De Houellebecq au roman «industriel» anglo-saxon
Je me suis dit, il faut quand même que je lise un « Houellebecq », non pour faire de mon nez dans les salons ou les dîners ou les réunions littéraires que je ne fréquente pas, mais parce que d'un auteur dont on dit tant de mal et de tant de bien, autant vérifier par soi-même ce qu'il en est. Quel livre choisir? le dernier paru? Le plus lu, Les Particules élémentaires? Pourquoi pas un autre? Et comme je n'ai pas beaucoup de sous à la fin du mois, j'ai acheté un roman publié en poche J'ai Lu en 2005, et chez Flammarion en 2001, au hasard, Plateforme.
Un touriste comme un autre
De quoi s'agit-il? D'un cadre du Ministère de la Culture, fin de la trentaine, célibataire et sans attaches ni passions, un Occidental typé, selon l'auteur, qui part en vacances autant pour faire comme tout le monde que pour fuir le vide de sa vie et de son métier dont il se moque: il faut dire qu'il s'occupe de subsidier des expositions d'Art contemporain qui n'ont rien de folichon, barbantes pour tout dire, ainsi que les artistes plus prétentieux les uns que les autres et tous incapables dessiner une vache. Au vrai ce ne sont plus des artistes mais selon l'esprit du temps, des entrepreneurs. Vacances dans un club style « club Méditérranée ».
Le voilà atterri à Phuket (devenu célèbre depuis lors pour le tsunami), en Thaïlande. L'objectif des Occidentaux dans ces vacances exotiques: le cul! Parce que selon l'auteur, les Occidentaux ont honte de leur corps, et ont peur du corps de l'autre, et parce qu'ils sont devenus incapables d'offrir quoi que ce soit et donc incapables de faire l'amour avec naturel. Individualistes, égoïstes engoncés dans un confort dégoûtant, ils n'éprouvent même plus d'exaltation sentimentale ou d'obsession du sexe où il faut un petit peu s'oublier soi. Froids et rationnels, ils craignent pour leur ego, la dépendance et l'aliénation, bref l'hygiène et la santé priment pour eux sur l'amour , sur l'abandon tandis que les femmes du Tiers-Monde, et surtout les Asiatiques, alors là !...
Le décor est planté, une société occidentale livrée à l'argent et à la compétitivité, au vide spirituel et idéologique, divisée en deux classes, ceux qui en ont du fric et qui vivent à part ou au-dessus , dans les étages, les taxis, les avions; et les autres, Blancs ou immigrés, qui végètent en dessous, au ras du bitume, banlieues, pavillons, maisons sociales, l'ensemble étant menacé par les "sauvages", les jeunes casseurs qui volent et violent après 22h dans le métro !!!! C'est pourquoi les cadres comme le héros, qui touchent 60000 E par mois, vont voir ailleurs. Et ailleurs, c'est le Tiers Monde, la misère et des gens qui donnent ce qui leur reste, leur corps, même à Cuba ! Car, selon l'auteur la seule question qui mérite d'être posée, est : qu'est-ce qui peut inciter les êtres humains à accomplir des travaux ennuyeux ou pénibles? Créer l'homme nouveau? Cuba est devenu une société où le minimum vital est à peine assuré! Donc échec de l'idéologie! Ne reste ...rien...
Cynisme
Houellebecq énerve, c'est certain: le cynisme, l'absence de perspective, ou même simplement de passion pour quoi que ce soit. N'existe même pas cette révolte anar des « anarchistes » de droite des années 50, Jacques Laurent, Roger Nimier. Bref ce livre vous met le moral à plat. Mais l'auteur n'a-t-il pas raison quelque part?
« Il est faux de prétendre que les êtres humains sont uniques (....) Mon identité tenait en quelques dossiers, aisément contenus dans une chemise cartonnée de format usuel (...)
En somme l'idée d'unicité de la personne humaine n'est qu'une pompeuse absurdité. On se souvient de sa propre vie, écrit quelque part Schopenhauer, un peu plus que d'un roman qu'on aurait lu dans le passé. Oui, c'est cela, un peu plus seulement. » (p. 175)
Dur à avaler! Idéologiquement incorrect certes! Mais que propose encore l'Occident au monde et à sa propre jeunesse?
« S'il n'y avait pas de temps à autre, un peu de sexe, en quoi consisterait la vie? Un combat inutile contre les articulations qui s'ankylosent, les caries qui se forment. Tout cela de surcroît inintéressant au possible. » (p. 205)
La famille s'effrite, la femme ne désire que faire carrière ou se réaliser comme l'amie du héros, Valérie.
