L 'Histoire populaire des États-Unis
Voici une étude historique exceptionnelle sur laquelle chaque historien devrait prendre exemple et que l'on devrait appliquer à chaque nation: faire l'histoire des dominés et non celle des dominants, adopter pour une fois le point de vue de ceux dont les manuels d'histoire ne parlent jamais, contre la version officielle de l'Histoire. Bien que l'ouvrage date de deux ans, il n'est pas trop tard pour en rendre compte et en conseiller la lecture.
En ce qui concerne les États-Unis d'Amérique, l'historien Howard ZINN1, professeur à l'Université de Boston, adopte le point de vue des délaissés du système américain, les Indiens d'abord massacrés au nom du progrès mais surtout au nom du dollar, les Noirs ensuite, les Ouvriers et Ouvrières, les nouveaux immigrés de toute nationalité, les Femmes, les Jeunes, soient en général les sacrifiés du système, dès les origines de la nation américaine.
Le Big Gouvernement avait pris forme dès l'époque des Pères Fondateurs, qui avaient délibérément mis en place un fort gouvernement centralisé pour protéger les intérêts des possesseurs des bons du Trésor, des esclavagistes, des spéculateurs fonciers et des manufacturiers. Au cours des deux siècles suivants, le gouvernement américain continua de servir les intérêts des riches et des puissants, offrant des centaines de milliers d'hectares aux compagnies ferroviaires, élevant des barrières douanières destinées à protéger les intérêts des producteurs américains, et accordant des réductions fiscales aux compagnies pétrolières tout en utilisant l'armée pour briser les grèves et les révoltes. » p.718.
Un Système bien rodé
Telle fut la politique continue de l'establishment américain jusques à aujourd'hui, des Démocrates et des Républicains, qui ne se distinguent pas du tout pour l'historien. Aussi cet ouvrage remarquable relève méticuleusement les révoltes, émeutes, grèves, et les répressions sanglantes du Système : massacres des Indiens dès 1768 avec la distribution systématique par les colons anglais de couvertures infectées de la variole (première guerre bactériologique), l'esclavage qui se mua lentement en une ségrégation ouverte puis rampante mais non moins efficace, un racisme doublé par celui qui fut affiché et provoqué contre les nouveaux immigrés qui servirent de boucs émissaires (Italiens, Européens de l'Est et du Sud, Irlandais, puis les Asiatiques, Japonais et Chinois et maintenant les Arabes); la lutte systématique pour briser les syndicats ou les associations d'ouvriers, et caeteri...
Histoire atroce en vérité, sanglante, sous l'emblème...
...de la bannière étoilée et du patriotisme, car il fallait mobiliser les énergies des peuples composant la Grande Nation, casser ses revendications, en les tournant vers la guerre, absolument nécessaire pour le Système, selon Howard Zinn, lorsque le capitalisme entre en crise. Et de fait, l'histoire des États-Unis est parsemée de guerres continues, contre les Anglais, les Espagnols, les Indiens, les Mexicains, les Cubains, jusqu'aux grandes interventions en Europe et la guerre de Sécession. Seuls rayons de soleil dans cette histoire atroce, les oeuvres des créateurs, les quelques avancées des grévistes, révolutionnaires, émeutiers indiens, noirs, ouvriers, femmes et jeunes, comme l'arrêt de la guerre du Vietnam. L'historien démontre en outre que le Système qui est en partie le nôtre en Europe et qui paraît devenir de plus en plus le nôtre par l'abrogation de la Sécurité sociale, les privatisations, le désinvestissement des Services Publics, se sert de l'alibi des classes moyennes pour avancer ses « réformes », c'est-à-dire pour toujours diminuer les acquis sociaux, augmenter les dépenses de sécurité , surtout celles destinées à l'armée. Le tiers de la richesse étasunienne est entre les mains d'1% de la population qui donne des miettes à ces classes moyennes, commerçants, enseignants, juges, militaires, policiers et les retournent contre la société d'en bas, accusée de ne rien foutre et de profiter. Le schéma classique de la droite pure et dure.
Médias complices, résistances permanentes
Et les médias là-dedans? Bien entendu au service des dominants à qui ils appartiennent, ainsi qu'on a pu le constater lors des deux guerres contre le malheureux Irak. Leur rôle est d'endormir les individus, d'ignorer les oppositions et les manifestations innombrables contre le Système de manière à ce que celui-ci ait tout loisir d'isoler les personnes et de mettre l'accent sur la ferveur patriotique.
