La Wallonie s'affirme, lentement, sûrement

Toudi mensuel n°44, février-mars 2002

On ne peut pas mettre en cause seulement les médias. Il y a une stupide propension des Wallons à se dévaloriser qui dévalorise finalement tout l'espace Wallonie-Bruxelles. On le voit bien avec la rumeur qui s'enfle récemment sur le plus grand républicanisme des Flamands. Rumeur qui passe sous silence l'action de mouvements comme le CRK, le CRW; d'une revue comme la nôtre ou de la déclaration de Robert Collignon, le 15 décembre, selon laquelle il y a à se réjouir que la monarchie n'intervienne plus dans le processus de la décision politique en Wallonie. Il n'y a rien en Flandre qui corresponde à tout cela. Et si Happart, se heurtant au Prince Laurent avait été un Flamand, qu'aurait-on dit? Même si on peut admettre que ses motifs n'étaient pas élevés. L'incident est ce qu'il est mais il n'est pas fréquent qu'un ministre se heurte à un membre de la famille royale...

L'autonomie de la Wallonie est venue de la Wallonie

Autre rumeur: les Wallons ne jouiraient que d'une autonomie voulue par les Flamands qui auraient «obligé» les Wallons à devoir bien s'occuper de la leur.

Mais qui a - en premier lieu et avec quelle solennité! dans le cadre d'un pays libre et non pas occupé par les Allemands - réclamé le fédéralisme? Les Wallons. Qui a déposé les premières propositions parlementaires en ce sens? Les Wallons. Quels furent ceux qui, en juillet 1950, étaient déterminés à se séparer de la Belgique au moment le plus fort des événements? Les Wallons. Qui a réellement rompu l'État unitaire? Les Wallons durant la grève de 1960. Les pétitions pour la modification des institutions belges, d'où ont-elles émané? De Wallonie en 1963 (650.000 signatures). Qui a voulu l'autonomie culturelle? La Flandre. Qui a va voulu l'autonomie politique et économique et les trois Régions? Les Wallons.

Quels Wallons? L'aile wallonne du PSB puis du PS en 1967 (accord de Klemskerke-Verviers), en 1970 (vote du 107 quater), en 1971 (triomphe du Rassemblement wallon aux élections), en 1974 (l'aile la plus wallingante du PS fait tomber Leburton, Perin tente une régionalisation préparatoire), en 1977 (Pacte d'Egmont), en 1978 (barrage FDF et PS face au CVP qui ne veut pas la régionalisation), en 1980 (où cette régionalisation s'impose), en 1988 (négociation durant laquelle PS et CVP poussent dans le sens d'une augmentation du fédéralisme). Qui menace de réunir une assemblée parlementaire séparatiste en 1991? Les Wallons, lorsque les Flamands veulent bloquer des ventes de matériel militaire à l'étranger. Qui va trouver le Président de la République française pour qu'il traite la Wallonie comme le Québec? Le Président wallon Spitaels. Qui, dans le personnel politique en août 93 ose se réaffirmer républicain? José Happart, un Wallon qui avait à nouveau défié la monarchie depuis Grâce-Berleur en juillet 1990. Et Jean Guy, directeur du du journla Le Peuple.

Il est possible que la démission de Spitaels, l'étrange quiproquo de la Communauté française, ni wallonne ni bruxelloise et en perpétuelle faillite, ait contraint la classe politique wallonne à plus de prudence les cinq dernières années. Mais s'il y a un Parlement et un Gouvernement wallons le long de la Meuse à Namur, ce n'est pas aux Flamands que nous le devons ni à la Belgique.

Que Di Rupo soit ce qu'il est, il faut le déplorer. La timidité de trop d'Écolos ne vaut pas mieux.. Et c'est pourquoi il faut encourager - sans oublier les rattachistes antibelges - tous ceux qui comme le Club Républicain Wallon ou le Mouvement Socialiste Wallon veulent plus d'autonomie, plus de compétences, plus de Wallonie et finalement plus de République.

Ce que nous sommes, ce que nous avons, ce que nous faisons, cela vient de nous et c'est à nous.

