Les partielles d'avril 1937 : rectifications de Daniel Olivier

5 mars, 2013

Degrelle caricaturé par Magritte en 1938


Daniel Olivier est un lecteur redoutable d'ouvrages historiques. Parce qu'il en repère les erreurs. Et le fait savoir aux auteurs qui ne l'apprécient pas toujours. Ceux qui veulent éditer quelque chose dans ce domaine peuvent avoir recours à lui ! Il est le fils du député rexiste (rompant avec Degrelle en avril 1940), Alfred Olivier que, prétendument, Degrelle aurait fait démissionner en 1937 (ainsi que tous les suppléants de la liste), en vue de provoquer une élection partielle qui l'opposera à Van Zeeland. On a écrit beaucoup d'erreurs à ce propos. C'est inévitable. Je pense même que Daniel Olivier ne les a pas relevées toutes!

Deux autres élections partielles en 1928 et 1935

Le fait que ces élections auraient signifié la victoire de la démocratie sur le fascisme (formellement peut-être mais il y a des nuances à faire selon l'auteur), et aussi le caractère apparemment singulier de l'événement font que l'on oublie que d'autres élections partielles ont eu lieu durant l'entre-deux-guerres. Dans une courte plaquette rédigée avec doigté Démission 6 mars 1937. Election partielles 11 avril 1937, l'auteur relève celles-ci :

* les élections partielles d'Anvers de 1928, suite, cette fois, à la mort du député flamand Kreglinger. Présenté comme candidat par un Front flamand Auguste Borms recueillit 83.000 suffrages sur 191.000 électeurs inscrits. Mais le 19 décembre suivant, la Chambre invalida cette élection (Borms était en prison, déchu de ses droits civils). Aux élections de mai 1929, le VNV passa de 6 à 11 sièges. D.Olivier n'a pas tort de dire les répercussions nationales de l'événement qui révéla clairement la force du nationalisme flamand (p. 1) ;

* les élections partielles de Bruxelles qui eurent lieu, cette fois, à cause de la démission de P-H Spaak et de tous les suppléants de la liste POB dans les premiers jours de mars 1935, en vue de mettre en difficultés le gouvernement Theunis II et (pour Spaak) de se pousser comme ministrable. Spaak devint de fait ministre pour la première fois le 25 mars de cette année puis fut réélu député lors de l'élection partielle du 14 avril (étrange cette chronologie, mais exacte et la plaquette en donne tous les éléments, peut-être parfois un peu dispersés).

L'élection partielle de 1937

Le 7 mars 1937, deux ans après Spaak, Degrelle réédite le coup de mars 1935. On a dit que Degrelle (qui ne s'était pas présenté personnellement aux élections en 1936, année de la grande victoire de Rex), aurait « fait démissionner » le député Alfred Olivier et tous les suppléants de la liste, de manière à rendre obligatoire ce retour partiel (pour ce siège de député seulement), aux urnes. Il est dit aussi que l'élection partielle allait opposer d'un côté le fascisme et de l'autre la démocratie. Quant à Alfred Olivier, l'auteur de la plaquette signale qu'il sera élu conseiller communal d'Etterbeek en 1938 et qu'il rompra avec Rex en avril 1940. Daniel Olivier cite dans sa plaquette (p.4), une brochure publiée en 1991 et reprenant une communication aux Ca-Me-Dit-De-L'Histoire du centre culturel de Rossignol le 5 janvier de la même année, brochure de Francis Ballace (citée par la notice de la Nouvelle biographie nationale sur A.Olivier) et intitulée La fin de l'équivoque du rexisme : l'élection partielle du 11 avril 1937, p. 94 : « Le 27 février autour d'une bonne table dans un restaurant bruxellois, au retour des funérailles nationales d'officiers tués lors d'un exercice au polygone de Brasschaat, une réunion groupe cinq hommes : Sap, d'Aspremont-Lynden, Degrelle, le député Pierre Daye, mentor et aîné du rexisme et le député Gustave Wyns qui en est le grand argentier. On y propose d'organiser une élection partielle à Bruxelles provoquée par la démission d'un député rexiste et ses suppléants. » Daniel Olivier cite alors une trentaine d'ouvrages (mais il en a lu plus encore) depuis l'époque jusqu'à aujourd'hui qui reprennent à peu près tous l'idée que Degrelle aurait « forcé » Alfred Olivier à démissionner. Il souligne les exagérations des médias disant, alors, que c'est la démocratie qui est en jeu (pour résumer), et remarque pour tempérer ces analyses : « n'y avait-il pas aussi une sorte de bluff dans le sens où le péril fasciste n'était qu'une illusion ? » (p.11) L'auteur veut y voir une sorte de réédition des Grandes farces de Louvain, titre d'un autre livre de Degrelle dont il est l'auteur à un double titre. Mais quelques mois plus tard, Rex versera dans l'antisémitisme, il me semble qu'il convient de le rappeler.

