Les mensonges sur les fins de carrière

Toudi mensuel n°69, octobre-décembre 2005

Il fallait s'y attendre. Dès que les médias sont étrangement consensuels et semblent tous d'accord sur le fait qu'il faut améliorer le « taux d'emploi » et promouvoir un pacte entre les générations parce que  «le rapport entre actifs et non-actifs » s'inversent en faveur des non-actifs, il faut que la société se venge quelque part des insultes en quoi consistent ces messages courants. Nous nous fondons ici sur un excellent numéro des Cahiers Marxistes (n°231) 1

Un non-dit des on-dits: Le mensonge du « taux d'emploi »

Examinons principalement l'article pénétrant de Felipe Van Keirsblick Un autre spectre hante l'Europe : le vieillissement et la mort annoncée des pensions légales, pp. 9-40 et notamment l'encadré des pages 17 à 20 consacré au « taux d'emploi ».

Jusqu'à présent, on avait toujours parlé de « plein emploi » notamment sous l'influence de Keynes et non de « taux d'emploi ». L'objectif des sociétés développées était de faire baisser le taux de chômage vers 0, tout en sachant que c'était irréalisable au chiffre près, mais certaines périodes, parfois longues, ont évidemment assuré un quasi plein emploi. L'utopie du « taux d'emploi » est d'arriver à ce que toute personne travaille entre 20 et 60 ans (voire entre 15 et 65 ans ! ou même 70 ans !). Une pareille utopie a quelque chose d'étrange pour ceux qui ont connu l'annonce de la « société des loisirs » quand la RTB (pas encore F), au début des années 60,  interrogeait des sociologues qui expliquaient que le temps de travail allait à ce point se réduire qu'il fallait envisager une société tournée non pas vers la production, mais vers la culture. Où la fréquentation des théâtres, des cinémas, la lecture des livres, la participation à des séminaires serait rémunérée. Le Père Raes lui-même se prononçait en faveur de ces utopies aux « semaines sociales wallonnes du MOC ». On rêvait. Mais pas absurdement.

Que le taux d'emploi soit bas dans ce pays (même sur les 20/60 ans), c'est à la limite une bonne nouvelle, pense Felipe Van Keirsblick. Parce que cela suppose que beaucoup de jeunes peuvent poursuivre des études assez longues, que des hommes et des femmes peuvent se retirer de la contrainte du travail pour se consacrer à leur famille et que les travailleurs plus âgés peuvent se retirer plus vite de la vie dite « active » tout en en prenant une nouvelle, mais qui n'est pas directement axée sur les circuits économiques. En fait le PIB de ce pays est assez élevé malgré un taux d'emploi bas. Sauf pour la Wallonie qui doit effectuer malgré tout certains rattrapages, cette situation n'est pas mauvaise. Et sauf pour les chômeurs, mais, comme on le sait, le « pacte entre les générations » ne met pas tant l'accent sur l'éradication du chômage comme lorsque l'on rêvait du plein emploi (à juste titre), mais sur le maintien au travail des personnes de plus de 50 ans. Viser au taux d'emploi des personnes entre 15 et 65 ans, en obligeant les personnes plus âgées à demeurer au travail risque à la limite de hausser le taux de chômage. Il y aura de plus en plus de travailleurs peinant au travail au-delà de 55 voire de 60 ans mais pas nécessairement  moins de jeunes condamnés à l'ennui du chômage.

Le fameux choc démographique ?

Contrairement à ce que l'on dit, il n'y aura pas de choc démographique. La proportion de gens âgés de plus de 60 ans va certes passer de 21,1 % en 2000 à 30,6% en 2030. Mais cette augmentation de moitié va se faire lentement au rythme de 0,3% par an d'ici 2050. Et il faut dire aussi que dans un premier temps, cette augmentation va d'abord concerner la Flandre, non la Wallonie. En effet, selon certaines études, la Flandre devrait perdre autour de 400.000 personnes dans la tranche d'âge des 20-59 ans, alors que la Wallonie verrait sa population entre 20 et 60 ans se stabiliser. Puis n'en perdrait qu'autour de 10.000 soit respectivement 13% de pertes pour la Flandre  et 0,4% pour la Wallonie. De plus, Bruxelles connaîtrait même un certain temps une augmentation de sa population jeune 2. Il y a 67% des chômeurs wallons âgés de 18 à 40 ans. Cela paraît donc un peu étrange qu'on ne vise qu'à remettre au travail des gens de plus de 55 ans...

