L'aveu d'impuissance de la Communauté française de Belgique
La teneur des discours prononcés lors de la fête de la Communauté française de Belgique et de l'appel lancé par des intellectuels en faveur de cette institution a été ressentie, par les démocrates wallons, comme une insulte. Je voudrais dire pourquoi.
Rappelons quelques faits. Cette communauté ne résulte pas de la volonté des Wallons et des Bruxellois francophones de mettre en commun une partie du « pot » des compétences fédérales; elle n'a étéque le pendant institutionnel obligé de la Communauté flamande qui était, elle, une exigence de tous les Flamands.
Nous nous sommes donc retrouvés avec une institution que nous n'avions pas désirée. A l'époque, la revendication fédéraliste wallonne était très partiellement rencontrée par la création de la Région; Bruxelles vivait de façon inconstitutionnelle, puisque, malgré les textes de la loi fondamentale,elle n'était pas reconnue en tant que région. Et la Communauté française? On allait voir.
On a vu. Elle a si bien repris l'idéologie belge qu'elle a été immédiatement perçue, en Wallonie, comme une institution nationale - française dans la langue, certes, mais belgo-belge dans l'esprit. Sur le terrain, elle se développa principalement selon deux axes: d'une part, la constitution de sa"vitrine", en désignant deux porte-drapeau, Hergé, père d'un héros asexué (tout un symbole), et Brel, chantre de la Flandre; d'autre part, la promotion du concept de la belgitude, devenue au fil du temps une célébration de la déshistoire, du vide, et un slogan de l'unitarisme conservateur.
Pendant ce temps, la Wallonie continuait à se penser en termes de société.
Il y a, dans les discours et dans le manifeste, des considérations inacceptables. Le manifeste: comment des penseurs, des philosophes ont-ils pu signer par exemple un texte assurant que « la vison qu'induit la langue française est fille de la Déclaration universelle des droits de l'homme? » Cela veut-il dire que cette déclaration ne pouvait être produite que par des gens de langue française? Ou que la langue française est idéologiquement supérieure aux autres? Nous, nous disons que la Déclaration aurait pu être conçue dans n'importe quelle langue du monde; et nous n'oublions pas qu'un Le Pen, par exemple, pense et s'exprime en français. Qu'avons-nous à faire, nous démocrates wallons, défenseurs de toujours et sans ambiguïté de la langue française, de cette vision impérialiste? N'avons-nous pas suffisamment souffert de cette conception erronée, que d'autres ont formulée ainsi: « De taal is gans hetvolk? »
L'argument a été repris dans les discours du 27 septembre. Les partisans de la Communauté française, oseront-ils être conséquents avec eux-mêmes, et réclamer d'urgence l'intégration de la Wallonie et de Bruxelles à la France, unies dans le même « ciment »? Ou la rejetteront-ils?
Mais alors ils ne pourront le faire qu'en introduisant l'argument d'une spécificité belge propre à nos régions.
Coucou, revoici l'idéologie belge, et l'aveu qu'au fond il ne peut y avoir de véritable communauté française.
Il est symptomatique que dans le manifeste, le mot Wallonie n'apparaisse qu'une seule fois; et associé, selon le mode belge traditionnel, à un terme de mépris- les discours ont été plus tranchants encore.
Pourquoi s'obstiner encore à brandir le spectre du repli wallon, au moment où la Wallonie se dégage de l'étouffoir belge, s'ouvre sur le monde, se veut européenne, exige de pouvoir conclure des traités internationaux, désire maîtriser son enseignement et sa culture pour échapper à la déshistoire dans laquelle on voudrait la maintenir?
A ce propos, autre erreur du manifeste: ce n'est pas la Flandre qui aurait poussé la Wallonie au repli, c'est, historiquement, la Belgique.
Quelle foi peut-on avoir dans une institution qui, pour garantir son existence,se sent obligée - et lors d'une fête! - de clamer à la face d'un peuple (trois-quarts des francophones du pays) qu'il n'a pas d'art, qu'il n'a pas de culture,qu'il n'a pas de langue?
Une primeur, assurément, dans l'histoire des institutions de pays « libres »; une honte de plus pour la communauté française de Belgique. Celle-ci ne veut pas voir que la Wallonie a un projet de société. Est-ce de notre faute si Bruxelles n'en a pas encore?
Le Manifeste pour la culture wallonne affichait lui, sans ambiguïté, ses choix démocratiques: « Sont de Wallonie tous ceux qui y vivent ». Sans distinction de langue.
Et les partisans de l'autonomie wallonne n'ont jamais fait mystère qu'un de leurs objectifs prioritaires était l'établissement avec Bruxelles de liens privilégiés.
Et ils n'ont pas attendu certaines opportunités politiques pour oeuvrer dans la défense de la langue française.
La Wallonie n'est pas une menace pour les francophones de Bruxelles.
Elle n'est une menace que pour l'intolérance et la petitesse d'esprit.
Ce texte est la reproduction d'une « carte blanche » parue dans Le Soir du 4 octobre 1989, texte qui fait suite au Manifeste pour la Communauté française du 15-09-89 et aux déclarations d'Yvan Ylieff le 27-09-89 suivant lesquelles la Wallonie n'a ni langue, ni art, ni culture,