Nous, citoyens de Wallonie

Toudi mensuel n°54-55, avril-mai 2003

L'affrontement entre la droite et la gauche ne se produira à ces élections qu'en Wallonie et à Bruxelles et encore... les fameuses convergences PS-Ecolo ne sont pas aussi évidentes que cela. En outre, quels sont exactement les arrière-pensées de Monsieur Di Rupo? En cas de recul important des Écolos, ceux-ci seront-ils encore au gouvernement ? Agalev pourrait bien être indispensable à une coalition en Flandre et à la constitution d'une majorité politique en Flandre? Donc on retrouverait les Écolos...

Avec autant de composantes, l'important n'est pas que le jeu politique soit difficile à comprendre... c'est qu'aucun résultat n'y aura une claire signification. Les battus n'auront aucune honte à se laisser réembarquer dans une nouvelle aventure gouvernementale s'ils apparaissent comme nécessaires. Et d'autant plus que, malgré tout, la popularité des femmes et des hommes telle que les sondages nous les livrent, tiennent à leurs nombres de passages à la télé. Du moins en grande partie.

Importance des « petits partis » quels que soient leurs résultats

Ceci fait penser que ces élections seront intéressantes à observer en ce qui concerne les petits partis en Wallonie comme les réunionistes du RWF-RBF ou les rattachistes du parti « France ». Le parti de Paul-Henry Gendebien a l'avantage d'être dirigé par un professionnel de la politique. Qui, certes, a connu de nombreuses défaites, mais des défaites qui ne lui étaient nullement imputables. Et lors de la déroute du Rassemblement wallon en 1977, P-H Gendebien, à contre-courant du mouvement général de désaffection vis-à-vis de son parti, avait réussi à augmenter ses voix dans son fief de Thuin. Comme tous les nouveaux partis, celui de P-H Gendebien met globalement en cause la classe politique. Ce qui pourrait provoquer des dommages collatéraux positifs à l'extrême droite dont la Wallonie est un des rares pays d'Europe à demeurer préservée. Mais jusqu'à présent on n'a guère vu de poussée en faveur de ce parti dans les sondages. Il est possible que les réunionistes fassent du tort au FDF à Bruxelles et qu'ils puissent progresser dans le Hainaut où ils n'avaient pas été très loin des 2 % pour la province lors des élections communales et provinciales en 2000. Le RWF-RBF a été créé en novembre 1999. On ne peut pas dire qu'il soit sans expérience, loin de là. Ce qui peut surprendre quand même c'est que, dans l'esprit des réunionistes, les institutions wallonnes semblent peu compter. Mais l'élection prochaine est une élection pour le renouvellement du parlement fédéral (Chambre et Sénat) et les choses sont déjà assez compliquées comme cela sans doute. Ce qui déplaît d'ailleurs, ce sont les membres des gouvernements régionaux qui se présentent aux élections fédérales comme si l'enjeu n'était que celui du parti pour lequel on court, indépendamment de l'espace politique au pouvoir duquel ce parti concourt. Il sera intéressant de voir si en 2004, lors des élections régionales, des mandataires fédéraux seront présents sur des listes régionales ? On souhaite que non pour la démocratie et la Wallonie car ce serait vraiment se moquer du monde et trahir l'esprit du fédéralisme.

Le front des Francophones

Les partis wallons et francophones font campagne pour un stop institutionnel qui les met en contradiction avec les partis flamands. Mais cela va au-delà des partis puisque le Gouvernement wallon en janvier de cette année a réuni autour de lui l'ensemble des forces vives de la Wallonie - syndicats ouvriers, patronaux, paysans, des classes moyennes et l'ensemble des partis représentés au parlement sans oublier le Gouvernement de la communauté française - en vue de réitérer ce consensus qui paraît absolu.

