L'Art wallon n'existerait pas
Le mot « wallon » suppose un peuple et un territoire. Parler d'art wallon revient à se demander quels rapports existent entre la création artistique et l'État, l'économique, le social et le politique, entre l'art et non pas son public, mais une population, l'art et l'identité sociale, toutes choses qui aujourd'hui sont refoulées de manière assez générale. Comment l'art contient-il (au niveau sens, contenu, assemblage des formes et figures, structuration visuelle, matières - matériaux - supports et contextes de présentation), les relations sociales, indifférentes, consensuelles et conflictuelles, entretenues entre divers groupes sociaux, à l'intérieur de la limite définie par une Histoire commune? Acceptée ou non, même si les conséquences sont différentes pour les personnes et les groupes, cette Histoire est la même pour tout le monde. Parler d'art wallon revient à chercher et à comprendre comment l'histoire commune se marque dans les oeuvres, comment ce fond formel commun permettrait à l'art wallon de représenter du contrat social et du projet wallon, puisque la création artistique stimule et justifie le projet de société des classes dominantes ou en voie de l'être et restitue les tensions de déséquilibre et de rééquilibrage social et économique de la société-époque dans la quelle il est produit, ce que montre la sociologie et l'histoire de l'art. Il faut chercher à comprendre les rapports de symbolisation et d'influence qui existent entre la création artistique et les procédures de prise de décision collective et leur dimension économique.
Le décor
En Wallonie, le marché de l'art est inexistant. Une large demande artistique de la part de la population n'existe pas. La preuve en est le peu d'artistes vivant exclusivement de leur art. N'y en aurait-il qu'un que cela ne changerait rien! La philosophie du marché de l'art étant la rareté (et la spéculation), celui-ci n'a aucun intérêt à développer un large marché. Et en toute logique aucun intérêt à générer un plein emploi artistique ni à susciter le développement culturel qui le permettrait. L'État pourrait installer le cadre de ce développement culturel de la population, comme il le fait pour d'autres produits. Mais son action se borne à entériner les choix du marché qui sont ceux des groupes sociaux capables d'acheter et de la grande Finance. En optant pour cette philosophie de la rareté il doit en toute logique s'abstenir de développer le plein emploi artistique et, en conséquence, s'abstenir d'assurer le développement culturel territorial de la population. Cette contradiction, dans une société démocratique, devient à terme insoutenable.
Au niveau politique, ou bien on décide d'un projet de développement artistique territorial, ce qui est en contradiction avec la liberté du marché, ou bien on décide de maintenir la rareté marchande, ce qui est en contradiction avec la responsabilité culturelle d'un État moderne démocratique. Dans les deux situations seul un discours de langue de bois est possible. Un autre scénario existe (un contrat d'avenir?) : une action volontaire de développement culturel et artistique de la population décidée conjointement par l'État, le Marché et l'Associatif de manière complémentaire. Mais l'État wallon n'a aucune compétence culturelle...
D'une dérive antidémocratique possible
À la fin du 20e siècle, au niveau de l'art, la Wallonie est en retard. C'est logique puisqu'elle n'était pas un État et qu'en Occident capitaliste, l'État prit la responsabilité d'entretenir et de porter l'art dit contemporain, se reconnaissant dans sa logique d'exclusivité. Le mot "contemporain" est signifiant. Qui n'est pas contemporain est hors du temps et qui est hors du temps présent n'a donc pas le droit de participer aux décisions qui concernent la société-époque présente puisqu'il n'en fait pas partie! Nous sommes passés d'un art de la distinction sociale à un art de l'exclusion de la quasi-totalité de la population. Toute création autre que la sienne, tout autre public que le sien est ringard: en conclusion de quoi la population est incapable de décisions cohérentes et adaptées.
