Le "contrat d'avenir" : autre chose que de la poudre aux yeux

Toudi mensuel n°45-46, avril-mai 2002

Bref retour en arrière

C'est pendant la guerre 40-45 que des employeurs et des syndicalistes se sont réunis clandestinement pour élaborer notre système de sécurité sociale. Immédiatement après la libération, qui avait eu lieu au début septembre 1994 et avant même la fin des hostilités en Europe puisque la capitulation de l'Allemagne nazie n'aura lieu que le 8 mais 1945, l'arrêté loi du 28 décembre 1944 a fixé le cadre général du système de sécurité sociale des travailleurs salariés. Ce système constitue encore aujourd'hui le système de garantie auquel chacune et chacun ont recours.

A l'issue de la guerre, en effet, dans toutes les démocraties européennes, les conclusions avaient été tirées de la grande crise économique des années 30 et de l'émergence des régimes totalitaires. Pour éviter pareil retour, un pacte social a été conclu dans chaque pays entre les employeurs, les organisations syndicales et les pouvoirs publics pour assurer le plein emploi dans une société libre. Dans ce cadre, il fallait assurer chaque travailleur contre les risques de chômage, de maladie, d'accident de travail, de maladie professionnelle, d'invalidité ; il fallait, aussi, assurer les vacances annuelles (les congés payés), les pensions et les allocations familiales.

Ce système complet ne s'est pas fait tout seul

Le capitalisme industriel qui s'installe et se développe dans la région de Gand et dans ce qu'on appellera plus tard le sillon industriel wallon entraîne des migrations importantes de populations, la construction des corons, des conditions de travail pénibles et dangereuses, une durée de travail de douze à quinze heures par jour, sans vacances, des salaires de misère et le travail des enfants dès leur jeune âge.

Face à cette situation deux réactions vont amorcer ce qui allait devenir cent ans plus tard la sécurité sociale. D'une part, les travailleurs s'organisent en sociétés de secours mutuel et d'autre part, surtout sous l'impulsion d'une gauche libérale et des socialistes plus tard, à partir du suffrage universel à vote plural en 1894, des lois sont votées, notamment le statut des sociétés mutuelles en 1851, une Caisse de retraite en 1851 aussi, rattachée à la Caisse générale d'épargne.

En 1886 est créée une Commission du Travail. Celle-ci clôture ses travaux en 1887. Ses recommandations seront publiées en quatre volumes en 1888. Une série de lois vont s'ensuivre entre 1887 et 1890 : elles visent la réglementation du travail : paiement des salaires, interdiction du travail des enfants de moins de 12 ans, limitation à douze heures de la durée journalière de travail pour les enfants, règlements d'atelier, contrat de travail, mesurage du travail. Si elles sont nécessaires, ces lois ne concrétisent pas une amorce de sécurité sociale.

En décembre 1903, sera votée la loi sur la réparation des accidents de travail par l'employeur ; avant elle, tous les risques étaient supportés par le travailleur et sa famille. Il faudra attendre la fin de la première guerre mondiale et la grande crise des années trente pour voir naître des nouvelles initiatives, notamment les secours en cas de chômage.

Les sociétés mutuelles, les caisses d'invalidité et la Caisse d'épargne pour la pension restent, cependant, très insuffisantes pour parer aux besoins. Les adhésions sont volontaires et entraînent des cotisations, forcément modestes en raison des salaires faibles. Elles ne touchent d'ailleurs qu'un très petite partie des ouvriers, les salaires de misère de la plus grande partie rendent impossibles leurs affiliations. Leurs capacités financières d'intervention sont dès lors aussi très faibles.

L'État va alors favoriser leur développement en accordant des avantages fiscaux d'abord, des subsides ensuite aux sociétés qu'il reconnaîtra. Peu de sociétés demandèrent leur reconnaissance jusqu'à la modification en 1891 de la loi de 1851 et l'attribution de primes ou de subsides. Ce principe de «liberté subsidiée», sans imposer un régime obligatoire - encore appelé «interventionnisme social» - sera la règle générale jusqu'en 1945, sauf pour l'assurance vieillesse rendue obligatoire dans l'entre-deux-guerres par similitude à la mesure prise en 1911 à l'égard des ouvriers mineurs.

La crise des années trente va amener les syndicats à créer des caisses de chômage pour venir en aide aux chômeurs. Elles seront aussi subsidiées sur le même modèle que celui des mutuelles, par l'État mais aussi parfois par les provinces ou les villes.

