Histoire imaginaire de la République liégeoise
Ce qu'il y a de meilleur dans ce livre, c'est l'ironie mordante avec laquelle on parle du duo Riglette/Larcher. Il parodie avec vraiment beaucoup de talent un fameux Riglette (Gabriel Ringlet qu'on aura reconnu et son comparise Guy Haarscher). Goûtez un peu: «L'oscillant Riglette n'évoquait la "morale catholique romaine" qu'avec une circonspection pharmacologique et à la condition que cette dernière fût expressément coincée à la page du jour, dans la pose molle, grasse et effilochée d'un vieux signet de bréviaire. Avec Guillaume Larcher, son " ami de l'autre rive ", sensible, comme lui, à la piqûre de frelon de la " question du sens ", Séraphin Riglette courait de colloques en conférences et d'articles de fond en minute télévisée. On s'invitait à boire et à manger, car on avait la digestion fraternelle; on se citait dans les bas de pages et dans les bibliographies, car on savait le prix de l'amitié. Ces deux pôles de la pensée pensante et de la parole parlante semblaient s'être entendus pour faire tourner la planète belge entre les crocs de leurs deux hémisphères: dans les journaux du matin, Larcher disait la doctrine et dans ceux du soir Riglette la commentait; quand Larcher servait la soupe, Riglette lui passait le sel; quand Riglette semait des points de suspension, Larcher agitait des points d'interrogation etc.» (p.18).
Revenons au récit halluciné qui est le fil rouge de ce livre pourtant bref. En fait, à la séparation belge Flandre/Wallonie-BXL succède une séparation Liège/Wallonie suite à la décision de replacer la capitale de l'ensemble de Namur à Bruxelles, décision rejetée par les Liégeois qui ressuscitent une sorte de Principauté de Liège (comprenant le Hainaut cependant).
Sur la scission de la Belgique en trois parties, Jean-Marie Lacrosse qui prend au sérieux Pirenne dans Le Débat de janvier 1998 (La Belgique telle qu'elle s'ignore), donnerait son accord que l'idée est plausible.
Le livre renverse les signes: les Hollandais qui passent le Rhin/Meuse, la bataille des «étrons» d'or, le remake du martyr de St Lambert (l'assassinat du primat de la République de Liège dans un parking où il allait prier) etc.
En 2032, l'ONU prend des mesures pour interdire tout sacrifice d'animaux même symboliques, ce qui amène à supprimer l'usage du vin dans la messe et son remplacement par la bière dans la Belgique du Cardinal Riglette. «Les hommes de bonne volonté» écrit Pierre-René Mélon «et de faible conviction furent rassurés de ce que l'on s'occupât en haut lieu de l'essentiel de leur préoccupation: des revenus assurés, des congés réguliers, la garantie de la paix, la fin des fanatismes, la tolérance universelle, le confort pour chacun.» (p.75) Cela fait penser au troupeau humain dont rêve le Grand Inquisiteur de Dostoïevsky.
C'est «la fin de l'histoire» ou l'oubli que l'histoire est tragique. Puis vient, non la fin de l'histoire mais du monde après que se soit rallumée la guerre de sécession aux USA. Les descriptions de la fin du monde sont transcrites (si je puis dire) des Écritures.
À la tragédie de la fin du monde se mêle le tragique «belge» un peu grotesque de la fin de la Belgique, mais une fin comique qui n'est pas une fin d'autant qu'il reste hors la Flandre et la «République liégeoise», une Belgique vraiment réduite à sa plus simple expression puisqu'elle ne compte finalement plus que Bruxelles, le Brabant wallon et quelques villages ardennais. Comme elle va disparaitre, le monde aussi cesse d'exister ce qui réjouit un Charles-Ferdinand Nothomb qui est présent dans ce livre comme François Perin. Il y a ainsi quelque chose de touffus, de baroque, de désordonné, de potache dans ce livre, pourtant court.
Mais c'est peut-être l'intention de l'auteur?
Du coup il y a plusieurs registres et on aimerait non pas qu'il n'y en ait qu'un seul, mais être porté par la lecture à les visiter tous et je ne sais pas si cela se passe dans ce livre qu'on lit cependant en riant tout haut.
Marc Quaghebeur jugerait que, comme tous les écrivains «belges», l'auteur s'est inspiré de Charles de Coster. Il y a quelque chose d'éminemment «belge» en effet dans ce livre, ne serait-ce que l'impossibilité presque absolue dans laquelle on est de retrouver une Belgique cohérente (cela, n'y pensons même pas!), mais même une Wallonie cohérente voire même une Province de Luxembourg. Et Charles de Coster, on y pense souvent. Mais, c'est peut-être aussi - bien que ce soit paradoxal - une Belgique vue à la flamande, à la paillarde, à la baroque. C'est une autre façon de voir notre ici dans un condensé de rire et de tragique plus lumineux, tel qu'il se dégage de l'oeuvre d'un Jean Louvet qui apparaîtra peut-être un jour autant comme fondateur d'une littérature wallonne que de Coster l'a été d'une littérature belge, en fait flamande.
Il y a de bonnes nouvelles: les Fourons sont réunis à Liège par exemple. Des nouvelles qui en feront grincer certains et rire d'autres comme la capitale de l'Europe transférée de Bruxelles (d'ailleurs livrée à une guerre de type Saravégien), à Genève, l'intervention de la France fidèle aux côté de Liège, les invasions hollandaises, le rêve de Charles Michelet (que tout le monde reconnaîtra) de fonder une dynastie.
Tout fourmille, grouille, se dévore sous le regard sarcastique de cet écrivain de talent qu'est Pierre-René Mélon. On a parfois le sentiment que le livre peine à trouver son unité, cela est vrai car les choses s'y enchevêtrent et on ne sent pas porté par l'unité d'un récit ou d'un propos. Mais derrière ce qui me semble quand même un défaut, le talent évident de l'auteur transparaît et ce talent est grand, disons-le bien sincèrement. Ce livre est à lire et même, dirais-je,doit être lu.