Protection du patrimoine culturel immobilier et paysager

Edifices construits à l'initiative de la Communauté française et de la Régie des Bâtiments de l'Etat
Toudi mensuel n°72, septembre-octobre 2006

Grand-Hornu : vue de la cour ovale et de la statue d'Henri de Gorge

Depuis quelques années, certaines administrations de la Communauté française ou de l’Etat cautionnent la dégradation du patrimoine culturel immobilier ou paysager lors de la construction de bâtiments à destination publique tels que musée, théâtre, cour de justice, commissariat de police. Obnubilées par la mode de mettre en exergue la prétendue créativité de quelques architectes, ces administrations se comportent en propriétaires distributeurs d’argent et, à ce titre, n’estiment pas devoir faire respecter le patrimoine culturel historique, ni le contexte urbanistique et architectural existant. A l’appui de cette assertion, on prendra cinq exemples :

  • trois projets dont le maître d’ouvrage était la Communauté française :
    l’établissement du musée des arts contemporains du « Grand-Hornu » à Boussu ; la construction du théâtre du Manège à Mons ; la construction du théâtre de la Communauté française à Bruxelles ;

  • deux projets dont le maître d’ouvrage était la Régie du Hainaut des Bâtiments de l’Etat : l’extension du palais de justice, rue de Nimy à Mons ; la construction du bâtiment de la police locale, rue du Becquerelle à Tournai.

    La Communauté française

    L’établissement du musée des arts contemporains au « Grand-Hornu » à Boussu

Au regard de la planification spatiale, un musée créé à l’initiative de cette Communauté devait être établi dans une agglomération importante de Wallonie dès l’instant où il n’était pas destiné à être érigé à Bruxelles. Les nombreuses études d’aménagement régional financées par la Région wallonne, dont le schéma de développement de l’espace régional (s.d.e.r.) fut la conclusion, préconisaient l’installation des grands équipements publics dans l’une des quatre agglomérations principales du « sillon industrialisé » de Wallonie, à savoir : Mons, Charleroi, Namur et Liège. Les villes citées comportent toutes au moins un espace particulièrement bien situé, et aujourd’hui encore non bâti, pour accueillir ce musée, équipement d’intérêt régional.

A Mons, le centre universitaire ayant abandonné dans les années 80 le projet d’installer un « campus » au lieu-dit « Les Grands Prés », l’occupation de ce site fait l’objet, depuis le début des années 90, de négociations entre la Région, les autorités locales, l’intercommunale i.d.e.a. et des promoteurs privés. Pour quels motifs l’installation du musée n’a-t-elle pas été envisagée sur cet espace attendu que c’est également à cette époque que le projet en a été conçu ? Or le site présentait (il présente encore) de belles potentialités : il est vaste, jouxte la ville ancienne et est très bien desservi par les infrastructures de transport puisqu’il est compris entre les installations ferroviaires de Mons et la section de l’autoroute de Wallonie assurant les liaisons internationales dans les directions nord-sud et est-ouest.

L’édification à cet endroit présentait un triple intérêt. Tout d’abord, elle eût rééquilibré en faveur du développement culturel une affectation des lieux principalement marquée par les fonctions de commerce et de services. Ensuite, le musée eût pu bénéficier de la fréquentation par un public nombreux et de classes d’âge diverses des établissements qui s’y sont installés : complexe de salles de cinémas, grand magasin, galerie marchande, grand hall multifonctionnel dans le sous-sol duquel une partie des archives générales du royaume seront conservées, sans omettre les petites et moyennes entreprises situées dans la zone d’activités économiques mixtes proche, ni le projet de parc scientifique « Initialis ».

Le souhait répété par le monde de la culture, selon lequel l’art doit aller à la rencontre des citoyens, aurait pu trouver là un commencement de réalisation. Enfin, l’implantation sur ce site eût été conforme aux déclarations faites par les hommes politiques aux termes desquelles la ville de Mons est appelée à devenir la capitale culturelle de la Wallonie, titre qui lui a été officiellement attribué par le Gouvernement de la Communauté française dans une convention conclue pour la période 2002-2006.

