Croire en la Wallonie (1)

Toudi mensuel n°66-67, janvier-février-mars 2005

Rappel historique

Il en a fallu de la conviction aux Wallonnes et aux Wallons pendant des dizaines d'années pour construire la Wallonie de leur cœur et la Wallonie de leur meilleur avenir.

Les bases sont jetées à la fin du 19e siècle : le premier Congrès wallon en 1890 et les suivants en 1905, 1906, 1912, 1913, 1914 (en mars, avant la déclaration de guerre), la lettre au Roi de Jules Destrée en 1912.

Les sept Congrès de l'Action wallonne entre 1924 et 1930, les onze Congrès de la Concentration wallonne entre 1930 et 1939 témoigneront d'une présence wallonne pluraliste permanente dans tous les débats politique de cette période. Le député Georges Truffaut dépose en 1938 une proposition de loi instaurant le fédéralisme composé de trois régions : Wallonie, Flandre et au moins l'arrondissement de Bruxelles en lieu et place des provinces avec fixation des :limites par referendum.

La création de Wallonie libre en 1940 comme mouvement de résistance dans la ligne de l'appel du 18 juin du Général de Gaulle maintient le mouvement wallon pendant l'occupation, de même d'ailleurs que plusieurs réunions de leaders wallons dans la clandestinité ou en Angleterre.

Le Congrès national wallon de 1945 relance le mouvement wallon, les grèves de 1950 et surtout les grèves de 1960 avec la création du Mouvement populaire wallon vont vraiment donner une large assise populaire au mouvement wallon. À partir de cette date, les quatre mouvements wallons : Wallonie libre, Rénovation wallonne - mouvement créé, lui aussi, pendant la guerre et de tendance démocrate-chrétienne - le Mouvement populaire wallon et le Mouvement libéral wallon agiront de concert.

La création en 1964 du Parti wallon, par la réunion du Parti wallon des Travailleurs (Liège), du Front wallon (Charleroi) et du Front démocratique wallon (Namur), élargi aux mouvements wallons pour former le Rassemblement wallon donnera un élan politique décisif à la revendication du fédéralisme, À la même époque se constituait le FDF (Front démocratique francophone) à Bruxelles. L'un et l'autre auront des parlementaires aux élections de 1965 et leur représentation ira en augmentant jusqu'à l'obtention des réformes réclamées.

Objectifs

Au départ mouvement de défense des Wallons et Bruxellois francophones contre le bilinguisme que le mouvement flamand voulait imposer, le mouvement wallon a très rapidement mis en avant la défense des intérêts économiques et sociaux de la Wallonie. Ce thème est présent dès le début des années 1930 avec les effets de la grande crise que subissent tous les pays industrialisés à cette époque. Le fédéralisme devait assurer une autonomie à la Wallonie pour qu'elle puisse assurer elle-même son avenir et ne plus être perpétuellement sous la menace d'une majorité flamande.

Le mouvement wallon, né dans les luttes sociales n'a jamais été de type nationaliste, au contraire du mouvement flamand dont on constate, encore toujours, le caractère nationaliste et raciste de son aile radicale.

L'antagonisme des deux mouvements est profond : on se trouve en présence de deux conceptions différentes de la société. Du côté flamand mise en avant de la communauté culturelle et linguistique, du côté wallon mise en avant de la région base économique et sociale. Mais, du côté flamand, au gré de leurs intérêts, on met en avant tantôt le droit du sol, tantôt celui des gens en faisant valoir la majorité.

Etapes du fédéralisme

1. En 1970, finalement et seulement, la Constitution est modifiée : elle reconnaît l'existence de deux communautés culturelles (trois en comptant la région de langue allemande) et trois régions : Flandre, Wallonie et Bruxelles.

Les communautés culturelles sont bien définies. Dès 1971, la revendication flamande est satisfaite par la création d'un Conseil culturel néerlandais et d'un Conseil culturel français, ce que ne demandaient ni les Wallons, ni les Bruxellois francophones. Par contre, l'article 107 quater se bornait à instaurer trois Régions la Flandre, la Wallonie et Bruxelles, renvoyant à une loi spéciale la détermination des limites, l'organisation et les compétences. Ce qui rendait plus difficile encore le fédéralisme parce qu'à la majorité des deux tiers, nécessaire pour la révision de la Constitution, s'ajoutait la condition d'une majorité dans chaque groupe linguistique.

