La voie au socialisme
A l'occasion de cette étude, on verra que le mouvement socialiste en Belgique,et particulièrement en Wallonie, a joué un rôle novateur soit en pratique, cas de la première et de la troisième période, soit en théorie durant l'entre-deux-guerres avec le plan du Travail d'Henri De Man.
Bien entendu, la définition d'une stratégie de transformation de la société n'est pas indépendante de la conception qu'on se forme du socialisme. De ce point de vue, pour les trois périodes considérées, l'opinion dominante dans le mouvement socialiste n'a pas beaucoup varié et définit le socialisme par trois traits essentiels: l'appropriation collective des moyens de production, la disparition des classes sociales et la démocratie la plus large. De nos jours, une telle définition n'est plus acceptable, notamment pour ce qui concerne le premier trait retenu, eu égard aux événements qui se sont produits ces dix-huit derniers mois en Europe de l'Est. Mais elle suffit, en tout cas, pour les besoins de cette recherche.
Par ailleurs, dans ce cas-ci, questionner la stratégie du mouvement socialiste en Belgique nécessite - du moins pour la première période - de faire référence à Marx et à la social-démocratie allemande. C'est qu'en effet, après la défaite de la Commune de Paris, le centre de gravité du mouvement socialiste s'est déplacé vers l'Allemagne et que ce mouvement s'est accompagné d'un renforcement corrélatif de l'influence de Marx et d'Engels. Dans cette mesure, il est vain d'examiner la singularité belge sans faire référence à l'universel qui y est logé.
Enfin, avant d'entrer dans le vif du sujet, j'aimerais souligner le fait que cette étude ne relève pas d'une marotte d'historien ou d'archéologue. Certes, elle permet de jeter davantage de lumière sur le passé. Surtout - et en définitive c'est cela qui importe - elle fournit, en creux ou en pointillés, les éléments d'une ligne de conduite adaptée au présent.
Suffrage universel et socialisme
Le modèle français
Après que Marx et Engels eurent fixé, dès 1848, le but final - faire surgir « à la place de l'ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classes [...] une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous »(1) -, la question qui se posait était évidemment celle des moyens appropriés pour atteindre ce but. De ce point de vue, les deux théoriciens ne pouvaient se référer qu'à l'expérience du passé, i.e. en l'occurrence à l'expérience de la révolution française.
Or que montrait la Révolution française à un observateur attentif? Essentiellement trois choses.
En premier lieu, elle apparaissait véritablement comme un processus, une suite de bouleversements révolutionnaires successifs qui s'étalaient sur plusieurs années, mais étaient liés entre eux.
En deuxième lieu, tout ce processus était marqué, du début jusqu'à la fin, par l'utilisation de la force et de la violence et, dans cette mesure, on pouvait réellement parler de révolution politique.
En troisième lieu, les différentes classes sociales ou fractions de classes se différenciaient par leur comportement politique et jouaient un rôle inégalement déterminant dans les diverses phases du processus (2), mais, dans tous les cas, il ne s'agissait jamais que d'une minorité, par rapport à l'ensemble du peuple, qui s'emparait du pouvoir(3).
C'est sur ce modèle que Marx et Engels se représentaient la révolution à venir avec la restriction toutefois qu'ils ne croyaient cette révolution possible que dans les périodes où les forces productives entrent en conflit avec les rapports de production, autrement dit, dans les périodes de crise économique (4).
Le testament d'Engels
Lorsqu'en 1895, quelques mois avant sa mort (5), Engels écrit l' Introduction, déjà citée, aux Luttes de classes en France il conclut que le modèle français est inapproprié et cela essentiellement parceq ue la transformation complète de l'organisation de la société suppose l'intervention directe de la masse du peuple et non simplement d'une minorité consciente(6).
Il faut donc lui substituer un travail long, continu pour persuader les masses de la nécessité d'une transformation sociale. Et Engels de citer alors en exemple l'expérience de la social-démocratie allemande qui a su utiliser le suffrage universel dans cette optique et a ainsi mis au point une « méthode de lutte toute nouvelle » (7). De la sorte et de manière tout à fait explicite, la lutte pour la démocratie devenait une forme de la lutte de classes (8). Pour autant, il ne faudrait pas tirer la conclusion qu'Engels se ralliait ainsi au gradualisme et au légalisme. En effet, d'un côté, il précise qu'en adoptant une telle stratégie, les partis sociaux-démocrates ne renoncent nullement pour cela à leur droit à la révolution (9). Et d'un autre côté, il envisage, au terme du processus de renforcement de l'influence de la social-démocratie, une situation où les classes dominantes se débarrasseraient de leur propre légalité (10) et où le parti social-démocrate, en riposte, serait obligé de sortir du cadre strictement légal et parlementaire.
Cela dit, l'analyse d'Engels souffre de plusieurs limitations :
- elle est basée sur le parallélisme entre le développement numérique de la classe ouvrière et la progression électorale de la social-démocratie: comme les travailleurs constituent tendanciellement la majorité de la population, la social-démocratie finira par conquérir la majorité absolue; par là se glisse l'économisme et une insuffisante attention à la nécessité de construire un bloc majoritaire autour de la classe ouvrière.
- même si Engels envisage la possibilité d'un rejet des formes démocratiques parla bourgeoisie, il ne précise guère quelle doit être l'attitude de la social-démocratie dans cette hypothèse (11), ce qui se justifie peut-être par le fait de tenir compte de la censure prussienne, mais ne contribue pas à la définition d'une stratégie claire.
- enfin, elle ne dit pas non plus comment la social-démocratie doit se comporter lorsque la démocratie représentative n'est pas ou n'est que très partiellement réalisée : ce dernier cas était d'ailleurs celui de l'Allemagne, puisque les élections au Reichstag de l'empire allemand se faisaient au suffrage universel, mais pas celles pour la diète prussienne
Il n'empêche que, malgré ces limitations, l'analyse met avec justesse l'accent sur deux points essentiels: la nécessité d'une majorité consciente pour réaliser toute transformation sociale d'envergure; l'utilisation du suffrage universel comme seul moyen de mesurer l'état du rapport de forces entre les différentes classes et fractions. De surcroît, la stratégie définie par Engels sur base de l'expérience allemande allait être reprise par presque tous les partis socialistes, en particulier par le Parti Ouvrier Belge (POB).
Le POB et le suffrage universel
On sait que, moins d'un an après sa fondation, le POB allait se trouver face à un mouvement social de grande ampleur en 1886. Parties de Liège et Verviers, les grèves se généralisent à tout le sillon industriel wallon. 45.000 militaires les réprimeront et feront 25 morts. La grève est brisée, mais c'est aussi la fin d'une époque (12). Désormais, il faudra tenir compte de l'existence d'une classe ouvrière et d'un mouvement populaire.
Les réformes sociales vont alors se succéder, notamment en matière de conditions de travail, de relations collectives et de sécurité des travailleurs (13). Par contre, sur le plan politique, la majorité catholique ne veut rien entendre. C'est toujours le suffrage censitaire qui est en vigueur et il ne laisse aucun espoir au POB de pouvoir, un jour, entrer au parlement (14). Aussi, pour forcer les portes de la chambre et du sénat les socialistes vont-ils utiliser l'arme de la grève générale politique à plusieurs reprises.
Le mot politique a, dans ce contexte, toute son importance, puisqu'en dernière analyse l'objectif d'un tel mouvement de grève est bien de faire pression sur la bourgeoisie et le parti catholique. Cependant, pour atteindre cet objectif, la classe ouvrière doit être bien organisée et désireuse d'entrer, massivement et avec enthousiasme, dans l'action. La dialectique de la grève générale est donc particulièrement subtile: il s'agit tout à la fois de susciter la volonté de lutte des travailleurs et d'agiter la menace du conflit pour faire céder l'adversaire. Dans cette perspective, le risque pour la direction du POB est double: d'une part, pour que la menace soit crédible, il faut que le mouvement promette d'être réellement général et, pour ce faire, il faut en quelque sorte chauffer à blanc le moral et la combativité de la classe ouvrière, ce qui peut conduire à ce que cette dernière dépasse très largement les objectifs fixés à l'action et à ce que le POB fasse ainsi la démonstration qu'il ne la contrôle plus; d'autre part, risque symétrique, puisque le déclenchement de l'action est fonction de la division des adversaires, des fissures qui apparaissent en leur sein, dans l'intervalle il est nécessaire de calmer le jeu, de faire patienter la classe ouvrière jusqu'au moment opportun, quitte alors à ce que l'enthousiasme et la volonté de lutte retombent et la menace adressée à la bourgeoisie soit moins crédible.
