Jean-Pierre Otte et les naissances de la femme

République n°37, mai 1996

Le Chant du Cygne (Geneviève Van der Wielen)

Notre amie Bernadette Malherbe anime à Namur une Maison du comte (renseignements: 081/ 73 61 38).

A l'occasion d'une prestation de Jean-Pierre Otte à cette maison et de la sortie de Les naissances de la femme, Pierre Danhaive, psychanalyste, nous propose la réflexion suivante.

Jean-Pierre Otte est restaurateur de mythes. Comme un peintre qui répare les tableaux abîmés des grands maîtres, il s'imprègne d'abord de l'esprit et de la technique de l'oeuvre concernée, son atmosphère - de longues marches lui mettent le corps à l'ouvrage - puis se laisse faire et raconte, remplissant les blancs et colmatant les brèches du texte, sorte d'association libre pour le travail de son inconscient, branché sur les éternelles préoccupations de l'humanité. Pas d'anthropologie en la matière, point de structuralisme: J P Otte est un faiseur d'ombres; il a plus le goût pour le clair-obscur du rêve que pour la lumière de la science. Les demi-teintes et les couleurs rabattues tempèrent en permanence les îlots par trop éclairés. Il est plus doué, nous dit-il, pour embrouiller les choses que pour les clarifier. Pour chiffrer un texte que pour le déchiffrer.

C'est que la vérité ne peut s'avancer que masquée, voilée. Le mystère de l'origine: la mort avant la vie nous est aussi inaccessible, symboliquement, que celle qui la suit.

Chaque homme dispose cependant d'un savoir indu, inconscient, dont l'accès est fourni seulement, outre la psychanalyse, par la création artistique et par les mythes.

"Ce savoir" nous dit JP Otte "est transmis par les sens, la sexualité, et les émotions". Il s'agit, nous dit-il, "d'éprouver et non de comprendre".

C'est que le langage qui nous fait humains a subverti toute cosmologie: l'instinct est devenu pulsion, le besoin s'est transformé en désir. Il n'y a plus de Grand Tout, le Un fait place à l'Autre, à la coupure, et donc au manque: cause du désir.Notre sexualité s'est tissée de mots et passe par la demande, référée désormais à l'Autre, radicalement Autre, innommable, et dont la femme, la jouissance et la mort sont des représentations. Ce qui explique l'opposition simultanée, dans les mythes des origines, de la femme et de l'idée de la mort.

Tout se passe comme si l'homme mâle, disposant d'abord de la clé de signification des mots, - que les psychanalystes appellent "phallus" - s'était aperçu qu'elle n'opérait pas pour caractériser sa femelle, différente de lui et mise, de ce fait, elle aussi, en place d'Autre: "Pas Toute" phallique. Il est dans le langage une faille où gît la vérité, le sujet parlant est divisé car le symbolique est troué.

Impossible à dire, à boucher d'un mot, d'une phrase, la femme est l'"Ouvert" et c'est par l'évocation de l'ouverture que les mythes amènent à sa création.

Source de vie - et donc de mort - la femme est notre origine réelle et participe de son mystère, dû à ce qu'il y a d'inconciliable entre ce réel et notre origine symbolique qui nous a donné les mots pour le dire.

Comme la vérité, une femme est "Pas-Toute" dans les mots et sa jouissance "plus proche que [celle de] l'homme de l'âme du monde et de l'intimité turbulente de la vie", Pas-toute dicible.

Il y faut le voile de la métaphore, de l'équivoque et de l'imaginaire: oeuvre d'art, rêve ou mythe.En écho à JP Otte, qui se demande si la femme n'est pas occupée à nous conduire vers quelque chose de nouveau - il parle d'un "au-delà de l'amour" - et en rapport avec ce côté "Pas-Tout", propre à la féminité, parodions A.Malraux en énonçant que, sans doute, le 21e siècle sera "Pas-Tout" ou... pas du tout. Pierre Danhaive

JP Otte, Les naissances de la femme, Seghers, Paris, 1996.

Post-Scriptum de ce 9 mars 2011

A propos de l'ensemble de l'oeuvre de Geeniève Van der Wielen, Jean-Paul Gavard-Perret a écrit

"La femme chez Geneviève Van Der Wielen semble donc offerte pour être à la mesure de qui est le voyeur. Elle a le devoir de montrer. Hélas elle ne fait que jouer l’offrande et l’ouverture. Chacune d’elle semble élémentaire, première, prête à sentir couler en elle le membre afin que nous soyons unis, indivisibles dans une nuit sexuelle. Mais si le regard la dénude, c’est bien à l’inverse son regard qui nous dévoile. Le voyeur devient la victime consentante d‘une chair étrangère et qu’il ne pourra posséder."