Le Boerenbond: toute la Flandre et... même plus (*)
Ce dossier sur le Boerenbond - dont le nom officiel est « Belgische Boerenbond »: nous l'appellerons pour la commodité « BB » - s'ouvre sur une introduction historique qui manque à notre avis, aux principaux dossiers réalisés jusqu'ici sur le BB.
D'où vient le Boerenbond?
La Belgique repose depuis 1830 sur l'union de deux fractions de la bourgeoisie,l'une de tendance libérale, l'autre de tendance catholique (c'est capital: le BB n'est pas seulement « chrétien », il est vraiment une organisation de l'Eglise). Ces deux fractions se sont unies pour présider à la construction de l'Etat belge - d'où « L'union fait la force » - au moins jusqu'en 1846. A cette date et jusqu'en 1884, vont surtout dominer les libéraux, maîtres de la plupart des coalitions gouvernementales. Les libéraux, dans le corps électoral censitaire, sont toujours majoritaires en Wallonie (les catholiques le sont toujours en Flandre). Derrière les libéraux, il y a une bourgeoisie industrielle surtout wallonne qui désire faire de la Belgique un Etat détaché de l'emprise de l'Eglise et francophone. Or, en 1884, les libéraux vont perdre définitivement leur influence. Cela intéresse directement notre propos. Ils vont perdre leur influence car ils se sont aliéné la société civile restée grandement attachée à la religion catholique, et cela à cause de la férocité de la guerre scolaire qu'ils ont menée (jusqu'à rompre avec le Vatican). De plus, face à la dure crise agricole européenne et belge devant les produits d'une agriculture américaine qui s'est modernisée plus tôt, ils ne veulent pas prendre des mesures protectionnistes (au nom du principe « Laissez-faire,laissez-passer »). Pirenne, pourtant proche des libéraux, souligne le fait qu'ils s'aliènent la société au début des années 1880. Lorsque les catholiques reprennent le pouvoir, ils vont créer le ministère de l'agriculture, prendre des mesures économiques et sociales relativement interventionnistes. Par ailleurs, les catholiques belges veulent garder leur emprise sur la société mais par des moyens qui ne sont pas contraires aux idées libérales ou démocratiques. Ils veulent conserver leur influence par l'enseignement notamment et par un réseau d'oeuvres allant du mouvement de jeunesse à l'organisation syndicale en passant par les mutuelles. Le Boerenbond s'inscrit dans cette stratégie. Il est créé en 1890 par G. Helleputte. C'est à Louvain (Leuven) que le BB s'installe, y créant d'ailleurs une section wallonne qui n'aura guère de succès. Cet insuccès du BB en Wallonie dès les débuts mériterait d'être interrogé. Contentons-nous de le constater. Voyons surtout ce que signifie le BB en Flandre. Rapidement il va s'imposer, non pas seulement comme une organisation syndicale mais aussi comme une structure d'encadrement de toute l'agriculture flamande: encadrement financier, industriel en même temps que politique (lien avec le Parti Catholique) et religieux (on peut être exclu du BB si l'on remplit mal ses devoirs religieux: est-ce là la raison du peu de succès du BB en Wallonie alors et après? Remarquons que cette règle est maintenant tombée en désuétude).