Pourquoi cette élection partielle ?

D.Olivier nous dit que la campagne de 1937 n'a plus les allures de celle de 1936. Aux élections du 24 mai 1936, Degrelle fait campagne contre les « pourris » et joue de l'avantage de la condamnation de Segers dans un procès contre Degrelle qu'il perd, notifié avec des attendus sévères : l'avocat de Degrelle était Alfred Olivier. En 1937, écrit-il encore, « l'idée de l'élection partielle, venue de Charles d'Aspremont Lynden est de récupérer les votes rexistes dans une « concertation de droite ». Dans son esprit, Degrelle gagne, c'est une force pour le parti catholique. Degrelle perd, il demande sa réintégration dans le bloc catholique, reconnaissant sa faiblesse et récupérant, pense-t-il, sa force de frappe. » (p.13). Il faut dire qu'il y a aussi, parmi les inspirateurs du coup des élections partielles, le propriétaire du journal catholique flamand De Standaard (G.Sap). Nous nous permettons ici une critique : la victoire de Degrelle aurait-elle renforcé le Parti catholique étant donné que Degrelle affrontait Van Zeeland, non parlementaire et candidat des autres partis politiques dans le cadre de l'élection partielle, mais tout de même de tendance catholique ? Certes, c'est un calcul de C. d'Aspremont Lynden et l'auteur de la plaquette le critique pour ce calcul en ajoutant que Sap avait imaginé l'affaire seulement pour mettre en difficultés le chef du gouvernement d'alors, ce même Van Zeeland, qu'il détestait.

Mais il est vrai qu'on est peut-être loin d'un affrontement entre démocratie et fascisme. Bien entendu, le jeu politique, quoique comique, peut aussi être tragique et on sait quelles furent les exactions de Degrelle sous l'Occupation. Ceci dit, Daniel Olivier se déchaine à bon escient, à mon sens, quand il écrit que « La furia oratoire et gesticulatoire de Léon Degrelle effarouche la partie de l'électorat de droite à conquérir et donne des armes à la gauche qui le compare à Hitler. » (p.14). Il n'a pas tort non plus de décrire la campagne « gesticulatoire » de Degrelle comme « une performance paroxystique », au sens de Salvador Dali l'un des rares hommes selon lui qui, « exhibitionniste, excentrique, ludique pictural intégral », aura fait de sa vie quotidienne un chef d'œuvre alors que Degrelle tout aussi exhibitionniste aurait fait d'elle, selon D.Olivier (contrepèterie) «une œuvre de chef ».

L'intervention du Cardinal Van Roey moins importante qu'on ne le dit

Dans les derniers jours de la campagne Degrelle défie le Cardinal, le forçant à répondre. Dans ma mémoire de catholique fervent mais sceptique à l'égard de gens du haut clergé comme Van Roey, j'ai toujours bien présente l'idée (que j'ai entendu défendre même par quelqu'un comme Jean Louvet), que l'intervention du Cardinal aurait été décisive. J'ai aussi en mémoire un article d'il y a quelques années dans La Revue Nouvelle, montrant que le Cardinal a été hésitant, même encore après 1937, face à Degrelle, qu'il l'a peut-être surtout condamné pour des raisons qui n'ont rien à voir avec le fascisme, mais pour des pratiques que Degrelle encourageait comme la mixité dans les mouvements de jeunesse chrétiens. Le Cardinal commettant en outre la faute de marginaliser Degrelle et, sinon de le conduire là où il a été, du moins d'y avoir aidé. Peu importe ! Ce qu'il y a d'intéressant dans ce que dit Daniel Olivier, sur la simple base de son bon sens, si le rexisme passe de 53.582 voix en 1936 à 69.642 en 1937, c'est sans doute que beaucoup de rexistes catholiques « n'ont eu cure... de la crosse » (contrepèterie faisant allusion au « coup de crosse « de Van Roey qui aurait été décisif). L'auteur de la plaquette signale aussi que peu d'historiens ont acté que Degrelle avait gagné un nombre important de voix. En 1936 le POB obtint 85.474 suffrages, le PC, 34.789, les libéraux 55.151, les catholiques 78.800 et Rex 53.582, Van Zeeland l'emporte en 1937 avec 275.840 voix, c'est-à-dire en augmentant moins en pourcentage que Degrelle (les suffrages réunis sur son nom pouvant être attribués aux partis que l'on vient d'énumérer faisant tous campagne en sa faveur). Il me semble cependant que si les élections de 1937 ont pu être perçues comme un échec c'est en raison de ce qu'en attendait Degrelle selon Jean-Michel Étienne, Le mouvement rexiste jusqu'en 1940, Paris, Armand Colin, Cahiers de la fondation nationale des sciences politiques, no 195, 1968, pp. 133-140. Soit une victoire qui n'était possible qu'en gagnant ou frôlant 50 % des voix. Mais c'est typique du bluffeur qu'était Degrelle. Ceci dit, au cas où Degrelle l'aurait emporté, un problème grave était posé : avec un Premier ministre ouvertement battu aux élections ainsi que son gouvernement.

