Jean Louvet, poète heureux

Toudi mensuel n°36-37, mars-avril 2001

Jean Louvet

Il existe une convention peu tacite entre l’auteur et le lecteur, par laquelle le premier s’intitule malade, et accepte le second comme garde-malade. C’est le poète qui console l’humanité! Les rôles sont intervertis arbitrairement.
Isidore Ducasse, Poésie I
Depuis un temps, sans force particulière et sans être mue par quelques stratégies vélléitaires, la trajectoire de Jean Louvet, «Le» poète wallon, «Le» dramaturge de la classe ouvrière, gagne à petites foulées sûres, de sorte remontant gaillardes le raidillon de la reconnaissance séculière, gagne, dis-je, l’empyrée scintillante, écarlate et vermeille des gens de lettres qui marquèrent leur époque.
Le tour est pris, ambigu, ampoulé. C’est que, impudemment trompé au préalable, le lecteur, par mille autres arabesques littéraires, ici et ailleurs, dans la littérature en plein, dans la presse à revers, mais toutes tirées du même lit corrompu, ce lecteur brimé par les soins à rendre de-ci de-là ne sait comment ici déceler quoi de l’ironie ou du procès en canonisation, ne sait plus où à quel sein rationel étancher sa soif.
Faute m’en reviens me passerai des excuses. Un seul remords néanmoins. d’avoit à jouer le père fouettard.
Ah que me lassent les spectacles aux ludions chagrinants, les scènes cabossées, les cris d’orfraie moiteux, les gypaèdes dans les souricières, les méphistophéles plumés d’encre noire âcre et souffreteuse, les oraisons mièvres et le culte obscur et sectaire des originalités puériles.
Parviendra-t-on, seulement, à parler, entendre clairement, à voir, sentir de chair à chair, sans filtre encombré, le théâtre en vers de Louvet Jean avec le corps et les yeux d’une jeune fille de quartoze ans ?
Le poète console l’humanité rappelle Isidor Ducasse, alias comte de Lautréamont. Et non l’inverse : «La poésie n’est pas la tempête, pas plus que le cyclone. C’est un fleuve majestueux et fertile.»
Je bavarde. L’intervention sera courte. L’auteur est malade, nous sommes ses gardes-malades. Dans le langage mystico-sociologique, l’individu va mal et la société se plie à son chevet.
Le Jean Louvet de la classe ouvrière est battu, rompu. On veut. On découvre un métaphysicien inoffensif. Il peut entrer dans le monde, passeport blanchi, être servi, fêté, ses pièces recréées. Il ne fait plus peur. On lui trouve même un accent maeterlinckien.
Jadis, - mais quand la classe ouvrière a-t-elle disparu ? -, on s’effrayait de ces pièces épiques, didactiques, marxistes, brecthiennes, un tantinet sartriennes, les unes apès les autres condamnées sans appel à l’article du belgiquement incorrect.
Aujourd’hui, la culture dispose de son État, celui-ci s’informe de haut en bas, Allez houra pour les élites ! pleurez pour elles, Allez hourra pour le folklorique populaire ! chantons, carnavalons, dialectons couleur et bière, accent local, produit du terroir...
La politique culturelle est devenue une affaire de goût, de castes, de communautés et d'affinités spirituelles. L’administration culturelle une affaire d’étoffement à la carte. Un peu de tout.
Faut-il se plier au credo que, à l’accroissement saint-simonien de communication, augmente proportionnellement la démocratie? Faut-il espérer qu’à séparer culture, économie et politique, le lien social gagne irréversiblement en qualité ?
Pauvre diable belgitudinien, quel dubitatif citoyen, je fais ! Ouf ! se dégage-t-il des absidioles littéraires d’où s’étend l’écho des chantres, des autorités. Ouf ! reprend-on en choeur dans les coteries : Jean Louvet ne fait plus de théâtre politique.
Savent-ils seulement que de tout temps, Jean Louvet est un homme heureux, un poète fier qui ne larmoie dans ses vers ni sur lui ni sur le monde. C’est une bonté politique sans animation criarde à la revanche et à la justice sanglante.
Faut-il qu’il fasse nuit sur nos drames intimes et sociaux pour que nos pupilles se dilatent enfin, désormais, s’étalent avec empressement sur le théâtre d’une rencontre renouvelée après renouvelée d’une pièce à l’autre sans discontinuer ?
[P.F.]
Edouard - Je n’ai jamais rien demandé à personne. Ah non! Mais à vous aujourd’hui, je voudrais me permettre car...
Alexandre - ... aujourd’hui, tout est changé.
Edouard - Ah! monsieur, vous l’avez vu, vous l’avez vu. Quelle joie pour moi! Vous avez vu qu’Edouard Godefroid commençait sa vie. A quoi, dites-moi, à quoi l’avez-vous vu?
Alexandre - J’ai entendu que vous le disiez.
Edouard - Ah ...
Alexandre - Remarquez, je m’en serais bien rendu compte. J’ai l’odorat. Ainsi, tenez, je n’ai pas mon pareil pour reconnaître un type qui me veut du bien.
(L’An 1, Jean Louvet)