Le BB, moyen d'ascension de la bourgeoisie flamande
Au départ, ce qu'il y a derrière les catholiques, c'est la fraction financière de la bourgeoisie - dont la Société Générale est le fleuron - etdonc une bourgeoisie désireuse de construire l'Etat-Nation belge, une bourgeoisie francophone. Mais dès 1890, le ver est dans le fruit. G. Helleputte est aussi le créateur de la démocratie-chrétienne flamande: son collaborateur G. Sap crée le journal De Standaard. Ils feront partie de nombreux gouvernements. Le suffrage universel, arraché par les ouvriers wallons en 1893,oblige les dirigeants flamands à se flamandiser peu à peu. La banque du BB créée par G. Helleputte, qui n'a que 320.000 F de dépôt en 1900 en a près d'un milliard à la veille de 1926. Cette banque va être à l'origine, avec d'autres banques, et à travers beaucoup de difficultés, de la Kredietbank de 1935,instrument financier de la bourgeoisie flamande en pleine expansion. Somme toute, la fraction financière de la bourgeoisie belge s'est appuyée pour gouverner, en partie sur les masses paysannes flamandes fidèles au parti catholique. Mais, ce faisant, cette bourgeoisie courait le risque de voir s'établir une autre bourgeoisie, concurrente, la bourgeoisie flamande, ce qui se produisit. En 1935, selon divers analyses, la bourgeoisie flamande est en passe de s'emparer des principaux leviers politiques et économiques de l'Etat:la crise puis la guerre vont retarder sa progression. Mais déjà, dans les syndicats chrétiens par exemple, un Elie Baussart se plaint de l'hégémonie flamande. Dans le parti catholique, l'aile francophone et wallonne a toujours été minoritaire, comme elle l'est aussi au plan de la seule Wallonie, même si sa langue - le français - domine encore partout. La faiblesse de la Wallonie là-dedans est immense, originelle (en dépit de la préséance du français). On le voit sur le plan agricole. Tandis que, s'inscrivant dans le projet catholique puis flamand d'ascension et de conquête, on voit croître le BB a partir de1900, on peut observer la division de la paysannerie wallonne, fractionnée en diverses associations syndicales provinciales avant la guerre de 1914. Après celle-ci, se crée une organisation wallonne pluraliste, comprenant des croyants et des non-croyants, relativement proches (au moins par « l'esprit ») des libéraux: les UPA (Unions Professionnelles Agricoles) qui, cependant, ne se voudront liées à aucun parti et se verront d'abord comme un organisme de défense des intérêts de la classe agricole (plus un syndicat, si l'on veut,qu'une structure d'encadrement). Quant aux organisations catholiques, en raison des difficultés financières qu'elles traversent en 1930, elles vont se lier, les évêques y poussant d'ailleurs puissamment, au BB, elles vont prendre le nom d'Alliance Agricole Belge: l'AAB. L'AAB prend alors accord avec le BB pour obtenir de celui-ci des ristournes sur ses activités commerciales et bancaires.En échange l'AAB ne concurrencera pas le BB sur ce plan économique, le BB lui-même renonçant à créer un syndicat propre en Wallonie (qui eût peut-être échoué de toute façon). Mais le BB est quand même installé en Wallonie: dans les cantons de l'Est, en Brabant Wallon (rattaché ecclésiastiquement au puissant diocèse de Malines; cela a son importance) et dans la région deMouscron-Comines, alors religieusement (diocèse de Bruges) et civilement (province de Flandre Occidentale) « flamande ».
A l'heure actuelle, les UPA avec l'UDEF attirent à eux environ les 2/3 des agriculteurs syndiqués en Wallonie, l'AAB et le BB recueillant le reste. AAB et BB ont des points de vue peu régionalistes alors que les UPA et l'UDEF surtout sont franchement régionalistes sinon autonomistes. Mais il est remarquable de constater que tant les UPA que l'UDEF, mais aussi l'AAB, ont toujours voulu, dès les origines, et cela sans nécessairement être « wallingants » s'organiser sur un plan wallon.
La puissance économique du Boerenbond
La puissance de la bourgeoisie flamande a dû trouver des assises dans la société, notamment grâce à l'Eglise, via des organisations sociales, y compris les syndicats. Ceci fonctionne encore aujourd'hui et l'on se souvient de cette rencontre, dont nous reparlerons, entre les principaux dirigeants du MOC flamand et l'establishment flamand sur le bateau « Flandria », juste avant le démarrage du gouvernement Martens-Gol. Le Boerenbond a été et est d'ailleurs toujours une structure pensée avant tout et surtout pour les paysans. Mais à travers cet objectif social - l'objectif affiché par la bourgeoisie flamande était aussi social et linguistique - des résultats économiques et financiers d'une grande ampleur ont été atteints. Les premières caisses rurales du BB datent de 1891. Les fameux comptoirs d'achat et de vente de 1901 et lesAssurances du BB (ABB) de 1922. Récemment les « comptoirs d'achat et de vente » ont été rebaptisés d'un nom flamand Aan en Verkoop Vennoostschap van de Belgische Boerenbond.