Toujours est-il qu'on peut observer cette étrange dialectique à l'oeuvre en 1893 et 1902.
Dès 1890, le POB qui, je le rappelle, a été constitué quelques années plus tôt, en 1885, se lance dans la bataille pour le suffrage universel. Le 10 août 1890, 80.000 manifestants défilent dans Bruxelles et prêtent ensemble le fameux serment de Saint Gilles: « Les ouvriers et les démocrates de Belgique [...] jurent de combattre sans trêve ni repos jusqu'au jour où, par l'établissement du suffrage universel, le peuple aura réellement conquis une patrie. »
La grève générale est alors ouvertement envisagée. Parallèlement, au Parlement, la révision des articles de la Constitution concernant le suffrage censitaire vient sur le tapis. Le 17 novembre 1890, le libéral progressiste Paul Janson dépose une proposition de révision qui sera finalement prise en considération à l'unanimité. Mais apparemment, cette unanimité était factice et destinée à faire traîner les choses en longueur. Aussi, le 5 avril 1892, le POB avait-il décidé que la grève générale commencerait dès l'instant où la section centrale de la chambre aurait rejeté les propositions de modifications de la Constitution (15). D'ailleurs, le congrès de février 1892 du Parti avait montré une réelle volonté d'en découdre, de la part tout spécialement des délégués wallons (16).
Le 11 avril 1893, la Constituante rejette, par 115 voix contre 26, le suffrage universel proposé par les radicaux. Le Conseil général du POB lance alors un appel au peuple et « déclare qu'il y a lieu de recourir à la grève générale immédiate » (17). Cependant, la veille déjà, les mineurs du Borinage, sans attendre l'avis de leurs dirigeants, étaient partis en grève.
Rapidement, tout le sillon industriel wallon est dans le mouvement, de même que Gand et Anvers pour la Flandre. Les violences vont alors se multiplier. Lagarde civique tire en plusieurs endroits et il y aura des morts. Henri Pirenne juge qu'on va tout droit à un mouvement révolutionnaire et que « les chefs du parti ouvrier s'épouvantent de la tournure des événements qu'ils ne peuvent plus maîtriser. » (18). Mais il ajoute que l'épouvante est plus grande encore au Parlement (19). Finalement, le 18 avril, une formule de compromis est élaborée :le suffrage universel est adopté, mais il est tempéré par le fait que des voix supplémentaires sont accordées aux pères de famille, aux propriétaires d'immeuble et aux capacitaires, i.e. essentiellement aux porteurs d'un diplôme moyen ou supérieur.
Le Conseil général du POB accepte ce compromis, qui représente évidemment un pas en arrière par rapport au suffrage universel pur et simple, mais à une faible majorité (20), tandis que la base accepte encore plus difficilement d'arrêter le mouvement.
Au total, si l'on s'en tient au résultat obtenu, on ne peut parler que de demi-victoire. Par contre, le POB sort de la grève considérablement renforcé puisque, comme le note Marcel Liebman, « de la grève générale, expression même de la révolte ouvrière dans ce qu'elle a de plus profond et de moins calculé, il a fait un outil politique » (21). Ce renforcement du POB se marque nettement dans le résultat électoral d'octobre 1894: le vote plural donne, à la Chambre,104 députés catholiques, 28 socialistes et 20 libéraux. Tous les élus socialistes le sont en Wallonie, tandis que la Flandre vote massivement catholique (22). On comprend dans ces conditions que deux dirigeants du POB, Vandervelde et Destrée, puissent alors écrire: "Nous devons prévoir dans notre petit pays, un développement du socialisme plus rapide que partout ailleurs, une marche plus accélérée vers la terre promise, où la suppression des classes établit la paix sociale sur des bases indestructibles." (23). En attendant, il reste que le suffrage universel n'est pas encore instauré et que le combat doit donc se poursuivre. Il faudra attendre 1892 pour que ce combat se cristallise dans une nouvelle grève générale.
Cette fois cependant, le mouvement est parti de la base. Des manifestations ont lieu dès le début de 1902. On signale alors des attentats à la dynamite, des coups de revolver, des heurts entre manifestants et policiers avec de nombreux blessés (24). Le bouillonnement est tel que les chefs du POB laissent officiellement l'initiative de l'action aux fédérations locales.
Bruxelles est en point de mire. Lorsque le 14 avril, le Conseil général décide la grève, les travailleurs ne l'ont pas attendu pour agir: non seulement les manifestations se multiplient et se durcissent, mais encore les métallurgistes bruxellois partent en grève le matin même.
Le 18 avril, la Chambre rejette une proposition de révision de la Constitution déposée par les socialistes. Le lendemain, l'aile progressiste libérale demande au POB d'arrêter la grève, ce que ce dernier fait le 20 avril sans avoir obtenu satisfaction sur ses revendications.
On a ici une illustration du fait que la dialectique mobilisation/pression ne fonctionne pas toujours correctement. Surtout, il est apparu qu'à la différence de 1893, le gouvernement catholique n'était pas divisé et ne céderait donc pas à la pression (25). Dans ces conditions, une grève politique ne pouvait pas aboutir, sauf à déboucher sur un mouvement insurrectionnel. Ou alors, il fallait tabler sur le fait que la poursuite du mouvement - qui était loin de s'effilocher lorsqu'il a été arrêté - créerait des fissures au sein du gouvernement et de la majorité catholiques, fissures qui pourraient alors être exploitées. Plus grave encore est la manière dont le conflit s'est terminé: à la suite d'une intervention libérale, ce qui, en pratique, mettait le POB à la remorque du libéralisme. C'est pourquoi le jugement de Louis de Brouckère sur cette deuxième grève générale, porté rétrospectivement en 1911, paraît correct: « La grève mal préparée et commencée d'une façon inconsidérée fut interrompue six jours seulement après sa proclamation, sans qu'on ait obtenu du Gouvernement une quelconque concession, sans qu'on ait même fait un effort quelque peu énergique, à l'intérieur ou en dehors du Parlement, pour obtenir un résultat. Chacun s'attendait à de grands événements, chacun s'était préparé àsuivre les autres, tous furent dans une égale mesure consternés et affligés lorsqu'ils virent qu'il ne se produisait absolument rien. C'était pire qu'une défaite; c'était la fuite devant le combat - l'armée ouvrière mobilisée était restée l'arme au pied -, c'était une mesure spectaculaire qui ne débouchait sur rien (26).
Il n'empêche que, par deux fois, le POB avait utilisé la grève générale comme arme politique et que, dans cette mesure, le parti allait servir de pôle de référence dans les débats qui devaient secouer la social-démocratie allemande sur le problème de la voie au socialisme.
Guerre de position contre guerre de mouvement
Entre 1910 et 1912, dans les colonnes de l'organe théorique du SPD allemand, la Neue Zeit, s'engage, en effet, une polémique sur la stratégie socialiste entre Karl Kantsky, le théoricien « marxiste orthodoxe » du parti, d'un côté et de l'autre les « radicaux » Rosa Luxemburg et Anton Pannekoek (27).
Or, dans le débat, une opposition joue un rôle essentiel: l'expérience belge de grève politique contre la grève insurrectionnelle russe telle qu'on a pu l'observer en 1905 ou encore, en d'autres termes, l'opposition entre l'Est et l'Ouest. Kautsky résumait cette opposition sur un mode imagé en posant la question: « Devons-nous parler russe ou belge? (28) »
En quoi l'Ouest se différencie-t-il de l'Est selon Kautsky? Celui-ci consacre plusieurs pages pour analyser soigneusement les spécificités de la Russie et de la Prusse (29). Mais l'élément le plus important qui en ressort est la faiblesse de l'Etat et du gouvernement russe comparée à la force de l'Etat allemand (30).
C'est cette différence qui exige l'emploi de stratégies différentes à l'Est et à l'Ouest. En effet, du fait de la faiblesse russe, il est possible d'appliquer une stratégie de l'anéantissement, où le but est d'utiliser « la concentration rapide de ses forces pour affronter l'ennemi et lui asséner des coups décisifs qui le terrassent et l'empêchent de poursuivre le combat » (31). C'est ce qu'on peut appeler d'un terme repris à Gramsci une guerre de mouvement.
A l'opposé, la force relative de la bourgeoisie et de l'Etat allemands empêche l'emploi d'une telle stratégie et oblige à lui substituer une stratégie de l'épuisement, définie par Kautsky comme le fait de "tenir en haleine l'armée adverse par toutes sortes de manoeuvres, sans lui donner l'occasion de stimuler ses troupes en emportant des victoires; [...] l'user, l'exténuer, faire peser sur elle une menace permanente et ainsi réduire progressivement, paralyser sa capacité de résistance" (32). C'est ce qu'on peut également appeler à la suite de Gramsci une guerre de position.