De plus, on ne nous dit jamais que si la proportion de personnes de plus de 60 ans va augmenter de manière relativement considérable, la proportion de jeunes de moins de 20 ans va, elle, diminuer. S'il y avait en 1970 100 actifs (ou possiblement actifs, c'est-à-dire des gens en âge théoriquement de travailler, entre 20 et 60 ans), pour 100 non actifs ou possiblement tels soit des gens de moins de 20 ans et des gens de plus de 60 ans), il y aura, en 2030, selon les mêmes catégories d'âges (actives et non actives), 100 actifs pour 105 non actives. Ce qui n'est pas une augmentation catastrophique. On ne le voit pas en écoutant nos médias, car il n'est jamais question que de l'augmentation des « vieux ». Alors que les jeunes vont aussi diminuer. Si, en 1970, sur les 100 non actifs, il y avait 62 moins de 20 ans et 32 plus de 60 ans, en 2030, sur les 105 non-actifs il n'y aura plus que 43 jeunes de moins de 20 ans. Il y aura certes 62 personnes de plus de 60 ans. Or les jeunes coûtent aussi cher que les vieux si l'on envisage notamment le coût énorme de l'enseignement, et surtout de l'enseignement supérieur et universitaire.

Cette diminution du nombre des jeunes ne doit pas du tout être envisagée comme une décadence des sociétés européennes. C'est ce que démontre Michel Loriaux dans le même numéro des CM aux pp. 131-143 (Du mauvais usage des prévisions démographiques). Il fait d'ailleurs remarquer en passant : « On a entendu récemment des responsables de fédérations patronales n'hésitant pas même à affirmer qu'au-delà de quarante-cinq ans, il n'est plus intéressant d'assurer une formation au personnel parce que le rapport coût/bénéfice serait défavorable. » Et on ne peut pas dire que ces déclarations ne seraient  pas la norme. Dans Le déclin du social, Anne-Marie Guillemard a montré, à travers une sorte d'histoire de la vieillesse et de la Sécu en France, que le patronat a toujours cherché à se débarrasser des travailleurs plus âgés, ce qui a déterminé l'accord (qui a cours depuis une génération), sur les pré-pensions : syndicats et patronat y trouvant leur compte (on se débarrasse des vieux, une ouverture existe sur l'embauche des jeunes dont, du moins, l'emploi est maintenu, par exemple dans une entreprise qui se restructure) 3.  Dans ce même livre, Anne-Marie Guillemard nous rappelle que le Gouvernement Laniel en France, en 1953, inquiet d'une apparente pénurie de main d'œuvre qui aurait menacé la France (peut-être un souvenir de 1945), avait décidé de retarder le départ en retraite dans les services publics. Mal lui en prit ; la SNCF et les secteurs publics furent bloqués tout l'été. Le thème des pensions est un thème extrêmement sensible.