La société de tête du BB s'appelle la Maatschappij voor Roerend Bezit van de Belgische Boerenbond , ce que l'on pourrait traduire par « Mobilière du Boerenbond ». La MRBB est présidée par Jan Hinnekens, président du comité directeur du BB, régent de la Banque Nationale, administrateur et membre du comité directeur de Gevaert. Dans le conseil d'administration de la MRBB, ont rouve aussi un administrateur de la Kredietbank (V. Van Rompuy) et un Yvo VanThielt, l'administrateur délégué des ABB, membre du conseil consultatif de la Société Générale et administrateur de la Générale de Banque. Les filiales économiques du BB constituent un réseau basé sur trois sociétés:
AVEVE, ABB et la centrale des caisses rurales (CERA). La MRBB détient la quasi-totalité des titres des assurances du BB (ABB) ainsi que 60,5% des titres d'AVEVE. Les ABB ont parmi leur conseil d'administration le chevalier de Schaetzen van Brienen, administrateur et membre du comité de direction de Gevaert et J. Van Lanschoot, censeur de la Banque Nationale. Les ABB disposent à leur tour de différentes filiales parmi lesquelles nous citerons simplement la NV Algemene Verzekerings maatschappij voor de Middenstand (assurances sociales pour les classes moyennes) dont nous allons reparler. Les AVEVE disposent également de plusieurs filiales.
La MRBB détient également 44,3% des titres d'une société Stabo qui est une sorte de bureau de recherches - lors de l'entretien que nous avons eu avec lui, le président Hinnekens estimait que les experts du BB sont plus nombreux et plus compétents que ceux du gouvernement flamand en matière de pollution par exemple. La Centravee, autre société où la MRBB détient également une majorité de parts, est une société de commercialisation du porc, d'autres viandes, defruits, légumes, poissons. La MRBB détient 27% des titres de la SBB Accounting qui est une sorte de secrétariat fiscal et social. La MRBB a aussi des participations importantes dans la SBB Personeel-management, qui s'occupe du recrutement du personnel, dans Agri-reizen, une agence de voyages...
La filiale la plus importante de la MRBB est évidemment la CERA, première banque d'épargne du pays qui possède 300 milliards de dépôts. En 1986, CERA est devenue membre à part entière de l'Unico Banking group qui regroupe les banques coopératives européennes du Danemark, de France, de RFA, d'Autriche, de Finlande et des Pays-Bas. Ce groupe transnational, avec un total de bilan del'ordre de 500 milliards de dollars et un réseau de 37.000 agences est l'un des groupes bancaires les plus puissants du monde. CERA détient 39,9% des parts de la MRBB, 50% des titres de la NV Cera-Lage Landen - Products (« CLP ») en association avec De Lage Landen, filiale de la puissante banque néerlandaise Rabobank, d'autres participations ainsi que des participations à l'étranger,notamment aux Pays-Bas.
D'autres coopératives horticoles, des laiteries sont également membres des BB.Mais le BB possède aussi 25% des titres de la NV Orda-B, l'une des principales entreprises belges d'informatique, qui assure les services du très important parastatal l'INASTI (Institut national d'assurances pour les indépendants). La MRBB possède encore 20% des titres de la NV Belgian Food Industry, 12,5% del'Immobiliäre de la rue des Deux Eglises à Bruxelles (local du PSC-CVP), 4,9%de la NV Almanij, 4,8% des titres de la Kredietbank via les ABB dont elles sont le principal actionnaire après Almanij, 2,6% des titres de Gevaert, 1,2% des titres de la Société Générale de Banque moins de 1% des titres de la Société Générale, des parts dans la Banque Bruxelles-Lambert, d'innombrables autres participations.
Les liens du BB avec l'ensemble de la bourgeoisie flamande sont évidents: il en est un fleuron malgré - ou même à cause - des finalités sociales et d'émancipation du peuple flamand qu'il poursuit. C'est d'ailleurs l'un des mérites de la bourgeoisie flamande que cette solidarité avec sa communauté, solidarité depuis toujours ignorée par la bourgeoisie francophone qui, pour cette raison d'ailleurs, n'a pas à être qualifiée de « wallonne ».
Le BB a bien disposé ses pions en Wallonie: sur les terres les plus riches de la région limoneuse où s'étendent également les grandes agglomérations wallonnes (Mons-Borinage, Charleroi, Namur, Liège).