Les trois autres villes importantes possédaient également de beaux terrains centraux, non bâtis, où il était possible d’établir ce musée :

  • à Charleroi, il eût pu être construit sur l’espace situé au-dessus du parking du palais des Beaux-Arts, complétant ainsi l’équipement culturel existant ;

  • à Namur, son installation sur un vaste terrain de l’ancienne caserne Léopold, aujourd’hui à usage de parking, aurait été l’occasion de restructurer l’ensemble de l’îlot délimité par le boulevard Cauchy et les rues du Premier Lanciers et Général Michel en remodelant les bâtiments médiocres du Ministère des Finances qui l’occupent en partie ;

  • à Liège, érigé à la place de la maison d’arrêt Saint-Léonard démolie, le musée aurait apporté la modernité au futur « Quartier des Arts » qui s’étendra de l’opéra à l’ensemble muséal du « Grand Curtius » par les rues Féronstrée et Hors-Château.

Tous ces emplacements de choix ont été négligés par absence d’une vision de la planification spatiale des équipements étendue à l’ensemble de la Région. Le site du Grand-Hornu possède une originalité qu’il tire de son histoire, mais non les atouts nécessaires à l’accueil d’un musée des arts contemporains de niveau régional. Certains défenseurs du projet ont avancé l’argument selon lequel l’installation d’un tel musée au Borinage combattrait l’image attristante de région en déclin qu’il présenterait encore aujourd’hui. Même dans ce cas, on ne saurait être satisfait du parti urbanistique qui a été adopté, ni des effets que ce choix a eus sur les plans de la protection du patrimoine historique et de l’architecture.

Au titre de l’urbanisme, le Grand-Hornu est remarquable dans la mesure où il comporte d’une part des bâtiments de travail composés de bureaux, d’ateliers et de magasins, et d’autre part une vaste cité de quelque 425 habitations sociales, le tout formant un ensemble bâti à programme caractéristique de l’urbanisme éclairé et paternaliste du premier tiers du XIXème siècle européen.

Pour établir le nouvel équipement, deux possibilités pouvaient être envisagées :

  • donner à l’ensemble architectural à ordonnance néo-classique édifié à partir de 1823 par
    Bruno Renard la destination de musée, solution séduisante puisqu’elle personnalisait le site de manière claire ;

  • installer l’équipement à l’intérieur du domaine, c’est l’option retenue par les pouvoirs publics. Elle était hardie, encore fallait-il choisir le bon endroit : urbanisme et architecture sont intimement liés. Deux emplacements préférentiels pouvaient être retenus qui auraient satisfait à la fois l’auteur de projet et l’historien soucieux d’une protection rigoureuse du patrimoine culturel immobilier.

Un premier emplacement était situé à l’est de la grande cour, entre celle-ci et l’entrée de la rue des Arts. Ordonné par rapport à l’axe principal, le musée eût été le correspondant des trois corps de bâtiment (immeuble aux trois pavillons, anciens magasins aux foins et anciennes écuries) encadrant la basse-cour. On eût pu voir là un bel exercice d’architecture contemporaine exprimant dans la continuité le parti urbanistique qui était au fondement du monument historique.

Un deuxième emplacement était donné par un vaste terrain situé au nord de la basse-cour, à l’intérieur du domaine (voir photo aérienne en annexe).

Aucune de ces solutions n’a été retenue ni même entrevue, l’immeuble a été construit à l’écart, loin de l’entrée principale et sans référence aucune au patrimoine existant, comme si le musée d’art contemporain était indésirable dans le site du Grand-Hornu, ou celui-ci considéré comme quantité négligeable au regard de la création nouvelle : erreur monumentale, un tel musée doit être vu et érigé dans le respect du contexte.

Sur le plan de l’architecture, la « salle-pont » du musée a été accolée à l’ancien bâtiment des « bureaux » tel un parallélipipède sortant de celui-ci. Ce parti architectural est évidemment une lourde erreur car il brise l’ordonnance de l’ensemble urbanistique.

L’intervention des architectes sur ce patrimoine exceptionnel fut marquée par la gesticulation et, sous certains aspects, par le vandalisme. Passe encore sur les ajouts grossiers en béton qui dégradent la cour carrée de manœuvre, nos successeurs ayant rouvert les yeux les démonteront (voir annexe), mais les transformations faites dans le hall aux quatre colonnes monolithes sont inadmissibles car elles portent atteinte au caractère néo-classique de cet ensemble (voir photo en annexe). Comment s’étonner de cette désinvolture ou de cette volonté de dégrader quand l’un des architectes affirmait à e. de roux, journaliste au « Monde » : « J’aime ce lieu mais je ne le respecte pas… » (voir coupure de presse du 22 septembre 2002 en annexe).