Délaissant alors le domaine militaire (33), Kautsky précise que la pratique de la social-démocratie depuis 1870 représente la concrétisation d'une stratégie d'usure et que cette dernière se situe dans le droit fil du Testament d'Engels, dont j'ai parlé plus haut.
De surcroît, l'emploi de la stratégie de l'usure ne rend pas superflu le combat décisif autrement dit, pour reprendre la métaphore militaire, la stratégie de l'anéantissement (34). Il s'agit donc de porter le coup final - l'anéantissement - dès le moment où l'adversaire a été suffisamment épuisé, ce qui implique que les deux stratégies sont complémentaires l'une de l'autre.
Mais - et c'est ici qu'intervient l'exemple belge - « la grève de masse peut être un moyen de passer, dans le combat politique du prolétariat, de la stratégie de l'usure à celle de l'anéantissement - lorsque la première devient insuffisante ou impraticable (35) ». Or, dit Kautsky, il existe deux types de grèves politiques : la grève belge et la grève russe (36). Etant donné l'opposition entre l'Est et l'Ouest, c'est la première qui doit être utilisée en Allemagne pour faire triompher des revendications politiques. Dans cette mesure, Kautsky peut écrire que l'image de la grève de masse que lui et la social-démocratie se sont formés est fondée sur le « modèle belge » (37).
Telle est la manière dont Kautsky a théorisé l'expérience belge, spécialement celle de la grève de 1893.
De Berlin à Bruxelles
A la stratégie de Kautsky, la « gauche », représentée par Luxemburg et Pannekoek, n'opposait pas réellement une alternative. La première, par exemple, se contentait de critiquer la stratégie de l'usure qu'elle assimilait à une stratégie purement parlementaire(38) et d'ajouter ensuite un vibrant éloge de la grève de masse et de ses vertus(39).
Cela étant dit, il faut reconnaître cependant que le schéma kautskien souffrait de quelques lacunes importantes.
En premier lieu, ce schéma articule mal épuisement et anéantissement. Il n'est pas faux, à cet égard, de parler comme le fait l'historien D. Groh de l'attentisme révolutionnaire de Kautsky : en effet, le combat décisif - unique ou peu s'en faut - est situé au terme d'une longue période caractérisée à la fois par la croissance naturelle du capitalisme et le développement de la social-démocratie.
En second lieu, en raison précisément de la coupure entre usure et anéantissement, le risque était réel de juxtaposer une pratique faites de réformes et de victoires électorales à l'espérance du "grand soir" et du chambardement. Opposition qui en recouvre une autre entre un programme minimum de revendications immédiates et un programme maximum constitué par le socialisme. Et ces oppositions laissaient évidemment la place à une tactique de plus en plus conciliante vis-à-vis des gouvernements en place et des partis bourgeois ou non-socialistes. De ce point de vue, le « modèle belge » vanté par Kautsky allait rapidement illustrer les limites que je viens d'énoncer.
En, effet, le débat allemand sur la « grève belge » finit par toucher le POB aux alentours de 1910. C'est que la situation politique met à l'ordre du jour la possibilité pour le POB de devenir un parti du Gouvernement: les élections de1908 ont témoigné d'un amenuisement de la majorité catholique et on peut espérer que le prochain scrutin verra surgir une majorité de rechange fondée sur une alliance entre libéraux et socialistes.
S'ouvre alors une période assez exceptionnelle, où le POB, pourtant rétif au débat d'idées, engage une discussion interne qui porte sur la possibilité de participer à un gouvernement de coalition avec les libéraux. Pour tous les protagonistes à ce débat, qu'on peut schématiquement regrouper en une droite (Anseele, Bertrand, Troclet), une gauche (De Brouckère, De Man) et un centre (Vandervelde, Huysmans) (40), le socialisme n'est pas à l'ordre du jour. Mais, à partir de ce constat, les positions commencent à diverger. Pour la droite - Anseele en l'occurrence - le capitalisme est plus fort que les socialistes ne l'avaient cru et dans ces conditions, seule une politique réformiste et d'alliance avec les libéraux est possible (41). A cela la gauche oppose une « politique de classe » qui concrètement, dans le cas de la réalisation d'un cabinet libéral, signifie le refus de gouverner avec les libéraux, mais aussi le refus de donner à ces derniers les moyens de gouverner en votant contre les budgets (42).
Le débat devait être tranché le 6 février 1910, lors d'un congrès du POB, qui vit la gauche obtenir à peu près un tiers des voix sur une résolution présentée par L. De Brouckère. Résolution qui affirmait que " le parti [...] ne saurait ni participer à un gouvernement bourgeois ni lui apporter son appui systématique; que les représentants ne sauraient notamment, quel que soit le ministère au pouvoir, voter les budgets essentiels de l'Etat capitaliste". (43).
On touche ici du doigt les dangers de la stratégie de l'épuisement de Kautsky, mais également les impasses de la critique de la gauche. Il est, en effet, significatif que la position de la gauche soit essentiellement marquée par la critique et le refus, sans pouvoir dégager de réelle alternative stratégique. Tout aussi significatif est le fait qu'Henri De Man, constatant qu'il y a « en Belgique une contradiction entre la situation économico-sociale des différentes classes et leur situation politico-culturelle », soit amené à conclure que « cette contradiction repose sur un manque d'organisation et de formation qui peut être aboli et qui doit être éliminé par le travail d'organisation et de formation » (44). Et c'est ainsi que la gauche marxiste regroupée autour de DeMan et De Brouckère - telle était la manière dont on la désignait - consacrait le meilleur de son énergie à animer la Centrale d'Education Ouvrière, convaincue qu'elle pourrait ainsi redresser la pratique du POB (45).
La grande crise et le Plan du travail
La Première guerre mondiale produisit plusieurs changements majeurs dans le paysage économique et politique mondial. J'en retiendrai deux.
D'une part, la révolution russe, survenue en octobre 1917, s'accompagnait d'une fracture au sein du mouvement ouvrier international entre socialistes et communistes, fracture qui fut plus ou moins importante selon les pays. Malgré les espoirs des bolchevistes, la révolution resta confinée à la Russie et l'on assista ainsi à la cristallisation de deux courants antagonistes. Toutefois, l'émergence et l'affirmation du courant communiste n'engendra pas d'avancée stratégique, les partis communistes se contentant de juxtaposer un radicalisme socialiste verbal à une pratique centrée sur les revendications immédiates et reproduisant ainsi la vieille division entre programme minimum et programme maximum (46).
D'autre part, plusieurs partis socialistes ou social-démocrates furent portés au gouvernement et se trouvèrent ainsi dans l'obligation de montrer à quoi correspondait la transformation démocratique de la société. C'est dans ce contexte que les social-démocraties, allemande et autrichienne notamment, présentèrent des « plans de socialisation » qui avaient pour caractéristique principale d'envisager une socialisation progressive de l'économie. Cependant, ces diverses expériences furent décevantes dans la mesure où les plans de socialisation restèrent, pour l'essentiel, dans les cartons sans parvenir à s'inscrire dans la réalité. De surcroît, le balancier politique se retourna vers la droite dès le début des années vingt, ce qui mit le socialisme démocratique dans une position difficile, coincé qu'il était entre la critique virulente des communistes et l'hostilité de la droite.
Aussi, lorsque survint la crise structurelle du début des années trente, les partis socialistes se trouvèrent-ils dans une situation de vide stratégique. C'est ce vide que tenta de combler le courant planiste associé au nom d'Henri De Man.
Grande crise et « planisme »
Le désarroi dont je viens de parler n'épargne pas le Parti Ouvrier Belge et c'est ainsi que R. Abs note que "la nécessité de sortir le POB de l'ornière dans laquelle l'a enlisé la crise économique mondiale, ses répercussions et ses conséquences en Belgique, apparaît aux yeux de tous en ces années1930-1932" (47).
