Croire en la Wallonie

L'action des Gouvernements wallons depuis 1960
Toudi mensuel n°68, avril-mai-juin 2005

Toudi annuel

La marche vers le fédéralisme a été longue, de la fin du 19ème siècle à 1980 pour une première étape. Plus de trois générations de convictions et de ténacité vers un même objectif le fédéralisme sur base des trois régions : Wallonie, Flandre et Bruxelles.

Les Trente glorieuses de 1945 à 1975

À la Libération en 1945, il fallait reconstruire le pays et toute l'Europe, dévastées par la guerre. L'économie wallonne a été fortement mise à contribution : il fallait produire du charbon, de l'acier, du verre, du ciment, tous produits de base pour reconstruire usines, ponts, routes, chemins de fer, habitations.


À cette même date, dans toutes les démocraties victorieuses du nazisme, un Pacte social est convenu entre le patronat, les syndicats et l'État : assurer le plein-emploi et établir un système de sécurité sociale pour garantir un revenu à celles et ceux qui perdaient momentanément leur emploi ou arrivaient à l'âge de leur pension.


Pour que l'économie soit en croissance et assure le plein-emploi, il fallait faire croître les revenus des travailleurs par un partage des gains de productivité.


L'économie wallonne a fonctionné à plein dans cette période de reconstruction, grosso modo de 1945 à 1960. En Flandre, par contre, l'économie étant peu développée dans les industries de base, des poches de chômage subsistaient.
Toute la période de grande prospérité économique, les Trente Glorieuses, de 1945 à 1975, a été consacrée par les Gouvernements nationaux à industrialiser la Flandre : développement massif d'une zone portuaire industrielle à Anvers, ensuite à Gand et à Zeebruges (raffineries de pétrole, pétrochimie, usine de montage d'automobiles), aides publiques au secteur textile, développement de zonings industriels en Campine, programme massif de construction d'autoroutes en Flandre, la dorsale Wallonne, l'autoroute des Ardennes, et Bruxelles-Tournai restent en retard, investissement de développement du réseau SNCB pour soutenir ces nouvelles zones industrielles en Flandre.


À partir de 1975, apparaît une crise mondiale du capitalisme industriel. Le pétrole, l'automobile et l'industrie mécanique deviennent les secteurs dominants et le charbon, la sidérurgie, les chemins de fer entrent en crise, submergés par les nouveaux secteurs. Les programmes de fermeture des charbonnages wallons ont déjà commencé en 1960.


Dans le même temps, les trente années de forte croissance ont permis à des sociétés multinationales de se développer. Elles s'affranchissent des tutelles nationales des États.

La situation en 1980

La situation économique au moment où une première loi de réforme donne quelques pouvoirs à la Wallonie peut se résumer ainsi :

  • crise générale au plan économique, d'où faible croissance : la Wallonie ne se trouve pas équipée pour la deuxième révolution industrielle;
  • fermeture des charbonnages, crise et menaces de fermetures dans la sidérurgie, les verreries, le textile et la confection;
  • faiblesse des infrastructures, négligées par l'État unitaire : SNCB, autoroutes;
  • capitalisme belge impuissant et figé;
  • disponibilités budgétaires faibles.
Sous toutes ces contraintes, les Gouvernements wallons ont dû, à la fois, installer une administration et faire face aux problèmes urgents des difficultés de secteurs entiers de l'économie wallonne. A posteriori, on peut distinguer quatre étapes et nous entamons la cinquième..

Première étape : sauvetage d'entreprises et installation d'une administration

En matière économique, la Wallonie n'a pas le choix, il faut sauver les entreprises qui peuvent l'être afin de conserver l'emploi et une activité; Fermer, comme les Flamands le conseillaient, ce qu'ils appelaient les «canards boiteux» aurait abouti à faire de la Wallonie un désert économique encore bien plus difficile à redresser. Il fallait conserver un pouvoir d'achat interne pouvant alimenter l'ensemble des services qui, eux, se développaient et conserver un espoir d'amélioration.
D'ailleurs, on peut voir aujourd'hui que ces mesures de sauvetage et de redressement ont été efficaces. Parmi les entreprises redevenues florissantes grâce aux interventions de la Région wallonne, on peut citer la SONACA, Techspace Aéro, F.N., Cellulose des Ardennes, Confitures Materne et bien d'autres.
En matière administrative, il faut mettre en place une administration entièrement nouvelle, faite d'agents et de fonctionnaires venant de divers Ministères nationaux et toute l'organisation qui l'accompagne.
C'est aussi préparer et organiser le déménagement du Gouvernement et de l'Administration vers Namur, avec les infrastructures nécessaires.
C'est encore mettre en place des institutions régionales comme le FOREM, la SWDE (société wallonne de distribution d'eau), ou aménager certaines institutions existantes comme la SRIW (Société régionale d'investissements wallonne), l'AWEX (Agence wallonne à l'exportation).
En même temps, il fallait assurer la gestion quotidienne des matières transférées.

Deuxième étape : redéploiement économique

Dans le cadre belge, européen et mondial, il faut trouver les voies d'un développement pour la Wallonie. L'insistance sera mise sur les moyens d'aide à la création et à l'évolution des PME d'une part, et au développement des secteurs permettant de valoriser les ressources de la Wallonie: la filière «bois», l'industrie agroalimentaire, la chimie.
On reste encore très influencé par la nécessité du développement industriel et l'accent est peu mis sur celui des services.
Les activités et l'emploi continue à se développer de manière naturelle dans les services, qu'ils soient marchands ou non marchands : services aux entreprises, transport et communication, tourisme, soins de santé, services sociaux, administration.
L'ensemble du Gouvernement wallon est établi à Namur comme le Parlement l'est depuis 1980.

