Fermeture Ps, horizons européens

Toudi mensuel n°52-53, février-mars 2003

La campagne électorale a mal commencé pour la Wallonie. En Flandre, l'électorat pour les législatives et l'électorat pour les élections régionales est quasiment identique. La campagne électorale pour les structures fédérales sera donc aussi une campagne électorale flamande.

La structure communautaire des partis joue contre la Wallonie

Il n'en va pas de même pour la Wallonie. Les partis sont communautaires. Par conséquent les différences entre la Wallonie et Bruxelles sont gommées dans les campagnes de tous les partis. Cela se fait au détriment du groupe le plus nombreux, les Wallons (parce que tout le monde joue à la « Belgique »). Cela se fait aussi au détriment de la perception des enjeux par les citoyens. On voit des groupes de pression présenter leur cahier de revendications en vue des prochaines élections pour un niveau de pouvoir comme la Communauté dont le gouvernement et le parlement dépendent en fait du résultat des élections régionales wallonnes et bruxelloises qui auront lieu l'an prochain ! Au PS, le président de ce parti se présente comme le dernier rempart contre l'éclatement du pays. Alors qu'il est douteux que la Belgique éclate ainsi du jour au lendemain. Mais alors que cette crainte est relancée en particulier dans l'électorat bruxellois (et l'électorat wallon conformiste), à chaque nouvelle avancée de la Wallonie vers son autonomie. Être contre l'éclatement du pays... c'est jouer la carte belgicaine et faire peu de cas de l'autonomie des États fédérés dans un État fédéral. Di Rupo est pire que Leburton ?

En voulant sauver la Belgique, on minimise ainsi la Wallonie et même pire, on fait comme si son intérêt était d'être encore plus dépendante de l'État belge dominé par la Flandre. La campagne électorale en Wallonie sera francophone et non pas wallonne. En fait belge. Défensive. Il s'agit de faire front face aux Flamands qui réclament de nouveaux pouvoirs pour la Flandre. Mais les refuser à la Flandre c'est aussi les refuser à la Wallonie. La classe politique wallonne ne doit guère s'en soucier car, à l'exception de Jean-Claude Van Cauwenberghe, exemplaire, les responsables PS régionaux wallons (et écolos) briguent aussi des mandats au plan national. Et quand on leur fait savoir qu'il y a là une contradiction, ils répondent que leur mandat est à la disposition du Président du PS. L'électeur wallon est donc mis hors jeu. Non pas certains électeurs bruxellois qui - la lecture de la revue Politique est édifiante à cet égard - ne voient dans l'affrontement de mai qu'un affrontement entre la gauche et la droite, sans dire que cet affrontement se limite à la Wallonie, sans dire qu'en Flandre le système est différent et sans dire que cela rend l'opposition gauche/droite très relative pour la Belgique puisqu'il se limite à une Wallonie dont, par ailleurs, on ne veut pas qu'elle existe, qu'elle soit de droite ou de gauche. Et finalement sans dire que le front du refus (de toute discussion avec les Flamands sur de nouvelles avancées institutionnelles), ne tiendra quand même que l'espace d'un matin d'élections. S'il y a bien un sondage qu'il ne faut pas faire c'est sur ce front: personne n'y croit.

Élio Di Rupo néglige le monde socialiste wallon

Élio Di Rupo ne voit-il pas qu'il est en porte-à-faux par rapport au monde socialiste wallon ? Nous en parlons à l'intérieur du numéro : la CGSP wallonne a rejeté le Plan Magellan de recentralisation de l'information RTBF à Bruxelles. Pour se défendre devant ce syndicat resté proche du PS, le président de ce parti y a évoqué de fastueux investissements à Liège que la CGSP considère comme inutiles et conçus dans une optique purement commerciale, étrangère à l'esprit du service public. Fatalement, les journalistes et animateurs wallons de la RTBF sont avant tout sensibles au fait que la Wallonie est ignorée par le média public le plus important, financé à 80% par les Wallons. Mais tout semble démontrer qu'Élio Di Rupo est insensible à cet enjeu-là qui est de l'ordre du symbole, qui est d'ordre politique. Il se défend en parlant fric.... La CGSP bruxelloise est, elle, satisfaite du Plan Magellan et la rupture entre Bruxellois et Wallons est profonde.

Mais les CGSP wallonne et bruxelloise ont rompu également dans un autre domaine, celui de l'enseignement. Nombre de Bruxellois sont satisfaits de la situation présente et s'opposent aux revendications wallonnes de régionalisation de l'enseignement. Tous les acteurs nous le disent et notre expérience de vingt ans de Manifeste pour la culture wallonne nous le confirme. Clairement, les Bruxellois ne comprennent pas ce que les Wallons veulent comme tous les peuples, c'est-à-dire être reconnus. Ce qui passe par des réparations symboliques et une certaine psychologie qui font que l'on qualifiera aisément ces requêtes de nationalistes. Or il ne s'agit pas que de symbolique ! Le Gouvernement wallon a lancé un vaste plan de redressement de la Wallonie dont tous les experts disent qu'il doit mettre l'enseignement dans le coup. Mais la mobilisation est priée de s'arrêter aux portes des écoles et donc de la jeunesse wallonne qui est la seule chance d'avenir de la Wallonie. Le Gouvernement wallon ne peut pas agir sur ce levier-là et n'a aucune légitimité pour mobiliser la jeunesse du pays dont il a la charge. En effet, ceux qui peuvent agir dans ce domaine sont les ministres communautaires de l'enseignement, qui ont déjà, à eux trois, trois politiques différentes, conçues dans un espace communautaire dont nous venons de dire qu'il sépare la Wallonie économique et sociale de la Wallonie scolaire, morale et culturelle.