C'est dans ce contexte - et pour doter le parti belge d'une ligne de conduite face à la crise - qu'en novembre 1931, Emile Vandervelde, président du POB, demande à Henri De Man, alors enseignant à l'Université de Francfort, de revenir s'installer en Belgique pour y prendre la direction d'un Bureau d'Etudes Sociales (48). Celui-ci accepte en décembre de la même année la proposition qui lui est faite. Mais il faudra encore attendre plus d'un an - jusqu'au 11 avril 1933 - avant que De Man ne soit de retour en Belgique après onze ans d'absence. Quelques mois plus tard, le congrès de Noël 1933 adopte dans l'enthousiasme l'élaboration détaillée du Plan, ce qui donnera lieu à la publication de l'ouvrage L'exécution du Plan du travail (49). Dans l'intervalle, le POB développe une grande campagne de popularisation du Plan, campagne qui utilise les moyens les plus modernes de communication et rencontre un franc succès. Le désarroi des débats de la crise fait place alors, dans le chef du POB, à un optimisme et à un dynamisme (50) qui s'expriment bien dans la formule en vogue: « le Plan, rien que le Plan, tout le Plan ».
Les présupposés du planisme
Le premier élément à mettre en avant, c'est bien entendu la présence et la nature de la crise des années trente. De Man, à cet égard, est tout à fait formel: la crise a un caractère structurel et pas seulement cyclique (51). Il en veut pour preuve que la baisse des prix, effectivement observée, n'assure pas la relance de la demande et de l'activité économique. Et s'il en est ainsi, c'est parce que "le fonctionnement du système capitaliste est troublé et sa viabilité compromise dans la mesure où sa structure - considérée du point de vue mondial - s'écarte des postulats et des hypothèses du libéralisme (52). Dans ces conditions, quelle est alors l'explication fondamentale de la crise? A cette question, De Man, qui est aussi, il ne faut pas l'oublier, l'auteur du livre Au-delà du marxisme, répond que la meilleure explication se trouve chez Marx (53) et qu'elle tient en une phrase : le déséquilibre entre la production et la consommation ou encore entre l'offre et la demande globales. En d'autres termes, la crise des années trente est donc une crise structurelle caractérisée par la sous-consommation, par l'insuffisance de la demande globale dirait-on aujourd'hui. Par conséquent, sortir vraiment de la crise, c'est « considérer que l'activité économique devrait être organisée de façon à satisfaire les besoins des consommateurs au lieu d'être orientée vers le profit des détenteurs des moyens de production (54) », objectif socialiste s'il en est!
En deuxième lieu, le développement du capitalisme n'a pas conduit à la polarisation croissante entre bourgeoisie et classe ouvrière qu'avait prédite Marx. La classe ouvrière, en particulier, a subi un processus de différenciation plutôt que d'homogénéisation. En gros, on a assisté à un double mouvement : la requalification de la classe ouvrière(ouvriers qualifiés, techniciens, etc.) et le développement du tertiaire (employés et cols blancs) d'une part; la déqualification d'une autre partie (les manœuvres, mais aussi les travailleurs « parcellaires »), d'autre part.
Enfin, avec la survenance de la crise structurelle des années trente, il n'y a plus de politique de réformes possible dans la mesure où la stagnation économique ne permet pas l'accroissement des salaires et la satisfaction des revendications immédiates des travailleurs. Désormais, les réformes ne peuvent être réalisées sans que le système économique soit préalablement transformé: la social-démocratie allemande s'était effondrée sous les coups de boutoir du nazisme, précisément parce qu'elle ne savait pas comment opérer cette transformation. De Man concluait que le réformisme n'avait maintenant plus d'avenir et cela, même s'il avait représenté une phase nécessaire dans le développement du mouvement socialiste. A l'opposé, l'anti-réformisme communiste avait, lui aussi, fait faillite. D'où la conclusion de De Man: « Le réformisme socialiste et l'anti-réformime communiste vivent aux dépens l'un de l'autre, seul le socialisme en meurt. » (55).
Et De Man de proposer alors un plan d'action qui permette de dépasser les limites de ces deux fausses alternatives et d'enclencher la transformation du système lui-même, puisque « la crise diminue l'aptitude du mouvement ouvrier à obtenir des réformes, mais elle augmente simultanément ses chances de réaliser un changement radical dans l'ordre social lui-même » (56). Mais un tel plan suppose, pour le socialisme, de passer de la défensive à l'offensive.
Reprendre l'offensive
Tout à fait significativement, De Man, pour caractériser la nouvelle stratégie qu'il propose, parle « de passage d'une guerre de position à une guerre de mouvement » (57), la guerre de position étant, bien entendu, la vieille stratégie d'usure de Kautsky adoptée par les partis socialistes jusqu'au début des années trente.
La nouvelle stratégie repose sur un ensemble de principes (58), parmi lesquelles je retiendrai les suivants :
- le plan d'action vise à surmonter l'opposition traditionnelle entre le programme minimum (les réformes) et le programme maximum (le socialisme), car une telle opposition conduit à à l'impuissance et à l'incapcité pour un parti socialiste socialiste lorsqu'il parvient au pouvoir, de définir une ligne de conduite appropriée; il met donc en avant des revendications intermédiaires, qui ont une cohérence interne forte et qui ont la propriété d'être immédiatement réalisables;
- le plan doit comporter des mesures de socialisation - et non pas d'étatisation - qui aboutissent à la constitution d'une économie à deux secteurs, « mixte » si l'on veut: un secteur socialisé qui comprend les entreprises monopolisées et un secteur libre ou concurrentiel groupant les entreprises non capitalistes ainsi que les entreprises non monopolistes;
- avec la socialisation partielle de l'économie, le plan vise à assurer la prédominance du pouvoir politique et du suffrage universel sur les intérêts économiques privés d'une minorité.
Le Plan du travail
Avant d'examiner le contenu du Plan du travail, il faut se rappeler que le POB était dans l'opposition depuis 1927 et qu'à partir du début de la décennie suivante, les gouvernements avaient poursuivi avec constance une politique de déflation, i.e. une politique de baisse des revenus et des prix, ce qui s'était traduit par une progression considérable du chômage et une faiblesse générale de l'activité économique.
Dans ce contexte, le Plan visait à rompre avec cette politique de manière à relancer la production et à résorber le chômage.
Cette autre politique, le Plan la désigne par un néologisme: la réflation, entendant par là « le rétablissement de l'équilibre normal, dérangé par la déflation, entre la valeur de l'argent et celle des marchandises ou services » (59). Par ailleurs, le Plan reconnaissait également que la surévaluation du franc belge par rapport aux autres monnaies devait être résorbée « de l'une ou l'autre façon » (60).
Le Plan lui-même, tel qu'il a été adopté au congrès de Noël 1933, est un document de quelques pages (61) annexé à la Résolution de Noël 1933, mais, comme je l'ai déjà précisé, il a été suivi par la publication d'un gros ouvrage sur L'exécution du Plan du travail, qui entre davantage dans les détails et que, pour cette raison, je vais maintenant examiner de plus près.
Les projets pour l'exécution du Plan se présentent sous la forme d'avant-projets de loi prêts à être votés par les chambres et se divisent en trois grandes catégories :
- les projets comportant des mesures immédiates qui permettent les réformes de structure (62) indispensables à la mise en oeuvre du Plan;
- ceux qui, sur la base de réformes de structure du point précédent, définissent la politique conjoncturelle apte à relancer la production;
- enfin, les projets qui approfondissent la politique ou structurelle ou conjoncturelle initiée par les deux premiers points.
Il est donc clair que le noyau du Plan est constitué d'une politique de transformation structurelles immédiates couplée à - et conditionnant - une politique de relance conjoncturelle.
Les transformations structurelles immédiates sont à la fois politiques et économiques. Politiques, parce que « l'exécutif du Plan n'est possible que si l'on renverse le gouvernement occulte que la Haute Banque exerce en Belgique, grâce à la tutelle qu'elle étend sur l'Etat lui-même » (63). Pour ce faire, un « Etat fort » - fort par rapport aux puissances d'argent, au capital bancaire et monopoliste, mais non bien entendu par rapport au Parlement (64) - est indispensable. Dans cette optique, il est créé un Office National de Redressement Economique composé d'un ensemble de hauts commissaires (65). Transformations économiques ensuite qui portent sur la nationalisation et le contrôle public des banques ainsi que sur la réorganisation de la Banque Nationale de Belgique.
Quant à la politique conjoncturelle, j'ai déjà précisé qu'elle visait à la réflation. En pratique, le Plan envisage une politique de grands travaux publics. Les capitaux nécessaires à la réalisation de ces travaux se montent à 5 milliards de francs. Cette somme devrait être réunie non pas par émission de monnaie nouvelle mais par réabsorption dans la circulation monétaire, de l'argent thésaurisé : plus concrètement, une institution publique devait éponger les sommes thésaurisées par un emprunt de 5 milliards sous forme de l'émission d'obligations garanties par l'Etat(66).