Et cependant les résistances existent, innombrables depuis la fondation de l'État ; l'historien les cite, elles nous étonnent car nous nous n'en savions évidemment rien puisque les historiens n'en disent mot de ces hommes et femmes courageux qui défièrent et défient le Système au risque de leur vie et toujours de leur liberté. Au vrai, à la lecture de ce livre et des lois édictées depuis l'origine de l'État jusqu'au funeste « Patriot Act » d'aujourd'hui, on a l'impression que l'État n'est rien moins qu'un État policier et fasciste, ce que ne démentent pas les films de Michael MOORE ou un film de Lars Von Trier « Dancer in the dark », qui fait froid dans le dos. Car la démonstration de Zinn, est implacable, balayant toute l'histoire des États-Unis, président par président. Même les meilleurs de ces derniers, se mettaient au service de l'establishment et de ses intérêts. Un seul exemple, Reagan réduisit les habitations sociales héritées du New Deal, de quatre cent mille à...quarante mille, et Clinton le démocrate, les supprima !
Aussi radios locales, journaux locaux, revues alternatives foisonnent-elles aux « States », de même que les services d'entraide locaux initiés par de simples citoyens pour parer à la misère du peuple, privé de bons d'alimentation ou de gratuité des soins médicaux et de l'école. Tout pour les riches, paraît être la devise, et « tout pour l'armée ». Résultat : les gens d'en bas ne votent pas, avouant que ces élections ne sont pas pour eux, et les présidents sont donc élus par une minorité de la population, les riches ; des présidents, selon Zinn, pâles, sans envergure, sans caractère, en quelque sorte des potiches destinées à représenter le système.
« Au début des années 1990, le système politique américain, dirigé par les démocrates ou par les républicains, restait aux mains des plus fortunés. Les principaux canaux d'information étaient également contrôlés par les intérêts privés. Bien qu'aucun responsable politique important n'osât y faire allusion, le pays se partageait toujours entre une classe de gens extraordinairement riches et une importante partie de la population vivant dans une extrême pauvreté, séparés par une classe moyenne toujours sur le point de sombrer. Et pourtant, il existait toujours bel et bien - même si on n'en parlait jamais - ce que notre célèbre (mais fort inquiet) journaliste avait qualifié de « culture d'opposition permanente ». Cette culture qui refusait de renoncer à son combat pour une société plus humaine et plus juste. Si l'Amérique pouvait garder un espoir, c'était bien dans cette volonté de ne pas baisser les bras. » p. 707.
En 2004, rien n'a changé, bien au contraire.
Un exemple significatif
L'idée de supprimer les allocations sociales (cela vous dit quelque chose en Belgique ?) pour renvoyer les gens au travail, est confrontée à la dure réalité qu'il n'y a pas d'emplois !!! Des auteurs cités par l'historien estime qu'il faudrait, au rythme actuel de création d'emplois aux États-Unis (emplois le plus souvent précaires, des CDD, contrats à durée déterminée), 24 ans pour résorber simplement les gens qui furent expulsés du système social ! Inutile d'ajouter que la délinquance, le crime fleurissent au rythme de la multiplication des prisons, à cette heure...privées et peuplées à 100% de pauvres, et à 80% de Noirs et d'Hispaniques ! Et l'obsession actuelle, depuis Reagan, des néo-libéraux, de l'équilibre budgétaire à tout prix, même au prix de la misère, ne concerne évidemment pas les dépenses militaires exponentielles. Car il s'est agi pour l'Amérique tout le long de son histoire, de montrer sa force au prix du mensonge toujours, depuis les guerres indiennes et leurs traités tous violés, jusqu'aux guerres du Golfe actuelles.
Du coq à l'âne si vous le permettez : selon un rapport des Nations Unies, un Noir de Harlem a une espérance de vie de 46 ans, moins qu'un habitant du Cambodge et du Soudan ! 50 millions de citoyens n'ont pas d'assurance médicale. L'enfant d'un avocat ayant le même résultat au test qu'un enfant de gardien d'immeuble, a quatre fois plus de chance d'aller au collège, et 27 fois plus de chances de terminer dans les 10% des salaires les plus élevés !
Le mythe d'une Amérique prospère est bien un mythe selon Howard Zinn. Et les intellectuels, comme lui, avoue-t-il, sont bien les gardiens du Système aussi ! Un Système qui, s'il le faut, n'aura aucun remords à s'en débarrasser, car l'insécurité économique, la pollution galopante, les guerres incontrôlables, jouent aussi bien sur les prisonniers du Système (les gens d'en bas), que sur les gardiens.
