L'aveu d'impuissance de la Communauté française de Belgique

Toudi annuel n°7, 1992

Thierry Haumont

Un de nos très grands écrivains

La teneur des discours prononcés lors de la fête de la Communauté française de ­Belgique et de l'appel lancé par des intellectuels en faveur de cette ­institution a été ressentie, par les démocrates wallons, comme une insulte. Je­ voudrais dire pourquoi.

Rappelons quelques faits. Cette communauté ne résulte pas de la volonté des­ Wallons et des Bruxellois francophones de mettre en commun une partie du « pot » ­des compétences fédérales; elle n'a étéque le pendant institutionnel obligé de ­la Communauté flamande qui était, elle, une exigence de tous les Flamands.

Nous nous sommes donc retrouvés avec une institution que nous n'avions pas désirée. A l'époque, la revendication fédéraliste wallonne était très­ partiellement rencontrée par la création de la Région; Bruxelles vivait de ­façon inconstitutionnelle, puisque, malgré les textes de la loi fondamentale,­elle n'était pas reconnue en tant que région. Et la Communauté française? On ­allait voir.

On a vu. Elle a si bien repris l'idéologie belge qu'elle a été immédiatement­ perçue, en Wallonie, comme une institution nationale - française dans la ­langue, certes, mais belgo-belge dans l'esprit. Sur le terrain, elle se­ développa principalement selon deux axes: d'une part, la constitution de sa­"vitrine", en désignant deux porte-drapeau, Hergé, père d'un héros asexué (tout ­un symbole), et Brel, chantre de la Flandre; d'autre part, la promotion du­ concept de la belgitude, devenue au fil du temps une célébration de la­ déshistoire, du vide, et un slogan de l'unitarisme conservateur.

Pendant ce­ temps, la Wallonie continuait à se penser en termes de société.

Il y a, dans les discours et dans le manifeste, des considérations ­inacceptables. Le manifeste: comment des penseurs, des philosophes ont-ils pu signer par exemple un texte assurant que « la vison qu'induit la langue ­française est fille de la Déclaration universelle des droits de l'homme? » Cela ­veut-il dire que cette déclaration ne pouvait être produite que par des gens de langue française? Ou que la langue française est idéologiquement supérieure­ aux autres? Nous, nous disons que la Déclaration aurait pu être conçue dans ­n'importe quelle langue du monde; et nous n'oublions pas qu'un Le Pen, par­ exemple, pense et s'exprime en français. Qu'avons-nous à faire, nous démocrates wallons, défenseurs de toujours et sans ambiguïté de la langue française, de­ cette vision impérialiste? N'avons-nous pas suffisamment souffert de cette­ conception erronée, que d'autres ont formulée ainsi: « De taal is gans het­volk? »

L'argument a été repris dans les discours du 27 septembre. Les partisans de la ­Communauté française, oseront-ils être conséquents avec eux-mêmes, et réclamer­ d'urgence l'intégration de la Wallonie et de Bruxelles à la France, unies dans ­le même « ciment »? Ou la rejetteront-ils?

Mais alors ils ne pourront le faire qu'en introduisant l'argument d'une­ spécificité belge propre à nos régions.

Coucou, revoici l'idéologie belge, et l'aveu qu'au fond il ne peut y avoir de ­véritable communauté française.

Il est symptomatique que dans le manifeste, le mot Wallonie n'apparaisse qu'une ­seule fois; et associé, selon le mode belge traditionnel, à un terme de mépris­- les discours ont été plus tranchants encore.

Pourquoi s'obstiner encore à brandir le spectre du repli wallon, au moment où ­la Wallonie se dégage de l'étouffoir belge, s'ouvre sur le monde, se veut­ européenne, exige de pouvoir conclure des traités internationaux, désire­ maîtriser son enseignement et sa culture pour échapper à la déshistoire dans ­laquelle on voudrait la maintenir?

A ce propos, autre erreur du manifeste: ce n'est pas la Flandre qui aurait ­poussé la Wallonie au repli, c'est, historiquement, la Belgique.

Quelle foi peut-on avoir dans une institution qui, pour garantir son existence,­se sent obligée - et lors d'une fête! - de clamer à la face d'un peuple (trois­-quarts des francophones du pays) qu'il n'a pas d'art, qu'il n'a pas de culture,­qu'il n'a pas de langue?

Une primeur, assurément, dans l'histoire des institutions de pays « libres »; une­ honte de plus pour la communauté française de Belgique. Celle-ci ne veut pas­ voir que la Wallonie a un projet de société. Est-ce de notre faute si Bruxelles­ n'en a pas encore?

Le Manifeste pour la culture wallonne affichait lui, sans ambiguïté, ses choix­ démocratiques: « Sont de Wallonie tous ceux qui y vivent ». Sans distinction de­ langue.

Et les partisans de l'autonomie wallonne n'ont jamais fait mystère qu'un de ­leurs objectifs prioritaires était l'établissement avec Bruxelles de liens ­privilégiés.

Et ils n'ont pas attendu certaines opportunités politiques pour oeuvrer dans la ­défense de la langue française.

La Wallonie n'est pas une menace pour les francophones de Bruxelles.

Elle n'est une menace que pour l'intolérance et la petitesse d'esprit.

Ce texte est la reproduction d'une « carte blanche » parue dans Le Soir­ du 4 octobre 1989, texte qui fait suite au Manifeste pour la Communauté française du 15-09-89 et aux ­déclarations d'Yvan Ylieff le 27-09-89 suivant lesquelles la Wallonie n'a ni­ langue, ni art, ni culture,