L'abandon de l'école officielle
Quoique apparemment différentes, les politiques respectives des libéraux, des sociaux-chrétiens, des socialistes et du gouvernement de la Communauté française concourent au même résultat: l'abandon de l'école officielle comme service public d'enseignement. C'est grave, car il y va de la démocratie.?Toujours moins d'Etat, tel est l'axiome le plus rebattu de la vieille théorie libérale. Pourquoi? Parce que c'est le marché financier qui décide, il faut s'en faire une raison! Ainsi s'affirme la primauté de l'économique sur la démocratie: ainsi s'exprime la "pensée unique" avec ses mots-clés: compétitivité, monnaie forte, flexibilité, déréglementation, etc.?Nos gouvernants, soi-disant de "centre-gauche" poursuivent et intensifient la politique ultralibérale inaugurée en décembre 1981 par la coalition Martens-Gol: sous le couvert de "décentralisation", d' "autonomie" et de "responsabilité", ils privatisent en tous sens les entreprises publiques, les services publics, les écoles publiques etc.?Ils sont devenus les instruments du marché. Au point que ce n'est plus l'autorité démocratique qui est la puissance politique, mais une volonté privée, celle des dépositaires de la pensée unique qui réduisent tout aux seuls postulats de l'économie mondialisée. Aujourd'hui, un totalitarisme économico-financier s'est confortablement installé dans notre pays. Totalitarisme "ordinaire", puisqu'il respecte les formes de la démocratie.
La politique du PSC
Replacée dans son contexte historique, quoi de plus limpide que la politique des sociaux-chrétiens? Voici plus d'un siècle qu'ils poursuivent deux objectifs: primo, faire payer l'enseignement catholique par les Pouvoirs publics, secundo, nuire aux écoles, publiques ou non, qui sont guidées par des idéologies non-catholiques.?Le premier objectif, les sociaux-chrétiens ont réussi à obtenir sa constitutionnalisation lorsque l'on a communautarisé l'enseignement: depuis août 1988, la Constitution révisée prévoit, et l'égalité de tous les établissements scolaires, et les mécanismes destinés à en garantir le respect invitant littéralement la Communauté éducative Sociale Chrétienne à livrer un combat systématique - juridique, politique et syndical - contre les "'discriminations" financières qui préjudicieraient l'enseignement catholique.?Résultat: en quelques années, les sociaux-chrétiens ont gagné du terrain dans pas mal de domaines, dont celui des avantages sociaux. Parallèlement, ils sont même parvenus à faire reconnaître le réseau catholique comme un service public fonctionnel, presque obligatoirement ouvert à ceux qui veulent s'y inscrire et propre à être assuré par un personnel, non seulement contractuel, mais aussi statutaire.?Quant au second objectif - nuire aux écoles non-catholiques -, les sociaux-chrétiens ont toujours cherché à l'atteindre en combattant ces écoles aussi bien de l'extérieur que de l'intérieur.?Parmi leurs chevaux de bataille, il y a avant tout la "cherté" de l'officiel, en particulier le "surcoût" de la Communauté française. Eternels sophismes, invoqués aujourd'hui à l'appui de la lutte qu'ils mènent pour faire peser l'essentiel des économies budgétaires sur l'enseignement public. Leurs autres cibles privilégiées sont la neutralité et le caractère public de l'école officielle.?La neutralité gêne le libre déploiement de l'influence confessionnelle à l'intérieur de l'école publique. Aussi les sociaux-chrétiens réclament-ils le retrait de la règle suivant laquelle une école est réputée neutre quand "au moins trois quarts du personnel enseignant sont porteurs d'un diplôme de l'enseignement officiel et neutre". Tout indique qu'ils vont obtenir gain de cause, moyennant une "formation à la neutralité" expédiée en quelques leçons et peut-être bien dispensée aussi par l'enseignement... catholique! Comme cela, l'école officielle sera on ne peut mieux parée contre les entraves à la liberté des consciences!?Les statuts publics ou privés des différentes institutions éducatives empêchent le financement strictement égal desdites institutions car ils figurent au nombre des "caractérsitqiues propres à chaque pouvoir organisateur" qui, selon l'autorité constituante, justifient une différence de traitement entre les réseaux officiels (PO publics) et les réseaux libres (PO privés). Qu'à cela ne tienne! Les sociaux-chrétiens, en néocorporatistes doctrinaires, travaillent à dénaturer le caractère public des écoles officielles par le biais de l' "autonomie" et de la "participation" ouvrant ainsi la voie à toute une série de privatisations franches et/ou artificieuses.?En somme, au nom d'une réalité dévoyée, le PSC s'efforce d'imprimer aux réseaux scolaires deux directions inverses et convergentes, l'une