Les limites du Plan de Travail
A mon sens, le Plan présente deux limitations principales. L'une tient à la définition de la politique économique mise en œuvre; l'autre aux conditions politiques d'application du Plan. Je vais les envisager successivement.
Les développements précédents ont montré que le Plan avait effectivement dessiné les contours d' une politique économique de relance centrée sur l'augmentation de la demande gouvernementale (67). Cependant, le Plan souffre, à cet égard, d'une grave insuffisance. En effet, une politique de relance via l'accroissement des dépenses publiques a nécessairement pour effet de détériorer la balance commerciale du pays qui relance (68). De surcroît, le Plan reconnaissait lui-même - je l'ai signalé - que le franc belge était surévalué par rapport aux principales monnaies, dont la livre sterling, d'au moins 25% (69). Cela implique, au total, que le premier acte d'un gouvernement se réclamant du Plan devait être une dévaluation d'environ 30 % du franc belge (70).
Or, le Plan ne prenait pas position sur le problème de la dévaluation. Ou plutôt, on peut lire que les discussions qui ont eu lieu à ce sujet dans les organismes directeurs du Parti Ouvrier Belge au cours de l'année 1934, ont montré une telle diversité d'opinions sur l'opportunité d'une dévaluation du Belga (71) que l'on peut dire qu'il n'y a aucun lien de principe entre ce que l'on pourrait appeler la doctrine du Plan et celle de la dévaluation. Aussi, ces discussions se terminèrent -elles en "réservant le problème de la monnaie dirigée dans le cadre d'une économie dirigée" (72). Cette absence de position nette est à rapprocher - malheureusement je ne peux pas développer ici cet aspect -, de la crainte très vive du POB et des syndicats à l'égard d'une modification de la parité du franc, crainte peut-être explicable (73), mais qui privait le Plan de sa cohérence et de son efficacité en matière de politique économique de court terme.
La seconde limitation réside dans le type de coalition politique apte à réaliser le contenu du Plan du travail. Ce point n'avait pas été tranché par le congrès de Noël, puisque la résolution votée se contentait de préciser que le POB « ne prendra en considération aucune participation à un gouvernement qui n'adhérerait pas au Plan du travail comme programme d'exécution immédiate, mais qu'il est prêt à accepter, pour la conquête et l'exercice du pouvoir, l'appui de tous les groupements qui s'y rallieront » (74). De Man lui-même était conscient du problème et recherchait systématiquement un terrain d'entente avec la gauche chrétienne, mais la difficulté était évidemment de traduire ce rapprochement en termes électoraux et politiques. Or, du fait que le Plan était conçu comme un programme de transformation dans un sens socialiste du système existant, il n'y avait pas de possibilité d'alliances avec les partis catholique ou libéral pour le mettre en oeuvre. Par conséquent, il n'y avait en fait seulement que deux éventualités: soit une majorité absolue socialiste (ce qui était difficilement réalisable, sauf percée foudroyante en Flandre), soit une coalition avec une gauche chrétienne qui se serait structurée y compris sur le plan électoral.
En pratique, on sait ce qu'il advint: le POB accepta de participer à une tripartite avec les libéraux et les chrétiens et dut évidemment mettre au frigo les réformes de structure. J'ajoute qu'il n'exigea même pas d'élections préalablement à sa rentrée dans le gouvernement.
Le programme des réformes de structure
Après la deuxième guerre mondiale, les partis socialistes ou social-démocrates connurent une double évolution. D'une part, la guerre froide et la polarisation qu'elle créa amenèrent progressivement ces partis à se ranger dans le "camp américain ou atlantique" (75). D'autre part, les références à la socialisation des moyens de production et d'échange disparurent des programmes et des pratiques socialistes - il suffira de citer le SPD allemand et son programme de Bad Godesberg de 1959 -, tandis que fleurissaient, en remplacement, des politiques économiques de facture keynésienne mettant l'accent sur la croissance économique et la redistribution des revenus en faveur des travailleurs et salariés.
Cette évolution fut générale, mais le cas de la Belgique eut ceci de particulier que, du sein du mouvement socialiste - du syndicat plus précisément - surgit une tentative de redéfinir une stratégie de transformation socialiste dans le prolongement du Plan du travail: c'est le programme des réformes de structure associé au nom d'André Renard.
Renardisme et réformes de structure (76)
Comme on le sait, le programme des réformes de structure a été adopté par la Fédération Générale du Travail de Belgique (FGTB), socialiste, lors du congrès extraordinaire d'octobre 1954. Il découlait d'une décision d'un précédent congrès, tenu l'année précédente, décision emportée par André Renard, secrétaire général adjoint de la FGTB depuis septembre 1952, sans l'appui du secrétariat.
Les origines du programme (77)
En réalité, dès après la conclusion de l'affaire royale en 1950, André Renard songeait à doter la FGTB d'un programme d'action. Pour ce faire, il accepte, en 1951, la collaboration d'une équipe de techniciens, qui constitue une commission dirigée par H. Jeanne, professeur à l'ULBn(78).
La commission est alors prise en charge par la FGTB, le président du PSB, Max Buset, n'en ayant pas voulu. Avant de commencer ses travaux, elle demande au Bureau de la FGTB de se prononcer sur l'alternative socialisme ou travaillisme, ce que celui-ci ne fera pas (79).
Toujours est-il qu'en 1954, le congrès extraordinaire de la FGTB adopte le rapport préparé par la commission et intitulé Situation économique et perspectives d'avenir (80). Un autre congrès extraordinaire, tenu en 1956, complétera le travail précédent et aboutira au rapport connu sous le nom de Holdings et démocratie économique (81).
Le contenu du programme
Commençons par le premier rapport. Après avoir présenté un état critique de l'économie belge, il définit les buts fondamentaux d'une politique économique socialiste, qui sont: la réalisation du plein emploi, une juste répartition des revenus et l'amélioration du niveau de vie. Pour atteindre ces objectifs, une planification souple est nécessaire, c'est-à-dire "une régulation d'ensemble par un plan" (82). Mais, pour assurer la bonne marche du processus de planification, le gouvernement doit pouvoir agir sur certains secteurs-clé de l'économie qui doivent donc être nationalisés: ce sont les secteurs de l'électricité, du gaz et des charbonnages. Par contre, pour le crédit, il suffira de soumettre les institutions privées et publiques de crédit à une coordination et à une direction d'ensemble (83).
Dans ce cadre général, le rapport défend une politique d'expansion qui vise "à créer et maintenir un niveau et une structure de la demande effective globale, susceptible d'assurer l'écoulement d'une production accrue et correspondant à tout moment au plein emploi" (84). Les auteurs du rapport énoncent alors ce qu'ils appellent le principe de compensation: les pouvoirs publics doivent fixer leurs dépenses à un niveau tel que, avec la consommation et l'investissement privés, le plein emploi puisse être atteint.
Quant aux dépenses de consommation, elles doivent être stimulées par une répartition équitable des revenus, par une politique de hauts salaires, par le relèvement des allocations sociales. L'investissement privé, lui, sera encouragé par des exonérations d'impôts et des prêts à taux d'intérêt réduit pour certains secteurs. Enfin, la politique d'expansion doit s'accompagner d'un ensemble de mesures visant à développer le commerce extérieur de la Belgique.
Passons maintenant au second rapport.
Pour l'essentiel, on y trouve une description de l'emprise exercée par les groupes financiers ou holdings sur l'économie de la Belgique. Au terme de cette description, le rapport affirme que "quelques groupes financiers dominés eux-mêmes par une poignée d'hommes ou de familles contrôlent la plus grande partie de l'économie belge et congolaise" (85).
En fonction de cette conclusion, le rapport se prononce en faveur du transfert à la nation des pouvoirs exercés aujourd'hui par les groupes et les holdings; dans l'immédiat, elle réclame la constitution d'une commission d'enquête sur la concentration économique et financière (86).
Les sources du programme
D'après la synthèse que je viens d'en donner, il est absolument certain que le programme des réformes de structure s'inspire fortement du Plan du travail. Dans l'un comme dans l'autre, on trouve à la fois un volet structurel - nationalisation, planification, etc. - et un volet conjoncturel visant à la résorption du chômage ou encore, en termes plus modernes, à la réalisation du plein emploi. Cependant il y a quand même une petite différence dans la mesure où le programme de 1954-56 est de référence explicitement keynésienne en matière de politique économique. En témoignent non seulement la terminologie adoptée -plein emploi, demande effective, etc.- mais encore le mode de raisonnement et la prééminence accordée à l'objectif du plein emploi ainsi que l'utilisation privilégiée de l'instrument des finances publiques.
