Paradoxes écossais

Toudi mensuel n°54-55, avril-mai 2003

En ce début mai, l'Écosse élira pour la deuxième fois son parlement, cet événement nous permet de nous pencher à nouveau sur cette nation déjà traitée à plusieurs reprises dans TOUDI et de voir quelles sont les conséquences actuellement discernables de 5 années d'autonomie.

Les institutions écossaises

Depuis l'approbation par référendum le 11 septembre 1997 du principe de l'établissement d'institutions écossaises autonomes, celles-ci sont définies dans une loi « britannique » de 1998. Le Parlement écossais est élu pour un terme de 4 ans et comprend 129 membres (MSP), 73 sont élus au scrutin uninominal à un tour, 56 le sont selon un scrutin de listes à la proportionnelle reparti sur 8 grandes circonscriptions régionales. L'exécutif ou gouvernement écossais est dirigé par un premier ministre (First Minister) nommé par le chef de l'État et responsable devant le Parlement. Les institution écossaises ont une compétence générale sauf pour les matières expressément réservées au Parlement britannique. Ce dernier demeure seul compétent en ce qui concerne : la réforme de la Constitution, les affaires étrangères, la défense, et la sécurité nationale, le contrôle des frontières. Il faut compter aussi : la politique économique, la sécurité sociale, la législation du travail, l'emploi et la fixation des salaires, les normes de sécurité en matière de transports, le respect de l'union économique en matière de libre circulation des biens et services, la législation bioéthique (y compris l'IVG), la politique nucléaire, les « normes » des produits pharmaceutiques et la classification des films. Le cabinet britannique conserve de ce fait un ministre des affaires écossaises chargé de la bonne entente entre les deux entités ainsi que de la défense des intérêts écossais dans les matières réservées.

Nous pouvons donc déduire a contrario les compétences des institutions écossaises. Elles comprennent des domaines aussi vastes et importants que la santé, l'enseignement, les collectivités locales, le logement, le développement économique, l'environnement, l'agriculture et la pêche, le tourisme, les transports, la culture et les sports, le système judiciaire et pénitentiaire, la police. Des ministres écossais peuvent être présents au sein de la délégation britannique auprès de certains Conseil des ministres de l'UE. Enfin le Parlement écossais a la possibilité de discuter de l'indépendance mais la concrétisation de celle-ci nécessite le vote d'une loi par le Parlement de Westminster (sauf éventuel coup de force institutionnel). Il est à noter que ce dernier conserve la possibilité théorique d'abolir les institutions écossaises car il demeure le seul parlement souverain du Royaume-Uni. La résolution d'éventuels conflits de compétences ou d'intérêts est confiée à la Cour suprême (Judicial Committee of the Privy Council). L'exécutif écossais reçoit une dotation annuelle tournant autour de 16 milliards de Livres (soit 24 milliards d'EURO). L'autonomie fiscale lui offre la possibilité de jouer dans une marge de 3% sur l'impôt en tant que ressources propres.

Sentiment national écossais et sentiment national britannique

Avant d'aborder plus précisément les élections législatives de mai prochain, il nous semble utile de rappeler certains aspects de la société écossaise contemporaine. Tous s'accordent pour reconnaître que le sentiment national écossais a été renforcé du fait de l'imposition, entre 1979 et 1997, par le parti majoritaire à Westminster, mais minoritaire à Édinbourg, de politiques rejetées par une majorité des électeurs écossais, telles la Poll Tax, les privatisations, la suppression d'entités administratives locales, etc.

Les professeurs Bennie, Brand et Mitchell concluaient déjà en 1997 que « ce qui apparaît comme important pour l'électorat écossais, c'est la prospérité de leur région comparativement aux autres régions britanniques (...) Les Écossais rejetèrent l'approche néo-libérale de la gestion de l'économie des conservateurs. (...) C'est l'efficacité du gouvernement dans un sens très général qui concernent les écossais»1. Au cours de cette période le vote conservateur s'est effondré , l'Ecosse ayant élu un nombre de plus en plus réduit de députés conservateurs pour finalement tomber à 0 en 1997 et remonter à 1 en 2001. La progression du Parti National Ecossais (SNP) est un bon indicateur du progrès du sentiment national, depuis la fin des années 80, les « souverainistes » ont confirmé et conservé leur position de deuxième force politique d'Ecosse, mais le SNP ne perce pas réellement dans les places fortes travaillistes du centre et du sud du pays.

La demande d'autonomie n'était pas le seul fait du SNP, les syndicats (Scottish TUC), les Églises, les organisations d'étudiants, ont tous a un moment ou à un autre porté la revendication autonomiste. L'inspiration de la législation travailliste de 1998 est d'ailleurs directement issue de la convention constitutionnelle qui a rassemblé, pendant plusieurs mois au début des années 90, les représentants de la société civile écossaise. L'Écosse contemporaine réunit ce qui est souvent considéré comme les deux éléments constitutifs d'une Nation : la formation, par le biais du processus historique, d'une communauté de destin et l'existence d'un imaginaire collectif faisant sens et référence. L'attachement ou le sentiment d'appartenance à l'ensemble britannique est symbolisé par le respect d'une tradition parlementaire et démocratique ainsi que par le respect de certaines valeurs civiques. La création d'institutions écossaises est souvent d'ailleurs perçues comme renforçant l'Union. Une Nation de type civique est en cours de stabilisation, mais cette dernière ne prend pas actuellement la direction d'un État indépendant et souverain.

