Développement économique et autonomie wallonne
Le développement de la Wallonie est, à la fois industriel et rural. Au 19e siècle, ce qu'on a appelé «la révolution industrielle» s'est développée très tôt en Wallonie parce qu'on y trouvait les éléments essentiels, un savoir-faire artisanal dans l'industrie du fer et le façonnage des métaux, comme dans l'exploitation charbonnière très proche de la surface, les gisements charbonniers partiellement connus, une bourgeoisie, commerçants, négociants, banquiers, et une petite aristocratie terrienne comme apporteurs de capitaux et entrepreneurs.
Holdings responsables d'un déclin wallon aujourd'hui terminé
Le sillon industriel wallon, aujourd'hui près des deux tiers de la population wallonne, a été la source d'une richesse considérable dont l'ensemble de la Belgique a bénéficié. Les zones rurales de Wallonie y ont trouvé des emplois, tout comme les zones rurales flamandes et une immigration italienne surtout, mais aussi polonaise, marocaine et turque importante.
De grandes entreprises se sont formées par regroupements, principalement sous le contrôle des groupes financiers tels que la Société Générale de Belgique, le groupe Bruxelles-Lambert et de grandes entreprises industrielles se sont développées par elles-mêmes comme Solvay, Pétrofina. La domination des holdings, à la fois bancaires et industriels, a pénalisé la petite et moyenne industrie familiale dans les industries transformatrices en drainant les capitaux qu'ils collectaient vers l'industrie lourde.
La Wallonie a aussi été pénalisée une première fois par la courte vue du capitalisme belge, en voyant péricliter et disparaître des activités industrielles manufacturières au profit d'un hyper-développement de l'industrie lourde.
Lorsque le capitalisme a entamé une grande mutation, qu'on, appelle encore «la crise», à partir du début des années 1970 - chez nous la fin de 1974 marque le basculement - les industries lourdes ont été particulièrement touchées et purement et simplement abandonnées par les groupes financiers qui les contrôlaient: fermetures de tous les charbonnages programmées avec l'aide financière de l'État, reprise de la sidérurgie par les pouvoirs publics, sans qu'aucune reconversion n'ait été envisagée et, a fortiori, mise en oeuvre.
La Wallonie a été pénalisée une seconde fois par la démission complète du capitalisme belge par les fermetures des industries lourdes et la restructuration profonde des secteurs industriels.
Le mouvement wallon a perçu très tôt les risques de cette situation industrielle déséquilibrée et a réclamé une diversification des activités industrielles, sans être écouté ni par le pouvoir économique, ni par le pouvoir politique unitaire belge tout entier préoccupé de l'industrialisation de la Flandre à partir de 1947, date d'un retour à une activité normale après la guerre. Il a fallu les grèves de l'hiver 1960-1961, le Mouvement populaire wallon avec une base syndicale forte et ensuite le Rassemblement wallon sur le plan politique pour que le fédéralisme devienne une revendication qui allait devenir irréversible malgré toutes les manoeuvres de retardement.
Rappelons les principales étapes: 1970, révision de la Constitution reconnaissant l'existence des trois régions, 1974 régionalisation dite provisoire, 1980 première réforme attribuant des compétences aux Régions mais pas de Parlements autonomes, 1988 seconde réforme étendant les compétences des Régions, 1993 la Belgique devient un État fédéral, 1995 premières élections régionales du Parlement wallon. Il aura fallu 20 ans de luttes des forces politiques et sociales pour obtenir enfin un pouvoir wallon disposant des compétences permettant de prendre certaines mesures en matière de développement économique et 35 ans pour disposer d'un parlement wallon élu.
Les chiffres sont là: de 1974 à 1986, l'emploi ne cesse de se dégrader en Wallonie en général mais beaucoup plus gravement dans les régions de première industrialisation. À partir de 1986, l'emploi augmente lentement: on peut affirmer aujourd'hui que le déclin wallon dont on a tant entendu parler, surtout par ceux qui n'en étaient pas directement victimes, est terminé.
Un nouveau développement
Le développement est en marche. Il se manifeste de diverses manières.
Les grandes entreprises: banques, assurances, sidérurgie, chimie, industries des médicaments cimenteries, verreries, font désormais partie de groupes industriels mondiaux,. Le capitalisme à capitaux belges a disparu, au moins en Wallonie. Les groupes industriels français jouent désormais un rôle important dans les grandes entreprises localisées en Wallonie: USINOR (Cockerill-Sambre et Fabrique de fer), ALSTOM et ALCATEL (divisions des anciens ACEC), Saint Gobain (verreries), DEXIA (Crédit communal), Suez (Tractebel et indirectement Électrabel), Électricité de France (partie de la centrale nucléaire de Tihange), TOTAL (Pétrofina), Champion (Mestdagh).
Plusieurs entreprises ayant une implantation majeure en Wallonie se sont développées à un niveau mondial. Solvay est bien connu mais il faut aussi citer Carmeuse dans le domaine de la chaux, Delhaize dans le domaine de la grande distribution.