C'est pourquoi on peut donc affirmer que les sources du programme des réformes de structure sont doubles: d'un côté, le Plan du travail et H. De Man, ce qui a d'ailleurs été reconnu par André Renard lui-même (87); de l'autre, le keynésianisme via Paul Lambert, professeur à l'Université de Liège, un des premiers keynésiens en Belgique et auteur d'un important rapport (88) présenté au congrès statutaire de la FGTB, en mai 1951(89).
Le problème central du programme des réformes de structure
J'ai déjà développé plus haut la question de la majorité apte à mettre en oeuvre le Plan du travail. Le problème est exactement semblable pour le programme de 1954. A cet égard, on se souvient que la commission préparatoire composée de techniciens avait posé l'alternative : socialisme ou travaillisme. La première branche de l'alternative supposait de défendre la totalité du programme et d'attaquer sans ménagement les démocrates-chrétiens, le seul débouché politique possible étant alors une majorité absolue pour le PSB. La seconde branche, elle, nécessitait un programme d'intérêt général écartant tout ce qui était de nature à repousser les travailleurs chrétiens (question religieuse, scolaire, etc.) ainsi qu'une alliance entre le PSB et le PSC.
Le programme de 1954 ne tranche pas entre ces deux éventualités et, dans la pratique, la direction de la FGTB oscillait entre ces deux voies (90). Cependant, il revient à André Renard d'avoir retrouvé l'inspiration originelle du Plan du travail et de concevoir ainsi le programme des réformes de structure comme une tentative de surmonter l'opposition entre revendications immédiates et revendications socialistes, entre programme minimum et programme maximum. C'est ce que je vais développer.
Vers le socialisme par l'action
En septembre 1958, André Renard publie une brochure intitulée Vers le socialisme par l'action, où il précise la stratégie politique centrée sur la réalisation du programme des réformes de structure. J'en retiendrai trois traits principaux :
- les transformations structurelles ne sont possibles que dans des circonstances exceptionnelles, telles des crises politiques, économiques ou sociales; dans les périodes "calmes", les organisations ouvières doivent « mener une campagne permanente de propagande et d'action en faveur du programme des réformes de structure »(91);
- dans le cadre de l'Action Commune, regroupant PSB, syndicat, coopératives et mutuelles, la FGTB doit conserver toute son indépendance, notamment pour pratiquer l'unité d'action avec la CSC et regrouper ainsi l'ensemble des travailleurs pour la conquête des réformes de structure (92);
- l'obtention de la majorité absolue socialiste, appuyée par l'Action Commune, est un moyen indispensable pour appliquer le programme des réformes(93), mais l'action directe est nécessaire afin « d'utiliser chaque occasion exceptionnelle pour abattre un pan de l'édifice capitaliste » (94).
Ces différents points n'allaient pas rester lettre morte, puisque André Renard allait tenter d'infléchir le comportement du PSB dans le sens de l'adoption du programme des réformes de structure et puis ensuite, plus tard, de canaliser la grande grève de 1960-61 dans la voie du fédéralisme.
Le PSB et les réformes de structure
En 1958, après l'expérience d'un gouvernement "laïc" avec les libéraux et la guerre scolaire, le PSB connaît un recul électoral assez sensible. Au congrès qui se tient le 14 décembre 1958, la direction du parti est fortement mise en cause ainsi que sa stratégie d'alliance laïque. Finalement, le congrès décide de réunir, endéans les six mois, un congrès extraordinaire, qui devra se prononcer sur un programme d'action socialiste, programme qui devra être élaboré en collaboration avec l'ensemble de l'Action Commune Socialiste, en particulier la FGTB.
Ce congrès se réunit les 19 et 20 septembre 1959 et adopte un plan qui comporte quatre éléments essentiels (95):
- la réalisation d'une planification économique;
- la nationalisation, ou à défaut, un statut public approprié, du secteur del'énergie;
- la mise sous contrôle public des holdings et sociétés financières et bancaires;
- l'organisation d'un service national de santé assurant une médecine gratuite.
Il faut préciser qu'avant même ce congrès extraordinaire, s'était réuni, les 6 et 7 juin 1959, un congrès des socialistes wallons, où André Genot, un lieutenant d'André Renard, avait joué les premiers rôles et fait adopter les grandes lignes du programme des congrès de 54 et 56 de la FGTB.
La grève générale de l'hiver '60
Comme on le sait, la grève générale de 1960-61 a été motivée par la loi unique projetée par le gouvernement chrétien-libéral présidé par Gaston Eyskens. Je ne retracerai évidemment pas son déroulement ici (96). Simplement, je me limiterai à relever qu'elle fut l'oeuvre du seul syndicat FGTB, emmené par André Renard, la CSC décidant, pour sa part, de ne pas s'y associer. Il en résulte une localisation de la grève essentiellement en Wallonie, avec les deux exceptions d'Anvers et de Gand du côté flamand.
Cependant, il est capital de remarquer que, sous l'impulsion d'André Renard, la grève a connu une transcroissance de ses objectifs: du retrait de la loi unique, elle est passée à la revendication de la fédéralisation des structures de l'Etat belge. Déjà, en 1950, Renard avait pris position, devant un congrès wallon, en faveur du fédéralisme et cela au nom de la Régionale FGTB de Liège (97). La revendication fédéraliste devait cependant être mise en veilleuse pendant une dizaine d'années, mais elle ressurgit de plus belle lorsqu'il devint clair pour Renard, mais aussi pour les travailleurs, que la grève ne s'étendrait pas à l'ensemble de la Belgique et qu'en conséquence, on tentait d'imposer à la Wallonie cette loi unique qu'elle rejetait de toutes ses forces en arrêtant le travail et en paralysant l'activité économique. C'est ce que Renard exprimait lui-même dans un discours le 4 janvier 1961: « Nous avions déjà soulevé à l'époque [en 1950, lors de la question royale] l'idée d'un certain fédéralisme [...]. Nous l'avions évoqué à l'époque, et puis nous l'avons oublié dans une certaine euphorie par après, nous disant: c'est un avertissement solennel que nous avons donné à ce pays, nous n'avons pas besoin de le répéter, on a compris compris qu'il ne faut pas vouloir imposer à la Wallonie une volonté qui vient d'une autre partie du pays. Eh bien, camarades, nous nous sommes trompés. La loi unique est encore une loi imposée par une partie du pays à l'autre partie du pays. » (98)
Désormais, la revendication fédéraliste prendra un caractère de masse et leclivage Wallons/Flamands ne cessera d'occuper le devant de la scène politique.
Conclusions
Dès 1870, les débuts du mouvement socialiste international avaient fait apparaître que la stratégie démocratique, d'utilisation des élections et du suffrage universel, était la seule appropriée à une transformation de la société qui supposait, pour être réalisée, l'appui d'une majorité de la population. Dans cette optique, il s'agissait d' « user » les forces politiques bourgeoises, la grève générale ou le conflit frontal étant réservé pour les conjonctures où la bourgeoisie violerait sa propre légalité et rejetterait les formes démocratiques.
Cependant, à la fin des années vingt, il apparaissait que cette stratégie conduisait à une dissociation fatale entre le programme minimum constitué par des revendications immédiates et des réformes sociales et le programme maximum que constituait le socialisme. La réflexion d'Henri De Man, condensée dans le Plan du travail, fournit une porte de sortie à cette impasse stratégique. L'idée essentielle de la nouvelle stratégie était de mettre en avant des réformes de structure, qui formaient un ensemble cohérent et pouvaient être réalisées immédiatement tout en transformant le système existant. Dans le cadre de la grande crise des années trente, ce plan des réformes structurelles s'accompagnait d'une politique économique de relance, permise par ces réformes. Cette nouvelle stratégie vint cependant buter sur deux obstacles majeurs: les insuffisances de la politique économique de court terme - défaut probablement imputable à l'état de la théorie économique pendant cette période - et, ensuite, la majorité politique nécessaire pour appliquer l'ensemble du plan de transformation.
Dans un contexte tout autre, marqué par le glissement des partis socialistes vers des politiques keynésiennes et de redistribution des revenus ainsi que par la faiblesse du développement économique en Belgique, André Renard retrouve la problématique des réformes de structure en tant que moyen de transformation dégageant une dynamique vers le socialisme. De surcroît, en lançant à une échelle de masse, la revendication fédéraliste, il formait un débouché politique et une clé de voûte à l'ensemble du programme des réformes de structure.