La liberté d'expression artistique ne se situe plus dans le contenu ou la forme des œuvres. Aujourd'hui, tout est permis par le Marché et l'institution. La liberté d'expression pour un artiste réside dans l'accès aux lieux d'exposition. Or les propriétaires de ceux-ci ne sont pas les artistes. Le marché qui devrait être le médiateur entre les artistes et leur public opère une présélection qu'entérine l'État. Ce que choisit de montrer un organisateur d'exposition marchande ou de spectacles doit lui conférer - ou ne pas contredire son image de marque. De ce fait les propositions artistiques doivent, pour être sélectionnées, correspondre à cette image. Ce comportement normal n'enlève rien à la qualité des oeuvres montrées. Mais puisque seuls les organisateurs-propriétaires ont cette possibilité, peu importe le contenu et la forme des œuvres : plus elles sont de qualité plus elles renforcent la logique de l'exclusion. La liberté d'expression individuelle de l'artiste et de la population suppose un accès libre aux lieux des expositions avec les moyens de présentation adaptés.
L'art contemporain a pour logique l'innovation permanente. La succession d'innovations annule les innovations les unes après les autres. L'innovation remplace la singularité, les singularités n'étant plus contemporaines les unes des autres, la diversité des différences et inégalités n'est plus un fait contemporain. L'innovation occulte l'existence de l'inégalité socioculturelle et sociale des citoyens. Le cycle de la création comprend quatre moments: l'innovation (l'avant-garde), sa diversification (diversité entre et dans les genres et styles), son application (enseignement, environnement, discours médiatique) et enfin son appropriation par l'ensemble de la population (éducation permanente, loisirs, outils commercialisés). Une innovation chassant l'autre, le cycle s'arrête là. Sans application, cela reste un luxe de privilégiés qui concentrent les pouvoirs culturels, financiers, politiques. La population ne peut s'approprier le phénomène de création. Celui-ci est transcendance (dynamique de dépassement de soi), symbolisation (capacité à mobiliser l'énergie collective des individus pour porter ou défendre un projet à profit collectif), et image de soi (sans quoi un individu ou un groupe est incapable de porter un projet à son profit, ce qu'a démontré la psychologie). Résultat: la population ne s'appropriant pas la création ne peut porter un projet à son profit.
Il ne faut pas s'illusionner sur la fonction muséale. De même qu'il faut un fond-or, la couverture publique de la Banque Nationale, pour que s'organise la circulation du capital et la spéculation privée, il faut la réserve fixe du musée pour que puisse fonctionner l'échange-signe des tableaux. Le musée joue le rôle des banques dans l'économie de la peinture disait déjà Baudrillard dans les années 60. Ce n'est pas la banque européenne et l'EURO qui ont modifié ce système. Choisissant dans ce qui se fait en amont de lui, le musée ne génère pas un large emploi artistique en aval de lui. Il met en valeur des procédures créatives qui, ne pouvant être ni appropriées ni démocratisées, enclenchent la frustration et entérinent l'infériorité sociale de la population.
La logique de l'art contemporain est celle de la transgression. C'est l'État, aujourd'hui, pourtant garant de la Règle, qui donne l' exemple de la transgression. Cela revient à dire - la transgression contemporaine coïncidant avec l'exclusion des ringards - que celui qui respecte la règle collectivement décidée est un ringard, un manquant de créativité et une bête personne incapable de gagner, de s'en sortir et qui se fait rouler. L'État démocratique déprécie, ridiculise et nie donc le fonctionnement démocratique.
Le développement de l'art contemporain coïncide avec le déclin de la démocratie qu'il justifie. Ce n'est peut être pas un hasard dès lors que l'enjeu politique contemporain soit la mise en place de ce qui permettra l'amélioration démocratique d'une société de pacte social. Ce n'est pas la transgression qui va permettre la chose. L'histoire a montré qu'à la suite de sa victoire, elle n'a fait que reproduire les mécanismes autoritaires qu'elle disait transgresser. Un autre scénario veut qu'elle demeure en position de critique permanente. En laissant ainsi l'autorité agir, elle se met en situation de pouvoir continuer à transgresser. La transgression ainsi justifiée se met en position de vérité permanente mais entraînant une déresponsabilisation et la démobilisation citoyenne.