2. Il a fallu attendre dix ans pour qu'enfin une loi définisse, en 1980, les compétences et le fonctionnement des Régions, encore qu'à cette époque la Région de Bruxelles n'était toujours pas créée. Sa délimitation apparaissait « en creux » puisqu'on avait défini les limites de la Flandre et celles de la Wallonie qui l'entouraient.

Les compétences transférées à cette date étaient peu nombreuses et presque toutes limitées par des compétences restées « nationales » comme on disait alors. Somme toute, la méfiance de beaucoup, surtout du côté flamand, était telle que n'avaient été transférées que des compétences qui pouvaient facilement être « renationalisées ». Il s'agissait principalement de l'aménagement du territoire, la protection de l'environnement, sauf les normes légales et sectorielles, la rénovation rurale et la protection de la nature, le logement, quelques mesures concernant la politique de l'eau, les aides aux entreprises, sauf les secteurs dits nationaux (charbonnages, sidérurgie, chantiers navals, industrie du verre creux d'emballage - bouteilles et flacons - et industrie textile), sauf autorisation de l'État central pour les mesures fiscales, sauf l'octroi de la garantie de l'État, sauf la fixation des montants maxima d'aides et de la durée maxima, sauf la politique des prix, sauf les conditions d'accès à la profession pour les indépendants et le Fonds de garantie pour ceux-ci, et, enfin, les aspects régionaux de l'énergie.

3. En 1988, nouvelle réforme de la Constitution et nouvelle loi spéciale augmentant considérablement les compétences des Communautés et des Régions. Les « Communautés culturelles » deviennent des « Communautés » ( l'appellation « culturelles » a disparu). En outre, elles sont autorisées à gérer les matières des Régions, ce dont fera usage la Communauté flamande. et elles reçoivent l'éducation. À partir de cette date, l'enseignement passe du niveau national à celui des Communautés. Elles cèdent au profit des Régions la recherche appliquée, les monuments et sites ainsi que le tourisme (désormais considéré comme une activité économique).

Pour les Régions, les compétences sont élargies et les interventions du pouvoir national sont réduites surtout en matière économique puisqu'elles reçoivent « la politique économique » non autrement restreinte, la politique des débouchés et des exportations, sauf le droit pour l'État national d'assurer une coordination, la distribution du gaz, les sources nouvelles d'énergie et l'utilisation rationnelle de l'énergie, les routes, les voies hydrauliques, les transports urbains,

4. En janvier 1989, est, enfin, créée la Région de Bruxelles. Il faut dire que les partis politiques pour tenter d'éviter le fédéralisme, en particulier pour éviter la Région de Bruxelles, avaient instauré par la loi de 1971 les agglomérations de communes qui concernaient les cinq grandes villes, mais cette loi ne définissait les limites que de la seule agglomération bruxelloise. Seule cette agglomération a été constituée, aucune autre ne l'a été et les fusions de communes en 1976 les ont rendues caduques, sauf pour Bruxelles puisque ces communes n'ont pas fait l'objet d'une fusion. Les compétences de la Région de Bruxelles sont celles des Régions et certaines matières dites personnalisables dans le domaine des soins de santé.

5. En 1993, la Constitution est modifiée et son article 1 affirme le caractère fédéral : « La Belgique est un Etat fédéral qui se compose des Communautés et des Régions. » À partir de ce moment le caractère régional va s'affirmer de plus en plus comme on le verra.

À cette date aussi, les compétences des Régions sont, une nouvelle fois, étendues, notamment en ce qui concerne les pouvoirs sur les communes et les provinces, la concertation avec l'autorité fédérale sur les questions européennes, la politique agricole et l'application des mesures européennes dans ce domaine, l'extension des compétences en matière d'exportation, une extension de la tutelle des communes et provinces, la capacité d'ériger en infractions les manquements aux dispositions relatives aux matières régionales et d'établir des peines.

La modification la plus importante concerne l'élection directe des membres du Parlement wallon. Les premières élections auront lieu en 1995. Jusque là, les Conseils régionaux (nom qu'on donnait au parlement régional) étaient composés des Parlementaires fédéraux élus dans les provinces wallonnes.

Le Conseil de la Région bruxelloise était composé d'élus directs, francophones et néerlandophones depuis 1989.