Dès 1912, le régime de «liberté subsidiée» est critiqué, tant par les libéraux que par les socialistes, dans l'opposition à cette époque (de 1884 à la guerre de 1914, tous les Gouvernements ont été catholiques homogènes), d'une part parce qu'il ne couvrait pas tous les travailleurs, en particulier ceux qui parmi eux étaient les moins bien payés et d'autre part parce qu'aucune contribution n'était réclamée aux entreprises. On s'acheminait vers un système obligatoire.

Le système de sécurité sociale

La sécurité sociale créée en 1944 et toujours en vigueur aujourd'hui va rassembler les dispositifs, divers et éparpillés, en un ensemble cohérent et complet tout en héritant des organisations existantes et de la pratique de la négociation collective patrons-syndicats qui s'était fort développée dans l'entre-deux-guerres.

L'organisation de la sécurité sociale obéit à trois critères fondamentaux :

Un principe essentiel : la sécurité sociale est un système d'assurance obligatoire ; on tourne le dos, délibérément, à tout système d'assistance, comme l'étaient plus ou moins les dispositifs antérieurs.

Une gestion paritaire, organisations patronales et organisations syndicales, sous tutelle de l'État.

Une triple solidarité : les employeurs, les travailleurs et l'État, c'est-à-dire les citoyens, vont contribuer au financement, les premiers par des cotisations, l'État par un subside global.

Récemment la subvention globale de l'État a été complétée par un financement alternatif calculé principalement sur une part de la TVA et par des recettes dites affectées pour couvrir des dépenses particulières, principalement en soins de santé.

Deux organismes assurent la collecte des cotisations et reçoivent les apports de l'État : l'ONSS (Office national de Sécurité sociale) pour les travailleurs salariés et l'INASTI (Institut national d'assurance sociale pour travailleurs indépendants) pour les indépendants comme son nom l'indique.

Les cotisations patronales et les cotisations personnelles retenues sur les salaires sont versées par les employeurs ; ils assurent gratuitement ce service.

Cependant, l'État reste son propre assureur pour les pensions principalement. Il existe, aussi, des régimes séparés pour les marins de la marine marchande, pour la sécurité sociale du personnel Outre-Mer (Office de sécurité sociale d'Outre-Mer : OSSOM) et pour les pensions des ouvriers mineurs (FNROM). La tendance est cependant à l'unification en une gestion globale, depuis 1995.

À côté du système de sécurité sociale basé sur l'assurance, des dispositifs d'assistance, financés par l'État, ont été mis en place dans les dernières années : le revenu garanti aux personnes âgées, les allocations aux handicapés et le minimum de moyen d'existence, souvent connu sous l'appellation «minimex».

La sécurité sociale des travailleurs salariés

L'ONSS assure la gestion globale de la sécurité sociale, elle perçoit les cotisations et reçoit les subsides et elle alimente six organismes prestataires chargés de distribuer les allocations, indemnités et remboursements.

1) L'INAMI (Institut national d'assurance maladie et invalidité) assure deux types de prestations :

- les soins de santé, remboursement des prestations médicales (médecins, infirmières, kinésithérapeutes, principalement), des médicaments, des soins hospitaliers ;

- les indemnités pour incapacité temporaire de travail par suite de maladie ou d'accident personnel, l'invalidité, les repos de maternité (assimilé chez nous à une maladie !) et les frais funéraires.

Pour ce faire, l'INAMI agit par l'intermédiaire des Mutuelles. Chaque travailleur doit s'affilier à une mutuelle de son choix. C'est elle qui assure les remboursements soit directement à ses affiliés, soit aux pharmaciens ou aux hôpitaux, suivant les cas. Les mutuelles elles-mêmes sont financées par l'INAMI d'après le nombre d'affiliés et des critères généraux globaux. Reconnaissance du passé, les Mutuelles font donc partie intégrante du système des soins de santé.

L'État intervient directement dans le coût de la journée d'hospitalisation, sans passer par l'INAMI.

2) L'Office national des pensions (ONP) établit les calculs des pensions et les paient à échéances mensuelles directement aux travailleurs salariés pensionnés. Les paiements se font de plus en plus sur le compte bancaire de l'intéressé et de moins en moins par mandat postal.

3) L'Office national des allocations familiales pour travailleurs salariés (ONAFTS) se charge du paiement des allocations familiales par l'intermédiaire de Caisses d'allocations familiales auxquelles les employeurs sont adhérents et affilient les membres de leur personnel. Ici aussi on se trouve devant un héritage du passé, beaucoup d'employeurs avaient créé leurs propres caisses d'allocations familiales dans la période d'entre-deux-guerres. C'était une forme de salaire, autant qu'une action sociale contribuant, par ailleurs, à fidéliser les travailleurs.

