Le Pays Basque : plus d'indépendance, pas de sécession

Toudi mensuel n°66-67, janvier-février-mars 2005

Le président du gouvernement basque Juan José Ibarretxe a avancé mercredi au 17 avril les élections régionales basques prévues en mai, au lendemain du rejet par les députés espagnols de son plan souverainiste pour le Pays basque espagnol.

M. Ibarretxe souligne qu'il est nécessaire de «donner la parole au peuple basque» après le rejet de son projet. Comme il y a des chances qu'il remporte ces élections, on peut s'attendre à ce qu'un référendum de type québécois ait lieu ensuite puisque ce référendum est prévu par le Projet de Statut nouveau du Pays Basque adopté par le Parlement basque fin 2004.

Il est regrettable que les médias européens et en particulier la RTBF reprennent un peu trop vite les slogans unitaristes castillans, prétendant que ce Statut serait la victoire du terrorisme. D'abord, ce Statut a le soutien des partis modérés qui ont toujours condamné le terrorisme de l'ETA. Ensuite, ce terrorisme lui-même s'explique (ne se justifie pas), par le terrorisme de l'État espagnol qui, qu'on le veuille ou non est un État post-fasciste.

Nous avons fait une lecture rapide de ce nouveau Statut qui, contrairement à l'impression donnée par les médias, s'il augmente l'autonomie basque ne va pas jusqu'à l'indépendance et mérite aussi d'être comparé avec le statut autonome de la Wallonie.

La revendication d'une « association » avec l'État (espagnol)

L'article 1 du Statut précise que les citoyens de Communauté du peuple basque « se constitue en une Commuauté basque librement associée à l'État espagnol sous la dénomination de communauté du Pays Basque ». L'article 4, § 2 va très loin dans l'exercice du droit de la nationalité : « La nationalité basque sera officiellement reconnue à tous les citoyens basques, conformément au caractère plurinational de l'État espagnol. L'acquisition, la conservation et la perte de la nationalité basque, ainsi que son accréditation, seront réglementées par la Loi du Parlement basque, et s'ajustera aux mêmes conditions que celles requises par les Lois de l'État pour la nationalité espagnole, de telle sorte que la jouissance et l'accréditation indistincte des deux nationalités sera compatible et produira pleinement les effets juridiques déterminés par les Lois. »

[L'État sans aucun qualificatif désigne toujours l'État espagnol]

Des liens de coopération sont prévus avec la Navarre et le Pays Basque français. La langue basque est la langue officielle du pays Basque « au même titre » (article 8 du Titre préliminaire), que la langue espagnole.

L'article 12 (Du régime de relations politiques avec l'État espagnol et ses garanties) précise à nouveau que les citoyens basques « accéderont à l'autogouvernement à travers un régime singulier de relation politique avec l'État espagnol, basé sur la libre association, dans le respect et la reconnaissance mutuelle, tel qu'il est établi dans le présent Statut Politique, qui tiendra lieu à cet effet de norme institutionnel fondamentale. » On précise dans le paragraphe suivant que cette libre association ne peut mettre en question les droits historiques du peuple basque.

Le régime de libre association peut cependant être remis en cause. « Quand, dans l'exercice démocratique de leur droit à la libre décision, les citoyens basques manifesteront lors d'une consultation mise en place à cet effet, leur volonté claire et sans équivoque d'altérer intégralement ou en substance le modèle et le régime de relation politique avec l'État espagnol, ainsi que les relations avec l'Union européenne et au niveau international, qui sont définies dans le présent statut, les Institutions basques et celles de l'État prendront l'engagement de garantir un processus de négociation visant à établir les nouvelles conditions politiques qui permettront de matérialiser d'un commun accord la volonté démocratique de la société basque. »

Cependant il y a bien association entre le Pays basque et l'Espagne puisque la Commission bilatérale Pays-Basque-État devra « gérer auprès du Congrès et des Députés du Sénat ou du Parlement basque des mises en demeure de coopération normative lorsqu'on observera des processus de lois, de dispositions normatives ou d'actes ayant force de loi qui pourraient porter atteinte au régime de relations et de partages de compétences entre l'État et la Communauté du Pays Basque. »

Une nouvelle Chambre spéciale du Tribunal Constitutionnel espagnol sera constituée par trois magistrats désignés par le Tribunal siégeant en session plénière parmi ses membres et trois autres par le Roi d'Espagne sur proposition du Parlement basque.

La procédure du référendum qui aura lieu effectivement si les élections donnent raison à l'actuel Gouvernement basque prévoit le refus du gouvernement espagnol et du Parlement espagnol de négocier : « Dans l'hypothèse où un accord serait obtenu, le Parlement basque pourra solliciter au Gouvernement basque de soumettre la proposition initialement approuvée à la ratification de la société basque par la voie du référendum. » (art 17 § e).

Le Pouvoir judiciaire devient uniquement basque avec une exception : « la compétence des organes juridictionnels dans la Communauté du Pays Basque s'étendra à tous les ordres, instances et degrés, indépendamment du droit appliqué, avec l'unique exception dans l'ensemble de l'État de la juridiction de la Cour suprême. » (article 26, § 2).