Changer le Système
Le livre se termine par un appel pressant à changer au plus tôt le système, à reconstruire une économie plus juste en faisant appel aux énergies citoyennes, locales ; en redonnant à la puissance publique le contrôle des ressources communes (énergies, environnement, santé, enseignement), en réorganisant le système politique, bref une révolution radicale mais en douceur, un manifeste roboratif ( pp.756- 760) pour l'avenir des enfants et des petits-enfants, et les premiers à changer leur fusil d'épaule doivent être les gardiens intellectuels du système : adieu les stars, adieu les privilèges indus, adieu les journalistes à la botte, adieu les intellos courtisans, adieu la morale atroce de la compétition perpétuelle et dans tous les domaines ! Possible ? Howard Zinn trace des pistes.
Ce livre ne vaut pas seulement pour les États-Unis, il vaut pour l'Europe également à l'heure où nos « élites » s'apprêtent à adopter sans consulter les citoyens, une constitution européenne rien moins que néo-libérale...
Les belles années Reagan
Le gouvernement des Etats-Unis a organisé des funérailles nationales pour saluer feu le président Reagan. Mais que furent ces années « Reagan »? Howard ZINN, en dresse un portrait peu flatteur. Qu'on en juge...
La non-politique intérieure
D'abord Reagan s'attacha à transformer le système judiciaire fédéral en une institution ultraconservatrice. C'est ainsi que la Cour suprême revint sur des décisions antérieures comme sur l'avortement et l'abolition de la peine de mort dans certains États; elle accrut les pouvoirs de la police, limita les droits des détenus, interdit aux médecins du planning familial subventionné par l'État fédéral, de donner des renseignements sur l'avortement. Elle décida aussi que les plus pauvres devraient payer les frais de scolarisation dans le réseau public, déjà passablement délabré, sous prétexte que l'enseignement ne fait pas partie des « droits fondamentaux »...! Souvenez-vous: un des premiers actes de Reagan fut de licencier en masse les grévistes du contrôle aérien. L'OSHA ( « Occupational Safety and Health Act »), reconnaissait le droit universel des travailleurs de travailler dans un lieu sain et en toute sécurité. Reagan nomma à sa tête un homme d'affaires conservateur qui était franchement hostile à cette loi. La première décision de celui-ci fut de détruire cent mille brochures gouvernementales alertant les travailleurs du textile, sur les risques que faisaient courir à la santé, les poussières de coton en suspension.
La seule politique de Reagan consista à libéraliser à tout va, à renforcer un phénoménal appareil militaire et à conforter les bénéfices des plus riches. C'est ainsi qu'à sa prise de fonction, un groupe de 23 présidents de firmes pétrolières, contribua à hauteur de 230.000 dollars à la réfection des appartements privés de la Maison Blanche. Dans sa volonté de renforcer l'appareil militaire, plus de mille milliards de dollars durant les premiers quatre ans de sa présidence, il réduisit de façon drastique l'aide sociale destinée aux populations les plus défavorisées. Pour la seule année 1984, il économisa 140 milliards dollars sur les programmes sociaux (p.648), et dépensa parallèlement 181 milliards de dollars pour la défense, tout en proposant des réductions fiscales de 190 milliards de dollars, profitant aux riches.
<350.000 personnes se virent privées de l'aide sociale aux handicapés: un homme qui avait été gravement blessé sur un site d'exploitation pétrolière, dût reprendre le travail après que le gouvernement fédéral rejeta l'avis de son médecin, mais également celui de l'inspecteur gouvernemental ayant confirmé que l'homme était incapable de retourner au travail.
Roy Benavidez, « héros » de la guerre du Vietnam, qui avait reçu des mains mêmes du président, la médaille d'honneur du Congrès, s'entendit dire par les services sociaux que les éclats d'obus qu'il avait encore dans le coeur, les bras et les jambes, ne l'empêchaient pas de travailler...
Le chômage augmenta tellement que seize millions d'Américains perdirent leur assurance médicale (liée au fait d'avoir un contrat de travail). De nouveaux critères d'attribution éliminèrent plus d'un million d'enfants de l'accès aux repas scolaires gratuits- qui représentaient pourtant la moitié de leur alimentation quotidienne. Et bientôt un quart des enfants américains (seize millions) vécurent dans la pauvreté. Dans certains quartiers de Détroit, un tiers des enfants mouraient avant d'avoir atteint un an. Le New York Times écrivait: « Au regard de ce que vivent ceux qui ont faim en Amérique, cette administration ne peut éprouver que de la honte. »
Cibles privilégiées du gouvernement: l'aide sociale aux mères isolées (programme Aid to Families with Dependent Children);secours médical aux plus pauvres (Medicaid), tickets d'alimentation, au point que l'aide sociale (dont le montant diffère selon les États), représentaient entre 500 et 700 dollars par mois pour les pauvres, ce qui laissait certaines familles loin en dessous du seuil de pauvreté fixé à 900 dollars par mois. ( p. 649)...