« Quand on considère les conversations fastidieuses qu'il faut subir pour amener une nana dans son lit, et que la fille s'avérera dans la plupart des cas, une amante décevante, qui vous fera chier avec ses problèmes, vous parlera de ses anciens mecs - en vous donnant au passage l'impression de n'être pas tout à fait à la hauteur, et qu'il faudra impérativement passer avec elle au moins le reste de la nuit- , on comprend que les hommes puissent préférer s'éviter beaucoup de soucis en payant une petite somme. » (p.142)
Dans ce roman, l'auteur traite du tourisme contemporain.Entre deux baises, longtemps décrites, et deux voyages, en jet ou TGV, dans le milieu des cadres supérieurs, entraînés dans la lutte tous azimuts du capitalisme qui est la guerre. Les personnages s'échinent à trouver le concept qui assurera à leur firme l'avantage concurrentiel décisif, pareils aux généraux d'autrefois préparant la bataille ultime d'une guerre qu'ils croyaient être la der des ders. La description de ces milieux veules qui nous dirigent, est réalisée de main de maître par l'auteur. Ici, le concept est trouvé; ce sera le "tourisme de charme", entendez le tourisme sexuel, dans les pays asiatiques en priorité. Première cible: les gays, puis les hétéros.
Avec à la clé pour les concepteurs du projet, un gros paquet d'actions et des primes énormes, car" quand on est actionnaires, on ne se bat plus, ce sont les autres qui se battent à votre place;"
Evidemment cette situation ne peut tenir, la catastrophe est imminente, car dans un monde fini, la croissance ne peut être exponentielle ni la concurrence sans limites.
Qu'importe! On y va à fond! Et donc le chancre de l'Occident, c'est l'Autre, celui qui ne désire pas s'intégrer ou pis qui ne s'intègre pas, l'Islam. Une bombe et tout vole en éclats, actions et concurrences. l'auteur termine par cette phrase: « on m'oubliera vite ».
Qu'on n'aime ou qu'on n'aime pas, ce livre fait mal, Houellebecq plante un décor réaliste horrible, non sans humour parfois: c'est ainsi que le héros lit Auguste Compte dans les situations les plus chaudes. Le style est enlevé, et l'auteur a le sens du portrait, mais grands dieux, où va-t-on aller?
« Pendant que nous visitions le temple de l'Aurore, je notai mentalement de racheter du Viagra dans une pharmacie ouverte. Sur le trajet de retour j'appris que Valérie était bretonne, et que ses parents avaient possédé une ferme dans le Trégorrois; elle avait l'air intelligente, mais je n'avais pas envie d'une conversation intelligente. J'appréciais sa voix douce, son zèle catholique et minuscule, le mouvement de ses lèvres quand elle parlait; elle devait avoir une bouche bien chaude, prompte à avaler le sperme d'un ami véritable (...) elle n'était pas exigeante, c'était vraiment une brave fille. Pourtant dès l'arrivée de l'autocar à l'hôtel, je me précipitai vers le bar. » (p. 49)
Techniques du roman anglo-saxon
Dans Peur blanche, Ken FOLLETT a écrit un roman conforme aux canons des best-sellers anglo-saxons. D'abord un sujet porteur: un laboratoire de biologie hightech qui travaille sur des virus dangereux, est menacé par un groupe terroriste indéfini dont on ne connaîtra l'identité qu'à la fin du récit. Il faut avouer que dans les meilleurs romans d'espionnage, la fin laisse toujours sur sa faim!
En second lieu: une documentation solide sur le sujet. L'auteur a séjourné dans plusieurs établissements de ce type au Canada, en Angleterre et aux Etats-Unis; il a interrogé diverses polices pour connaître les « biorisques » et les mesures envisagées pour enrayer les conséquences catastrophiques de la diffusion de virus dangereux. Il fut aidé dans ses recherches par le « Research for writers » de New York qui lui trouva les experts adéquats de par le monde.Voilà une sacrée différence avec notre monde littéraire francophone.
Troisièmement, les personnages sont mus par des ressorts psychologiques vraisemblables et bien étudiés. On devine que l'auteur a suivi des cours à ce sujet. Encore une différence avec les auteurs francophones dont beaucoup adoptent un point de vue extérieur, celui de "Dieu" qui leur permet de faire faire à leurs héros n'importe quoi et à la limite de l'invraisemblance psychologique.
Quatrièmement, une intrigue menée tambour battant, toujours en suspens, et dans laquelle chaque fin de chapitre se termine par un point d'interrogation, comme dans les albums Tintin de Hergé.
Ces quatre caractères se retrouvent aussi bien dans le Da Vinci Code de Dan Brown que dans les romans de Stephen King. C'est étudié, structuré, efficace. Ces romans sont composés selon des techniques enseignées dans les universités américaines dans des "laboratoires" d'écriture. Un autre monde!