L'enjeu démocratique contemporain est la définition collective des règles. L'art moderne ne reproduit pas la réalité, il produit de la réalité. Comment l'art peut-il, non pas illustrer ou profiter de la démocratie, mais produire de la démocratie? Comment une création artistique peut-elle stimuler, accompagner ou justifier une prise de décision collective y compris ses évaluations, rectifications, contrôles d'application de ces règles, ce qui est diffèrent comme fonction et donc comme procédures de celles d'un art de la transgression, privilège et sécurité d'une minorité?
L'art comme métaphore d'une prise de décision collective
Les sciences humaines ont montré que ce sont les groupes sociaux qui créent, même si ce sont les artistes individuellement qui réalisent. Elles ont montré aussi que la culture est la capacité de structuration du social d'une société, d'un groupe, d'une personne, d'une population. L'art est reflet (et symptôme réaliste), il peut être la dynamique stimulante de cette capacité.
Pour qu'un art existe, il faut qu'il y ait système d'élaboration. Celui-ci relève des capacités de l'artiste, mais il faut aussi un système de production et des moyens de production reproduits grâce au système de distribution. Généralement, ni l'artiste ni la population ne contrôlent ces deux systèmes. Une démocratisation de l'art suppose l'accès de tous les groupes sociaux aux moyens de production-distribution de l'art, un large marché de l'art et un plein emploi artistique. Cela suppose un choix politique et un retournement idéologique. En effet si la population est capable d'art elle est aussi capable de structurer le social à son profit. Cela suppose d'installer des procédures de participation dans la création mais aussi dans la politique et dans l'entreprise.
La Wallonie a été dite, dans tous les commentaires, en manque d'identité. Il paraissait essentiel d'y susciter le développement d'un art de l'identité sociale afin de rendre une dynamique politique à la population. Ce qui n'a rien à voir avec un art de terroir. Comme ce sont les artistes qui font les « images », installer la possibilité d'un contrat de création directe entre la population et ses artistes est nécessaire, mais incompatible avec la logique contemporaine de rareté et de transgression.
Le danger en Wallonie réside dans le fait que la Techno-bureaucratie concentrant en elle tous les pouvoirs, remplaçant une Finance absente, devenue la Finance wallonne via l'argent public, devant accueillir les investisseurs, se conformer ou adopter par osmose leur logique, ayant la compétence technique et politique, remplaçant un mouvement social défait, affirmant protéger le peuple des dérives autoritaires ... est devenue l'unique et seule force qui représente toute la population. Elle est le peuple et la finance, d'où le risque qu'elle ne devienne autoritaire et passe un contrat d'avenir elle avec elle-même.
Une création artistique restituant une symbolisation du lien institutionnel de la population à ses pouvoirs, ceux de ses représentants et les siens propres, justifie des procédures citoyennes de participation aux décisions politiques. Ce qui n'a pas été contemporain de la logique progressive de l'installation du pouvoir wallon. L'option identitaire supposant un large Marché et un plein emploi artistique ne pouvait s'installer puisque contraire à la philosophie du marché libre qui est devenue celle de l'Europe où doit s'inscrire la Wallonie.
Dans les années 1965-81, un art contemporain-progressiste reprenait ces options. Le mouvement wallon ne s'y est pas reconnu et n'a pas soutenu ces orientations. Choisissant la voie ^parlementaire pour lutter et obtenir le fédéralisme, il ne pouvait faire cela qu'à l'intérieur du système de la représentation. Soutenir et comprendre un art de la participation en froid avec les institutions classiques lui était impossible sauf à annuler lui-même son projet fédéraliste. Les artistes de la participation ne pouvaient s'engager dans le mouvement wallon dès lors que son consentement à la démocratie parlementaire le rendait antagoniste de leur travail. Le mouvement wallon n'a donc jamais fait l'analyse de la création comme système de production-distribution. Il ne pouvait concevoir une transition artistique et culturelle de participation pas plus que le mouvement progressiste-alternatif n'a pu élaborer de théorie et des procédures politiques de transition. Par ce manque, la dynamique progressiste wallonne souscrivait à la logique néolibérale du faux « tout est permis en art » et à la symbolisation d'une population qui est incapable de décider.