C'est en raison des progrès de toutes sortes que le nombre des gens plus âgés augmente, progrès tant sur le plan de la santé que des conditions de vie. Et la « diminution » des jeunes (plus exactement de la proportion des jeunes), s'explique aussi par l'augmentation globale du nombre de personnes vivantes. En outre, aujourd'hui, la vieillesse n'est plus, au moins dans les dix ou vingt premières années de la retraite après 55 ou 60 ans, un « naufrage ». Non seulement, on vit de plus en plus longtemps, mais on vit de plus en plus longtemps en bonne santé longtemps. Pour Aristote, on était vieux à 50 ans, aujourd'hui, on peut penser qu'on commence à l'être quand on se rapproche de 70 ans et encore. Il y a quelques années le journal Le Monde avait calculé qu'en France on avait 10.000.000 de bénévoles correspondant à 1 millions d'emplois à temps plein. Certes, ce ne sont pas seulement les vieux qui constituent cette population qui, en Wallonie, doit se situer entre 50.000 et 100.000 personnes. Mais le journal Le Monde n'identifiait que les personnes identifiables par leur engagement dans le domaine culturel, les associations avec pignon sur rue etc. Il y a aussi le bénévolat non officiel exercé en famille où les grands-parents prennent en charge de plus en plus largement l'éducation des enfants de leurs enfants apportant ainsi une aide considérable aux « actifs », eux qui sont présentés aimablement comme « non actifs ». Le vieillissement de l'Europe doit plutôt être considéré comme un rajeunissement de la population globale qui est en meilleure santé, qui peut consacrer un temps de plus en plus important à elle-même d'abord (ce qui est un progrès humain non négligeable), et aussi à toute une série de besoins sociaux sur le plan familial, social, culturel.

On ne pourra plus payer les pensions ?

Il est assez incroyable qu'on ose dire que l'on ne pourra plus payer les pensions avec l'augmentation du nombre des non actifs. Comme si c'était seulement les actifs qui payaient les pensions des non actifs! A cause de l'augmentation de la durée de la vie et du nombre des pensionnés, les dépenses sociales (soins de santé et pensions), seraient à 2,1 % du PNB en 2030.  Ce chiffre de 2,1% du PNB prend en compte le fait que parallèlement les dépenses en allocations familiales, en enseignement et en prépensions diminueraient considérablement.

Il faut aussi faire observer que l'augmentation des coûts en soins de santé et en pension est parallèle à une augmentation assez importante du PNB. Pour la France, Bernard Friot (Financement des retraites : l'enjeu des cotisations patronales, pp 93-104 du n° des CM), fait l'estimation suivante. Selon lui, si, pour un PNB de 750 milliards d'€ en 1960, les dépenses en retraites étaient alors de 40 milliards, soit 5%, en l'an 2000, compte tenu du fait que le PIB était de 1500 milliards, avec 12% de dépenses en retraites, en 2040, on pourrait envisager pour un PIB de 3000 milliards, des dépenses en retraites qui seraient de 600 milliards, soit 20% du PIB. Mais s'il restait seulement 710 milliards de PIB disponibles pour les autres dépenses en 2000, il en resterait 2400 milliards en 2040, à francs constants ou € constants, évidemment. C'est une donnée qu'on n'intègre jamais. On ne tient pas compte que la richesse globale de nos sociétés double en règle générale tous les 40 ans. Avant de dire que l'on ne pourra plus payer les pensions, il faut voir ce que seront nos capacités et notre richesse globales d'ici 25 ans.

Au total, l'auteur dont s'inspire Felipe Van Keirsblick (auquel nous revenons maintenant), G. De Swert 4, compte tenu de ces augmentations du PIB, de la diminution probable d'autres dépenses (comme le chômage et les allocations familiales), estime que le surcoût des pensions et du « vieillissement » peut s'évaluer en dépenses équivalant à 0,2% du PIB par année. Mais depuis une dizaine années, les entreprises ont obtenu des réductions de charges sociales qui équivalent, elles, aujourd'hui à 2% du PIB, soit le dixième du budget de la Sécurité sociale. En outre, la réforme fiscale de Didier Reynders  va coûter 1,6% du PIB en trois ans. On estime que d'ici 25 ans le PIB belge aura augmenté de 55%. Donc, il faut réaffirmer, contre une opinion courante et dominante que, contrairement à tout ce qui se dit, l'État et la collectivité sont  parfaitement à même d'assurer les pensions à l'horizon humain prévisible. On organise une panique à ce sujet qui est dépourvue de tout fondement. Mais pas de tout calcul...

