Où en est véritablement la Wallonie

Toudi mensuel n°74, février-mars-avril 2007

Toudi mensuel

La seule considération qui ait jamais guidé cette revue quand il s’agissait d’analyser la Wallonie au plan économique a été de se dire qu’il fallait s’en faire l’idée la plus juste par opposition à un discours réellement morbide que l’on a pu encore découvrir dans Questions à la Une du mercredi 28 février. Parce que le magnifique château de Spontin a été interdit aux visites sur ordre des pompiers et que certaines fenêtres de cet édifice se brisent, le commentateur en a fait spontanément l’emblème du Mal wallon. Ce genre de symbolisme est à peu près permanent. L’émission en cause le dénonce parfois, mais y retombe elle-même volontiers. Ceependant, le 2 février, la seule RTBF plaçait sur son site la nouvelle suivante :

Transferts Nord-Sud : une étude nuance

«Une nouvelle étude sur les transferts Nord-Sud avait été commandée en juillet 2005 à des économistes flamands et wallons par le ministre-président Yves Leterme. Les résultats présentés il y a 15 jours au gouvernement flamand sont pratiquement passés inaperçus, pourtant, ils tendent à nuancer l’ampleur des transferts que dénonce la Flandre depuis de nombreuses années.

Le rapport ne révolutionne pas la perspective, mais, en lisant entre les lignes, il nuance fortement les résultats d’études antérieures, en particulier celles de la KUL, considérées comme une référence par l’Administration Flamande et le service d’étude de la KBC. Ceux-ci évaluaient à 6 milliards le flux financier entre le Nord et le Sud du pays.

Selon la nouvelle approche méthodologique, désormais dans les mains d’Yves Leterme, on a jusqu’ici un peu trop systématiquement pris en considération des critères favorables à la Flandre et avec lesquels Wallonie et Bruxelles apparaissent comme exagérément bénéficiaires des transferts. Par exemple, les experts économiques ont essayé d’être le plus rigoureux dans la localisation des recettes, d’une part et dans la localisation des dépenses publiques d’autre part.

Concrètement, le seul critère du domicile pour les impôts, les cotisations sociales ou les allocations sociales, comme le choisissaient les études antérieures, n’est pas très pertinent et pénalise par exemple fortement Bruxelles. Autre exemple, pour la répartition des recettes TVA ou des accises, seule une enquête sur le budget des ménages permettrait d’évaluer les transferts interrégionaux.

Reste à voir quelles conséquences chiffrées cette méthodologie plus objective - et partagée maintenant par un groupe d’experts tant flamands que francophones, pourrait avoir sur une évaluation des transferts. Certains affirment qu’ils ne seraient alors que de 2 à 3 milliards par an, loin des 6 à 10 milliards que la Flandre brandit régulièrement. Cela explique sans doute aussi pourquoi au Nord du pays on ne semble pas pressé de pousser plus loin la réflexion.»

Les 2 à 3 milliards ne sont pas encore un chiffre précis et il s’agit de transferts à la fois vers la Wallonie et Bruxelles. Mais dans le numéro spécial de TOUDI publié en mai 2004 Wallonie, état des lieux, nous citions le chiffre des transferts en matière de sécurité sociale établi par Ph. Cattoir et F. Docquier1 soit 69 milliards d’anciens FB ou quelque 1,7 milliards d’euros. à cela il faut d’ailleurs ajouter que la dépendance en matière de sécurité sociale est une notion infiniment discutable dans la mesure où la Sécurité sociale établit des solidarités entre les personnes.

Mais aussi qu’il ne s’agit pas d’une dépendance absolue, dans la mesure où comme le déclara le Premier Ministre Flamand Yves Leterme à la RTBF, le jour même du discours de Di Rupo sur la Wallonie, soit le 31 janvier, la Wallonie est le principal pays d’exportation des produits flamands. En admettant que le scénario du fameux canular de la RTBF du 13 décembre soit crédible et en supposant que les allocataires sociaux wallons soient brusquement privés de ces fameux transferts en cas d’indépendance de la Flandre, la Flandre en payerait évidemment les conséquences de manière immédiate. Il y a une manière véritablement petite-bourgeoise de considérer les transferts opérés par la Sécurité sociale. Sans nier que les indépendants risquent beaucoup à se lancer seuls dans leur emploi, sans nier que le payement des cotisations sociales leur est souvent très lourd, on doit bien admettre que l’octroi de plus de 2000 milliards d’anciens FB chaque année aux allocataires sociaux (soit le 1/5 du PNB belge), au-delà de son effet redistributeur, donne un coup de fouet à pas mal d’entreprises ou de secteurs qui, sans ces transferts, s’effondreraient. Il faut avoir le bon sens d’écrire que sans la Wallonie, la Flandre connaîtrait pas mal de problèmes économiques graves. D’autant que ses positions à Bruxelles, notamment en matière d’emplois dans les administrations publiques est lié à un statut bilingue (un soi-disant statut), qui objectivement avantage énormément les Flamands et génère en leur faveur des dizaines de milliers d’emplois, sinon plus.