Vouloir un art wallon demandait de quitter la notion de public pour celle de population, d'admettre le conflit social interne. Généralement, ce qui est réclamé est la liberté de la création artistique avec cette confusion: réclamer son autonomie c'est faire oublier qu'actuellement ce n'est pas l'art qui est autonome et sûrement pas l'artiste. Ce sont les experts et organisateurs (protégés) de manifestations artistiques de spectacles ou marchandes. L'art qu'ils mettent en avant, reflet de leur autonomie, confirme et justifie la place dominante de la Techno-bureaucratie, autonome elle aussi, puisqu'elle dirige sans devoir faire référence démocratiquement à la population. Ce qui fait peur (à un certain conformisme se croyant libéral), dans un contrat d'avenir de création entre l'État et les artistes, ce n'est pas que les artistes soient inféodés: ils le sont déjà via la nécessité de vivre de leur art . Ce qui fait peur c'est que que les experts et organisateurs eux ne seraient plus autonomes. Ils auraient des comptes à rendre à la population.
Pourtant une autonomie de la création ne peut se concevoir que dans un rapport direct de la population et des artistes. Pour créer, l'artiste doit obtenir ces moyens de production, privés ou publics. Pour ce faire, il se censure ou correspond à la censure souhaitée de la réalité (l'histoire des années 80 et de la possibilité d'un art wallon est assez explicite à ce sujet). S'il veut faire ce qu'il veut, il le peut, mais n'aura pas accès aux lieux de distribution. Dans un cas comme dans l'autre, la population aura d'elle une image tronquée ou pas d'image du tout de sa réalité. Elle n'aura pas de symbolique adaptée à son vécu, pas d'identité sociale dans sa société-époque. Et sans image de soi dynamique et objective, pas moyen de porter un projet à son profit. Enlever la définition de l'art aux artistes pour la donner aux experts, c'est en fait enlever à la population sa capacité de s'approprier art et politique.
Bien entendu, on peut estimer qu'art et politique n'ont rien de commun, que l'art c'est l'art et rien d'autre, qu'il ne fait pas partie d'une culture dominante, que cette culture ne domine pas et ne structure pas les comportements et les mentalités, que la mentalité n'est pas l'ensemble des concepts relationnels issus du consensus social localisé, qu'il n'y a pas d'art wallon.
Il n'y pas d'art wallon!
Lorsqu'on visite le musée de l'art wallon à Liège, on se rend compte de certaines spécificités de la peinture wallonne récurrentes au travers les époques. Notamment la manière de traiter la lumière. La dominante rougeâtre se répartit de manière quasi identique en fait d'intensité, atténuant les séparations des plans de profondeurs, des différentes figures représentées. Une apparence floue recouvre l'ensemble du tableau. On peut certes penser à la métallurgie, évidemment existant très tôt en Wallonie. Cette atténuation des formes et du contour se retrouvent dans la manière d'organiser la surface peinte de la toile. Celle-ci se fait directement dans la manipulation de la matière/couleur. C'est de cette manipulation qu'émanent la répartition et les vibrations des couleurs et ensuite les traits.
On retrouve cette manière de faire au 17e siècle, puis chez Defrance à la fin du 18e siècle, chez Meunier au 19e siècle , dans les peintures de personnages de Rassinfosse, dans les paysages de Donnay ou Paulus, chez les intimistes verviétois. Elle se prolonge aujourd'hui dans la BD originale avec Hislaire dans Sambre, dans le grisé omniprésent des pages figuratives de Servais. On retrouve aussi cette mise en couleur dans le cinéma des frères Dardenne, d'Andrien, de Bonmariage.