La responsabilité de ce gâchis doit certes être imputée aux autorités publiques : Ministère de la Communauté française, Ministère de la Région wallonne, administrations chargées d’apprécier le projet, pouvoirs locaux, qui n’ont ni mené une réflexion suffisamment rigoureuse sur l’implantation à l’endroit adéquat d’un grand équipement culturel, ni procédé à une analyse fine du site dès lors que la décision d’y établir ce musée avait été prise, ni prêté une attention suffisante à la qualité du patrimoine architectural existant. Mais la responsabilité des auteurs de projet ne peut pour autant être passée sous silence : la construction nouvelle a complètement dégradé un témoin d’archéologie industrielle de qualité exceptionnelle dont il n’existe que peu d’équivalents en Europe, la référence étant donnée par les salines royales d’Arc et Senans bâties à Chaux sur les plans de l’architecte visionnaire
Claude-Nicolas ledoux. Par des choix critiquables faits en planification spatiale (mauvais site d’implantation), en urbanisme (mauvais emplacement dans le site), l’architecte a été amené à établir un musée invisible et, pour appeler le visiteur, à se livrer à des gesticulations qui dégradent le lieu. Ainsi, le musée des arts contemporains contredit sa mission d’initiation à la culture puisqu’il participe à la dégradation d’un témoin remarquable de l’archéologie industrielle en Hainaut.

La construction du théâtre du Manège, rue des Passages à Mons

A grand renfort de publicité, le nouveau théâtre du Manège de Mons a été inauguré le 25 janvier 2006. On ne peut partager l’appréciation favorable qui a été donnée sur cette réalisation par les revues « branchées » d’architecture toujours prêtes à encenser les œuvres créatives des architectes nombrilistes.

Quant à la planification urbaine, l’option qui consiste à établir un équipement culturel dans le centre d’une ville est bonne, celui-ci étant le lieu où sont concentrés les institutions et les immeubles représentatifs des valeurs auxquelles notre société adhère. En revanche, sur les plans de la protection du patrimoine culturel et de l’urbanisme, le projet est particulièrement critiquable. L’espace disponible dans l’îlot délimité par les rues des Arbalestriers, du Marché au Bétail, des Passages et des Trois Boudins, le plus vaste de l’« intra-muros » (? 4 ha) est tel qu’il eût été possible d’y édifier le théâtre sans saccager un ancien manège de belles proportions (fin du XIXème siècle) faisant partie des installations militaires de l’ancienne caserne Léopold. Une massive construction en béton a éventré cet immeuble ancien
alors qu’une autre solution, respectueuse du site et adéquate au programme, avait été présentée lors du concours organisé pour ce projet. A nouveau, le « dialogue » entre patrimoine et création s’est ici traduit par le vandalisme. On a peine à admettre que ce projet a reçu l’avis favorable de la Ville et le permis du fonctionnaire délégué alors que le terrain d’implantation est entouré de constructions d’un grand intérêt historique et architectural : tour valenciennoise (XVIème siècle), pavillons d’entrée de l’ancienne caserne Léopold (fin XIXème siècle), bâtiments militaires du commandant de la place (début XXème siècle), nouveau palais de justice, d’architecture contemporaine, très bien intégré au contexte urbain (architecte : j. barthélémy et associés).

Ces interventions faites sur des bâtiments d’intérêt historique pour y installer des équipements publics (théâtre, musée,…) sont financées par les autorités publiques qui portent ainsi la responsabilité de gaspillages dont les citoyens supportent le coût. A terme, un débours supplémentaire viendra s’ajouter car ces gesticulations architecturales ne résisteront pas au temps ; les pouvoirs publics ayant retrouvé le bon sens, les feront démolir ou retransformer, comme certaines communes commencent à le faire pour des bâtiments construits il y a quelques décennies et considérés à l’époque par leurs auteurs comme « empreints de créativité ». La Ville de Mons vient de donner l’exemple, qui sera suivi par d’autres municipalités : la façade de l’immeuble, érigé au début des années 70 sur la grand place en face de l’hôtel de ville et considérée à cette époque comme une création contemporaine intégrée dans une cité historique, a été complètement reconstruite dans un style classique s’harmonisant cette fois parfaitement avec le contexte composé de monuments et de maisons dont l’histoire s’étend du milieu du XVIIème au milieu du XXème siècle.

Le centre dramatique de la Communauté Wallonie-Bruxelles au boulevard E. Jacqmain à Bruxelles

Récemment inauguré, cet immeuble présente un volume et une façade qui sont en rupture totale avec la morphologie et l’architecture haussmannienne de ce quartier de la ville. En fait, la façade de ce théâtre est d’avant-garde avec… 50 ans de retard puisqu’elle est le décalque de l’immeuble de bureaux Olivetti édifié à Milan en 1955 sur les plans des architectes Bernasconi, Fiocchi et Nizzoli (voir photocopies en annexe).

