Le calendrier républicain et la mesure du temps

Toudi mensuel n°24, janvier 2000

Suite au rejet par le Conseil municipal de Genève de la restauration du calendrier républicain, projet dont nous avions reproduit l'exposé des motifs par notre ami genevois Pascal Holenweg, nous avons reçu, à notre grand étonnement, plusieurs réactions, preuves de l'intérêt plus grand qu'on ne le pense de la mesure du Temps. N'oublions pas le mot de F.Ballace:

«Le Temps des Belges se mesurent à celui de la famille royale.»

Voici ce que nous écrit Philippe Renault:

Au fond, la faculté qu'il faudrait posséder pour fonder un nouveau calendrier serait de voir le cosmos tel qu'il est. On accéderait alors à un style d'objectivité, on s'enracinerait dans la réalité spirituelle-matérielle au lieu d'aller à vau-l'eau comme on le fait actuellement. Le calendrier liturgique chrétien est une manière de qualifier le temps, une manière d'échapper, collectivement et dans sa conscience individuelle, au temps unidimensionnel, au temps-chronomètre.

Pour que le calendrier républicain soit accepté, il faudrait une majorité de gens qui le veuillent. À ce moment, chaque communauté religieuse serait rejetée sur sa subjectivité et fêterait ses fêtes en particulier. Je ne suis guère un homme de la «tabula rasa». Je crains un peu que le rationalisme révolutionnaire et son calendrier nous fasse entrer dans un temps «plat» (mais, politiquement, est-il temps plus plat que le nôtre?). Je crains aussi que cela ne fasse partie d'une stratégie du déracinement à laquelle est livrée l'humanité dans son ensemble. Nous oublions chaque jour que nous sommes une sur-nature dans la Nature et les calendriers religieux ainsi que les liturgies afférentes sont là pour nous le rappeler. C'est un peu ça le génie du catholicisme romain (ou même de l'Église indivise orthodoxe-catholique), par rapport au protestantisme, déjà, et du courant rationaliste: c'est d'être incarnée dans de petites choses quotidiennes, très populaires.

La dernière citation de Holenweg, la phrase de Vaneigem, me rappelle la réponse de Saint-Just à Marchienne, qu'il fit à la garnison de Charleroi. Même sentiment d'avoir totalement raison et de n'avoir rien de commun avec l'adversaire. Ce qui n'existe pas. Jamais. C'est l'anti-médiation qui se manifeste là. (Mais je comprends qu'il faille parfois entrer en rupture).

Il y a aussi une question de rythme. Les 12 mois, les 7 jours de la semaine ne sont pas des chiffres hasardeux. Ils sont sans doute très liés aux structures du cosmos lui-même. Nous sommes nous-mêmes formés de rythmes. Dé-rythmer les peuples comme par les deux changements d'heure, c'est faire souffrir, c'est diminuer la force de la vie.

Nous sommes portés par les rythmes du coeur, de la respiration, de la marche des heures des repas, du sommeil et de la veille. Les jours de travail et des week-ends, des fêtes de vacances annuelles, des saisons et le mieux est de s'y adonner avec régularité.

Maintenant, il est possible que l'Incarnation et la Résurrection du Christ soient des faits cosmiques, qu'il y ait un avant et un après et que l'humanité à venir puisse en apporter les preuves. Peut-être que, depuis lors, nous sommes dans un rythme nouveau et que le temps se qualifie sans cesse selon ce rythme. Peut-être que, du point de vue de la Terre (inséparable de l'humanité qu'elle porte) et du point de vue du Cosmos vivant (et non celui de Laplace), toute l'humanité est travaillée par l'influx du Christ (et pas uniquement les chrétiens confessionnels). [Le ralliement des chrétiens, chez nous, à la République serait une bonne chose car cela libérerait l'Église de son goût du Pouvoir et de ses abus de pouvoir].

Je pense aux calendriers mayas, aztèques, etc.; et aux prêtres-astrologues qui les calculaient. Je pense aux mages chaldéens, aux Égyptiens observant le ciel. Je pense aux Rois Mages, symboles de toute cette Sagesse des astres, venant s'incliner devant l'Enfant-Jésus et leur offrir leur Connaissance, faire allégeance en quelque sorte...

Et je comprends que le radical Holenweg veuille relativiser le calendrier chrétien car ce calendrier est une représentation du monde, une théologie, c'est, pour lui et il en souffre, la théocratie en marche (et il ne veut pas être écrasé). Quand on veut supprimer quelque chose, il faut pouvoir le remplacer par quelque chose de meilleur, sinon on est un nihiliste (il y a du nihilisme en chacun de nous, du fait de la culture). Or le calendrier républicain, comme mémorial de 1789 et de la Commune est-il le meilleur? Peut-il mieux unir les hommes comme calendrier officiel, calendrier d'État?

Je pense que chaque journée, chaque année, chaque instant qui s'écoule est qualifié. C'est du temps psychique. Le temps chronomètre n'existe pas. C'est une fiction conventionnelle commode pour organiser la société au travail. En fait, les astres ne reproduisent jamais deux fois la même disposition dans l'espace. Il y a toujours de petites différences quantitatives de temps et d'espace qui font que le Cosmos ne se répète pas. Il n'y a pas de «mécanique» céleste (la métaphore est négative, porte à l'erreur). Il n'y a pas de «retour éternel du même», n'en déplaise à Nietzsche. Je crains l'idéologie du temps plat. Elle nous corrode de l'intérieur. Au contraire, je crois que chaque jour apporte une nouveauté absolue et, par notre éveil, nous pouvons la saisir. Il n'y a pas de «répétition du même» mais je reconnais que, collectivement, nous avons l'impression de piétiner sur place...

L'ouverture antithéocratique accomplie par Bakounine et Stirner correspond à l'esprit de l'époque, et, de plus en plus, depuis leur temps (L'unique et sa propriété est de 1842), il est patent de constater la force des consciences individuelles toujours grandissantes.

Les théocraties se dissolvent dans leurs sociétés malgré les raidissements intégristes et passéistes. Mais, pour aller de l'avant, il faut inventer des formes nouvelles, capables de remplacer les anciennes.

J'ai l'impression que le calendrier républicain ne parvient pas à attirer un consensus autour de lui car il n'a pas été suffisamment pensé. Il ne repose pas selon moi sur une anthropo-cosmologie correspondant à l'éveil de la conscience d'aujourd'hui. C'est un coup de pied à Rome, mais ce n'est pas l'établissement d'une relation organique concrète entre l'humanité et le temps.

Je lui reconnais cependant, par rapport au calendrier grégorien, la supériorité de l'ouverture aux autres calendriers, aux autres religions, donc à la coexistence multiculturelle sur un même territoire, l'ouverture aux musulmans, bouddhistes, etc. Mais même pour un calendrier d'État, je souhaite qu'il soit repensé. Pour autant que de faire du nouveau, pourquoi pas de l'absolument neuf?