Ce n'est pas en peignant en « rouge fumée » que, bien sûr, le « redressement wallon » allait s'opérer. Cependant, ces analogies attestent de l'existence d'un fond formel commun à la création artistique produite en Wallonie. La question à se poser est: qu'est-ce que produit le travail de ce fond commun formel dans un art de la participation comme stimulant symbolique à un projet collectif et comme symbolisation des liens d'un contrat d'avenir?
(On retrouve cette même manière de mettre la couleur chez Folon qui est devenu progressivement l'artiste quasi officiel de la Wallonie puisqu'il est depuis longtemps de presque toutes les campagnes de communication, du Festival de Wallonie à la campagne pour la qualité de l'air. Cette analogie de facture plastique n'altère en rien ni les genres ni les spécificité créatives personnelles. Ce qui importe ce n'est pas la spécificité de cet aspect formel, mais le phénomène analogique répétitif attestant de l'existence d'une matrice formelle collective. Et en quoi le travail de cette matrice formelle collective sert une dynamique de reconstruction identitaire et de prise de décision participative.)
Dans cette visite à Liège, on découvre aussi une œuvre de grand format où un centaure prend toute la place et où une montagne peinte à la Cézanne n'occupe que 10% du tableau. Ici aussi on peignait comme Cézanne, mais vu la contrainte culturelle des commandes, la recherche menée par un Cézanne ne fut pas ici possible. Ce dernier, grâce à un père banquier qui lui allouait une rente confortable, a pu quasi toute sa vie essayer de peindre la même montagne pour inventer l'art moderne. Cela n'enlève rien à l'oeuvre de Cézanne ni le fait que les toiles des artistes wallons montrent fréquemment cet élan moderne bloqué. Parler d'art wallon, c'est reconnaître les carences esthétiques dues à la faiblesse, à l'absence, à la configuration du système de production de l'art en Wallonie. La spécificité originale-originaire d'un art wallon se trouve dans la conjugaison de ces effets dûs à la carence du système de production artistique wallon et au fond formel commun de l'histoire wallonne et non pas dans l'âme d'un terroir.
L'art wallon est sub-culturel
L'art wallon est un art dominé, sous-culturel, sub-culturel. L'art wallon participe des grands courants, mais se reconnaissant sous-culturel, dépendant d'une culture plus vaste, plus forte il se reconnaît dominé. Art périphérique, il indique ce que la culture dominante nie et cache, à savoir qu'elle empêche une réappropriation de l'Art et de la création par les peuples. Le « centre » l'interdit.
Le centre se trouve face à son non-dit. Ce non-dit permet de maintenir la cohérence sociale à son profit. Pour ne pas être déstructuré par le retour de son refoulé, il doit taire les particularités esthétiques, ne pas en expliquer les faiblesses (ignorer les avancées scientifiques des sciences humaines et historiques et refuser l'analyse de l'art dans sa dimension collective). Le non-dit du centre, moteur de la culture dominante, imposé à l'ensemble de la nation est devenu le non-dit collectif. Quiconque réclamera son autonomie politique, comme l'a fait la Wallonie, devra affronter ce non-dit collectif et rompre le silence, affronter sa propre existence. Se détacher du centre c'est s'affronter soi-même, au conflit interne wallon-wallon. Une autonomie wallonne redéfinie demande au préalable une réconciliation interne. Un Art wallon ne pourrait que s'engager dans une représentation du conflit localisé où il faudra bien affronter la guerre civile larvée entre classes sociales, entre catholique-laïques, entre ruraux industrieux-urbains, riches et pauvres, culture et commerce, etc.