En quoi la copie d’un bâtiment édifié à l’étranger au milieu du XXème siècle est-elle plus justifiée, au regard de l’urbanisme et de la sauvegarde du paysage, que la référence (qui aurait dû être imposée par les pouvoirs publics) à l’architecture des boulevards centraux de Bruxelles datant de la fin du XIXème siècle, soit 60 ans plus tôt ?

Il n’y a absolument aucune justification à ce parti-pris de vouloir heurter, et peut-être de réanimer le mouvement dit « moderne », dont les adeptes médiocres ont saccagé Bruxelles pendant 40 ans et qui, à ce titre, est honni par l’immense majorité des citoyens. Ce mouvement est mort mais il est vrai qu’« il est des morts qu’il faut qu’on tue ». En résumé, s’il est certain qu’un immeuble remplissant une fonction culturelle, symbolique doit se démarquer des constructions à fonction courante (habitat, commerce,…), cette singularisation doit rester compatible avec le contexte bâti.

La Régie des Bâtiments

L’extension du palais de justice, rue de Nimy à Mons

Pour réaliser cette extension, la Régie des Bâtiments de l’Etat a chargé l’architecte, d’une part de prévoir la construction de bâtiments nouveaux dans le cœur de l’îlot et, d’autre part de traiter deux immeubles du XVIIIème siècle sis à front de rue. L’un a été complètement vidé de son contenu et l’autre a été démoli.

Passons sur le premier, l’enveloppe extérieure a au moins été maintenue mais le second a été remplacé par un bâtiment dont la façade est constituée de panneaux de verre agrafés sur la structure jusqu’au tiers du toit. Quoiqu’elle évoque plus le magasin d’appareils électroménagers que la cour de justice, la façade de ce bâtiment n’est en soi ni belle ni laide, elle est totalement inappropriée au site : elle eût put être édifiée en n’importe quel quartier dépourvu de caractère affirmé, alors qu’elle a été déposée dans une rue du cœur historique d’une ville ancienne, repris en zone protégée en matière d’urbanisme.

Cette façade ne respecte en aucune manière le prescrit des articles 393 et suivants du Code wallon de l’Aménagement du Territoire relatifs au règlement général sur les bâtisses applicable aux zones protégées, lequel dispose :

Art. 395. façades.

« Les façades des immeubles sis à front de rues, ruelles ou impasses doivent être maintenues en harmonie avec la zone à sauvegarder. »

« c. Les matériaux autorisés sont ceux dont les tonalités s’apparentent à celles des matériaux traditionnels. ».

Le permis d’urbanisme relatif à cet immeuble a été accordé par le fonctionnaire délégué en application de l’art. 127, § 1er, 1° du Code.

Le bâtiment de la police locale, rue du Becquerelle à Tournai

Il est à peine concevable que ce bâtiment ait pu être autorisé dans le centre ancien de Tournai, à quelques dizaines de mètres de la prestigieuse rue Royale. Il ne respecte aucune des dispositions applicables aux zones protégées en matière d’urbanisme visées aux articles 393 et suivants du Code.

  • Art. 394 : Seule une petite partie de la façade a été édifiée à l’alignement alors que le respect de cette règle est élémentaire lors de la construction dans une ville ancienne.

  • Art. 395. façades : Le prescrit de cet article n’est évidemment pas rencontré :

  • les volumes présentent des formes cahotiques alors que la ville traditionnelle se caractérise par le calme de l’architecture ;

  • les vides sont prééminents par rapport aux pleins alors que les immeubles d’une ville ancienne présentent le caractère exactement inverse ;

  • les matériaux (briques, bois, acier, verre) sont disparates.

  • Art. 396. toitures : Certaines toitures sont à double pente, une autre est à pente unique ; l’inclinaison des versants n’est pas parallèle à celle des constructions contiguës.

Le bâtiment évoque plutôt le hangar d’une gare ferroviaire. Les volumes en forme de caisses suspendues à hauteur du 1er étage relèvent de la pitrerie architecturale. L’ensemble de l’établissement s’impose grossièrement en rupture avec l’environnement formé par une ville dont le centre, fortement abîmé lors des bombardements de 1940, a été reconstruit dans les années 40-50 dans un style d’interprétation de l’architecture tournaisienne ancienne mais qui a très bien résisté au temps et aux modes. On ne peut en dire autant des constructions arrogantes édifiées dans les années 70 (les immeubles jouxtant le pont des Trous par exemple).

