non, je ne le « sais » pas, sinon dans la foi, mais s'il « n'y a rien », après, au dessus ou en dehors de cette vie-ci, au moins ma foi m'aura-t-elle appris à prier, m'aura-t-elle initié à cet exercice devenu pour moi aussi vital que la respiration du corps. » (p. 39).
Ne concluons pas trop vite que l'on aurait là affaire à un « athéisme sans le savoir ». C'est tout aussi irritant que la théorie des « chrétiens sans le savoir ». Ce qui est par contre sûr, c'est que le pari sur Dieu est du même type que celui sur la liberté : « Je n'ai jamais regretté », écrit l'auteur pour conclure s'agissant de son appel à être prêtre, « d'avoir répondu, il y a si longtemps maintenant, à ce que j'ai ressenti comme un appel. Tous les jours de ma vie, j'y ai trouvé la source du bonheur. »