L'exemple du cinéma
Cette option semble avoir été prise par le cinéma wallon, mais il ne se dit pas wallon. Il a reçu des prix internationaux. Si cela est une preuve de qualité, ces prix dispensent l'industrie cinématographique internationale de produire le genre à grande échelle. Un pays petit fait de la sous-traitance. Le système de production-distribution artistique international permet que la chose existe. L'oeuvre sera distribuée mais sa pratique d'élaboration ne sera pas démultipliée. La production restant restreinte, elle devient unique confirmant le système de la rareté. Les oeuvres acceptées dans l'aura cultivée de la reconnaissance, comme il en va pour les autres arts moins médiatisés, sont ainsi retirées du monde social et leur efficacité socioculturelle et collective sur le spectateur sont annulées. Le public ne va plus au spectacle pour voir la représentation d'une situation, en devenir conscient et trouver la symbolisation régénératrice lui permettant d'agir dessus. Il ira au spectacle voir comment un artiste traite de manière originale cette situation pour pouvoir en discourir, se distinguer et vivre un moment fusionnel intense avec un artiste. La culture illustre le social mais ne l'agit plus.
Vouloir un art wallon suppose de rendre la création, en tant que représentation du conflit interne, de plus en plus localisée, pour qu'elle ait une efficacité de reconstruction identitaire de plus en plus évidente sur la population et sur l'installation d'un échange égalitaire sur le territoire wallon et avec l'extérieur. Pour ce faire, ce n'est plus seulement une distribution de spectacles pré-réalisés qui sont nécessaires, mais l'accès aux moyens de production et d'élaboration artistique, localement. Ce qui réorienterait les profits du système de production artistique en termes de développement. Il y a développement lorsque les profits demeurent là où il y a production et travail. Pour pouvoir redéfinir ultérieurement le re-développement, l'affectation des profits. Les profits socioculturels de la création retourneraient ainsi à son modèle ou son pré-texte: la Population.
Si nombre d'artistes veulent la chose et l'expérimentent de manière non consciente ou restreinte, le système de production ne les autorisent pas à faire plus et mieux. Le rôle de l'État wallon ne serait plus de sélectionner mais d'organiser l'accès à la production, d'autoriser un contrat de création direct entre artistes et population, de permettre la circulation des créations et des artistes sur le territoire - avec ou sans le marché de l'art - mais que le cadre structurel existe. Agir en connaissance de cause - déficit culturel et identitaire - ne veut pas dire ne pas avoir confiance dans sa population mais être réaliste.
Le réalisme est un peu démodé en art, la confiance dans la population un peu démodée en politique, mais l'intention de la vie mélange les codes et le mélange des codes invente la vie! Un art de participation n'est pas irréaliste. Il peut stimuler l'énergie collective, sensible, cognitive des individus et des groupes et de mobiliser à la redéfinition collective du contrat social d'avenir
La Wallonie ne peut définir l'art dominant ni avoir un art riche. Tout au plus quelques produits et artistes pourraient satisfaire la clientèle cultivée de luxe internationale. Mais la Wallonie peut aussi s'engager politiquement sur le fait de vouloir que soit redéfinie une autre affectation et redistribution des richesses en Europe et au plan mondial. Un contrat d'avenir. L'art est innovant, pas seulement quand le pays est riche mais aussi quand il accompagne un moment de rupture sociale, politique ou économique, un projet de société, et qu'il est porté par une force politique. Il ne s'agit pas d'illustrer (un projet électoral) ni un repli (wallon) sur soi puisque les éléments sub-culturels travaillés sont capables de symboliser et dynamiser du contrat social et du projet de société, donc de la relation et de l'échange, de justifier la renégociation d'un échange égalitaire. De plus le dépassement d'une société de pacte social ne peut s'engager que vers plus de démocratie et dans la voie de plus de participation citoyenne et donc avec, par et pour un art y correspondant. Parler d'art wallon en termes sub-culturels semble, vu l'histoire et la situation wallonne actuelle, une alternative crédible.
Nous sommes cependant ici encore, dans le cycle de la création, au stade de l'innovation. On revient à la case départ. Qui finance et pour quel profit, qui contrôle le cycle de la création donc qui décide du bien-fondé d'une innovation? Mais la vraie question se pose non seulement chez les artistes, mais politiquement au-delà du discours critique ou universaliste sur l'art.