D'une certaine façon, cela fait apparaître le Mouvement socialiste comme la seule alternative wallonne et de gauche. Les réunionistes en effet n'ont aucun intérêt à soutenir ni à combattre un stop institutionnel puisqu'ils sont déjà ailleurs: en France. Et, somme toute, mettent en avant un projet qui effectivement rassure la population un peu comme le front francophone. On voit bien que ce front francophone désire refuser toute avancée institutionnelle que les Flamands appellent de leurs vœux, mais surtout en raison du fait que les Flamands veulent aussi et surtout régionaliser la sécurité sociale dont les assises seraient menacées dans ce cas, croit-on. D'une certaine manière les réunionistes peuvent être considérés comme ayant aussi songé à rassurer l'électorat wallon puisque, dans le grand ensemble français, l'opinion peut être rassurée sur l'avenir de l'État social, même s'il changerait beaucoup. Alors que le complexe wallon est tel que dans le cadre wallon, le pire semble toujours sûr ou plus sûr...

Les Wallons ont tort de ne pas avoir confiance dans la Wallonie

Mais cette faillite menace-t-elle vraiment en Wallonie ? Nous publions dans ce numéro un article de Bernadette Arnaud qui tend à montrer que la Wallonie serait sans doute en France l'une des régions les plus riches. Il faut bien admettre que l'image de la Wallonie n'est pas bonne (malgré de vraies améliorations - exceptionnelles lorsque la conjoncture internationale était bonne, et que la décélération actuelle ne dément d'ailleurs pas). Sur quoi repose donc l'argument des principaux partis wallons et francophones pour refuser toute avancée institutionnelle dans la mesure où ces avancées risquent aussi de précipiter une régionalisation de la Sécu. ? Sur une crainte réelle qu'ils auraient ou sur le fait qu'ils savent que la population wallonne nourrit cette crainte ? Nous penchons pour la seconde hypothèse. Et de même nous pensons que l'électorat wallon et francophone est structuré de telle façon que les enjeux y sont beaucoup moins clairs qu'en Flandre. Bruxelles ne vote pas comme la Wallonie. Il est quasiment impossible de proposer à l'opinion bruxelloise la poursuite de la régionalisation comme un objectif attractif et progressiste, qui viserait à ce que les populations prennent leur sort en main. On pourrait le faire en Wallonie (et on devrait !), puisque le Gouvernement wallon propose à la Wallonie un Contrat d'avenir qui suppose qu'on ne répugne pas à augmenter les moyens politiques nécessaires à sa réalisation.

Mais c'est l'intérêt particratique qui l'emporte aux élections du 18 mai. Alors on remue le drapeau national dont le cadavre bouge encore: Élio Di Rupo est rompu à cet exercice puisqu'il a d'ores et déjà présenté le PS comme le rempart ultime contre l'éclatement du pays. On a déjà connu des socialistes plus avancés et moins timorés. Il est même curieux de songer qu'il y a juste dix ans, Guy Spitaels proposait au Président de la République française de traiter la Wallonie comme le Québec. Le PS a-t-il donc changé du tout au tout ? Et les régionalistes avérés comme Van Cau., Happart, Collignon, où sont-ils, que font-ils ? Il nous semble qu'il faut soutenir les plus régionalistes des socialistes comme les plus régionalistes des Écolos. Mais que le seul parti qui innove pour la Wallonie et pour la gauche, c'est le Mouvement socialiste wallon, allant jusqu'à mettre clairement en cause le pacte de stabilité au niveau européen, la Communauté française (comme la FGTB wallonne et cette revue dont c'est un peu la raison d'être en termes négatifs), prônant un nouveau keynésianisme, proposant une réforme fondamentale des banques, ne rechignant pas, avec le RWF-RBF et « France », à évoquer la République.

Critiques au Gouvernement wallon

Pour revenir à l'article de Bernadette Arnaud, nous voudrions ici faire état d'un véritable mécontentement. Où nos responsables veulent-ils exactement nous mener ? On semble faire état des difficultés de la Wallonie (puisque l'on refuse les avancées institutionnelles), mais en même temps le Gouvernement wallon n'indique pas quelle est la situation exacte de la Wallonie. Alors qu'il faudrait qu'il nous la fasse connaître s'il veut que la population participe à son fameux « Contrat d'avenir » . Il lance une opération extraordinaire de relations publiques en réussissant une première: faire venir le Tour de France en Wallonie en 2004 et l'y maintenir cinq jours hors de France. Nous n'aurons jamais eu autant de chances de nous faire connaître dans le pays qui compte pour la Wallonie. Car le Tour n'est pas qu'une épreuve sportive, c'est aussi une manière pour la France de se montrer à elle-même ce qu'elle est et de montrer ce que sont les pays voisins. Mais aucun n'a jamais eu la chance de demeurer cinq jours de suite à la Une des médias français en y maintenant le Tour. Et la Wallonie, malgré l'ignorance absurde des Français, c'est - que l'on soit réunioniste ou pas - un pays dont on doit souhaiter que plus aucun Français ne l'ignore. On en est loin ! Et le Québec est cent fois plus connu et reconnu que ne l'est la Wallonie. La démarche de Spitaels à Paris en 1993 avait quelque chose de génial politiquement.