Des entreprises dans les secteurs de haute technologie se développent par elles-mêmes et atteignent des tailles qui les font reconnaître sur le marché européen et mondial dans leurs domaines respectifs, souvent en partenariat avec des groupes français. SONACA dans l'aviation partenaire du consortium Airbus. «Centre spatial de Liège» qui vient de signer un accord avec MATRA MARCONI SPACE. Plusieurs entreprises dans le domaine de l'informatique ont développé des produits et des systèmes reconnus sur de nombreux marchés étrangers. De même, on voit naître des coopérations universités-entreprises, donnant naissance à des activités génératrices d'emploi comme IBA (Ion Beam Applications), dans le domaine des cyclotrons à usages médicaux.
Dans les secteurs dits de haute technologie, appartenant ou non à des groupes mondiaux, la recherche et l'innovation qui se font en Wallonie jouent un rôle beaucoup plus important qu'on ne se l'imagine. Dans les secteurs dits traditionnels, comme la sidérurgie, la verrerie ou les cimenteries, les processus de fabrication demandent aujourd'hui des pilotages très fins, seuls réalisables par des procédés et des modèles informatiques développés entièrement par les entreprises wallonnes elles-mêmes. Quoi qu'on dise, la recherche interne aux entreprises est présente, même si elle n'apparaît pas comme telle dans les comptabilités. C'est le travail permanent des ingénieurs et cadres principalement que d'améliorer les qualités des produits et les performances des équipements.
Dans les zones dites rurales, le développement des diverses formes de tourisme a demandé des adaptations, des nouveaux comportements et des investissements. On constate que, non seulement les infrastructures d'accueil (restaurants, logements), se sont développés et ont créé des emplois mais dans de nombreux endroits des événements touristiques prennent naissance et renom grâce à des initiatives locales. Des industries légères et de transports s'y installent, généralement à la périphérie immédiate des villes, même de faible taille.
L'action des pouvoirs publics régionaux
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ni la mondialisation ni la construction européenne ne suppriment l'importance des Régions dans le développement économique. Ces deux réalités déterminent des cadres, voire des contraintes spécialement aux grandes entreprises, mais elles ne sont, comme telles, à l'origine d'aucune création d'entreprises, ni d'aucun développement d'activité. Les impulsions, le dynamisme sont bien ancrés dans des réalités locales et régionales, elles ne se trouvent plus à des niveaux nationaux et encore moins à des niveaux supranationaux.
La Wallonie n'a pas à disputer à d'autres Régions des investissements étrangers à coups d'avantages fiscaux et d'aides financières: elle a à stimuler, formaliser, représenter le dynamisme des citoyens, des associations et des entreprises wallonnes. Trois domaines sont particulièrement importants: l'éducation et la formation, la culture et l'identité, l'aménagement du territoire et la rénovation urbaine et rurale.
Après les années dures de la compétitivité à outrance, on se rend compte, y compris dans les grandes entreprises qu'il n'est de richesses que d'hommes. Sans les compétences, les savoir-faire et la créativité des travailleurs, aucune entreprise ne peut tenir dans les marchés âpres et changeants. Ce qui est vrai pour les entreprises l'est aussi pour les associations et les administrations.
L'éducation et la formation jouent, dès lors, un rôle fondamental, non qu'il faille adapter les enseignements aux besoins immédiats des activités économiques mais surtout pour former, dans les différents métiers et disciplines, des gens compétents ouverts, critiques, créatifs, et ayant le souci du travail bien fait. La véritable apprentissage des compétences professionnelles nécessaires à chaque poste de travail s'apprend par la pratique et pas autrement.
Au fond, le système scolaire à chaque niveau, école maternelle, primaire, secondaire, supérieur ou universitaire devrait avoir pour objectif, sinon comme seul objectif, de former des jeunes aptes à apprendre. Cela suppose une grande ouverture d'esprit, un développement d'aptitudes manuelles et physiques (on devrait donner des cours de couture et de broderie ou des cours de piano aux futurs chirurgiens!), un esprit critique et une aptitude aux analyses et aux synthèses plutôt qu'à l'emmagasinement de savoirs théoriques.
L'ensemble du système scolaire, aujourd'hui trop extérieur au devenir et à l'avenir de la Wallonie, devrait davantage devenir partenaire de projets et de développements régionaux et locaux. On parle beaucoup de «réseaux» comme types de relations indispensables au développement local et régional; les établissements scolaires devraient aussi en faire partie. Voilà pourquoi l'enseignement doit devenir une compétence de la Wallonie.
La culture sous divers aspects, mémoire du passé et ouverture aux manières d'être, de penser et de communiquer avec les autres, aussi identité: être de quelque part et appartenir pleinement à un peuple. Un peuple et une région qui veut affirmer son existence parmi les autres et construire ensemble, des projets comme ceux de l'Union européenne. Les États-Nations, comme entités totalisantes des citoyens, voient se diversifier leurs rôles dans l'histoire. Les gens se sentent citoyens d'une commune, d'une Région, de l'Europe, voire citoyens du monde. Voilà pourquoi, encore, les compétences dans le domaine de la culture devraient revenir à la Wallonie.
