La Wallonie doit éliminer ses friches politiques
L'état d'inachèvement actuel de la réforme de l'État revêt au moins deux formes dont l'influence en Wallonie est déterminante tant au niveau de la lenteur de développement du sentiment d'appartenance régionale, qu'au niveau du manque de vigueur du redressement économique de la région considérée dans sa globalité ; ces deux formes sont :
1° la survivance prolongée de l'institution de la Communauté française de Belgique, au détriment de la capacité régionale,- wallonne et bruxelloise-, de maîtrise intégrale de gestion d'une action politique de redressement, et
2° la survivance, complémentaire à la première, du mode provincial de perception, de lecture et de gestion du territoire wallon, au travers d'un nombre conventionnel (fixé à l'époque pré-régionale) de composantes sous-régionales de ce territoire.
On peut montrer sans peine que ces deux « terrains » de conservatisme institutionnel, qui permettent la survivance d'éléments structurels de l'ancienne configuration unitaire du pays, apportent en bonne partie l'explication, - en raison de leur inadaptation et des lourdeurs considérables qu'ils entraînent - , de la lenteur persistante avec laquelle le nouveau pouvoir régional parvient à remplir sa propre mission.
L'enjeu de l'inachèvement institutionnel ici évoqué doit être considéré comme d'importance vitale, puisqu'il touche la crédibilité du pouvoir politique wallon dans son activité et dans la durée, et,par conséquent, la pérennité même de celui-ci.
L'assemblage obsolète des provinces wallonnes masque le réseau multipolaire wallon
L'importance de l'incidence débilitante de la fixité de l'institution provinciale notamment, apparaît actuellement de manière particulièrement frappante dans le contexte des affirmations récentes, -d'origine plutôt académique-, selon lesquelles il s'agirait, pour nous Wallons, de reconnaître que Bruxelles est en réalité la capitale économique de la Wallonie .
Or on voit difficilement comment une région dont l'autonomie politique est reconnue de iure, pourrait réellement subsister de facto sans posséder sur son propre territoire, un -ou deux- pôles économiques de fonction métropolitaine, assurant un rôle réellement moteur et primordial sur l'ensemble de la vie économique de la région. Notons qu'à ce niveau, le concept et le vocable de « capitale » ne doivent pas être considérés comme s'imposant nécessairement comme tels dans la problématique qui nous occupe.
On sait que dans le cadre géo-économique wallon, ces deux pôles d'importance majeure sont Liège et Charleroi, considérés tous deux comme les deux seules régions urbaines wallonnes à fonction métropolitaine( voir le Schéma régional SDER, adopté par le Gouvernement wallon en 1999). Namur joue en effet le rôle de capitale politique, Mons remplissant de son côté une fonction de pôle régional.
Or ce qui permet aujourd'hui à certains scientifiques ou académiques,tout comme à certaines personnalités politiques, de dénier au duo ,ou au « tandem » Liège-Charleroi, cette capacité de « porter » à titre principal, ou de sous-tendre le redressement économique wallon global, au point que non seulement ils proposent de relier le développement de ce « duo » L-Ch au pôle majeur extérieur bruxellois, mais qu'en plus, ils investissent celui-ci de la fonction de capitale économique de la Wallonie1, c'est principalement l'état de fragilité relative du partenaire carolorégien au sein du « tandem » métropolitain wallon .
Or, on le sait, cette fragilité est traditionnellement (en fait, depuis quasiment une cinquantaine d'années !!) illustrée par, reliée à la gamme jugée peu diversifiée des services offerts et développés dans la région urbaine de Charleroi, et plus particulièrement, à l'éventail jugé étroit des activités de services aux entreprises, présentes en son aire géographique spécifique.
C'est précisément sur ce point que nous retrouvons l'impact gravement débilitant de la subsistance de la structuration provinciale de l'espace wallon. Qui pourra en effet douter de ce que « l'armature servicielle » jusqu'ici encore insuffisamment développée de Charleroi se comprend principalement en lien avec le fait que ce pôle urbain et économique, actuellement 1ère Ville de Wallonie, n'a même historiquement jamais pu bénéficier du statut ni de la fonction de chef-lieu de la province dont il ressortissait(le Hainaut) ? Point n'est besoin en effet de savante recherche pour se souvenir de ce que la gestion politique unitaire belge de l'espace « national » a toujours strictement et inconditionnellement réservé l'implantation et le développement d'un nombre important d'activités de services, notamment universitaires, ainsi que p.ex. celles liées aux fonctions régaliennes, au positionnement exclusif des villes jouissant de ce statut de chef-lieu de province.
L'apparente exception de Louvain-la-Neuve, site urbain créé en quelque sorte ex nihilo , en apporte en réalité une preuve supplémentaire par l'absurde. Et de plus, cette prééminence de la structure provinciale a été fortement préservée et reconduite dans le cadre de la gestion post-unitaire,- couvrant toute l'époque récente- , assumée tant par la Communauté française que par la Région wallonne elle-même , en un certain nombre de ses champs de compétences !
Le politique wallon appelé à réinventer le réseau des sous-régions, pour renforcer les conditions de gestion autonome du développement de la région
Tout ce qui vient d'être dit aide donc à reconnaître l'existence d'une véritable cohérence objective et sans faille entre la thèse des provincialistes et celle de ceux qui préconisent l'instauration pure et simple de la capitale économique de Wallonie en dehors du territoire de celle-ci, çàd. dans le lieu même de la capitale de l'Etat belge.