Yves de Wasseige énumère dans ce numéro les signes du redressement wallon. Celui-ci n’est pas assuré d’avance. Mais, en tout cas, comme pays ou comme entité politique, la Wallonie ne devrait céder à aucun chantage et rien ne l’empêche d’être en fait audacieuse en matière d’accroissement de compétences . Dans la réalité, il arrive souvent que même si ce sont les Flamands qui exigent (en certains domaines), des transferts de compétences aux Régions, ce sont les Wallons qui les utilisent le plus massivement. C’est clair dans le cas de la tutelle sur les pouvoirs locaux dont le Gouvernement wallon assume maintenant l’organisation politique. On sait que la fiscalité provinciale a été considérablement réduite, que le nombre des intercommunales et le nombre d’administrateurs en celles-ci a été réduit de moitié, que le bourgmestre est en fait désigné indirectement par les électeurs (c’est la personne qui a le plus de voix sur le parti principal de la coalition au pouvoir), que le Président du CPAS fait maintenant partie du Collège communal (autrefois Collège échevinal), que ce Collège communal peut être renversé en cours de mandature. Après un an et demi de pouvoir, la coalition en place peut être remplacée à la suite du dépôt d’une motion de méfiance dite constructive qui propose en lieu et place du collège communal à la tête de la commune, un autre collège, d’autres échevins, un autre bourgmestre. Certes, sous la pression des affaires, le ménage a été fait dans les sociétés de logement.

Il y a même une crainte qu’on évoquait autrefois qui, elle non plus, ne se vérifie nullement : celle d’une Wallonie dominée par un seul parti, à savoir le PS. Dans la mesure où ce parti est surtout puissant dans et par les pouvoirs locaux (communes et provinces), la dynamique de la régionalisation se retourne contre lui. Il est obligé d’agir de manière plus transparente et plus démocratique.

On oublie que les vieilles sociétés démocratiques sont habituées à la contestation du pouvoir, que les médias sont enclins à mettre en évidence ce qui ne va pas et qu’ils ont tendance aujourd’hui à examiner à la loupe (surtout la télévision), les sociétés auxquelles ils s’identifient. L’importance prise par les institutions wallonnes explique en bonne partie le bruit fait autour de certaines affaires qui parfois le méritaient (les abus dans les logements sociaux), parfois pas (l’affaire Francorchamps).

A cela s’ajoute le récent appel des Bruxellois dont nous rendons compte dans cette revue. Il faut en souligner l’importance, car cet Appel procède des mêmes préoccupations que celles des Manifestes wallons, au moins sur le plan de l’enseignement dont nous estimons toujours que la Wallonie devrait pouvoir en gérer le fonctionnement au sein du même gouvernement et cela en vue de la cohérence de la politique qu’il mène, au lieu qu’aujourd’hui, il existe un gouvernement wallon pour les compétences matérielles (travaux publics, économie), et un gouvernement communautaire pour les domaines culturels et scolaires. Notons également que des signataires de l’Appel bruxellois se plaignent amèrement que Bruxelles n’ait pas de compétences en matières culturelles et soit géré de l’extérieur par les deux communautés.

A ce sujet, les Wallons font exactement les mêmes critiques… depuis 25 ans.

Sans amertume mais en goûtant l’ironie des choses, nous avons été surpris de constater que presque personne dans la presse n’a songé une seconde à mettre en cause l’appel bruxellois comme antiwallon ou comme révélateur d’un repli sur soi, ce que les manifestes wallons ont, eux, été obligés de subir durant un quart de siècle. Mais personne d’entre nous n’aura jamais l’idée d’élever ces critiques à l’encontre d’un texte bruxellois qui dans ses grandes lignes confirme l’essentiel du combat que nous menons ici dans cette revue en ce qui concerne les structures de l’état belge.

  1. 1. Sécurité sociale et solidarité interrégionale in F.Docquier (ed) La solidarité entre les Régions. Bilan et perspectives, De Boeck, Bruxelles, 1999, pp. 51-98.