Cette problématique reste plus que jamais actuelle, à condition toutefois d'y incorporer la réponse à trois questions: quel est exactement, aujourd'hui, à la lumière des expériences de l'Est et de l'Ouest, le contenu du socialisme? Quels sont les éléments cohérents d'une politique économique de croissance « écologique » ? Quel contenu doit prendre le fédéralisme pour permettre une réelle transition au socialisme? Ces questions sont les nôtres, mais à qui exigerait une réponse immédiate, je rétorquerai: à chaque jour suffit sa peine !
Voir aussi, pour ce qui est de la grève de 1960-1961, voir Une thèse inédite sur 60-61 (ajout de ce 14 mars 2011)
(1) MARX, K; ENGELS, F. Manifeste du Parti Communiste (1848), in Oeuvres Choisies, Ed. du Progrès, Moscou, 1970, t1, p.134.£t
(2) Que l'on pense, par exemple, dans le cas de la révolution française, à la séquence monarchiens-girondins-jacobins.
(3) "Toutes les révolutions ont abouti jusqu'à présent à l'évincement de la domination d'une classe déterminée par celle d'une autre; mais toutes les classes dominantes n'étaient jusqu'à présent que de petites minorités par rapport à la masse du peuple dominé [...] la forme commune de toutes ces révolutions était d'être des révolutions de minorité. Même lorsque la majorité collaborait, elle ne le faisait - sciemment ou non - qu'au service d'une minorité", ENGELS, F. Introduction aux luttes de Classes en France in Oeuvres choisies, op.cit., p.198.
(4) « Une telle révolution n'est possible que dans les périodes où ces deux facteurs, les forces productives modernes et les formes de production bourgeoises, entrent en conflit les unes avec les autres [...]. Une nouvelle révolution ne sera possible qu'à la suite d'une nouvelle crise, mais l'une estaussi certaine que l'autre », MARX, K. Les luttes de Classes en France in Oeuvres Choisies, t1, p.300.
(5) D'où le terme « testament ».
(6) « Le temps de coups de main, des révolutions exécutées par de petites minorités conscientes à la tête des masses inconscientes est passé. Là où il s'agit d'une transformation complète de l'organisation de la société, il faut que les masses elles-mêmes y coopèrent, qu'elles sachent déjà elles-mêmes de quoi il s'agit, pour quoi elles interviennent. <f2>Voilà ce que nous a appris l'histoire des cinquante dernières années » », ENGELS, F. Introduction... p.208.
(7) Ibid., p.205.
(8) Je traite de ce point dans l'article que j'ai écrit pour la revue Contradictions, 1990 (à paraître).
(9) ENGELS, F. Introduction..., p.209.
(10) « L'ironie de l'histoire mondiale met tout sens dessus dessous. Nous, les "révolutionnaires", les "chambardeurs", nous prospérons beaucoup mieux par les moyens légaux que par les moyens illégaux et le chambardement. Les partis de l'ordre, comme ils se nomment, périssent de l'état légal qu'ils ont créé eux mêmes [...]. Et si nous ne sommes pas assez insensés pour nous laisser pousser au combat de rues pour leur faire plaisir, il ne leur restera finalement rien d'autre à faire qu'à briser eux-mêmes cette légalité qui leur est devenue si fatale ». ENGELS, F. Introduction..., p.210-211.
(11 " Si donc vous brisez la Constitution impériale, la social-démocratie est libre, libre de faire ce qu'elle veut à votre égard. Mais ce qu'elle fera ensuite, elle se gardera bien de vous le dire aujourd'hui.", ENGELS, ibid., p.211.
(12) Sur la grève de 1886, on peut consulter l'ouvrage suivant: BRUWIER, M. et al. 1886. La Wallonie née de la Grève ?, Labor, Bruxelles, 1990.
(13) Pour le contenu de ces différentes réformes, je renvoie à l'ouvrage de Chlepner: CHLEPNER, B.S. Cent Ans d'Histoire Sociale en Belgique, Ed. de l'ULB, Bruxelles, 1956, p.208 et Sq.
(14) Ainsi, par exemple, à Mons, en 1890, la liste du POB obtient 404 voix sur 4000 votants
(15) PIRENNE H, Histoire de Belgique Lambertin, Bruxelles, 1948, t.7, p.314.
(16 LIEBMAN M, Les Socialistes Belges 1885-1894, EVO, Bruxelles,1979, p.96.
(17 Cité par LIEBMAN M, Les Socialistes..., p.99.
(18) PIRENNE H, Histoire..., p.319.
(19 Ibid. p.319.
(20) LIEBMAN M, Les Socialistes..., p.109.
(21) Ibid., p.111.
(22) C'est pour remédier à ce clivage dangereux pour l'unité de la Belgique et aussi pour éviter l'élimination du Parti Libéral que la représentation proportionnelle sera introduite en 1899.
(23) Cité par LIEBMAN M, Les Socialistes..., p.113.£t
(24) Ibid., p.134.
(25 PIRENNE écrit à cet égard que « le gouvernement, voyant les yeux de l'Europe braqués sur lui et n'ignorant pas que l'Allemagne avait pressenti la France sur les mesures à prendre en cas d'une révolution en Belgique, était décidé à ne pas céder », PIRENNE H, Histoire..., p.331.
(26) DEMAN H.; DE BROUCKERE L., Le Mouvement Ouvrier en Belgique (1911). Un aspect de la lutte des tendances socialistes, Fondation Jacquemotte, Bruxelles, 1985, p.77.
(27) Les pièces du débat sont disponibles en français dans: KAUTSKY K.; LUXEMBURG R.; PANNEKOEK A. Socialisme: La voie occidentale, PUF, Paris,1983.
(28) KAUTSKY K. et al. Socialisme..., p.249.
(29) Ibid, p.146 et Sq.
(30 Après avoir affirmé qu'en 1905 « Lz gouvernement russe était le plus faible du monde » et que « plus aucune classe ne le soutenait », Kautsky ajoute qu' »en Prusse aujourd'hui, la situation est toute différente de celle qui existait alors en Russie, il y a cinq ans. Nous avons en face de nous le gouvernement le plus fort de l'heure. Nulle part, l'armée, la bureaucratie ne sont aussi rigidement disciplinées, nulle part, peut-être, le nombre de travailleurs employés au service de l'Etat n'est aussi grand », KAUTSKY K. et al. Socialisme..., p.149.
(31 Ibid., p.58.
(32 Ibid., p.58-59.
(33) Perry Anderson a signalé que la distinction entre stratégie de l'anéantissement et stratégie de l'épuisement provient de H. Delbrück, un historien allemand, qui a écrit une monumentale Histoire de l'Art de la Guerre en 4 volumes. Voir ANDERSON P., Sur Gramsci, Maspero, Paris, 1978, p.108 et S.
(34) KAUTSKY K. et.al. Socialisme..., p.61.
(35)Ibid., p.64.
(36 Ibid., p.250.
(37 Ibid., p.251.
(38) LUXEMBURG R, Usure ou Combat, in KAUTSKY et al. Socialisme..., p.110, 121, etc.
(39) Voici un passage typique à cet égard: « Une agitation ainsi conçue en faveur de la grève de masse permet de rendre compte de façon très pénétrante de la situation politique dans son ensemble, de la constellation des classes et partis en Allemagne, d'accroître la maturité politique des masses, d'éveiller en elles le sentiment de leur force, leur disponibilité pour le combat, de se fonder sur l'idéalisme des masses, de dessiner de nouveaux horizons pour le prolétariat », LUXEMBURG R, Union ou..., p.121
(40) Le débat en question est résumé dans: LIEBMAN M, Socialistes...p.152 et s.
(41) « Disons que nous voulons aller au gouvernement démocratique avec ou sans ministres socialistes », ANSEELE E., cité par LIEBMAN M. Les Socialistes... p.156.
(42)Ibid., p.157.
(43) »Résolution minoritaire », in DEMAN H.; DE BROUCKERE L. Le Mouvement Ouvrier en Belgique..., p.147.
(44) DE MAN H., « La Particularité du Mouvement Ouvrier de Belgique », in DEMAN H.; DE BROUCKERE L. Le Mouvement..., p.57.
(45) « DE MAN [...] fut nommé dès la fondation de la Centrale d'Education Ouvrière, en mars 1911, son secrétaire permanent [...] sous sa direction, la Centrale dota le parti d'un réseau d'écoles socialistes; De Man lui-même et De Brouckère, aidés de leurs amis de tendance, se dépensèrent sans compter dans cette activité éducative. C'est là assurément l'aspect essentiel de l'action de la tendance "marxiste" dans le POB en 1910-1911 », STEINBERG M. Le Mouvement Ouvrier en Belgique et "les marxistes", in DE MAN H.; DE BROUCKERE L., Le Mouvement..., p.20.