La puissance politique et sociale du Boerenbond
Le BB est profondément lié, sur le plan économique, avec tout l'establishment flamand. Ainsi, le 15 mai 1940, par exemple, lorsqu'il s'agira pour le gouvernement belge de confier le sort de la Belgique occupée à des notables, c'est d'abord à trois grands banquiers que le gouvernement s'en remettra, Max-Léo Gérard de la Banque de Bruxelles, Fernand Collin de la Kredietbank et Alexandre Galopin de la Générale. Ce comité, baptisé parfois « comité Galopin » s'ouvrira plus tard à d'autres personnalités dont Emile Van Dievoet, vice-président du BB en 1940. Aujourd'hui l'on estime qu'avec la NCMV, l'organisation chrétienne des classes moyennes flamandes en Flandre (tandis qu'en Wallonie l'Union Des Classes Moyennes est déconfessionnalisée et indépendante politiquement) le BB aurait 47% des sénateurs et députés du CVP dans ses « amis ». Le BB organise une caisse d'assurances pour 70.000 de ces indépendants ce qui le lie à la NCMV et, par ce biais, lui donne également une influence non négligeable sur l'ensemble des mutualités chrétiennes du pays. Lorsque, au début des années '80, paraît un article-interview du président des UPA dans le bihebdomadaire wallon des mutualités chrétiennes, l'Alliance Agricole Belge menacera tout simplement de se retirer des mutualités chrétiennes. Le lien entre le BB et le CVP est évident et d'ailleurs avoué. Si les syndicats ouvriers même du côté flamand, ont plusieurs fois remis en cause leur lien avec le CVP qui fut déserté par la jeunesse nationaliste dans les années '60 au profit de la VU, le BB comme la NCMW des indépendants chrétiens flamands n'ont, eux, jamais remis en cause leurs liens avec le CVP. Le BB vajusqu'à posséder 12,5% de l'agence immobilière propriétaire de l'immeuble du PSC-CVP, rue des Deux Eglises! Les liens avec le CVP apportent à celui-ci une influence importante qu'on peut ajouter à la puissance économique et financière du BB. Dans le début des années '70, le trésorier (encore commun alors) du PSC-CVP Raymond Scheyven, mentionne parmi les dons les plus importants « les cotisations versées habituellement par le Boerenbond, le MOC et autres...é(l'expression « et autres » est de la plume même de R. Scheyven). On peut citer l'histoire d'une personnalité comme M. Dequae qui fut Ministre des Finances CVP au début des années '60, ensuite président du Sénat, puis président du Boerenbond et qui devint président du conseil d'administration de la banque Bruxelles-Lambert. Après être devenu autonome par rapport à la bourgeoisie francophone, la bourgeoisie flamande pénètre lentement mais sûrement les « chasses gardées » de la bourgeoisie francophone belge, elle-même malmenée par les visées internationales de lobbies plus puissants. Comme organisation agricole, le BB siège dans la plupart des conseils d'administration des institutions publiques de crédit, y compris - ce qui est paradoxal - de celles qui sont directement concurrentes de sa propre banque d'épargne privée, et,notamment, à l'Institut National du Crédit Agricole. Le BB est partout. Pour s'en faire une idée, on pourra revenir sur ce fait signalé plus haut: comment se fait-il que l'INASTI a confié ses services informatiques à la société Ordab, alors qu'il est prouvé qu'en les organisant lui-même l'INASTI n'y perdrait pas? Le BB est partout. On le retrouve donc, tout à fait normalement dans cette rencontre fort curieuse, qui a beaucoup scandalisé les progressistes en Wallonie, entre les dirigeants les plus importants du MOC flamand et le reste de l'establishment flamand: Valeer Van Rompuy, président de l'AVEVE du BB était présent sur le fameux bateau Flandria, on ne s'en étonnera guère. Comme organisation syndicale agricole, comme organisation sociale proprement dite, leBB compte 1.092 gildes rurales dont faisaient partie 80.574 membres au 30-06-86dont 40% d'agriculteurs, 16% d'horticulteurs. Alors que le paysage syndicalea gricole wallon est diversifié (ce qui n'est pas nécessairement un défaut: tout cela doit àtre analysé avec nuance), le paysage agricole flamand est monolithiquement dominé par le BB. Celui-ci, outre les fermiers proprement dits et les horticulteurs, rassemble les jeunes du milieu rural dans la Jeunesse Catholique Rurale (en Wallonie celle-ci est indépendante des partis et syndicats): 30.000 membres. Une oeuvre des femmes rurales (elle a une correspondante wallonne mais elle aussi autonome comme la JRC) compte 162.000 membres (c'est un peu la « Vie Féminine » du Boerenbond). Les autres organisations agricoles flamandes, ne sont pas reconnues. Ceci explique que le Boerenbond jouisse d'un quasi-monopole de la représentation agricole flamande dans les conseils