Apparaît ainsi clairement la gravité de l'enjeu et de la responsabilité du monde politique et parlementaire wallon , à qui il revient principalement de parachever d'urgence la réforme de l'édifice des institutions subrégionales de Wallonie, moyennant la suppression et le remplacement des provinces par un ensemble d'autres circonscriptions sous-régionales, « collant » de beaucoup plus près à la diversité objective et au fonctionnement contemporain et dynamique du territoire wallon .
Et de cette actualisation de la perception intérieure du territoire, réalisée à l'initiative du Parlement Wallon, résultera bien évidemment, entre autres changements dynamisants, la pleine reconnaissance du pôle carolorégien , tant au niveau de son propre bassin de vie et de sa propre sous-région qu'au niveau de l'ensemble de la région wallonne.
En conséquence, à l'inverse, tout nouvel atermoiement ou traitement cosmétique des réformes, et toute prolongation du conservatisme actuel en ce domaine sera susceptible de conférer une « pertinence » toujours croissante aux propositions, y compris politiques, de remédiation, visant non seulement à externaliser le pilotage du développement économique wallon hors du territoire régional, -au lieu de l'appuyer au contraire prioritairement sur le duo métropolitain ancré au sein de la région même- , mais également - comme nous le montrons ci-après -, à jeter les bases de la remise en question subséquente de l'existence politique de la Wallonie en tant que « région à part entière » !.
... et pour garantir la pérennité même du pouvoir de la Région
Car, derrière cette proposition d' « arrimage » stratégique du développement économique wallon à un réseau métropolitain « triangulaire » Bruxelles-Liège-Charleroi au sein duquel Bruxelles devrait assumer une fonction primo-motrice de capitale, se dissimule bien évidemment l'affirmation, de portée bien plus lourde encore, de la pertinence politique d'un véritable « territoire communautaire » Wallonie-Bruxelles ; la gestion de celui-ci pouvant alors être rapidement appelée à remplacer purement et simplement les politiques régionales actuelles, tant wallonne que bruxelloise.
En d'autres mots,on assistera à un énorme et tragique bégaiement du destin wallon, puisque l'histoire « accoucherait » bel et bien, de cette manière, d'un retour des régions wallonne et bruxelloise dans le sein indifférencié de la Communauté française de Belgique....
Aux régions wallonne et bruxelloise d'intégrer chacune les compétences de la Communauté française : non l'inverse !
Si l'on perçoit à présent clairement comment l'immobilisme institutionnel wallon actuel - se traduisant notamment dans une forme d'acharnement thérapeutique (aux allures faussement réformistes) et dans le non-remplacement des provinces de Wallonie- relève en réalité d'un processus menaçant en définitive l'existence politique même de la Région, au bénéfice de l'institution communautaire francophone, l'on peut aussi en inférer la nécessité vitale d'enclencher dès à présent un processus complémentaire de désinvestissement et de remplacement de la Communauté française de Belgique, processus qui ouvrira enfin la voie à une véritable coopération interrégionale entre la Wallonie et Bruxelles.
Cette opération de rationalisation institutionnelle, qui, comme on l'a dit en introduction, devrait constituer une des formes essentielles d'achèvement prochain de la réforme de l'Etat, se justifie fondamentalement par le fait que cette institution communautaire représente, par son existence et son fonctionnement mêmes, une menace frontale pour l' existence de l'institution régionale elle-même.
D'une part, en effet, il apparaît clairement, à l'expérience à présent suffisamment étendue dans le temps, que l'institution communautaire, responsable entre autres des politiques d'enseignement et de la culture, ne peut réellement pas œuvrer en synergie suffisante avec les politiques multiples et complexes de reconversion et de dynamisation conduites par la Région wallonne pour elle-même ; et donc, pour ce motif, la CFB fonctionne nécessairement comme facteur de ralentissement permanent de la bonne finalisation des politiques régionales, et par conséquent, constitue un vrai facteur de décrédibilisation et de déstabilisation fondamentale des Régions.
Mais d'autre part, si l'on pousse le raisonnement à son terme, l'on découvre aussi que cette même Communauté française doit être vue comme concurrente menaçante, pour la raison - déjà évoquée plus haut- qu'elle constitue de fait une forme institutionnelle - réceptacle, et un outil potentiel de désagrégation et de récupération des compétences et des institutions régionales, dans le cas où l'histoire conduirait celles-ci à devoir purement et simplement s'effacer .
- 1. Cette nécessité de reconnaissance de la fonction de Bruxelles-Capitale comme capitale économique de la Wallonie apparaît p.ex. telle quelle dans les conclusions finales d'un récent Colloque organisé par l'Association des économistes de Louvain sur le thème du Plan Marshall, et où intervinrent des économistes-professeurs de plusieurs Universités francophones, ainsi que certains hauts fonctionnaires régionaux.Dans les Actes du Colloque, intitulé « Le plan d'actions prioritaires de la Région Wallonne » (parus en 2006 aux Presses Universitaires de Louvain), l'affirmation de Bruxelles comme capitale économique de la Wallonie apparaît nettement liée à l'autre affirmation selon laquelle « aucune métropole wallonne ne peut servir aujourd'hui de capitale économique » (cf. publication des Actes, pp. 107 et 109).