(46) Cette affirmation demanderait toute une étude pour être justifiée. A mon sens, elle retient l'essentiel d'un bilan du courant communiste tout en précisant qu'il y eut, cependant, deux tentatives pour dépasser la dichotomie entre programme minimum et programme maximum et formuler une nouvelles tratégie: l'une est associée au tournant de la IIIe Internationale vers lefront unique; l'autre à la théorisation de Gramsci.
(47) ABS R., Emile Vandervelde, Labor, Bruxelles, 1973, p.254.
(48) D'après De Man, Vandervelde lui aurait déclaré: « Ce qui nous tue, c'est que nous sommes impuissants contre la crise économique. Moi-même, je ne vois pas trop bien ce qu'on peut faire. Ma formation date d'une époque où l'on attachait beaucoup moins d'importance aux problèmes économiques et financiers. Aidez-nous et voyez si vous ne pouvez pas trouver un bon programme d'action contre la crise. », De Man H., Après Coup , éd. de la Toison d'Or, Paris-Bruxelles, 1941.
(49) BES, L'éxécution du plan du travail, Editions de Sikkel, Anvers, 1935.
(50) Jef RENS, proche collaborateur de De Man avant 1940, décrit bien l'optimisme caractéristique de la période: « L'équipe [du plan] débordait d'enthousiasme [...]. Nous avions la foi. Nous étions convaincus qu'il n'y avait pas de solutions alternatives. A condition de persévérer, nous sortirions le mouvement ouvrier et notre pays de l'impasse de la crise et du chômage [...] Nos rassemblements étaient bien suivis. Partout où De Man allait parler, il faisait salle comble [...]. Une atmosphère d'espoir et de joie régnait dans notre mouvement. Le contraste était saisissant avec l'abattement et led écouragement que nous avions connu dans les années 1932-1934 précédant le Plan [...]. L'action du Plan avait métamorphosé l'état d'esprit des ouvriers socialistes. Ils étaient convaincus que leur parti arriverait sous peu au pouvoir et que, grâce à l'action du Plan de Travail, la plaie paralysante et suffocante du chômage prendrait fin. », RENS J., Rencontre avec le siècle, Duculot, Gembloux, 1987, p.51-52.
(51) « Mais il n'est que trop clair [...] que la crise actuelle n'est pas seulement cyclique et qu'elle se distingue des crises précédentes par l'actionde certaines causes plus profondes et plus permanentes », DE MAN H. « La crise ducapitalisme », in BNB; Bulletin d'Information et de Documentation, 25-7-1931, p.38.
(52) Ibid., p.39.
(53) « Je pense avoir donné assez de preuves de mon indépendance à l'égard de l'orthodoxie marxiste pour ne pas me rendre suspect de dogmatisme en disant qu'à mon avis, la crise actuelle s'accorde mieux avec la théorie de Marx qu'avec n'importe qu'elle autre. », De Man H. Ibid. p.39.
(54) DE MAN H., L'idée socialiste, Presses Universitaires Romandes, Genève, 1975 (2e édition), p.482-483.
(55) DE MAN H., L'idée socialiste, Presses Universitaires Romandes, Genève, 1975, (2e édition), p.482-483.
(56) Ibid., p.504.
(57) Ibid., p.504.
(58) Pour un tableau plus complet, voir le résumé dressé par Brélaz: BRELAZ M. Henri De Man. Une autre idée du socialisme, Ed. Des Antipodes, Genève, 1985, p.624 et s.
(59) BES, L'éxécution..., p.128.
(60) Ibid., p.128.
(61) Le Plan du travail, in BES, L'Exécution du Plan du Travail..., annexe 1, p.422-430.
(62) Le terme de "réformes de structure" est utilisé à plusieurs reprises par De Man et les rédacteurs de L'exécution du Plan.
(63) BES L'Exécution..., p.21.
(64) « Nous devons donner à l'expression "un Etat fort" un sens très différent de celui que donnent la plupart de nos adversaires. Ils veulent, eux, un Etat fort au service des puissances d'argent, et contre le pouvoir législatif où s'affirme l'opposition des masses populaires; nous voulons, nous, un Etat à moyens d'action renforcés contre la puissance du capital bancaire et monopoliste, mais non contre le Parlement bien au contraire. », BES L'exécution..., p.22.
(65) Voir le détail dans L'exécution..., p.94-123.
(66) BES, L'éxécution..., p.146 et s.
(67) Il est donc tout à fait exagéré d'écrire, comme Bergounioux et Manin, que « les thèses planistes manifestaient une certaine abstraction et relevaient plutôt d'une philosophie d'ensemble de la société que d'une technique précise », BERGOUNIOUX A; MANIN B, La social-démocratie ou le compromis, PUF,Paris, 1979, p.118.
(68 J'ai développé ce point dans l'article paru, en 1988, dans TOUDI, BISMANS F. Vers le plein emploi en Wallonie, PP. 52-68.
(69) D'après les calculs de L.-H. Dupriez basés sur la théorie de la parité des pouvoirs d'achat, le franc belge était, en 1985, surévalué de 25 à 30%: voir DUPRIEZ L.-H. Les réformes monétaires en Belgique, Office International de Librairie, Bruxelles, 1978, p.106 à 108.
(70) A savoir les 25% de surévaluation plus un supplément destiné à anticiper les effets sur la balance des paiements de la politique de relance interne. £t
(71) Le Belga valait 5 francs.
(72) BES L'exécution..., p.138.
(73) J'ai examiné ce problème dans l'ouvrage suivant: BISMANS F.L'accumulation intensive. Le Cas de la Belgique (1944-1974), Palais des Académies, Bruxelles, 1990 (à paraître), 2e partie, chap. 4.
(74) Résolution de Noël 1933..., in BES L'exécution...,p.421.
(75 Voir BERGOUNIOUX, MANIN B, La social-démocratie..., p.135 ets.
(76) Du point de vue factuel, j'utiliserai abondamment les éléments qui se trouvent dans mon ouvrage déjà cité. J'y renvoie donc pour plus de détails et de précisions. Voir BISMANS F, L'accumulation intensive..., 2e partie, chap.4.
(77) Les origines du programme sont bien retracées dans NEUVILLE J.; YERNA J. Le choc de l'hiver 60-61, Pol-His, Bruxelles, 1990.
(78) Jacques Yerna cite, parmi les participants à la commission, Henri Ceuppens, Pierre Bougnet, lui-même assurant le secrétariat: NEUVILLE J., YERNAJ. Le Choc..., p.54.
(79) Ibid., p.54-55.
(80 FGTB Situation économique et perspectives d'avenir, congrès extraordinaire, 1954.
(81) FGTB Holdings et démocratie économique, Impredi, Liège, 1956.
(82) FGTB Situation Economique ..., p.260.
(83) FGTB Situation économique..., p.184.
(84) Ibid., p.136.
(85) FGTB Holdings et démocratie..., p.189.£t
(86) Ibid., p.202-203.
(87) Le programme des réformes de structure "représente une adaptation aux conditions actuelles des programmes socialistes d'avant et d'après la première guerre mondiale et notamment le Plan du travail qui avait permis la plus large campagne de mobilisation des travailleurs durant la période d'entre-deux-guerres », RENARD A., Vers le socialisme par l'action, Impredi, Liège, 1958, p.49.
(88) LAMBERT P., Rapport sur une politique de plein emploi, FGTB,1951, voir p.24.
(89) Pour plus de précisions sur la filiation entre P. Lambert et le programme de 1954, voir BISMANS F., L'accumulation intensive..., 2e partie, chap.4.
(90) Jacques Yerna écrit que « la FGTB ne définira jamais clairement sa position. Mais le programme adopté [...] est, au fond, plutôt travailliste et réformiste. », NEUVILLE J, YERNA J, Le Choc..., p.54-55.
(91) RENARD A, Vers le socialisme...,p.59.
(92) Ibid., p.58-59.
(93) Ibid., p.53.
(94) Ibid., p.51.
(95) « Résolutions adoptées par le congrès extraordinaire du PSB, Revue Politique, novembre 1969, p.65-69.
(96) Je renvoie aux études de René DEPREZ, Valmy FEAUX et, plus récemment, Jacques YERNA et Jean NEUVILLE.
(97) Voir André Renard écrivait, Impredi, Liège, 1962, p.217.
(98) Bulletin de la FAR, janvier 1983, cité in J. NEUVILLE, J. YERNA, Le choc..., p. 51-52.