Les solutions de pensions privées sont illusoires

Le calcul peut être fait par ceux qui rêvent de « privatiser la Sécurité sociale ». On estime généralement que devant la faillite possible du système légal des pensions, il faut se tourner vers le privé. Mais « le privé » ou les assurances qu'il « garantit » (pas toujours si certainement d'ailleurs), ne fait pas autre chose que prélever à travers ses méthodes (assurances groupes, épargnes pensions etc.), sur le PIB également. Sauf qu'il se fait payer bien plus que les fonctionnaires qui administrent la Sécurité sociale (3% de frais de fonctionnement pour un budget de 2000 milliards à redistribuer et qui est de fait redistribuer chaque année intégralement, sans commissions à des actionnaires etc.).  Et pour un résultat qui n'est pas sôr, car, comme fait remarquer le Prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz 5, les assurances privées ne sont pas à même de garantir les pensionnés contre la perte du pouvoir d'achat et les érosions monétaires. Et qu'il faut se garder de s'illusionner sur les différents « booms » des bourses.

L'argument dont on se sert ici est un argument de rétorsion. On peut le dégager comme ceci. « - Vous déclarez qu'en 2030, il n'y aura pas assez d'argent pour payer les retraites ?  - Oui !  - Et que faut-il faire alors ?  - Souscrire à des assurances notamment fondées sur des actions cotées en Bourse. - Soit, mais si réellement il n'y a plus d'argent en 2030, alors les assurances/pensions, les cotations en bourse auront également chuté. » Citons Van Keirsblick : « Si en 2030, il n'y a pas assez de richesses pour éviter aux (« innombrables ») vieux la famine et la misère, si les quelques rares actifs de 2030 sont sans le sou, qui sortira des dizaines de milliards d'€ pour racheter vos vieux titres financiers - ou ceux que votre compagnie d'assurances aura acheté en votre nom ? Personne. Mais comme toute une génération arrivera à l'âge de la retraite avec des montagnes de titres à vendre, et plus personne pour les acheter, ils perdront toute leur valeur. Et si, à l'inverse (comme c'est possible !), la Belgique et l'Europe sont, en 2020, riches, actives et prospères ? Alors oui, il pourra se trouver des dizaines de milliards d'€ pour racheter vos titres... Mais ces milliards auraient aussi bien pu payer directement les pensions de 2030, sous la forme de cotisations instantanément réparties, comme c'est le cas aujourd'hui... Et sans que vous deviez au passage subvenir aux frais administratifs et publicitaires très élevés des compagnies d'assurance, ni entretenir leurs actionnaires... » (art.cit. des CM, p24).

Humanisme de la position syndicale

Indépendamment du fait que les syndicats ont raison de dire que nous ne sommes pas ici sur terre uniquement pour travailler en faveur du capitalisme, mais aussi pour notre famille, nos amis, nous-mêmes, les associations culturelles, religieuses, sociales, sportives dont le but n'est pas le profit mais le bien-être de la société : «  ce sont les emplois, les savoir-faire, les investissements, les solidarités d'aujourd'hui qui assureront le mieux les emplois et la richesse de demain ». Pour assurer notre prospérité « il y a en tout cas une chose qu'il ne faut pas faire : augmenter les stocks d'épargne et la financiarisation de nos économies. Et il y a certainement un guide assez général auquel nous pouvons nous fier : c'est que plus d'égalité réelle et plus de sécurité d'existence conduisent vers plus stabilité et de prospérité. »  (F.Van Keirsblick, article cité).

Les bénéficiaires du chantage à la pension retardée

Ce sont d'abord les entreprises qui, au fond, veulent (ou pourraient sembler vouloir), privatiser la Sécurité sociale. Pour toutes les entreprises qui sont spécialisées dans ce domaine, il s'agit d'un vaste marché correspondant à 10% du PIB de la zone européenne, la première puissance économique mondiale. Et ceci est également lié à la financiarisation de nos économies qui fait que, auparavant, on extrayait la plus-value sur le travail effectif dans les usines et les ateliers ou les bureaux, alors que, maintenant,  il y a cette financiarisation.