tendant à privatiser l'enseignement officiel, l'autre tendant à publiciser l'enseignement libre. Ces deux mouvements conduisent à une interpénétration du public et du privé, germe d'incohérences, source de discordes et de confusions entre l'intérêt général et les intérêts particuliers.?Le prescrit constitutionnel de l'égalité des écoles libres et officielles devant la loi ou le décret est, non seulement antilaïque, mais encore antidémocratique. Car, dans une saine conception de la démocratie, où l'Etat est à la fois en dehors et au-dessus des institutions privées, fussent-elles religieuses, il ne peut y avoir d'égalité entre les institutions d'Eglise et les institutions d'Etat: les droits, avantages et subsides accordés aux institutions privées ne peuvent en aucun cas aliéner la liberté politique des Pouvoirs publics.?Moins on tolère de liberté politique au sein d'un régime, plus on livre ce régime à l'empire des forces économiques, financières et religieuses.
La politique du PS
La politique actuelle du PS remonte au début des années 70. Elle a pris tournure à l'approche de la révision du pacte scolaire signée le 4 avril 1973. En ce temps-là, les socialistes, prêts à céder aux nouvelles exigences de l'enseignement catholique, mais inquiets du surcoût budgétaire qu'elles allaient entraîner, conçurent l'idée que la fusion de tous les réseaux scolaires était la seule vraie solution pour rationaliser les dépenses d'enseignement.?Dès lors, ils présentèrent le projet de regrouper les multiples institutions d'enseignement libre (libre "laïque", libre catholique, officiel neutre, officiel" à orientation confessionnelle", etc.) en un réseau unique d'écoles, non pas publiques, mais "pluralistes": institutions privées "d'utilité publique", caractérisées par une permissivité idéologique exempte de prosélytisme et régies par des statuts à peine moins libéraux que ceux des ASBL. Projet consistant donc, entre autres, à privatiser les écoles publiques converties purement et simplement en écoles libres subsidiées!?La réalisation de ce projet postulait: l'égalité de traitement entre tous les établissements d'enseignement; une importante décentralisation des réseaux publics, passage obligé pour franchir en douce le cap des privatisations; l'autonomie ainsi que la cohésion du système éducatif assumées par un organe général de gestion - le "Conseil de l'Enseignement pluraliste" - indépendant des pouvoirs politiques et représentatif des diverses tendances philosophiques.?Tel est, très abrégé, le modèle pluraliste d'organisation de l'enseignement, modèle que la critique, tant de droite que de gauche, n'a pas accueilli comme une des grandes trouvailles du présent demi-siècle: l'Eglise et le PSC y opposant la spécificité de l'enseignement catholique, les libéraux y voyant une atteinte à la liberté de l'enseignement, la CGSP-enseignement y résistant pour préserver l'emploi et le caractère public de l'école officielle.?Sans pour autant renoncer à l'école pluraliste comme "idéal" (sic) à poursuivre, les socialistes se rabattirent alors sur une formule intermédiaire susceptible de rallier les catholiques, soit: un système scolaire ramené à deux grands réseaux, le confessionnel et le non-confessionnel, coiffés d'un dispositif commun de gestion concertée entre eux sur la base d'un même décentralisme fonctionnel et géographique. Formule visant notamment: à rentabiliser les moyens budgétaires par la collaboration interréseaux; à pressurer les réseaux officiels par la voie de fusions; à préparer le glissement du public au privé "d'utilité publique" par l'autonomie de gestion et par l'abandon du référentiel libre/officiel.?Cette formule qui recueille aujourd'hui la pleine adhésion des sociaux-chrétiens (et pour cause!), est le fil conducteur de la politique suivie par le cabinet Onkelinkx, héritier du plan Busquin-Di Rupo.?Voilà pourquoi, sur l'initiative du PS lui-même, l'école publique se trouve toujours plus démantelée, toujours plus dénaturée, toujours plus privatisée. Voilà aussi pourquoi l'école catholique se voit reconnaître officiellement un pouvoir de codécision, sans cesse accru, dans la détermination de la politique générale de l'enseignement. Et ce, sous prétexte de "paix scolaire"!?Au fond, nous touchons ici, une nouvelle fois, à un problème de régime: en effaçant la frontière entre le libre et l'officiel, les socialistes évacuent la distinction public/privé, qui a été un des buts essentiels de la Révolution française. Ce faisant, ils sapent le fondement même de la laïcité et de la démocratie. A les entendre, le conflit clérical/laïque est périmé. Chacun sait que cet argument est un indiscutable déni de réalité? A force de nier l'adversaire, on finit par lui donner la victoire.
