Les relations entre la Wallonie et Bruxelles: incompréhensions et ébauche de solution
Faire un texte, simple et clair sur les relations entre la Wallonie semble devoir être une gageure. Le sujet est complexe, confus, souvent passionnel. Il a été la source de débats pour le moins animés et la cause de bien des ruptures. L'arrivée du Manifeste pour la Culture Wallonne version 2003 n'a pas échappé à cette situation. Pour les uns, il est le reflet du wallingantisme, d'un repli identitaire malsain, d'une rupture de solidarité entre les entités francophones de cet État nommé la Belgique. Pour les autres, il est un pas en avant, une pierre à cet édifice nommé redressement de la Wallonie. Entre Bruxellois et Wallons, l'incompréhension semble à son paroxysme. Mais c'est également le cas entre Wallons et entre Bruxellois selon que l'on est séparatiste ou unitariste, communautariste ou régionaliste, indépendantiste ou réunioniste. Alors, il me semble que le moment est venu de mettre tout cela à plat.
Mise à plat de la question
Outre le gouvernement fédéral, les francophones de Belgique dépendent de trois institutions : la Région Bruxelles-Capitale ( RB ), la Région Wallonne ( RW ) et la Communauté Française de Belgique ( CFB ) . Cela fait trois institutions, Parlements, Gouvernements pour 4 millions d'habitants. C'est évidemment trop, jusque là, tout le monde est d'accord. Partant de ce constat, il y a volonté de simplification, de rationalisation. Mais l'unité n'est que de façade et deux positions dominantes s'opposent : régionaliste et communautariste. Les régionalistes estiment, pour une série de raisons, que les régions doivent primer sur la CFB, laquelle doit être au mieux rénovée, au pire supprimée. Les communautaristes estiment, avec également une série d'arguments, que c'est la CFB qui prime sur les régions, lesquelles doivent modérer leurs revendications autonomistes.
Pour les belgicains, la position défendue est le communautarisme. La CFB est perçue comme un lien nécessaire entre les francophones du pays, l'affaiblir revient à se diviser face aux Flamands. Pour eux, les identités bruxelloise et wallonne sont secondaires et passent après l'identité belge francophone. La solution la plus souvent évoquée pour une simplification est l'absorption de la RW par la CFB. L'option inverse a également été proposée car elle est susceptible de passer plus facilement.
Pour les indépendantistes wallons, la position défendue est le régionalisme, donc inconciliable avec les thèses belgicaines. Pour eux, ce sont les identités wallonne et bruxelloise qui priment.
Leurs principaux arguments sont :
- la RW est un pouvoir « unijambiste » qui ne peut mener de réelle politique de relance économique sans la maîtrise de son enseignement,
- l'aspect pratique : il est plus facile de s'appuyer sur un territoire bien défini que sur une « zone d'influence » parfois partagée avec d'autres institutions,
- la négation des spécificités wallonnes par la CFB au profit d'une pseudo-culture belge.
Ils se défendent de vouloir rompre la solidarité francophone mais se proposent de l'organiser différemment. Les propositions ne manquent pas. Elles vont de la suppression de la CFB à sa réduction à un simple conseil consultatif symbolique. L'hypothèse nouvellement avancée de l'absorption de la CFB par la RW semble être acceptable pour certains malgré certains défauts flagrants.
Les réunionistes ont, à mon sens, une position plus difficile à cerner. Ils sont coincés entre la solidarité entre ceux qui sont à leurs yeux des Français et la réalité de la RW unijambiste. Les deux partis représentatifs du mouvement ont d'ailleurs des positions différentes ! Pour le RWF ( et sa composante RBF ) c'est l'ensemble français qui est privilégié. La culture wallonne est ramenée à de simples spécificités locales. La solidarité avec Bruxelles n'est pas négociable. « France », par contre, reconnaît la réalité d'une culture wallonne. Certains de ses dirigeants ont d'ailleurs signé le Manifeste. Les réunionistes sont donc partagés entre régionalistes et communautaristes.
On voit que toutes ces composantes des sociétés wallonne et bruxelloises ont des avis divergents. Mais qu'en est-il de leur relations ?
La proposition belgicaine d'absorption de la RW par la CFB est inacceptable pour les indépendantistes. L'option inverse est négociable, mais ne constitue qu'un pis-aller. Elle porte en outre les germes d'une tutelle wallonne sur Bruxelles, ce qui est aussi inacceptable que le bruxellocentrisme actuel de la CFB. De plus, une telle fusion mettrait le ministre-président wallon en porte-à-faux ! Il serait trop facilement suspect de favoritisme pro-wallon. Cette solution est une avancée si on considère qu'elle émane de belgicains, mais cela ne suffit pas à gommer ses défauts.
La proposition indépendantiste de supprimer purement et simplement la CFB heurte les belgicains comme les réunionistes au nom du même principe de solidarité entre francophones (mais avec des arrières-pensées différentes). Cette solution est également controversée au sein même des indépendantistes car elle nécessite l'accord de la Flandre pour réviser la Constitution. Une autre proposition a donc été faite de « vider » la CFB en la gardant comme outil de solidarité avec des pouvoirs bien définis mais subordonnée aux régions. Ces mêmes régions reçoivent « l'exercice des compétences » dévolues à la CFB par la constitution. Cette proposition figure dans le Manifeste version 2003, un projet de décret allant dans ce sens y est même annexé.
Il me semble que c'est sur cette base que nous pouvons trouver un accord entre séparatistes.
Avec cette solution, les différents objectifs fixés sont atteints:
- rationalisation des institutions « belges francophones »,
- création de paquets de compétences cohérents pour les régions, avec la possibilité d'enfin mener des politiques efficaces,
- reconnaissance pour les Wallons de leur identité propre dans toute sa multiplicité (valable aussi pour Bruxelles ! ),
- maintien d'un lien indispensable de solidarité entre la Wallonie et Bruxelles .
Les avantages par rapport aux autres solutions sont les suivants :
- faisable entre francophones car ne nécessite pas de révision de la Constitution, et donc l'accord des Flamands,
- simplification pour le citoyen lambda perdu dans ce méli-mélo institutionnel,
- possibilité pour la Wallonie ( mais aussi pour Bruxelles ) de choisir son destin de manière autonome, sans « boulet » institutionnel,
- pas de tutelle wallonne sur Bruxelles comme l'absorption de la CFB par la RW pourrait le laisser craindre.
À partir de là, en plus du projet de décret annexé au Manifeste II, on peut faire quelques propositions concrètes :
- réduction du Parlement de la CFB à un conseil consultatif réuni deux fois l'an alternativement à Namur et Bruxelles, dans les locaux des régions,
- gouvernement de la CFB réduit à son ministre-président (qui ne serait autre que le ministre président wallon), et à un ministre des affaires bruxelloises (le ministre-président de la RB).
Cette dernière proposition permet également d'éviter la suspicion de favoritisme pour le ministre-président wallon qui exerce la présidence de la CFB de manière symbolique flanqué de son homologue bruxellois.
D'autres solutions peuvent être proposées, mais il me semble que celle-ci est la meilleure : la seule à même de contenter toutes les opinions, toutes les sensibilités. Elle répond aux besoins de Wallons comme aux craintes des Bruxellois. Surtout, cette proposition permet de renouer un dialogue difficile. Il n'est plus temps de se déchirer pour savoir si on est égoïste ou solidaire, nié ou respecté. Les divergences internes sont là, et elles minent le courant séparatiste. Il me semble donc nécessaire de parler franchement afin de trouver les vraies solutions.