Une certaine idéologie...
L'esprit d'entreprise privée réglerait le problème de la pauvreté, et les démocrates rejoignaient presque toujours les républicains dans leur dénonciation du système social, espérant obtenir les voix de certaines classes moyennes qui considéraient que leurs impôts servaient exclusivement à payer les allocations des mères mineures et des individus trop fainéants pour travailler. Les attaques incessantes contre l'aide sociale, étaient sans cesse relayées par la presse et la télévision. L'administration Reagan, avec le soutien de beaucoup de démocrates, ramena le taux d'imposition des plus hauts revenus à 50%, et en 1986, une nouvelle réforme fiscale le réduisit encore de 18%.
L'appauvrissement général de la population toucha encore davantage les Noirs et les Hispaniques, les femmes et les jeunes.
À Détroit, Baltimore et Washington, le taux de mortalité des nouveau-nés de ces communautés, était plus élevé qu'en Jamaïque et qu'au Costa Rica. A cette pauvreté, s'ajoutaient les divorces, la violence familiale, la drogue et la délinquance.
À quelques mètres de la Maison Blanche, 40% des jeunes Noirs entre 18 et 35 ans, étaient en prison ou en liberté conditionnelle...! Cette violence fut instrumentalisée par les politiciens pour réclamer la construction de prisons supplémentaires. Car, bien entendu, pour les zélateurs de la libre entreprise, les pauvres sont ceux qui ne travaillent pas et ne produisent rien.
La Politique étrangère agressive
Malgré les rapports de la CIA démontrant que l'Union Soviétique n'aurait aucun intérêt ni la capacité d'envahir l'Europe occidentale et encore moins les États-Unis, Reagan, suivant l'exemple de Carter, réarma à tout va. Par exemple, la construction du sous-marin atomique « Trident » qui ajoutait quelques ogives nucléaires aux milliers d'autres, coûta la bagatelle de 1,5 milliards de dollars. Selon Ruth Siward dans « World Military and Social Expenditures 1978- 1988 », cette somme aurait suffi à financer durant 5 ans, un programme mondial de vaccination des enfants, évitant cinq millions de morts.
La grande idée de Reagan, fut « la guerre des étoiles » qui engloutit des milliards de dollars sous prétexte de constituer un bouclier spatial chargé d'intercepter les missiles de l'ennemi. Trois essais technologiques furent des échecs patents, mais M. Caspar Weinberger, accepta que l'on falsifie les résultats afin de faire croire à un succès.
Que dire du financement des Contras au Nicaragua destinés à renverser un régime démocratiquement élu, élaboré à partir de ventes d'armes interdites à l'Iran de Khomeiny sous embargo officiel? les Contras étaient cantonnés dans le pays voisin du Honduras, complètement à la solde des Américains; leur rôle était d'effectuer des raids sur les villages, tuant hommes, femmes et enfants et commettant les pires atrocités. Mais ces horreurs demeuraient confidentielles, car les dirigeants savaient que depuis le Vietnam, l'opinion publique était contre les interventions militaires .Pour financer encore plus les Contras, Reagan demanda personnellement une contribution de 32 milliards de dollars à l'Arabie saoudite. Et, pendant une conférence de presse, en novembre 1986, le président mentit quatre fois à propos de l'affaire, ce que l'historien Howard Zinn analyse bien dans la stratégie du mensonge des dirigeants, d'abord nier la vérité; ensuite, si cela ne marche pas, lancer une enquête aux limites strictes qui évidemment, n'aborde pas le fond du problème, et informer une presse qui rend compte sans poser plus de questions. Et si l'affaire fait trop de bruit, trouver un lampiste qui paie pour tout le monde, ce fut le cas, dans l'Irangate, du colonel North qui fut condamné pour avoir menti au Congrès mais ne fut pas emprisonné.