La politique de la Communauté française en tant qu'institution
Cette politique met le comble aux difficultés de l'enseignement officiel. "Nous avons sauvé la Communauté française" répètent sans arrêt Jean-Claude Van Cauwenberghe et Laurette Onkelinkx, à la grande satisfaction d'ailleurs de Louis Michel. Rien n'est moins sûr toutefois. Car il ne faut pas oublier que la Communauté française est et reste: soumise à la politique des enveloppes budgétaires, c'est-à-dire à un régime spécial d'autonomie de gestion d'un budget rigide et insuffisant d'origine essentiellement fédérale; sous-financée, par suite d'in profond désaccord politique sur les composantes régionales et/ou communautaires de l'Etat belge; dépourvue de ressources vraiment propres, privée d'un pouvoir fiscal effectif, parce qu'il lui manque, en région bruxelloise, les deux propriétés constitutives de n'importe quel Etat, à savoir un territoire délimité et une population recensée.?Sous perfusion financière permanente, la Communauté française ne peut réagir efficacement en présence de quelque difficulté. Livrée à elle-même, elle ne peut faire face à une dépense nouvelle. Réduite à une telle impuissance, elle n'a guère de chance de durer: bref, elle n'est pas viable.?Reste que, à l'instar de toute institution, la Communauté française tente d'assurer sa pérennité. Pour subsister, elle réduit ses dépenses et revend son patrimoine, notamment en se débarrassant de l'école officielle comme service public d'éducation. Elle a déjà revendu des bâtiments scolaires pour une valeur de quarante milliards. On atteint ici le summum de l'absurdité: la Communauté française survit au prix de la destruction des services publics qui relèvent de sa compétence et tout spécialement du réseau d'écoles dont elle a la charge!?Si la Communauté française en est là, c'est parce que, du point de vue institutionnel, elle ne repose sur aucun des fondements nécessaires à l'exercice d'un vrai pouvoir. Sans autonomie de recettes, elle n'a pas d'autre choix que de retirer aux uns ce qu'elle donne aux autres. Sans population ni territoire déterminés à Bruxelles, elle est inapte à exercer les compétences fondamentales de tout Etat fédéré, telles que la fiscalité, l'administration et l'aménagement du territoire, la protection de l'environnement, l'utilisation des ressources naturelles, etc.?Finissons-en avec ce pseudo- pouvoir public. D'ailleurs tous les exemples historiques de communautés institutionnalisées ont échoué. La Communauté française est une fausse entité fédérée, tout juste bonne à être enterrée dans le cimetière des illusions institutionnelles.
Que faire? Si l'état des lieux exposé ici est une description fidèle à la réalité, alors les remèdes qui s'imposent aux citoyens tant progressistes que laïques et démocrates sont les suivants: reconstituer une véritable gauche parlementaire en recréant un socialisme digne de ce nom; laïciser l'Etat en le séparant nettement des Eglises quelles qu'elles soient; redonner une authentique liberté politique aux Pouvoirs publics, en les soustrayant à l'emprise de la pensée unique et des puissances d'argent; sauver la démocratie en lui rendant ses outils de redistribution, entre autres les services publics; restaurer l'Ecole publique en la régionalisant. Sans ce virage indispensable, la politique droitière des coalitions qui nous gouvernement précipitera le mouvement vers une société et une école encore plus duales.