L'article 41 décrit les principes de relation administratives avec l'État :

  • « a) L'échange d'information, la coordination et la coopération conformément aux principes de loyauté institutionnelle, et dans le cadre des mécanismes de collaboration et garanties réciproques établis dans le présent Statut.
  • b) le respecte et la non-ingérence dans l'exercice des pouvoirs et domaines de compétence respectifs, conformément aux attributions et au partage définis dans le présent Statut.
  • c) la subsidiarité, à travers le critère de l'Administration appropriée, concernant l'exercice de tous les pouvoirs publics d'exécution.
  • d) L'harmonisation des cations lorsque celles-ci susciteront des divergences entre les Institutions respectives, sans préjudice de l'application du système de garanties et de procédures établies dans ce Statut. »

Les compétences exclusives de l'État (espagnol)

L'article 45 énonce les politiques publiques exclusivement réservées à l'État Espagnol :

  • « a) Nationalité espagnole, immigration et droit d'asile, sans préjudice du partage de compétences en matière de politiques d'émigration et d'immigration, en fonction de leur incidence sur les politiques sectorielles exclusives de la Communauté du pays Basque.
  • b) Défense et Forces armées.
  • c) Régime de production, commerce, possession et usage d'armes et d'explosifs.
  • d) Système monétaire.
  • e) Régime et tarifs douaniers.
  • f) Marine marchande, immatriculation de navires et d'aéronefs, contrôle de l'espace aérien.
  • g) Relations internationales, sans préjudice des actions ayant une répercussion à l'extérieur que ce Statut reconnaît à la Communauté du pays Basque. »

On remarquera que ces compétences pourraient constituer le noyau des compétences de l'État belge face à ses États-régions. Sauf que dans le cas de l'État belge, il n'est pas exclu que ces compétences soient un jour exercées en commun, les partenaires n'étant que deux ou trois...

Les compétences exclusives de l'État basque

On peut dire que tout le reste est de la compétence exclusive du pays Basque. Il y a les politiques d'autogouvernement (article 46), les politiques éducatives et culturelles (article 47), les politiques sociales et sanitaires (article 48), les politiques économiques sectorielles et financières (article 49), les politiques de ressources naturelles, aménagement du territoire, logement et environnement, les politiques d'infrastructures et transports, (article 50), les politiques publiques exclusives de régime spécifique (article 51), les politiques socioprofessionnelles et d'emploi (article 53), les politiques de protection sociale (article 54). Les articles 58 à 62 garantissent l'autonomie budgétaire et financière de l'État basque.

Les relations entre le Pays Basque et l'Europe

Il est intéressant de lire ce qui est dit des relations avec l'Europe car, même si l'État basque a évidemment plus de compétences que les États fédérés dans l'État belge, la représentation du pays Basque fait songer à celle des États fédérés dans le Conseil des ministres européens (article 65) :

  • « 1. L'État incorporera les engagements découlant du présent Statut aux Traités de l'Union européenne dans les termes adéquats, afin de garantir leur reconnaissance et leur respect au niveau européen.
  • 2. Conformément aux normes communautaires européennes, la communauté du pays Basque jouira d'une représentation directe au sein des organes de l'Union européenne. À cet effet, le Gouvernement espagnol mettra en oeuvre les moyens nécessaires pour permettre la participation active du Gouvernement Basque aux différentes procédures de prise de décision des Institutions Communautaires dans les matières concernant ses compétences.
    De même les représentants des Institutions basques prendront part aux délégations de l'État dans le conseil des ministres de l'Union européenne pour toutes les matières concernant le contenu des politiques publiques qui leur sont exclusivement réservées ;
  • 3. Le Gouvernement Basque et le Gouvernement espagnol mettront en place les systèmes de coordination nécessaires visant à garantir la participation active de la Communauté du pays Basque à l'élaboration, la programmation, la répartition et l'exécution des différents fonds communautaires.
  • 4. Les Institutions basques auront la responsabilité de la transposition des Directives communautaires dans le domaine de ses compétences.
  • 5. L'État veillera à l'accès des Institutions basques à la Cour de Justice Européenne, pour autant que leur accès direct ne serait pas prévu dans les normes européennes.
  • 6. La Communauté du Pays Basque constituera une circonscription électorale unique pour les élections au parlement européen. »

Pour les autres relations internationales, les compétences du Pays Basque valent également sur la scène internationale, comme c'est le cas en Wallonie.

Il est à remarquer que si les compétences du Pays Basque sont plus étendues que celles de la Wallonie et de la Communauté française, la représentation de la Wallonie à l'Union européenne est plus efficace. Mais seulement dans la mesure où la Wallonie n'a à partager la présence au Conseil des ministres européens ou sa présidence qu'avec la seule Flandre, parfois aussi avec Bruxelles. Si le fait que, dans l'État belge, les deux grands éléments nationaux ne sont que deux, et pour un pays moyen - ce qui entrave la visibilité de la Wallonie au niveau international -, en revanche, pour ce qui concerne l'Union européenne, à la fois la visibilité et l'efficacité de l'indépendance wallonne, en tant que partagée avec la Flandre, est plus assurée sur le long terme.