Un aspect plus subtil, c'est le fait de diviser le travailleur contre lui-même en le mettant dans la situation ambiguë de quelqu'un qui travaille pour un patron,  mais d'être aussi un patron pour qui les autres travaillent via ses épargnes placées en actions. Le plus étrange de tout, en cette affaire, c'est le fait que toutes les mesures promues au nom du vieillissement ont pour effet la baisse des salaires directs ou des salaires différés puisque l'allongement de la durée du travail sur la vie a comme effet immédiat de diminuer les pensions puisque l'on en diminue le temps où l'on peut en profiter. Cela s'accompagne d'une pression sur les chômeurs pour qu'ils soient disponibles et, en même temps que cette pression, on perçoit bien que le patronat ne désire pas du tout que le chômage diminue trop. Car ce volant de main d'œuvre disponible est aussi une façon de maintenir la pression sur ceux qui ont du travail et qui, du fait de la pression, sont moins enclins à revendiquer des hausses de salaire, sachant qu'on peut plus facilement les remplacer.

La lutte des classes n'est pas une idéologie

Finalement, on peut présenter tous ces discours sur la solidarité entre générations comme une façon de baisser les salaires. On le sait, en ordre de grandeur depuis la crise des années 80, la part des salaires (directs ou différés), a baissé de 10% pour ne plus représenter que 60% du PIB. Le fait d'allonger le temps de travail, de diminuer les pensions (le prix payé pour elles), en fait, ira encore accroître cette tendance. Comment s'en étonner ? Il y a entre les détenteurs du capital et les travailleurs une lutte perpétuelle - la lutte des classes - pour se partager  le fruit du travail. On ne peut pas dire que nous étions il y a vingt ans dans une société parfaitement égalitaire. Mais c'est un fait que malgré l'amélioration du sort de tous, la répartition des richesses produites dans nos sociétés est bien plus inégalitaire qu'il y a un quart de siècle.

Ce qui frappe dans le débat actuel sur les fins de carrière, c'est que c'est avec le maintien d'un chômage dissuasif et l'allongement proposé du temps de la carrière avant de bénéficier de la pension, non pas tellement le quantitatif qui est visé, mais la qualité de la vie. Parce que ces propositions rétrogrades touchent les jeunes par le chômage et touchent aussi à la qualité de vie des plus âgés, de telle façon que c'est la vie elle-même de toute la société qui va s'en ressentir. En France (et chez nous des chiffres très proches), d'ici 40 ans, l'espérance de vie à la naissance va gagner 1 mois et demi chaque année et donc parvenir à six ans de plus d'ici 2040. Mais en France (les choses sont un peu différentes chez nous), le Conseil d'orientation des retraites a calculé pour éviter des dépenses supplémentaires en faveur des gens âgés, qu'il s'agissait d'absorber ces six années de vie en plus, en forçant les personnes à travailler six ans de plus, pour que les gains d'espérance de vie soient utilisés pour l'activité économique et non pas utilisés en fonction du bien-être global des sociétés (et des individus). Bernard Friot pense qu'au fondement de tout cela, il y a de la part des classes dominantes une répugnance profonde à payer pour un travail qui n'est pas subordonné, qui n'est pas servile, soit le travail social que de toute façon les personnes âgées continuent à accomplir quand elles sont à la retraite, comme on l'a montré dans ce texte à travers mille exemples. Derrière l'apparent acharnement à sauver la sécurité sociale de différents partenaires sociaux et gouvernementaux, il y a surtout la haine de ce système qui est formidablement redistributeur (en Belgique 20% du PIB belge redistribués chaque année intégralement au bénéfice des enfants, des malades, des chômeurs et des vieux sans aucune autre dépense que des frais de fonctionnement de 3%).