Les Bruxellois désirent par-dessus tout le maintien de l'unité de la Belgique francophone. Mais ils ne voient pas que la campagne électorale des partis classiques, s'inscrivant dans le cadre communautaire, ne favorise leur vision de cette unité francophone, donc du lien à la Wallonie, qu'au détriment du redressement de celle-ci. Obnubilés par la quête des voix, tous les partis et en particulier le PS, évacuent la question capitale des rapports entre la Wallonie et Bruxelles et mettent en avant ce qu'on appelle depuis que la question nationale se pose en Belgique « les vrais problèmes de gens ». Parfois jusqu'au grotesque comme Joëlle Milquet téléphonant devant les caméras de la télé pour s'assurer que son dernier a pris son biberon. Tout le monde a à la bouche ces « vrais problèmes des gens » mais les Écolos censés comme parti neuf être plus sensibles dans ce domaine, lorsqu'il est question de l'avenir de Cockerill, ne peuvent mettre personne en avant qui relève de ce monde social-là. En se liant à eux, le PS, soucieux aussi de contenter certains Bruxellois dans le sens que nous venons d'indiquer, s'éloigne encore un peu plus du monde socialiste wallon. On regrette de devoir parler ainsi d'Écolo où les Wallons convaincus ne sont pas rares ni les républicains mais qui les portent comme une honte. En Wallonie et je voudrais qu'on sache que cela déborde infiniment les lecteurs de TOUDI, dans les syndicats, les universités, chez les artistes, les intellectuels un sourd mouvement de mécontentement très grave grandit à l'égard de certains partenaires bruxellois dans la Communauté française. Beaucoup ont le sentiment que ces partenaires ne nous comprendront jamais et qu'il faut les mettre devant le fait accompli puisqu'ils ne veulent pas entendre ni comprendre. C'est d'ailleurs ce ras-le-bol wallon très profond qui explique le comportement de la FGTB wallonne en matière d'enseignement et d'audiovisuel. Nous sommes plus modérés qu'eux à TOUDI.

L'horizon nouveau qu'offre à la Wallonie le formidable tournant diplomatique

Pourtant, tout n'est pas noir ! J'essaye de montrer dans la suite du numéro que l'excellente politique internationale de Louis Michel, qui, d'une certaine manière, revalorise la Belgique, ne porte pas, elle, ombrage à la Wallonie. Cette politique n'a été possible que parce que la France jamais lassée de poursuivre une politique mondiale, sachant qu'elle ne peut le faire que dans et avec l'Europe, a trouvé enfin dans l'Allemagne le partenaire que lui rêvait déjà le général de Gaulle en 1963. L'Allemagne, parce qu'elle est réunifiée après la chute du Mur, parce qu'elle n'a plus à avoir peur des Russes ni à se soucier prioritairement de sa réunification, parce qu'elle a assumé complètement son passé, peut enfin avoir aussi une politique à elle en Europe et dans le monde. Il est logique qu'elle trouve dans la France un partenaire parce que les deux pays ont appris dans les larmes, le sang et l'horreur qu'il fallait dépasser une vision agressive de la patrie et trouver de nouvelles voies pour les rapports entre nations.

L'État belge est comme entraîné dans cette expérience dont nous disons avec Jean-Marc Ferry qu'elle est postnationale et prépare les voies d'une nouvelle identité humaine. Cependant, l'État belge n'étant pas une nation, mais un État, qui comprend deux nations, la Flandre et la Wallonie, justement en conflit à cause aussi de l'ancien conflit France/Allemagne, se retrouve assez logiquement aux côtés des Français et des Allemands contre la folle intention guerrière américaine. Logiquement mais librement : c'est la première fois peut-être dans son histoire que l'État belge a une politique aussi authentiquement et démocratiquement autonome ou indépendante. Logiquement mais librement : parce que l'État de Flandre et de Wallonie, proche, plus que tout autre du foyer même de la guerre civile européenne déclenchée en 1914 par l'hostilité France/Allemagne, trouve lui aussi, dans leur amitié retrouvée au-delà des conceptions classiques de la nation, les voies d'une ouverture au monde qui ne sera accomplie que par une autre réconciliation. Cette réconciliation entre la Flandre et la Wallonie s'opèrera dans un cadre confédéral un peu à la façon dont s'est développée l'amitié franco-allemande. Elle ne peut nuire à la région bruxelloise qui devrait au contraire se laisser séduire par une ambition européenne wallo-flamande du même type que l'ambition française et l'ambition allemande. Durs avec les Bruxellois, nous le sommes et le resterons pour qu'ils sachent que l'ambition wallonne est à la mesure du monde nouveau qui se lève à cause de trois pays courageux d'Europe. Oui, l'Europe ! L'Europe des nations ! L'Europe indépendante ! L'Europe dépassant les nations ! L'Europe qui doit maudire le néolibéralisme. L'Europe qui est la chance d'un monde meilleur comme le disait le ministre Dominique de Villepin, le ministre de la France et d'une dignité retrouvée que nous partageons avec les Allemands et les Français. Nous ne savons comment les choses tourneront mais nous savons que ce qui s'est passé a un certain goût d'honneur que nous avions perdu depuis la disparition de l'homme du « Vive le Québec libre ! ».

PS : Nous espérons qu'aucun Parlement wallon ne votera une loi condamnant ceux qui s'en prendraient au drapeau wallon. Les étendards de la révolte ne sont pas faits pour être sacralisés.