consultatifs nationaux, régionaux et européens. Etant donné le simple rapport de forces numérique au sein du Royaume, le poids démographique des agriculteurs flamands, la puissance conjointe de l'Eglise, du CVP et du BB dans les campagnes flamandes et dans toute la société flamande, on connaîtt assez bien, sans qu'il soit besoin d'imaginer des procédés de noyautage sophistiqué, que le ministre de l'agriculture soit littéralement « nommé » par le BB. Lorsqu'il est CVP (le reste du temps il est PSC ce qui, jusqu'il y a peu, était fort semblable), ce ministre CVP fait même partie du comité politique du BB. L'agriculture est liée à l'Etat et aux Etats associés dans la CEE qui fixent les prix des produits agricoles, subsidient l'agriculture de mille et une façons. C'est ainsi que l'on dit couramment que le ministre de l'agriculture n'est pas comme le ministre de l'intérieur ou comme le ministre de la justice: le ministre de l'agriculture est vraiment aussi le ministre des agriculteurs. L'exemple de la France voisine est là pour le démontrer où des ministres de l'agriculture, de droite comme de gauche d'ailleurs, passent littéralement une sorte d'examen de passage devant la FNSEA (Fédération nationale des Syndicats d'exploitants agricoles) qui regroupe 60% des agriculteurs français: Si M. Rocard s'en est sorti, Mme Cresson, nommée ministre avec la victoire de Mitterrand en 1981, a été en quelque sorte chassée de son poste par une pression constante de la FNSEA. Mais, dans notre pays, les choses sont plus stables puisque le BB lié avec un parti qui est constamment au pouvoir.
Une politique de régression de l'agriculture wallonne
Le BB a donc réussi à encadrer techniquement l'agriculture de Flandre en même temps que financièrement et socialement. On peut le lire par ailleurs dans l'article de notre amie, Soeur Libon, l'épiscopat belge et wallon a, en outre,de fait, empêché que se crée en Wallonie une structure parallèle. La chose est consommée dès les années '30. On n'observe pas alors de conséquences vraiment graves dans l'immédiat même si les structures de régression de l'agriculture wallonne sont probablement mises en place à cette date avec cette trop grande dépendance de l'agriculture wallonne organisée par rapport au BB. Au début des années '50 encore, la Wallonie, avec ses grandes exploitations céréalières, produit près de 40% de ce que la Belgique crée en matière de richesses agricoles. C'est à partir de là qu'on observe une régression constante. On peutdistinguer trois types d'investissements agricoles: les investissements destinés à obtenir la disposition de moyens de production existants (reprise de l'exploitation paternelle, achat de terres...); les investissements de construction et d'équipements destinés aux spéculations traditionnelles que sont les productions bovines et végétales; les investissements de construction et d'équipements destinés aux spéculations peu ou non liées au sol que sont les productions horticoles, porcines et avicoles. Or, plus de 98% des investissements en Wallonie se font dans les premiers postes et à peine plus d'un % dans le troisième pour, par exemple, la période allant de 1974 à 1980. Au contraire, en Flandre, il y a 23% des investissements qui se réalisent dans ces spéculations, il est vrai, plus risquées, hors-sol, mais qui peuvent bénéficier d'une plus haute valeur ajoutée: les fruits, les légumes, la viande de porc, les oeufs, la volaille. C'est pour cette raison d'ailleurs que 90% des aides sectorielles de l'ONDAH vont à la Flandre. Il n'y a en effet que peu ou pas de viande de porc, de fruits et légumes, de volailles, de production d'oeufs à aider en Wallonie. Mais cela n'est-il pas dû à un manque d'attention du ministère de l'agriculture (contrôlé par le BB) à ce déséquilibre entre la Wallonie et la Flandre? Comme beaucoup d'autres auteurs, nous le pensons. Ayant acquis une position de force dans l'agriculture belge, l'agriculture flamande a tendance a maintenir cette position acquise dès les années '30 et dont elle recueille les fruits aujourd'hui. Si la part de la Wallonie dans la production agricole totale du Royaume était encore de 40% en 1950, elle n'est plus aujourd'hui, aux dires de quelqu'un comme le Secrétaire général de l'UDEF, M.Oscar Dubuisson, que de 22%. On mesure la tragique régression de l'agriculture wallonne, régression parallèle à celle de l'industrie. Croit-on encore vraiment, après tout ce qui vient d'être dit et tout ce que l'on sait sur les mécanismes de la domination de la bourgeoisie flamande sur l'ensemble économique belge, que tout cela serait dñ au hasard ou à des éléments étrangers au bon vouloir de cette bourgeoisie? Non, rien n'arrive par hasard.