Peur bleue et blanche
L'intrigue se déroule en 48 heures, dans deux lieux clos, comme dans deux « Chambres jaunes » à la Gaston Leroux. Nous suivons l'intrigue heure par heure, dès la veille de Noël, dans le nord de l'Ecosse et au milieu d'une tempête de neige, d'où le titre du roman. Le premier lieu, la laboratoire « Oxenford Medical » du nom de son fondateur, qui cache un virus à la dangerosité cataclysmique, le Madoba 2; le second lieu, la propriété du Dr Oxenford qui accueille la famille du savant pour Noël. Ce savant a en outre mis au point un vaccin anti-virus universel. L'histoire commence par la disparition du virus du fait d'un membre de l'équipe du laboratoire dégoûté par les expériences menées contre les animaux cobayes. La gardiennne de la sécurité du labo, Antonia Gallo, dite Toni, est chargée de contrôler la situation et de contenir les médias. Elle est amoureuse du Dr Oxenford, et son ex, membre de la police du lieu, lui cherche des poux. Mais il y a plus grave. Le système de sécurité du laboratoire, hypersophistiqué, caméras, ordinateurs, portes blindées, rondes des gardiens, a été imaginé par le propre fils du savant, Kit, génie de l'informatique, que son père a dû licencier pour faute grave; c'est que Kit joue au casino et qu'il doit une grosse somme d'argent. Des gangsters le font chanter: remise de dettes contre remise du virus commandé par une organisation inconnue. De quoi empoisonner tout le Royaume-Uni !
Sacrée famille que celle du savant Stanley Oxenford: outre son fils Kit prêt à tout pour échapper aux gangsters qui l'ont menacé de mort, même d' empoissonner l'humanité entière, il y a deux filles. Deux « chefs» dans leur genre. Olga, avocate, qui s'inquiète que son père tombe amoureux de Toni et qu'elle perde de la sorte une partie de l'héritage. Son mari est un coureur de jupons qui lorgne la soeur Miranda qui a une liaison avec Ned, un pâle type qui vient de quitter sa femme. Le fils d'Olga, Craig, en pince pour la fille de Ned, nommée Sophie. Nous voilà au coeur d'un noeud de vipère familial aux implications gravissimes par rapport aux virus!!!
Malgré les mesures de sécurité draconiennes, les gangsters ont pénétré dans le laboratoire Oxenford. Branle-bas de combat! Et ces gangsters valent eux aussi le détour. D'abord Daisy, une femme-homme, psychopathe; Nigel, aucun sentiment, seul le flouze compte; Elton, un jeune Noir de Londres, qui suit, et bien sûr le fils du savant, Kit, qui les guide dans le labo.
Evidemment on devine les stéréotypes du genre: les bons, les mauvais, l'action , l'amour, la punition, la récompense, le happy end, mais c'est tout de même un peu plus compliqué, la psychologie joue son rôle, et en outre, « cela » fonctionne à fond de balle.
Tout est millimétré, point de longueurs, ni de descriptions inutiles ni de parenthèses fastidieuses. Chaque élément s'imbrique dans l'architecture de l'ensemble, aucun hasard, aucune perte. Pas de scories, chaque détail avancé sert au but final, ce qui n'empêche pas l'auteur de faire preuve d'humour: ainsi, le dénouement dramatique du récit se déroule sous les yeux ahuris d'une grand-mère qui ne remarque absolument rien du drame!
Une littérature « industrielle »?
Technique, commerciale, organisée par des éditeurs spécialisés, des agents littéraires, soit un réseau pareil à celui du cinéma, Les surréalistes qui abhorraient le roman, considéré comme un genre littéraire dépassé et bourgeois ( « La marquise sortit à cinq heures... »), nous apprirent que l'accident, les maladresses ont leur place dans la création artistique. Rien de cela dans cette littérature qui vise un but simple: se faire lire. Au contraire de la nôtre qui se lit moins si on la compare à la littérature anglo-saxonne. Si on compare ce roman de Ken Follett à celui de Houllebecq, Plateforme dont je parle par ailleurs, on peut dire que l'on a deux types de littérature et deux conceptions de la culture: d'un côté Broadway à New York et le Théâtre de la Colline à Paris. Lequel survivra? La littérature anglo-saxonne, fonctionne sans aide aucune, mais les questions existentielles et politiques profondes,en sont absentes ou presque. Houellebecq a du style; Follett aussi mais surtout l'auteur anglais maîtrise parfaitement une technique.
Quel est l'avis des lecteurs de TOUDI sur ce sujet?
Michel HOUELLLEBECQ, Plateforme, J'ai Lu, 2005, 351 p.
Ken FOLLETT, Peur blanche, Le Livre de Poche, 2005, prix des lecteurs France-Info, 444 p., 7,80 Euros.