Prince Philippe et Vlaams Belang : une polémique au mépris de la démocratie
Celui qu'on nomme l'héritier présomptif de la couronne, c'est-à-dire le premier dans l'ordre de succession, n'a pas, en cette qualité, de fonction constitutionnelle. Il n'est donc pas soumis à un devoir de réserve et, logiquement, n'encourt aucune sanction lorsqu'il use de sa totale liberté de parole. Voici à première vue un «citoyen comme les autres».
Mais ce même Prince joue un rôle public (nettement plus accentué que les princes héritiers précédents), et se prête en sa qualité de Prince à une forte médiatisation. Son rôle officiel dans l'État est reconnu ; il fait d'ailleurs l'objet d'une dotation publique. Cette situation est de nature à interpeller les démocrates dans la mesure où elle perpétue une inégalité dans la libre expression citoyenne de valeurs politiques selon la naissance et le sang familial. Elle nourrit le débat ouvert par ceux qui voient dans la fonction monarchique - aussi limitée soit - elle - une anachronique anomalie démocratique.
Récemment, le Prince Philippe s'en est pris au Vl. B. en déclarant que «dans notre pays, il y a des personnes, des partis tels que le Vl. B. qui sont contre la Belgique et veulent détruire notre pays. Je peux vous assurer qu'ils auront affaire à moi».
À première vue, tout citoyen est en droit de clamer son attachement ou inversement son opposition à la Belgique. De ce fait, tout citoyen peut user de sa liberté d'entrer dans le débat sur l'avenir du pays.
En fait, les déclarations de Philippe de Belgique prennent appui sur un statut de citoyen privilégié par l'hérédité (entouré de conseillers financés par l'argent public). En ce sens, avoir affaire au Prince lorsqu'on est «contre la Belgique» n'est pas avoir affaire à n'importe quel citoyen. C'est en outre avoir affaire avec le futur Roi des Belges. On sait dorénavant que le Prince est déterminé à lutter contre tous ceux qui s'opposent à ses opinions lorsqu'ils sont «contre la Belgique». Quelle est la portée exacte de cette expression ? Lorsqu'on enregistre par exemple les réticences du Prince à l'égard de la récente régionalisation du commerce extérieur, pourtant dûment votée par les légitimes représentants de la souveraineté populaire, c'est alors un conflit qui risque de surgir entre une pratique démocratique politiquement responsable et des vœux princiers exprimés par un auteur qui n'a pas à en rendre compte.
Il y a là de quoi semer un premier doute dans un esprit démocrate.
Il sera vite balayé. Le Prince a beau se faire menaçant, la constitution ne lui réserve que peu d'atouts pour véritablement faire en sorte «d'avoir affaire à lui». L'héritier de la couronne prend par contre l'énorme risque de décevoir ses partisans en galvaudant anticipativement la seule autorité extra-constitutionnelle réellement accessible, cette autorité morale (ainsi perçue par de nombreux Belges), telle qu'accumulée au fil de plusieurs décennies de règne par son oncle et mentor. À cet égard, l'épisode ultérieur de la signature princière apposée au bas d'un document défendant unilatéralement des thèses patronales constitue un acte qui, quel qu'en soit le contexte, ne favorisera pas davantage la conquête de cette autorité morale.
Le Prince est donc entré de plain pied dans un débat politique en désignant ses opposants. Le fait n'étant pas fréquent, il n'en est que plus significatif. Un second doute survient alors, nettement plus inquiétant, en relevant que le seul tort publiquement attribué au Vl. B. par Philippe réside dans le fait de souhaiter la fin du pays. Pour un esprit démocrate, le tort du Vlaams Belang provient principalement du fait de justifier la défense d'une cause en empruntant les voies inacceptables de la différenciation raciale, du mépris de l'égalité homme-femme, de l'incitation à la haine, bref d'adopter une posture fasciste.
Rien ne justifie, à l'inverse, d'ériger le maintien d'un État en sujet tabou du débat démocratique.
Tchèques et Slovaques ont parfaitement illustré le propos, une fois libérés de la chape de plomb communiste. Il en va de même de la sécession non aboutie du Québec ; la partition du Canada serait alors issue d'un référendum.
C'est grâce à cette précision que l'on peut par exemple condamner le très belgicain Front National et exonérer la formation rattachiste de toute marque anti-démocratique. Cette distinction peut paraître évidente de banalité. Elle n'en reste pas moins nécessaire pour éviter ce danger d'amalgame qui existe lorsqu'en ciblant le Vl. B., on finit par confondre l'idée de défense de la Belgique avec celle de la lutte antifasciste. Il est en effet apparu, comme en témoignent de nombreux courriers de lecteurs publiés dans la presse écrite, que la confusion a pourtant produit ses effets.
Evitons - ce serait un comble - d'aboutir à cette conclusion fallacieuse et paradoxale que le dépositaire d'un système héréditaire soit emblématisé, bien au-delà de tout serment, comme un garant de la démocratie ... Coupons court, corollairement, à toutes les dérives poujadistes que cette méprise pourrait susciter en encourageant l'antipolitisme ambiant. Elles déforcent la démocratie.
Alors qu'il incombe au futur Roi des Belges de multiplier les précautions et les gages démocratiques, celui-ci vient de tracer une inquiétante et floue distinction entre «pro et anti Belgique», entre deux camps au sein desquels la «qualité» de fascistes, déguisés ou non, n'est nullement condamnée.
Peut-on placer la Belgique au-dessus de la démocratie ?
De par sa fonction, il apparaît que le Prince n'a pu s'engager dans le débat démocratique sans risquer d'en rétrécir dangereusement et arbitrairement la portée.