Et l'explication par le manque de dynamisme des Wallons, est à inscrire dans le bêtisier politique. Ceux, d'ailleurs, qui font le plus souvent état de cette explication, la fraction la plus unitariste et la plus conservatrice du monde catholique, devraient d'abord s'interroger sur le fait que ce lobby a contribué grandement à cette désorganisation et à cette déstructuration de l'agriculture wallonne.
La poursuite de cette politique
Cela se poursuit aujourd'hui. Depuis 1979, la commission de la CEE, dans son fameux règlement 355, a décidé de soutenir des programmes d'investissements dans le domaine de la transformation et de la commercialisation des produits agricoles, au minimum pour 25% de celui-ci. Or ce règlement permet aux Etats-membres de délimiter l'aire géographique de ces aides, à un niveau régional ou même plus petit. C'est une disposition dont use le gouvernement français, par exemple, à ces deux niveaux (régional ou micro-régional) pour assurer un meilleur équilibre entre les diverses parties du territoire français. Mais le gouvernement belge, sous la pression du ministre CVP de l'agriculture d'alors, a pris la décision que cette aire serait... la Belgique dans son entièreté. L'essentiel de ces investissements continue donc à se réaliser en Flandre et le déséquilibre entre les deux régions s'accentue. S'il est probable que la structure de l'agriculture flamande poussait objectivement à l'investissement dans l'agriculture hors-sol (horticulture, porcs qui demandent peu de sol d'où cette expression curieuse: « hors-sol ») tandis que la structure agricole wallonne (la Wallonie dispose d'une surface agricole importante propice aux grandes cultures céréalières qui sont moins porteuses aujourd'hui) poussait peu à l'investissement de cette nature, il est vrai qu'on n'a rien fait pour remédier à ce déséquilibre. On peut aller jusqu'à se poser la question: y a-t-il de véritables projets crédibles pour l'agriculture wallonne élaborés par des responsables wallons? La régionalisation del'agriculture ne règlerait pas tous les problèmes même si elle aurait déjà lemérite de faire échapper nos agriculteurs à l'emprise flamande.L'agro-alimentaire
Sur le plan de l'agro-alimentaire, c'est-à-dire toute l'industrie en amont de l'agriculture, on constate également - ceci est lié à ce qui précède - une incroyable faiblesse des structures wallonnes. Si, par exemple - ces chiffres sont relativement souvent cités mais il faut sans cesse y revenir - la Wallonie produit 60% des céréales, 10% seulement du travail du grain se situe chez nous en matière d'emploi. La Wallonie produit 40% des aliments pour le bétail mais elle n'en transforme que 6%. A ce sujet l'on peut dire que la reprise des établissements Brichart par le BB - ces établissements sont situés en Wallonie- n'augure rien de bon. En effet ce qui intéresse le BB dans cette reprise, ce sont les structures de collecte de la matière première des aliments pour le bétail mais pas la transformation sur place. Dans tous ces domaines le BB cherche à tout localiser en Flandre, ce qui ne lui coñte pas grand-chose vu la relative exiguïté du Royaume. Manière de contrer, en passant, l'un des arguments un peu faciles de l'unitarisme: « notre pays est si petit et on va le diviser ». En réalité c'est justement parce qu'il est « petit » (ce qui ne veut rien dire: il faudrait plutôt dire « peu étendu ») qu'il est plus facile de le dominer à partir du pôle flamand. On pourrait continuer à citer ces chiffres qui autorisent à parler d'une véritable colonisation de l'agriculture wallonne.La Wallonie possède la moitié du cheptel bovin mais c'est dans le nord du pays qu'on le valorise après l'y avoir transféré. Il en va de même aussi pour le bois: 85% de l'industrie du bois et du meuble est flamande. La Wallonie produit 45% du lait belge mais 75% des industries de transformation du lait sont en Flandre. Dans ce domaine d'ailleurs, sur 1.300.000 tonnes de lait produites, les