L'identité écossaise est donc peut-être déjà post-nationale, la souveraineté s'incarne dans le peuple et le Parlement écossais, ce qui n 'empêche pas l'exercice de certaines compétences par le Royaume-Uni. Ce sentiment national n'est donc pas appréhendé comme opposé à un sentiment «national » britannique, même si le nombre de personnes se déclarant uniquement écossaises est en hausse. Cette hausse se marquant notamment dans la consolidation électorale du SNP. Précisons que cet État-nation écossais n'aurait aucun mal à assurer sa survie économique au sein de l'UE, le PIB/habitant écossais étant équivalent à 97% du PIB/habitant britannique.

Une certaine déception des Écossais

Pour l'instant , l'apathie semble dominer la campagne électorale, il faut en effet reconnaître que les institutions écossaises ont connu un début difficile. Les Travaillistes ne disposant que d'une majorité relative au sein du parlement écossais, ils ont dû s'allier avec les libéraux-démocrates, la pratique des coalitions étant peu fréquentes dans la vie politique britannique, les débuts du premier gouvernement écossais ont été un peu laborieux en raison des divergences entre ces deux partis. En outre, le premier First Minister, le travailliste Donald Dewar, véritable père des institutions écossaises, est décédé un peu plus d'un an après son élection. L'handicap que constitua pour le gouvernement écossais la disparition prématurée de ce fin politique fut aggravé par la démission, après quelques mois, de son successeur pour cause de location, au profit de firmes d'avocats, des locaux que l'État mettait à sa disposition dans le cadre de sa fonction de parlementaire !

L'actuel First Minister, Jack Mc Connell, est donc la troisième personne à occuper ce poste en moins de 4 ans, ce qui ralentit le processus d'assimilation des énormes compétences dévolues. Obsédés par la crainte d'apparaître comme un parti dépensier des deniers publics, comme ce fut le cas dans les années 70, les travaillistes écossais, dans la droite ligne de Tony Blair, refusèrent d'avoir recours durant cette législature à l'autonomie fiscale. On peut aussi y ajouter la possibilité d'être membre du Parlement écossais et de la Chambre des communes britanniques.

Tout cela conduisit à une certaine déception de la population écossaise face à des institutions qui n'apportèrent pas vraiment le degré de changement attendu, en particulier dans la modernisation des services publics. Ce sentiment est d'ailleurs répandu dans tout le Royaume-Uni. On constate en effet depuis 20 ans, une poussée de l'abstention lors des élections générales dans un État jusque là réputé pour le civisme de sa population. Ainsi entre les élections législatives britanniques de 1997 et 2001, l'abstention est passée de 30 à 40 % de l'électorat. La réélection aisée de Tony Blair doit beaucoup à l'absence d'alternative crédible face à lui, une même situation existe en Écosse par rapport à la coalition sortante, le caractère « souverainiste » du SNP rebutant la frange de l'électorat, principalement travailliste, demeurant attachée au sentiment britannique, ou, dit d'une autre manière, qui ne considère pas le sentiment écossais et britannique comme mutuellement exclusifs.

D'aucuns prédisent donc un taux d'abstention très élevé en mai prochain et un Parlement avec une composition peu bouleversée avec le Labour autour de 55 sièges, le SNP autour de 30. La présence à Londres d'un gouvernement recueillant, malgré tout, l'assentiment d'une majorité relative de l'électorat écossais a aussi pour effet d'apaiser, ou de ne pas renforcer, la revendication autonomiste à l'opposé de ce qui se passa pendant les 18 ans de règne conservateur!

Sentiment national écossais et poids écossais dans le Labour

Il subsiste pourtant un domaine d'accrochage potentiel avec Westminster. L'Écosse occupe depuis toujours une position privilégiée au sein du parti travailliste. Sur les douze leaders qui se sont succédé à la tête du parti depuis 1900, quatre venaient d'Écosse. Le Labour n'obtint que 4 fois une majorité des sièges anglais (1945, 1966, 1997, 2001). Sans ses députés écossais, il n'aurait pu obtenir les cinq autres majorités (absolues ou relatives) de son histoire (1929,1950,1964, février et novembre 1974).

La seule concession de Donald Dewar en 1998 faite aux députés «anglais » fut d'accepter la suppression de la garantie légale du nombre minimum de députés écossais soit 71. La prochaine révision des circonscriptions électorales devrait aligner l'Écosse sur le reste du Royaume-Uni, soit un passage probable de 72 sièges aux environs de 55. Cette réduction ne devrait prendre effet que lors des législatives de 2.006.

Cette concession était, en quelque sorte, la contrepartie du fait que les députés écossais à la chambre des communes continuent de prendre part à l'ensemble de l'activité parlementaire, y compris dans les matières qui n'affectent plus que l'Angleterre ou le Pays de Galles tels l'enseignement, la santé, la justice, etc. Mais toute réduction en ce domaine entraîne automatiquement une diminution du Parlement écossais, puisqu'à une exception prés, les circonscriptions électorales élues au scrutin uninominal à un tour sont identiques ! Au grand dam de nombreux Écossais, le gouvernement Blair n'aurait pas l'intention de corriger les conséquences de cet alignement des circonscriptions écossaises sur celles de l'Angleterre. Le SNP aurait alors beau jeu de stigmatiser cet affaiblissement d'une manière détournée par Westminster du Parlement écossais. Mais d'un autre côté, une quasi parité entre le nombre d'élus « majoritaires » et « proportionnels» lui serait plutôt favorable ! Comme on le voit cette question n'a pas fini d'agiter l'Écosse dans les années à venir !

texte achevé le 16 avril 2003


  1. 1. (1) L.Bennie,J.Brand, J.Mitchell : How Scotland votes ? Manchester University Press, 1997.