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À tous ceux qui voudraient s'interroger sur les évolutions de l'enseignement aujourd'hui et, au-delà de l'école, à l'évolution du monde, il faut recommander le dernier numéro des Cahiers Marxistes (qu'on peut commander en versant 7,5 EURO au cpte 001-1047600-76 des CM, avenue Derache, 94 b. 6, 1050 Bruxelles).
École et néolibéralisme
D'emblée Nico Hirtt montre dans son texte Quand les marchés se saisissent de l'éducation que l'école est à la fois, en langage marxiste, superstructure et infrastructure: elle oriente et elle fait (p.12). L'école voit ses moyens croître dans la période d'après-guerre et puis décroître lorsque survient la « crise » (p.16). Elle se « massifie » mais sans se démocratiser (pp. 16 et suivantes). Il y a une très belle analyse de la question de l'enseignement dit humaniste: « les connaissances générales celles qui forgent une culture commune, celles qui donnent force pour comprendre le monde dans ses multiples dimensions, n'ont jamais été réellement importantes sur le pan économique. les programmes de l'enseignement secondaire général, que l'on dit aujourd'hui surchargés de connaissances, sont une réminiscence de l'époque où cet enseignement était réservé aux enfants des classes dirigeantes et futurs dirigeants eux-mêmes. Il fallait les munir des armes du savoir, des signes culturels de leurs appartenances de classes et de la légitimation du pouvoir? Ces programmes, inadaptés à l'ambition d'élever le niveau de formation professionnelle des masses, avaient néanmoins assez largement survécu à l'ère de la massification de l'enseignement. Sans doute en partie parce que les considérations quantitatives mobilisaient toutes les attentions. maintenant que le contexte économique focalise l'attention sur les contenus et sur la quête d'employabilité, on attaque de toutes parts cet "empilement" des connaissances générales.» (p.25). D'une certaine façon, la conquête d'une culture commune est liée à la diversité des nations qui consiste elle-même un obstacle au néolibéralisme (p.38). On lira aussi dans ce texte, des aveux extrêmement cyniques sur l'instrumentalisation de toute l'éducation humaine à des fins purement économiques. On est en face d'une destruction de l'identité humaine qui passe par la destruction des identités longuement bâties à travers les luttes historiques et politiques comme la Wallonie. C'est un constat semblable que fait Michel Bougard dans L'école et ses dupes, le pire est pour demain, article branché sur l'enseignement des sciences, enjeu capital et qui se lie à d'autres enjeux, celui de la barbarie douce à travers laquelle (et le jargon de pédagogues), on tue à nouveau l'identité humaine (pp.89-90).
École et régionalisation de l'enseignement
Il est vrai que dans le monde enseignant certains redoutent sa régionalisation parce que celle-ci irait dans le sens du néolibéralisme, la structure scolaire étant maintenant coupée de la Wallonie économique, elle préserverait le caractère immaculé de sa robe non-marchande. C'est évidemment la position un peu hypocrite de certains Écolos et de trop de gens de la CSC, de vieux profs qui ne s'interrogent jamais sur l'origine des salaires, malgré tout assez élevés, qu'ils perçoivent et qui ne tombent pas du ciel mais qui ont comme source une Wallonie qui est aussi - horresco referens - une entité économique. L'aile wallonne de la CGSP a très logiquement pris position en faveur de la régionalisation de l'enseignement. Partant d'une définition de l'État fédéral en plusieurs points dont on retiendra celui-ci - « L'État fédéré détient donc toutes les compétences d'un État sauf celles qu'il délègue à l'État fédéral. Il est délimité par des frontières, il recouvre donc un territoire. » - Camille Dieu écrit fort justement: « Les Communautés n'ont pas de territoire: ni la Communauté française ni la Communauté flamande n'ont d'assise territoriale sur Bruxelles, mais par contre les régions ont un territoire. Ceci explique par ailleurs que les Communautés n'ont pas de possibilité d'exercer un pouvoir fiscal, alors que les Régions le peuvent. Tout axer sur l'entité qui réunit déjà à elle seule un maximum de critères de l'entité fédérée - c'est de toute évidence la Région - ouvrirait une étape vers plus de fédéralisme, et nos institutions y gagneraient du même coup en simplicité et en équilibre. Ce faisant, on revitaliserait le lien de l'enseignement avec sa société, avec ses réalités économiques, culturelle, sociale et on lui ouvrirait des perspectives de développement réel - financier, humain, démocratique. C'est aussi le moyen de redonner vie, force et projets à l'enseignement public, géré par un véritable pouvoir public. C'est lui permettre de lutter contre toutes les tentatives d'appauvrissement, de rationalisation et de privatisation. C'est le réinsérer dans la société globale et lui donner un souffle nouveau. Ce choix fut celui du secteur enseignement de la CGSP en avril 1995, et il fut soutenu dès ce moment par la CGSP dans son ensemble (tous services publics) et par la FGTB wallonnes. » (p.177).
Notre collaborateur Bernard De Commer avait participé à ce numéro par des articles qu'il a retravaillés pour notre revue. Nous citerons aussi parmi les collaborations des CM Faut-il avoir peu de Bologne? (Pierre Marage), Où va l'école ou les paradoxes du changement? (Jean-Maurice Rosier), La Validation des compétences (Isabelle Michel), Crise de sens dans l'enseignement des sciences (G.Fourez), Entre idéalisme et pragmatisme: les sciences dans l'enseignement (Michel Wautelet), Des Women's studies aux études de genre (Nadine Plateau), Refinancement - suites (Régis Dohogne),Une analyse laïque des accords de la Saint-Boniface (Patrick Hullebroeck).
Bref, un numéro remarquable, faisant le tour de tous les problèmes mais où, cependant, nous aurions aimé voir plus explicitée l'articulation entre régionalisation et formation de l'identité des personnes dans la Wallonie de demain.