laiteries wallonnes n'en collectent qu'un peu plus de 800.000. « Le problème de l'agriculture wallonne n'est donc pas un problème de ressources », « écrivait en 1982 Michel Quévit. » Mais on peut se demander si tout a bien été entrepris pour valoriser ces atouts indéniables (de l'agriculture wallonne) au bénéfice de l'économie régionale". Atouts que constituent l'étendue des forêts, des terres cultivables, la compatibilité du climat à nombre de productions qui n'existent qu'en Flandre. On a beaucoup fait état, au début des années '80, de l'intention qui aurait été celle des Flamands, de « lâcher » la Wallonie,celle-ci constituant un poids trop grand pour la Flandre « riche et dynamique ».Et c'est une analyse qui a eu son heure de gloire. Mais elle est complètement fausse. On voit tout l'intérêt qu'a le BB au maintien d'une Belgique unitaire.Ses centres de collecte de l'épargne paysanne et rurale se multiplient en Wallonie où l'on trouve de plus en plus d'agences de la Cera. Mais c'est à Leuven que va être construit un immeuble central de la Cera de 5 milliards de F qui abritera 2.500 employés, tous flamands bien entendu. Voilà un bel exemple de colonisation, l'épargne wallonne aidant à créer de l'emploi en Flandre. On pourrait en dire autant des autres activités financières ou industrielles et commerciales du BB. Pourrait-il se passer de la Wallonie qui est un merveilleux territoire où s'approvisionner en matières premières et aussi un débouché pour ces matières premières ainsi transformées. Le ministre Hugo Schiltz calculait récemment que 8% des exportations flamandes trouvaient un débouché en Wallonie,ce qui équivalait au débouché que constitue la totalité de la RFA. En réalité, la Flandre ne peut pas se passer de la Wallonie, ce qui devrait mener les responsables wallons - mais en sont-ils capables? - à obtenir plus qu'ils n'ont obtenu jusqu'ici en matière d'autonomie, vu ce rapport des forces qui n'est pas aussi défavorable qu'on ne le dit. Et d'autre part, le BB, « belge » comme il s'intitule lui-même, a besoin de garder cette image belge globale pour poursuivre son expansion à l'étranger, notamment en France, où il a plus de chances de s'implanter qu'en Hollande, pays où l'agriculture est encore mieux encadrée et plus puissante qu'en Flandre. Mais le BB est à la fois une firme et une organisation politique et flamande. Comme firme, comme n'importe quelle firme, le BB serait sans doute prêt à donner des gages à la région dont il tire tant de profits. Comme organisation politique, le BB doit rendre des comptes à la Flandre et veiller avec un soin jaloux à la prospérité de cette seule région.
Enquête de José FONTAINE
avec la collaboration de Jean-Pierre CHAMPAGNE,
Oscar DUBUISSON,
Joseph HENROTTE,
Alain ROLY,
René WALGRAFFE.
Sources utilisées
Pour l'établissement de ce dossier, outre de longs entretiens avec les leaders de toutes les organisations syndicales agricoles, tant en Flandre qu'en Wallonie, nous avons consulté: M. QUEVIT - Les causes du déclin wallon (EVO Bruxelles, 1978) qu'on peut maintenant consulter en ligne
Les causes du déclin wallon et La Wallonie, l'indispensable autonomie (Entente, Paris, 1982); J.-F. SHEESSENS Le problème agricole et sa réponse politique (CIACO, Louvain, 1983); J.-E. HUMBLET Les agriculteurs wallons in Eglise et Wallonie (TI, EVO, Bruxelles, 1983); L'argent du PSC-CVP par P. FRANSSEN et Ludo MARTENS, EPO, Anvers, 1984; F. BIESMANS et J. FONTAINE, Nations et classes dans l'histoire de Belgique in La Revue Nouvelle, janvier 1986; CVP n° spécial de La RevueNouvelle mars 1987; Le Boerenbond belge CRISP avril 1988;Nom: Boerenbond belge: profession: toutes - in Le Sillon Belge du 24-03-89. D'autres informations ont été puisées dans La Libre Belgique, Le Soir, les rapports annuels du BB, Trends, etc.
(*) Ce texte est la reproduction de l'article introductif au dossier sur le Boerenbond du magazine Wallonie Nouvelle, numéro dont le tirage est épuisé.