Former une identité locale et wallonne forte suppose un cadre de vie, un environnement rassurant et créatif de communications entre les citoyens. La Wallonie, héritière d'un passé où les pouvoirs publics belges n'ont guère eu le souci d'un environnement de qualité et n'ont ni donné les moyens, ni incité les pouvoirs communaux à le faire avec une ampleur suffisante, doit aujourd'hui rattraper un retard important de rénovation urbaine et de réhabilitation rurale. Elle s'y est attelée et on peut déjà mesurer des résultats, même si beaucoup reste à faire, particulièrement dans les zones d'urbanisation industrielle sauvage. Voilà pourquoi la Wallonie attache aujourd'hui beaucoup d'importance à l'aménagement de son territoire.
Des pouvoirs locaux aux compétences nouvelles
Les pouvoirs locaux se sont trouvés en première ligne pour affronter et résoudre les problèmes sociaux découlant de la mutation du capitalisme, les effets des pertes d'emploi, les effets des blocages et des contractions de salaires, les effets d'un habitat vétuste et inadapté aux réalités contemporaines, notamment le prix de l'énergie.
Devant parer au plus pressé, c'est au niveau local que l'invention du social a été la plus efficace. Invention des régies de quartier dans les habitats de logements sociaux, missions régionales pour l'emploi et l'insertion, ateliers de formation professionnelle, développement des enseignements de promotion sociale, maison d'accueil d'urgence et bien d'autres initiatives.
Aujourd'hui, les pouvoirs communaux se sentent aussi en première ligne pour maintenir et développer l'emploi sur le territoire. Ils peuvent être moteurs d'un développement local, encore appelé développement endogène parce qu'il se base sur les initiatives et potentialités locales. Cela implique que se constituent des réseaux entre les artisans commerçants et entreprises, mais aussi avec les établissements d'enseignements, avec les mouvements associatifs pour que les complémentarités se renforcent et permettent le développement de nouveaux projets porteurs d'emploi.À un pouvoir centralisateur comme le fut l'État, doit se substituer un pouvoir fédérateur régional, stimulant les initiatives locales et les aidant, formulant des axes et pistes de développement de manière à assurer la cohérence et la cohésion de ces initiatives.
Les risques et les dangers de la mondialisation
On sait maintenant d'expérience que la mondialisation entraîne la montée des inégalités: inégalités entre pays développés et les autres, mais aussi inégalités sociales à l'intérieur des pays développés comme des pays en développement. C'est finalement aux pouvoirs régionaux et locaux à réparer ces dégâts et si possible à les prévenir. Le capitalisme ne leur en assure cependant pas les moyens.
La mondialisation ou capitalisme financier s'appuie et se développe grâce aux paradis fiscaux totalement incontrôlés. Il en existe partout dans le monde en bordure des grands États industriels. On les appelle pour cette raison «offshore». En Europe, on en compte au moins une dizaine: Principauté d'Andorre, Chypre, Gibraltar, Guernesey, Jersey, Liechtenstein, Madère, Île de Man, Monaco, Mont Athos (Grèce), Monstserrat (Espagne), mais aussi, dans une moindre mesure, parce que certains contrôles existent, Grand-Duché de Luxembourg et Suisse. Mais aujourd'hui, les capitaux circulent en temps réel par les réseaux informatiques et les plus grands paradis fiscaux sont mondialement connus: Îles Caïmans, Singapour, Bahamas, Hongkong, Îles Vierges britanniques notamment.
Les paradis fiscaux ne servent pas seulement à éviter la taxation des avoirs financiers et revenus financiers des entreprises et des particuliers, ils sont, aussi, le refuge et les lieux de transactions de l'argent sale de tous les trafics: drogue, armes, êtres humains, organes humains, dopage, services secrets, mafias.
Le capitalisme financier engendre ainsi une forme de légitimation de l'argent sale, confondu avec l'argent «propre». Légitimant et la fraude fiscale et les trafics illicites, le capitalisme mondial couvre les mafias. Les pratiques mafieuses et criminelles s'amplifient comme on le constate partout, surtout depuis une dizaine d'années. Le capitalisme financier et déréglé évolue naturellement vers le règne non pas seulement de monopoles mais aussi de mafias et de pratiques mafieuses, y compris au sommet de certaines grandes entreprises, voire même du pouvoir politique.
Etant donné son caractère financier et très largement spéculatif, le capitalisme mondialisé n'est pas à l'abri d'un krach financier de grande ampleur qui aurait des répercussions très graves sur l'activité économique, sur l'emploi et la vie des citoyens. L'exemple de la grande crise des années 30 est encore là pour rappeler que ce risque n'est pas nul.