Le début de la fin pour Rex ?

Pascal Delwit notamment (et bien d'autres), attribue à l'élection partielle d'avril 1937, le début de la dégringolade de Rex (dans La vie politique en Belgique de 1830 à nos jours, éd. de l'ULB, Bruxelles, 2009, p.240). A Bruxelles, en 1936, Rex a obtenu 15,77%, à l'élection partielle de 1937 19,05 %, en 1938 (aux communales), 10,90 % (et on peut ajouter que les communales sont toujours casse-gueule pour un parti nouveau, à peine né comme ici). Souvent on compare les sièges (21 en 1936, 4 en 1939), ce que Daniel Olivier conteste (une perte sévère en sièges ne signifie pas une perte aussi sévère en voix). Mais je pense tout de même que Rex a perdu beaucoup aussi en voix, du moins en 1939. Il rappelle cependant qu'aux élections de 1939, Degrelle a plus de voix de préférences que Spaak. Et enfin, il écrit que 1936, 1937 et 1938 c'était avant Munich et 1939 après. Ici aussi, je me permets de préciser que les élections communales de 1938 ont eu lieu le 16 octobre et que les accords de Munich ont été conclus avant, certes seulement 16 jours ( le 30 septembre 1938). D.Olivier cite d'ailleurs J.M. Etienne pour qui « Les trois grands partis subissent des pertes par rapport aux élections de 1932. Ce recul, ils le doivent essentiellement à la présence de Rex... »(op. cit., p. 157). En revanche, autre rappel que je veux faire, les discours antisémites de Degrelle datent d'août 1938, comme le rapporte le journal Rex des 5 et 27 août 1938 (de même que JM Etienne). La caricature assimilant Degrelle à Hitler est de Magritte en 1938, mais les affiches antisémites sont bien du parti rexiste en 1938 également.

Stemt Rex (1938) A partir de 1938, Rex ne cachait plus son antisémitisme : contre l'invasion juive...

Conclusion

Au total, bien des observations de Démission 6 mars 1937... sont justes, ne serait-ce que, factuellement. Il fallait tout de même introduire quelques nuances. Mais c'est incontestable que l'on a souvent tendance en histoire à se recopier les uns les autres. Il y a malgré tout une réserve à avoir par rapport au « farceur » Degrelle. Oui, c'en était un et oui, il y a quelque chose de génial dans la façon dont ce personnage raconte parfois n'importe quoi (et parvient à y croire, à se croire lui-même en somme), notamment à propos du défilé de ses chars en Belgique en avril 1944 (voir le lien ci-dessous). Mais certains farceurs ne font plus rire (même d'eux), quand ils se lient à l'odieux pour continuer à parader.

Je suis frappé aussi par la fidélité d'un Daniel Olivier éternellement sarcastique à la figure d'un père aimé, admiré comme avocat, moins pour sa lucidité en politique où il était certes idéaliste, mais... Cet homme fut formé par un prêtre qui deviendra un héros de la Résistance, Josse Alzin, d'Aubange comme on peut le lire sur la notice de la Nouvelle biographie nationale (et reproduite dans la plaquette) consacrée au député rexiste généreux de 1937, généreux puisqu'il renonça à son siège de député, volontairement, sans contrepartie, ce qui, il faut bien le dire, a quelque chose de plus que rare. Le destin de cet homme a quelque chose d'étrange : fils du boulanger d'Aubange, petit village de la Lorraine belge il sera, après des études de droit à l'UCL, stagiaire chez Joseph Pholien, futur premier ministre et, en raison de sa généreuse démission, remplacé par un autre Premier ministre, Van Zeeland, comme député. Il rompt avec Rex quand l'Allemagne envahit le Danemark et la Norvège. Il meurt à Bruxelles le 3 janvier 1944. Il se fait du « mauvais sang » suite au « mauvais choix de Degrelle », poursuivi par « le temps » qui « mange la vie » et qui du « Du sang que nous perdons croît et se fortifie » 1

José Fontaine

Daniel Olivier ajoute qu'il a appris au moment de mettre sous presse qu'une thèse à la Faculté des sciences économiques, sociales et politiques L'article 106, Léon Degrelle et Paul-Henri Spaak avait été défendue par Jean-Marc Kadder dont un tiers est consacré aux élections partielles de 1935 et 1937. En attendant, on peut commander sa plaquette aux éditions Les Ça-Me-Dit-De-L'Histoire rue du centenaire 23, 6700 Ansart (tél 063/44 61 92 ) en versant 10 € au compte IBAN 60 0001 4642 8570.

Parade de Degrelle à Charleroi (puis Bruxelles) le 1er avril 44


  1. 1. Charles Baudelaire, L'Ennemi in Les Fleurs du Mal, cité par D.Olivier, p.3.