Troisième étape : affirmation de la place et de l' image de la Wallonie

La Wallonie affirme sa présence en Europe en prenant une part active dans les négociations où elle est concernée et en participant, parfois comme chef de file dans le Comité des Régions d'Europe et dans l'association des Régions d'Europe ayant une capacité législative.


Elle se présente d'égale à égale avec la Flandre et avec Bruxelles et non plus comme inférieure.


La Wallonie affirme son image d'une société de progrès et d'innovations et non plus d'une société industrielle en déclin économique. Les faits sont d'ailleurs présents pour le prouver. C'est dans cette perspective qu'elle a développé les deux aéroports régionaux de Charleroi (Gosselies) et de Liège (Bierset), l'un comme aéroport de jour pour les passagers, l'autre principalement comme aéroport de fret.


Cela se traduit par un effort important de communication : publication de nombreuses brochures et rapports sur divers aspects de l'économie wallonne et sur les politiques mises en œuvre par le Gouvernement wallon, par la création d'un téléphone «vert» où toute information peut être demandée, par l'ouverture de plusieurs sites internet, par la création de «Maisons de la Wallonie» dans les principales villes wallonnes et dans plusieurs capitales (Bruxelles, Paris, Montréal, Barcelone, etc.). Chacun peut avoir un accès direct aux informations et publications.


Le Gouvernement wallon adopte une nouvelle façon de gouverner au travers du «Contrat d'avenir pour la Wallonie». Le Contrat d'avenir a pour objectif de donner une nouvelle impulsion au développement de la Wallonie, dans une perspective de développement durable. Il a d'abord été rédigé par la Gouvernement wallon sous forme de projet largement diffusé. Il a fait l'objet de contacts d'une part avec les représentants d'organisations et institutions : les recteurs des Universités, le monde économique, les organisations syndicales, le monde de l'environnement, les Villes et Communes, les jeunes et, d'autre part, avec les citoyens lors de huit rencontres publiques dans les principales villes de Wallonie.


Tenant compte de ces contacts et des avis remis d'initiative, le projet a été retravaillé et adopté par le Gouvernement wallon en fin de l'année 1999. Après une première évaluation, il a encore fait l'objet d'une actualisation, suivant une procédure analogue en mars 2002.


Le Contrat d'avenir fixe des objectifs et des priorités et invite tous les partenaires, publics et privés à œuvrer à sa réalisation. Une procédure d'évaluation a également été mise en place, un rapport devrait bientôt être publié.
Dans un autre domaine complémentaire, celui de l'aménagement du territoire, le «Schéma de développement de l'espace régional» est l'aboutissement d'une longue maturation et de nombreuses consultations depuis le milieu des années 80. Le projet a, également, fait l'objet d'une large consultation officielle des villes et communes, ainsi que des associations professionnelles et des différents Conseils concernés par certains aspects de l'aménagement du territoire comme la Commission des Monuments et Sites, le Conseil supérieur de l'agriculture, le Conseil de la conservation de la nature. Il a été adopté en mai 1999.

Quatrième étape : importance de la croissance endogène dans une perspective de développement durable.

Toute cette évolution intimement liée à son évolution économique favorable rend aujourd'hui la Wallonie capable de penser l'avenir aussi, sinon principalement, en termes de développement endogène. L'idée est déjà développée à partir du milieu des années 1990, principalement dans le cadre des réflexions sur l'aménagement du territoire.


En effet, si on examine la structure de l'emploi salarié en Wallonie, on constate que plus de 70 % des postes de travail occupés en Wallonie se trouvent dans des activités de service, marchands et non marchands (sans compter les services financiers tels que banque et assurance), et dans la construction (bâtiment et travaux publics), soit des activités étroitement liées aux marchés locaux ou régionaux et aux besoins locaux, ne participant pas aux secteurs mondialisés de l'économie.


Cette évolution n'est pas particulière à la Wallonie, elle se manifeste dans la plupart des pays développés.
Le Contrat d'avenir prend dès lors toute sa dimension, non seulement sous son aspect novateur dans les méthodes de gouvernement, mais aussi de manière à associer tous les acteurs du développement local et régional.

Cinquième étape : maîtrise des composantes du développement

Le Contrat d'avenir de la présente législature et la coopération organisée avec la Communauté française visent à intégrer la culture et l'enseignement dans le développement régional. Ces deux aspects sont, à l'évidence et partout, deux composantes essentielles du développement. Ces deux matières ne dépendent pas directement ni du Parlement wallon, ni du Gouvernement wallon.
Cette situation anormale provient de la maturation du fédéralisme entre deux tendances : l'autonomie culturelle du côté flamand, d'où la notion de «communauté» et l'autonomie économique au sens large du côté wallon, d'où la notion de «région».
En attendant de pouvoir réaliser politiquement un partage des compétences de la Communauté française vers la Wallonie et vers la Commission francophone de la Région de Bruxelles, il faut considérer l'arrangement actuel comme une étape préparatoire.

Conclusion

Les Gouvernements wallons n'ont pas construit sur du sable, chacune des étapes était nécessaire à construire la suivante dans une vision présente dès le départ : ramener la Wallonie parmi les Régions économiquement prospères et socialement innovantes.


Le dynamisme interne est bien présent et les signes de progression sont là. On n'est certes pas encore au bout du chemin car, il ne faut pas l'oublier, on vient de bien bas.


Le prochain article sera consacré aux différents indices et grandeurs permettant de mesurer le chemin parcouru depuis 1980 et de comparer la situation de la Wallonie à d'autres Régions d'Europe.

Voir article suivant Avenir économique de la Wallonie