Une réflexion valable pour la France

Bernard Friot n'hésite pas à l'écrire : c'est la santé de la Sécurité sociale qui affole la classe dirigeante. Il s'exprime pour la France : « Hier, le salaire était fait de 85% de salaire direct et de 15% de sécurité sociale, et ça ne portait pas à conséquence. Aujourd'hui, nous sommes à 60/40 : c'est déjà peu tolérable que 40% du salaire nous paie à ne rien faire, c'est-à-dire à travailler librement, à produire de la richesse et non à mettre en valeur du capital. Demain, continuer à financer les retraites par cotisations sociales supposera que plus de la moitié du salaire finance non pas le travail subordonné, mais le travail libre. Alors notre destin de force de travail subordonnée à la loi de la valeur pourra être déjoué, d'autant que - seconde dimension subversive du financement de la retraite par cotisations sociales - financer les retraites sans épargne financière de celle-ci montre le caractère parasitaire de celle-ci... et donc qu'il est possible aussi de financer l'investissement productif (220 milliards d'€/an aujourd'hui, à peine plus que les 180 milliards des retraites), sans accumulation financière. » (article cité dans ce n° des CM, pp. 93-94).

Raisonnement social et raisonnement wallon

Pour la Belgique et singulièrement pour la Wallonie souvenons-nous que la Sécurité sociale - malgré les importantes ristournes, qui grandissent chaque année, accordées aux entreprises et qui sont de 200 milliards présentement - n'a jamais été en déficit depuis soixante ans. Souvenons-nous aussi que la Wallonie ayant une structure de population plus jeune, ayant subi le choc des restructurations des charbonnages, de l'industrie lourde, de la sidérurgie, avec un chômage abondant, des salaires inférieurs à ceux de la Flandre, n'aura pas trop à payer pour ses pensionnés. D'autant plus que, alors que la Flandre va voir sa population de 20 à 60 ans diminuer de 400.000 unités dans les prochaines décennies, la Wallonie, elle, ne va  la voir diminuer que de 10.000 unités. Il va  en résulter un surcoût des pensions que même la Flandre prospère et riche ne pourrait pas assumer sans... des transferts wallons. Il n'est pas sot de faire cette hypothèse et de la vérifier déjà maintenant par le fait que du côté flamand on désire certes toujours scinder la Sécurité sociale, mais en acceptant (mais peut-être par intérêt flamand), que la Sécurité sociale reste financée nationalement. Enfin, comme cela été dit aussi, souvenons-nous que les allocations sociales jouent aussi un rôle dans le développement endogène, ce type de développement auquel le Plan Marshall n'est pas aussi attentif. Les allocations sociales, immédiatement redistribuées, sont aussi immédiatement dépensées au bénéfice des PME entre autres, des professions libérales (médecins, pharmaciens), des indépendants dans des secteurs comme l'HORECA, les loisirs en général, le tourisme etc. On peut se demander aussi si, derrière tout cet écran de fumée sur les prépensions, ce n'est pas en réalité ce que l'on appelle le « coût du travail » en Belgique qui est remis en cause. Soit les cotisations patronales à la Sécurité sociale. Mais pourquoi venir nous parler de la solidarité entre les générations? En avouant que peu de gens seraient immédiatement touchés par les mesures de cette « solidarité », Laurette Onkelinkx a peut-être lâché le morceau récemment dans Le Soir.

Un dernier mot : dans les propositions actuelles, les femmes seraient les plus touchées, car elles sont plus exposées que d'autres, notamment  à cause des interruptions de carrière, parce que leur carrière a pu être calculée autrefois sur un moins grand nombre d'années. Derrière l'idée de la nécessaire « solidarité entre générations » se cachent pas mal de mensonges et notamment un mensonge qui vise et blesse particulièrement les femmes, les jeunes, les Wallons.

Voir aussi Mensonge sur les pensions

  1. 1. La guerre aux vieux et que l'on peut commander  en versant 8 € au numéro de compte 001- 1047600-76, 1050 Bruxelles.
  2. 2. Vieillissement, fins de carrière et pension, CEPAG, Namur, 2004.
  3. 3. Anne-Marie Guillemard, Le déclin du social, PUF, Paris, 1986.
  4. 4. G.De Swert, 50 mensonges sur la fin de carrière, Luc, Pire, Bruxelles, 2005.
  5. 5. Joseph E.Stiglitz, Quand le capitalisme perd la tête, Fayard, Paris, 2003, pp. 249-257.