Puis arriva l'invasion du rocher de l'île de Grenade sous un faux prétexte; l'appui à la dictature du Salvador et l'assassinat de Mgr Romero; l'administration soutenant par ailleurs la dictature du Guatemala .Puis il y eut le bombardement de Tripoli en Libye. « À quoi sert notre force si l'on ne s'en sert pas? », commenta un général américain. Et le chef de l'État major étatsunien, Colin Powel, déclarait: « je veux que le reste du monde demeure terrifié, et je ne dis pas cela de manière agressive. » Il est vrai que les révolutions au Nicaragua, au Chili, au Salvador, menaçaient les intérêts des multinationales, United Fruit, ITT, Anaconda Copper et de bien d'autres. Puis on envahit Panama, faisant des milliers de morts, pour enlever le dictateur Noriega qui n'était plus en odeur de sainteté, car il lui était inspiré des idées d'indépendance.
Tout cela préparait bien la première intervention du successeur Bush en Irak... applaudie à tout rompre, comme les autres interventions, par tous les grands médias...
La résistance occultée...
Cependant des millions d'Américains refusaient de rentrer dans le rang ; leur activisme fut ignoré par les médias. En 1980, des délégations de pacifistes venus de tout le pays manifestèrent devant le Pentagone : plus d'un millier d'individus furent arrêtés pour désobéissance civile. Peu après l'élection de Reagan, se créa un Conseil pour le gel des armes nucléaires, créé par Randall Forsberg, jeune spécialiste de l'armement nucléaire. Deux mille femmes firent un cercle autour du Pentagone se tenant par la main et par leurs fichus, 140 d'entre elles furent arrêtées pour obstruction de l'entrée du Pentagone. En 1981, les évêques catholiques réunis en synode, se prononcèrent contre l'usage de l'arme nucléaire. De jeunes activistes s'introduisirent dans l'usine de General Electric de King of Prussia en Pennsylvanie, ils aspergèrent de leur sang des têtes nucléaires et en détruisirent d'autres à coups de masse. Le 12 juin 1982, la plus grande manifestation politique de l'histoire des États-Unis, eut lieu au Central Park à New York, elle rassemblait deux millions de personnes qui s'opposaient à la course aux armements. Un an après cette manifestation, on comptait trois mille groupements de pacifistes aux E.U. Les campus étaient particulièrement en ébullition, à Harvard et ailleurs. Les discours des autorités étaient conspués ou boycottés : à l'université de Syracuse, par exemple, quand le général Haig, secrétaire d'État de Reagan, vint recevoir le titre de Doctor honoris causa, il put à peine parler, son discours étant entrecoupé de slogans : « De l'humanitaire, pas du militaire ! » Plus de 60.000 universitaires américains s'engagèrent à la désobéissance civile si Reagan envahissait le Nicaragua. Les minorités aussi manifestaient comme ces jeunes Noirs de Miami, taux de chômage chez eux de 50%. Le Children's Defense Fund attaqua plusieurs fois l'administration et le président l'accusant de préférer les armes aux enfants. Et quand Reagan en 1980 et 1984, puis Bush père furent élus, la presse parla d'un raz-de-marée oubliant de préciser que la moitié de la population en âge de voter, ne vota pas ; que ceux qui votaient n'avaient le choix qu'entre deux partis ayant le même programme, les médias et l'argent ; que les votants votaient sans enthousiasme, et que le fait de voter pour un homme, ne signifiait pas voter pour un programme. Un sondage NBC News /Wall Stret Journal, de 1990, indiquait que 84% des sondés étaient partisans d'une très forte imposition des fortunes ; en 1989, un sondage de Harris/ École de santé publique de Harvard, indiquait que 61% des Américains étaient favorables à un système de santé de type canadien dans lequel médecins et hôpitaux sont financés par le gouvernement et partisans d'une couverture médicale universelle, court-circuitant les assurances médicales privées. Un autre sondage, la même année, montrait que 59% des sondés étaient favorables à la réduction de 50% du budget militaire.
Étrange régime en vérité qui consiste à ignorer les idées des électeurs ! C'est que la société américaine est une société de classes, où 1% de la population détient 33% de la richesse du pays ; où il existe une sous-classe d'environ trente à quarante millions d'habitants vivant dans la plus absolue pauvreté.
Page après page, l'historien Howard ZINN, énumère les protestations des Américains contre un régime inique. Oui, Reagan était un grand président, annonçant d'autres grands présidents. On comprend que pour doper une économie en crise et enrayer un chômage grandissant mais aussi pour engranger des bénéfices abyssaux on ait besoin de faire la guerre. On comprend aussi, au train où cela va , chez nous aussi, que bientôt l'on devra boycotter les médias traditionnels.
- 1. (1) Howard ZINN, Une histoire populaire des Etats-Unis, de 1492 à nos jours, éd. Agone, Paris, 2002, 811 p. Le livre a reçu le Prix des « Amis du Monde Diplomatique ».