La Wallonie progresse de solutions « catastrophiques » en solutions « catastrophiques »

Dans les années 60 et même une bonne partie des années 70 avec un Leburton - très exactement comme aujourd'hui, très exactement ! -, l'argument des partis wallons et francophones restés unitaristes, c'était de présenter le fédéralisme comme la fin de tout pour la Wallonie. Mais voyons ce qui s'est passé.

La Wallonie est maintenant l'État fédéré en Europe qui, avec la Flandre, dispose du plus de compétences qu'on puisse imaginer puisqu'il n'y a plus de pouvoir belge en agriculture, aménagement du territoire, travaux publics, économie (ou quasiment), éducation nationale, culture, commerce extérieur et bientôt coopération au développement. La Wallonie peut déjà signer des traités et avoir une politique étrangère. Elle est largement compétente dans le domaine de la santé, dans le domaine social, dans le domaine de l'environnement, d'une partie des transports publics, elle a exclusivement la tutelle des pouvoirs locaux (sauf le maintien de l'ordre). Bref c'est un État semi-indépendant qui est déjà en place et au travail. En outre, il y a déjà des régionalisations de facto comme dans le domaine de la Justice par exemple.

Alors, où sont les catastrophes que ces changements auraient dû provoquer ? Non seulement, il n'y a pas de catastrophes mais la Wallonie va mieux, beaucoup mieux même, malgré les difficultés de Liège. Et l'Institut Destrée a lancé un vaste programme prospectif s'étendant jusqu'en 2020. François Perin lui-même, le vieux sceptique, estime que d'ici dix ans, la Wallonie aura dépassé les problèmes qui lui font encore avoir peur de l'indépendance1. Une indépendance qui ne signifie pas que l'on rompe avec Bruxelles, mais que l'on supprime l'inutile premier étage du fédéralisme qu'est la Communauté française dont elle aurait dû se débarrasser depuis longtemps.Le Mouvement socialiste veut d'ailleurs étendre ces compétences à la fiscalité et prôneune Wallonie et une Flandre devenues une confédération d'États indépendants au cœur de l'Europe (voir plus loin l'article de Francis Biesmans). L'indépendance viendra comme le fédéralisme, précédée des mêmes appréhensions apeurées.

Pourquoi?


  1. 1. Dans Le Soir du 8 juillet 2002 François Perin déclarait : « Je me rappelle les propos d'Hugo Schiltz : les Flamands ont une tactique simple, disait-il ; lors d'une négociation gouvernementale, ils mettent leurs revendications sur la table en disant simplement : on met cela à l'ordre du jour ou il n'y a pas de gouvernement. Sous-entendu : c'est une crise grave. Cela crée de l'angoisse chez les Bruxellois et les Wallons. Pas chez les Flamands, parce que la perspective que la Belgique casse ne les effraie pas. Face à la perspective que vous évoquez, vous devez interroger les présidents des partis francophones pour qu'ils fassent connaître leurs intentions. Philippe Defeyt (Écolo) a compris la musique : il se rend compte que la Wallonie est en danger parce qu'elle n'est pas encore assez "reconstituée" économiquement pour pouvoir voler de ses propres ailes. Donc, il faut gagner du temps. Le temps qu'il faut à la Wallonie pour revenir à un niveau de prospérité convenable, personne ne le sait vraiment. Mais la mesure, c'est dix à vingt ans. On peut donc jouer la prolongation de l'arc-en-ciel. Ce n'est pas Guy Verhofstadt qui dira non, pris comme il est par la passion du pouvoir. »