4) Le Fonds des accidents de travail (FAT) Normalement, les employeurs doivent s'assurer eux-mêmes auprès d'une compagnie d'assurance privée. Celle-ci intervient selon les barèmes prévus par la loi, tant pour les indemnités pour les salaires perdus que pour le remboursement des frais médicaux et autres. Le Fonds auquel tous les employeurs cotisent intervient en cas de défaillance d'un employeur ou d'une compagnie d'assurance.

5) Le Fonds des maladies professionnelles intervient en faveur des victimes de maladies professionnelles reconnues, comme la pneumoconiose qui a affecté lourdement les ouvriers mineurs. Si les soins de santé ressortissent à l'INAMI, les indemnités pour incapacité permanente ou temporaire, le coût de l'écartement du milieu nocif, de même que les indemnités aux survivants sont à charge du Fonds.

6) L'ONEM, Office national de l'emploi, était antérieurement chargé à la fois de l'indemnisation des chômeurs involontaires et du placement des demandeurs d'emploi. Cette dernière mission est, désormais, de la compétence des Régions, en Wallonie du FOREM, à Bruxelles de l'ORBEM et en Flandre du VDAB. L'ONEM s'occupe donc uniquement de la gestion et du paiement des indemnités de chômage. On l'a cependant chargé de nouvelles tâches avec la gestion et le paiement des prépensions de même que des dépenses liées aux «interruptions de carrière» et, plus récemment, la gestion de certaines mesures dites d'«activation des allocations de chômage», comme le plan d'insertion des jeunes, les Agences locales pour l'emploi (ALE), les programmes de transition professionnelle ou l'économie sociale d'insertion.

Le paiement des allocations de chômage se fait par l'intermédiaire des services chômage des organisations syndicales selon l'affiliation du chômeur ou chômeuse et à défaut par une caisse spéciale la CAPAC (Caisse auxiliaire de paiement des allocations de chômage). Ici aussi, on se trouve devant une reconnaissance du passé, l'origine du paiement d'indemnité de chômage résultant d'initiatives syndicales.

Telle est, dans ses grandes lignes l'organisation de la sécurité sociale des travailleurs salariés.

La sécurité sociale des indépendants

L'INASTI joue le même rôle que l'ONSS, il collecte les cotisations obligatoires des indépendants selon les règles fixées par la loi. Il effectue le paiement des prestations et indemnités par l'intermédiaire de l'INAMI pour les soins de santé et l'intermédiaire de Caisse d'allocations familiales. Toutefois, il paie directement les pensions et, tout récemment, les indemnités dues selon ce qu'on appelle «l'assurance faillite» qui assure une indemnité de subsistance.

Les prestations et remboursements, notamment les pensions et les allocations familiales des indépendants sont inférieures à celles des salariés. Depuis quelques années un «rattrapage» s'opère progressivement, le but étant d'arriver à terme à une situation égale pour les uns et les autres.

Réductions de cotisations sociales

Dans le cadre des mesures destinées à favoriser l'emploi, des réductions importantes de cotisations patronales ont été accordées aux entreprises. Le but est d'abaisser les coûts salariaux ce qui inciterait les entreprises à engager davantage de travailleurs. Elles atteignent 3.571,3 millions d'euro, soit 144,1 milliards de francs, soit 11,4 % des cotisations payées par les employeurs.

Des mesures du même type sont aussi appliquées dans d'autres pays. Certes, elles améliorent la compétitivité des entreprises qui en bénéficient, mais leur effet sur l'emploi est discutable et d'ailleurs discuté. Dans nombre de cas, l'emploi n'augmente pas globalement, et la réduction de cotisations a seulement un effet d'aubaine pour l'entreprise.

Quelques chiffres

Les tableaux qui suivent sont tirés du document parlementaire de la Chambre intitulé «Exposé général du budget 2002». Ils donnent les recettes et dépenses du système de sécurité sociale d'une part et de l'assistance sociale d'autre part. Les chiffres sont en millions d'euro.

Premier constat : globalement les comptes de la sécurité sociale prise dans son ensemble sont en équilibre ; il n'existe pas de déficit. D'ailleurs les revenus de placements sont beaucoup plus importants que les charges d'intérêts sur emprunts : 45, 8 millions d'euro contre 8,1 millions d'euro.