La Wallonie est un État-région souverain

On peut critiquer le Contrat d'avenir mais cependant le Consultant indépendant Deloitte & Touche estime à son propos: « Les conditions sont donc remplies pour que le Contrat d'avenir devienne non seulement la référence pour l'action du secteur public régional, mais aussi pour l'action des autres secteurs (privé, associatif...), et que, moyennant des mécanismes de négociation et de gestion partenariale, il constitue un outil de mobilisation et de coordination d'une part accrue des ressources régionales, voire communautaires et fédérales pour faire progresser "une Wallonie active et solidaire sur la voie du développement durable".» On a appris la croissance des exportations wallonnes supérieure à celles des régions et pays voisins. On sait que si la Flandre ne veut pas régionaliser les pensions, c'est parce qu'elle a besoin de nous.

Il y a curieusement une critique que l'on fait peu au Gouvernement wallon, celui de ne pas s'affirmer wallon à travers le monde et aussi de ne pas assez montrer que, hormis les États souverains, il est celui qui dispose du plus de pouvoirs autonomes avec sans doute la Flandre et l'Écosse. La Conférence de Barcelone a bien cependant décrit la Wallonie comme «région», non seulement «à pouvoir législatif» mais aussi «constitutionnellement forte», «quasi étatique» et même «souveraine».

Quand la Wallonie n'était pas souveraine, on lui faisait des reproches comme si elle l'était. Les critiques, étrangement, ne se sont pas radicalement modifiées à cet égard: on continue à critiquer la Wallonie comme si ses carences relevaient d'une sorte de nature. Alors que le Politique peut justement remobiliser les femmes et les hommes contre les destins contraires. L'ambition gestionnaire du Gouvernement wallon est réelle. Mais son ambition n'est pas à la hauteur de la définition européenne: si la Wallonie est souveraine, elle a le devoir de traiter son peuple comme un peuple souverain et de le mettre face à ses responsabilités et le peuple souverain a des comptes à exiger de la gestion de son gouvernement.

Nous sommes déjà un État, une République, il faudrait s'en armer, il faudrait le dire. En politique «dire, c'est faire». Le Gouvernement wallon doit parler comme le Gouvernement d'un pays souverain et ne pas attendre que Louis Michel le lui permette. Cette audace est aussi la clé d'un redressement solidaire. Que nous devons réaliser avec nos valeurs socialistes et démocratiques.

«La Wallonie s'est mise elle-même au monde» écrit P-H Gendebien, pourtant réunionniste. Quand on est né une fois et par soi, on peut renaître. Que le Gouvernement le dise au lieu de s'enfermer dans ses fausses pudeurs. Maintenant - pas hier, maintenant, oui! - l'opinion publique attend qu'il élève la voix non pas contre d'autres, mais parce que les Wallons méritent un vrai pays et l'attendent.

L'évolution de l'idée wallonne est également très visible dans les médias. Nous n'en voudrions pour preuve que l'article de Denis Ghesquière dans Le Soir du 17/2/2002 à propos du Père Samuel. Tout en mettant en cause de manière critique et objective les accointances du PS local avec ce personnage douteux, le journaliste s'abstient de commentaires renvoyant ces incidents à la Wallonie en tant que telle, ce qui était bien le vice du «Soir» et dont il s'est manifestement débarrassé. La Wallonie y gagnera sans qu'y perde en quoi que ce soit l'esprit critique de la presse. L'évolution est visible aussi à la RTBF où on parle du gouvernement wallon comme d'un pouvoir qui n'est pas subordonné et sans constamment rappeler que ce gouvernement ne concernerait «que» les Wallons soit les 8/10 des utilisateurs francophones de la RTBF. Les sportifs wallons restent «belges», à la rigueur «namurois», «rochefortois», mais armons-nous de patience. La vieille garde belgicaine qui interpelle les journalistes télé dès qu'ils marquent la moindre préférence à l'égard de Justine sur Kim finira bien par s'épuiser. Et pour marquer notre admiration et notre sympathie pour les sportifs flamands, nous n'avons pas besoin qu'on les fasse belges. Il suffit qu'ils soient nos voisins. Dans ce domaine, le soutien du Palais des Sports d'Anvers à Justine Henin le 17 février, montre que c'est réciproque. La Belgique ne sert à rien, même pas à nous rapprocher des Flamands...