Mort de Roger Mounège qui « inventa » la « culture wallonne »
Roger Mounège est mort le 25 janvier dernier à Liège, inopinément. Il avait 52 ans. Né en 1952, régent littéraire, Roger avait lancé le mouvement et la revue W'allons-nous?, qui commença à paraître régulièrement à partir de 1980. Des numéros traitèrent par exemple de la littérature prolétarienne, du film de Jean-Jacques Andrien Le grand paysage d'Alexis Droeven. Comme éditeur Roger Mounège publia des livres importants sur Paul Meyer (le réalisateur de « Déjà s'envole la fleur maigre ». L'ouvrage collectif Cinéma Wallonie Bruxelles, Du documentaire à la fiction, Èwaré -W'allons-nous?, Liège, 1989, rassemble une série d'études autour du film et de Paul Meyer, principalement (Thierry Michel, Roger Mounège, Henri Storck, Jacques Cordier, Girolamo Santocono, Bert Hogenkamp, Anne Morelli etc.).) par exemple et sur le cinéma wallon. Ou encore, il dirigea la réédition du roman de Francis André Les affamés qui conte l'histoire de Wallons et Flamands déportés en Allemagne pendant la Grande guerre (1914-1918).
Une culture exprimant « un peuple »
Il avait réuni en 1979 une série d'artistes et d'écrivains comme Guy Denis et le peintre Daniel Seret, débats qui avaient été publiés dans La Wallonie du 17 octobre 1979. Ce qui m'avait frappé à la lecture de cette page, c'est le fait que tous les participants parlaient d'une expression qui, à l'époque, n'était pratiquement jamais utilisée que pour le dialecte ou la langue wallonne: l'expression culture wallonne.
Mais ils précisaient bien que pour eux « culture wallonne » visait des oeuvres écrites tant en français et wallon, exprimant un peuple. Je pense que dans ce sens, on n'avait jamais usé de cette expression (même si on la retrouve chez des sociologues visant par cela la culture ouvrière, ou des écrivains dialectaux).
Frappé par l'utilisation de ce terme, en rupture quelque part avec l'hebdomadaire 4 MILLIONS 4, proche du FDF, certes manifestant mille sympathies réelles à la Wallonie, mais qui n'aurait jamais usé du concept de « culture wallonne », j'avais été content de trouver des gens ayant l'audace d'user de ces mots. Et du coup, collaborant alors au journal Le Monde (dans ce que l'on appelait alors la « page belge »), j'y avais publié le 23 janvier 1980 un article intitulé Une découverte toute neuve: la culture wallonne.
Plusieurs fois, j'avais aussi rapproché ce renouveau culturel wallon (ou cette inauguration, ce commencement) de phénomènes semblables au Québec où l'émancipation politique avait trouvé sa culture (surtout dans la chanson).
Après W'allons-nous ? mais dans un milieu plus universitaire naissait deux ans plus tard la revue Le Carré dont le directeur était Jacques Dubois. TOUDI est un peu la prolongation de ces deux revues et pour sa dimension politique radicale de la revue bruxelloise Critique politique.
Le « Manifeste pour la culture wallonne »
C'est dans toute cette atmosphère que l'on assista, en même temps qu'à la naissance de ces deux revues, à des événements inhabituels sur le plan culturel comme la pièce de théâtre L'homme qui avait le soleil dans sa poche de Jean Louvet après la sortie du « Grand paysage » d'Andrien, film extraordinaire qui reçut d'ailleurs une consécration internationale puis bien d'autres livres, chansons, films... et aussi un travail historiographique inédit sur la Wallonie ("La Wallonie, le pays et les hommes"). « Hiver 60 » de Therry Michel, un autre film. Les premiers films des Frères Dardenne.
Bref, quelque chose naissait s'amorçait, s'imposait. Je me souviens d'une réunion à Liège où j'avais rencontré des gens comme Thierry Michel, Jacques Dubois à qui j'avais parlé de la nécessité de rassembler tout cela et de proclamer un fait nouveau. On appelle cela un «manifeste». Et ce fut, de fait le Manifeste pour la culture wallonne qui fit se lever de la part de notabilités francophones belges (wallonnes comme bruxelloises) un véritable vent de haine. je pense que les mots ne sont pas trop forts.
Le texte déclarait la Communauté française de Belgique en faillite symbolique, constat qui n'a pas entraîné sa mort mais qui l'a plongée dans le coma.
On peut réellement considérer que le Congrès d'Ans du PS en 1991, proposant de réduire les pouvoirs de la Communauté (les intellectuels n'ont pas à s'attribuer trop de choses mais ils peuvent être la chiquenaude), est quelque part la conséquence du « Manifeste » qui est maintenant cité dans les histoires de Wallonie ou dans des études réalisées même du côté flamand. C'est l'arrivée d'une nouvelle conception de la Wallonie.
Une nouvelle idée de la Wallonie
Jusque là, la Wallonie se manifestait comme problème social, économique, politique mais certainement pas culturel. Ou j'aimerais mieux dire « existentiel ». J'aurais tendance à dire comme « nation ».
En raison de difficultés familiales à partir de 1985, Roger Mounège avait dû abandonner la revue qu'il avait fondée mais non l'asbl qui allait se transformer en une sorte de petite entreprise de voyages culturels un peu partout en Europe (mais j'ai moins suivi cette partie de l'affaire m'étant éloigné de R.Mounège à la suite de différends sur la conception de la revue TOUDI).
Roger Mounège a senti le premier quelque chose qui naissait il y a une génération. Et je pense souvent - pour l'exprimer négativement - que ce fut la fin symbolique de la Belgique unitaire, à partir du moment où, nous définissant comme Wallons non seulement par rapport au politique mais par rapport à ce que l'on pourrait appeler l'existentiel, les Wallons devenaient un peuple.
Roger a été celui qui, en 1979 et jusqu'à plusieurs années après, avait senti le premier tout cela et qu'il fallait lui donner un sens plénier, profond.
Une génération après, nous n'en avons pas encore fini avec la Communauté mais cela vient, cela se fera, j'espère le vivre, cela me ferait bien plaisir et j'aurais voulu que des gens comme Roger le vivent aussi même si nous nous étions éloignés.
Un homme comme lui aurait dû figurer dans l'Encyclopédie du mouvement wallon avec d'ailleurs un article thématique comme « Culture wallonne ». Paul Delforge avait pris comme principe de limiter ses enquêtes aux événements et aux hommes s'étant manifestés de 1880 à 1980. Au fond la « culture wallonne » de Roger Mounège aurait donc dû y être. J'espère qu'un jour prochain on lui rendra cet hommage qu'il mérite cent fois. Il semble bien d'ailleurs qu'on y songe.
Adieu, Roger! La Wallonie continue et, comme le disait Marcel Thiry, elle prévaudra.