Deuxième constat : les cotisations des employeurs et des travailleurs représentent 72,2 % du total des recettes courantes.

Troisième constat : les frais d'administration et de paiement sont très faibles, ils représentent 3,55 % du total des dépenses.

Quatrième constat : par rapport à des assurances privées, aucun profit n'est distribué à un quelconque actionnaire.

Certes, on entend souvent parler du déficit de l'INAMI et des mesures prises pour le contenir mais l'INAMI n'est qu'une branche de la Sécurité sociale et depuis 1995 et l'application d'une gestion globale chaque branche doit rester dans les limites de son budget et doit prendre les mesures pour le respecter. Certes, l'évolution démographique, l'évolution technologique des soins et d'autres problèmes doivent être pris en compte dans l'élaboration du budget et si des dépenses s'avèrent nécessaires, il faut aussi trouver les ressources correspondantes.

Conclusion

Le système de Sécurité sociale est le résultat d'une longue lutte des travailleurs qui ont le plus souvent pris des initiatives qui sont devenues les principales interventions de la Sécurité sociale. Les indépendants, entrés plus tardivement dans cette voie ont leur propre système de cotisation et l'uniformisation sur le modèle des salariés est en voie de réalisation progressive.

Le système de Sécurité sociale a prouvé son utilité sociale pour tous les citoyens ; il doit être maintenu et défendu. À toutes forces, il faut éviter toute privatisation, ouverte ou larvée.

Deux problèmes s'annoncent, ils ne nous sont pas propres : le financement des soins de santé d'une part, celui des pensions d'autre part. Ces deux questions sont l'objet de nombreux débats, ici et ailleurs.

Tableaux

Budget de la Sécurité sociale

En millions d'euro

ONSS

INASTI

OSSOM

PENSIONS PUBLIQUES

TRANSFERT DIRECT (x)

Recettes












Cotisations

31.256

2.282

50

1.415


Subventions de l'Etat

5.122

1025

270

4.718

1.231

Financement alternatif

4.247

143

0

-


Recettes affectées

1.374

63

1



Transferts externes

416

0

2



Revenus de placements

46

8

2



Divers (autres régimes)

790

21

3

-








TOTAL DES RECETTES

43.153

3.541

327

6.133

1231







Transferts entre régimes

-98

0

0









Dépenses












Prestations

40.132

3.297

314

6.133

1.231

Frais de paiement

14

2

0



Frais d'administration

1.519

116

9



Transferts externes

338

97

0



Intérêts des emprunts

8

0

0



Divers

823

29

4









TOTAL DES DEPENSES

42.825

3.444

327

6.133

1.231







Transferts entre régimes

-

-97

-









Résultat hors transfert

416

-390

0








Amortissements d'emprunts

45

0

0









Résultat (hors transfert)

371

-390

0

0

0






Source : Document Chambre, "Exposé général du budget 2002", pages 162 et 163, chiffres arrondis.

(x) ces transferts se décomposent ainsi :

  • petits risque indépendants :54 millions d'euro,
  • prix de journée des hôpitaux : 1.141 millions d'euro
  • suppléments d'allocations familiales : 36 millions d'euro

Prestations des branches de la Sécurité sociale

En millions d'euro

Salariés

Indépendants







Organismes prestataires

Millions d'euro

%

Millions d'euro

%






INAMI - soins de santé

13.522

33,7

894

27,1

INAMI - indemnités

9.010

7,5

150

4,6

Pensions (x)

13.310

33,2

1.905

57,8

Allocations familiales

3.232

8,1

344

10,4

Fonds des accidents de travail

143

0,4



Fonds des maladies professionnelles

311

0,8



ONEM - chômage

5.039

12,6



ONEM ­- prépensions

1.160

2,9



ONEM ­- interruptions de carrière

336

0,8








Mineurs - invalidité

14

-



Marins - AMI

8

-



Marins - chômage

5

-








Assurance faillite

----

----

4

0,1






TOTAL

40.091

100,0

3.297

100,0





Source : Document Chambre, exposé général du budget 2002, pages 179 et 202, chiffres arrondis

(x) pensions de l'Etat non comprises : 6.133 millions d'euro

Budget de l'assistance sociale

En millions d'euro



Garantie de revenus aux personnes âgées

251



Allocations aux personnes handicapées

1.098



Minimum de moyens d'existence

248



Subsides aux CPAS

346



TOTAL

1.943

Source : Document Chambre, "Exposé général du budget 2002", page 167