En revanche, les opérations de rénovation urbaine conduites par la Région wallonne dans l’îlot du
Fort rouge à front de la Grand place et à la rue de la Madeleine (opération dite « des Sept Fontaines »), respectueuses du patrimoine et dans une architecture s’intégrant parfaitement au contexte, sont tout à fait remarquables. Le bâtiment de la police locale apparaît singulièrement « rétro » dans son expression en contraste avec ces belles réalisations.

Les quatre immeubles à destination publique brièvement décrits portent des atteintes au patrimoine culturel immobilier et paysager de deux villes historiques (extension du palais de justice et théâtre du Manège à Mons, commissariat de police à Tournai) et d’un témoin important d’archéologie industrielle (Grand-Hornu à Boussu).

Certains architectes de Wallonie se plaignent de ne pas être compris des citoyens et de voir leur créativité brimée par l’administration de l’aménagement du territoire, mais en même temps, dans une démarche maladive de transgression, ils ne s’expriment qu’en dégradant le patrimoine culturel immobilier ou en ignorant totalement le contexte bâti. Le « livre blanc de l’architecture contemporaine en Communauté française » publié en 2004 est exemplaire de cette mentalité d’assiégé agressif. Ils prétendent également que la liberté d’expression architecturale serait plus grande en Flandre qu’en Wallonie. Je ne puis en juger mais c’est de toute manière mal poser le problème car il est d’abord d’ordre urbanistique avant que d’être d’ordre architectural. La Ville de Bruges, une fois de plus, a montré l’exemple à suivre. Lorsque la municipalité a décidé d’édifier le nouveau « Concertgebouw », avec clairvoyance elle n’a pas choisi un emplacement situé dans la ville ancienne mais bien au « Zand », c’est-à-dire en bordure de celle-ci, et elle a imposé des servitudes de hauteur pour le gabarit et de tonalité pour les matériaux.

Au regard de l’architecture, on peut apprécier ou non l’objet déposé mais du moins, sur le plan de l’urbanisme, la décision relative à l’implantation était bonne.

Sur cette question importante de l’intégration de l’architecture contemporaine dans l’environnement naturel et construit, il serait sans doute utile de rappeler aux fonctionnaires délégués que tout projet doit être apprécié selon une triple démarche faite dans un ordre défini qui est le suivant :

  • d’abord au regard de la planification spatiale ;

  • ensuite sous l’angle de l’urbanisme ;

  • et enfin en tant qu’œuvre d’architecture.

Partant d’une vision large, celle de l’espace régional, et se poursuivant par l’étude du contexte (en fait le patrimoine immobilier et paysager), cette démarche donne la possibilité d’apprécier de manière sereine le projet de l’architecte. La plupart des réalisations qui soulèvent la critique ou le rejet n’ont pas subi ce triple examen.

Enfin, il faut rappeler l’importance du patrimoine culturel et paysager pour l’industrie du tourisme. Les dépliants publicitaires émis par le Commissariat général, les offices du tourisme des villes, les compagnies de voyages montrent quasi exclusivement dans leurs illustrations soit des paysages naturels, soit des paysages de villes anciennes, soit des vues de rues, de monuments et de places de villes historiques ou de quartiers d’architecture traditionnelle ; les illustrations montrant des témoins de l’architecture moderne ou contemporaine sont peu nombreuses. Paris reçoit chaque année 23 millions de visiteurs français et, surtout, étrangers. Pourquoi ces foules innombrables se rendent-elles dans cette ville ? Essentiellement parce qu’elle présente un ensemble de séductions qui tiennent à la valeur du paysage urbain, à la qualité de son patrimoine urbanistique, à la variété et à la richesse de ses musées, à son animation et parce que le patrimoine culturel immobilier a été sauvegardé (Le Monde, 12 août 2005). On pourrait en dire autant de Vienne, de Venise, d’Amsterdam, de Nancy, de Bruges, de Tournai ou de Mons. Ce constat appelle réflexion.

Les ministres ayant l’aménagement du territoire et le patrimoine dans leurs attributions seraient bien inspirés d’inviter les administrations constructrices (Communauté française, Régie des Bâtiments de l’Etat,…), ainsi que les auteurs de projet qu’elles choisissent, à respecter de manière beaucoup plus sérieuse le patrimoine culturel immobilier et paysager, « bien commun » de notre société.