Tous les parlementaires wallons et 19 parlementaires bruxellois francophones choisis parmi les élus francophones du Parlement bruxellois forment le Parlement de la Communauté française. Il n'existe, donc, pas d'élections directes au Parlement de la Communauté française. Un même mécanisme joue pour la Communauté flamande. Ceci montre bien la prééminence de fait régional sur le fait communautaire.

Il faut encore souligner le fait que les Communautés ne peuvent pas prélever des impôts ou taxes. Seules les Régions sont habilitées à percevoir des taxes, redevances, additionnels (ou soustractionnels) à l'impôt des personnes physiques ou au précompte immobilier, droits de succession et droits d'enregistrement.....

6. Jusqu'à présent, on n'a pas parlé des lois de financement des Communautés et des Régions. Dès le départ, il est apparu que la Communauté française était sous-financée. Ce fut d'autant plus flagrant dans les années qui ont suivi le transfert de l'éducation. Pour calculer le financement, on s'est basé sur les budgets établis par le pouvoir national en 1988, avant le transfert. Mais ces budgets avaient été sérieusement écornés par six années de pouvoirs spéciaux, les Gouvernements Martens-Gol-Maystadt.

En 2001, suite aux accords dits du Lambermont, une loi spéciale assure le refinancement des Communautés française et flamande. Comme pour le financement des Régions, cette loi introduit la notion de « juste retour ». Cela signifie que la part de chacune des Communautés dans l'impôt des personnes physiques intervient dans la clé de répartition, de manière progressive pour être complète en dix ans, soit à partir de 2010.

7. En 2001, également, est transférée aux Régions l'ensemble de la législation organique relative aux communes et aux provinces, c'est-à-dire tout ce qui est relatif à « la composition, à l'organisation, la compétence et le fonctionnement des institutions communales et provinciales ». Un certain nombre d'exceptions ont cependant été prévues. Elles concernent essentiellement le respect des lois linguistiques et de protection des minorités, les lois relatives aux Fourons, à Comines-Warneton et aux communes à facilité, ainsi que l'organisation et la politique relative à la police et aux services d'incendie et les régimes de pension.

8. En 2004, un accord s'est fait sur le transfert complet aux Régions du Commerce extérieur et de la Coopération au développement. Il n'est pas encore vraiment entré dans les faits.

Conclusion

Le mouvement wallon a vu juste et très tôt. La ténacité wallonne finit par arriver à la réalisation des objectifs vitaux pour elle. Tout n'est pas encore terminé dans ce combat pour l'autonomie de la Wallonie. Il reste encore à transférer des domaines toujours fédéraux : les investissements de la SNCB, la police communale, les services d'incendie, les plans de secours en cas de catastrophe, nucléaire ou autre, la gestion des prisons (à condition que des moyens financiers suffisants soient aussi accordés), la protection civile en sont quelques exemples.

Par ailleurs, la régionalisation progressive des compétences de la Communauté française à partager entre la Wallonie et la Commission communautaire francophone de Bruxelles : la culture, l'éducation, l'enseignement supérieur et la recherche scientifique, la protection de la jeunesse, les émissions régionales de la RTBF (à commencer par son changement d'appellation en RTWB Radio et Télévision Wallonie Bruxelles). Cela n'offre aucun difficulté de type juridique, il suffit d'un accord de coopération comme il y en a déjà eu pour la formation professionnelle ou la politique des handicapés, notamment.

Pour les autres domaines, comme l'enseignement supérieur ou les émissions générales de l'actuelle RTBF, il faut une gestion en commun par la Wallonie et Bruxelles francophone. Actuellement, parce qu'elle est ni wallonne, ni bruxelloise francophone, la RTBF est belge, rétrograde et, donc, finalement adversaire des objectifs d'autonomie de la Wallonie et de Bruxelles.

Il faut, aussi, un accord de coopération forte entre la Wallonie et Bruxelles francophone pour défendre les intérêts communs à tous les francophones. Le plus gros morceau sera de donner, enfin, à Bruxelles un espace qui corresponde réellement à sa zone d'influence et même à sa capacité d'existence, en y incorporant les communes à facilités ou certaines parties de ces communes. Tout le monde aurait à y gagner, même les Flamands mais il faudra sans doute encore du temps, comme il a fallu du temps pour obtenir le fédéralisme.

Voire la suite de l'article Croire en la Wallonie, l'action des Gouvernements wallons depuis 1980.