Quel avenir pour les images et les sons de Wallonie ?
Les archives audiovisuelles wallonnes sont en péril. Les images et les sons qui concourent à la mémoire collective de la Wallonie attendent les documentalistes, les outils et les budgets qui les feraient revivre pour tous, comme partie intégrante de notre patrimoine. Dans le pire des cas, elles gisent, inertes, dans de sombres remises bruxelloises de la RTBF. Visite.
Huit cents caisses en carton, bourrées de documents sonores et de disques anciens, s’entassent depuis peu dans une obscure annexe du siège de la RTBF au boulevard Reyers. Que contiennent-elles ? Toutes les archives de Radio Hainaut, promu centre de production de Mons jusqu’au funeste plan Magellan. Le personnel montois a vu en effet, fin janvier, les camions du déménageur Lemort - cela ne s’invente pas - empiler dans l’urgence toute la mémoire régionale du service public et l’emporter vers Bruxelles. Il fallait faire place à VivaCité ! Cinquante années d’histoire radiophonique ont été littéralement arrachées de Wallonie sans la moindre concertation et dans la précipitation. Dans ces tonnes de bandes magnétiques, par exemple, les uniques enregistrements de la fameuse émission Rencontre, où furent interviewées de nombreuses personnalités des arts, de la littérature ou de la politique. A ce jour, une centaine de caisses ont seulement été inventoriées. Mais, tant qu’à présent, rien n’est prévu au-delà, a fortiori pour rendre une nouvelle vie à ces précieux et fragiles documents.
Radio Titanic
A la RTBF Namur, les archives radiophoniques sont également en cours de transfert, partiel cette fois. Toujours à destination de Reyers, où elles ne recevront pas meilleur accueil. Car le département Archivage Radio-TV, malgré sa compétence et sa bonne volonté, ne dispose pas des moyens humains et financiers de sa mission. C’est tout dire : même pour les archives radio, il ne dépend que de la direction de la télévision, sans budget radio spécifique.
Seule Liège, par la bonne volonté de personnes privées, a pu entamer un début de sauvetage. Guy Fontaine, responsable retraité des émissions dialectales de la RTBF Liège, s’est attelé à la tâche de sauver une mémoire wallonne en wallon, avec la collaboration de la Province. Quant à Robert Stéphane, ancien administrateur général, il a pu obtenir un délai avant la table rase, afin de sauver les enregistrements de Vidéographies, des productions liégeoises devenues de véritables références internationales en matière d’art vidéo. Il s’est ainsi attelé à fonder une asbl chargée de remettre en valeur ces créations artistiques à travers des installations vidéo contemporaines ouvertes au public1.
A côté de ces rares exceptions, la Wallonie subit ainsi l’arrachement occulte de son patrimoine audiovisuel, dans le plus grand mépris de son identité. Pourtant, des initiatives privées n’auraient pas manquer de répondre présent. Ainsi Mémoires Audiovisuelles de Wallonie, une association créée en 1996, a déjà entamé une investigation très large sur ce patrimoine. Un début d’inventaire pointe les nombreuses collections privées, parmi lesquelles les enregistrements sonores que conservent les partis politiques et les syndicats - dont des discours devenus historiques - ou encore les bobines de films oubliées au sein des entreprises. Ainsi celles relatives aux grèves à la FN, filmées par les délégués, mais aussi par la direction.
Autant de documents précieux pour les chercheurs, les historiens ou les cinéastes, et qui pourraient enrichir la Wallonie en devenir (enseignement, expositions, documentaires, etc.). L’association a été reconnue par les gouvernements wallons successifs. Elle a reçu un premier subside et elle devait obtenir un local et le financement de plusieurs emplois. Puis ses demandes sont tombées dans l’oubli…
Le salut par l’incubateur ?
Entretemps, il est vrai, Serge Kubla, ministre wallon de l’Economie, a initié un ambitieux projet pilote, assez unique en Europe. Il s’agit de l’incubateur d’entreprises qui devrait s’ériger d’ici 2007 dans le parc scientifique de Mont-Saint-Guibert. Conçu et géré par l’Agence wallonne des Télécommunications, ce technopôle déclinera quatre activités : une aide et expertise à destination des jeunes PME spécialisées en nouvelles technologies, un centre de veille informatique, chargé de la protection des données sur les réseaux à large bande, une vitrine technologique des entreprises du secteur et, on y vient, un centre d’archivage numérique2.
Cette dimension patrimoniale de l’incubateur représente une opportunité unique pour nos supports audiovisuels en déshérence, dont la sauvegarde et l’exploitation nécessitent précisément la numérisation ou conversion en formules mathématiques, désormais reproductibles à l’infini sans perte de substance. Mont-Saint-Guibert disposera en effet de la très coûteuse technologue adéquate, qu'aucune association, ni entreprise, ni radiotélévision ne peut acheter en fonds propres et pour elle seule. Un contrat a déjà été signé avec Belgavox, qui exploite notamment les archives d’actualités cinématographiques belges et congolaises, devenues des sources majeures de la recherche historique. Le centre sera organisé en société coopérative dont les apports de lancement, 18 millions d’euros, proviendront du Fonds de Recherche régional, le solde étant versé par les produits de la recherche wallonne en phase de commercialisation et par les organismes qui décideront de s’affilier. Les groupes Siemens, Belgacom et Mobistar sont approchés3.
Et c’est ici que le bât blesse pour la RTBF : vivement intéressée4, mais livrée à ses déficits et à ses compressions de personnel, elle se choisit d’autres priorités. Elle serait d’ailleurs bien en peine de payer aujourd’hui son droit d’entrée dans le cercle imposé des coopérateurs. En outre, la Communauté française, dont elle dépend, pourrait exiger au préalable la création d’un centre numérique similaire par la Région de Bruxelles-Capitale5. Histoire d’éviter de fixer en Wallonie la gestion de l’ensemble des archives du service public. On croit rêver !
Quoi qu’il en soit, le projet global d’incubateur paraît solide et la Wallonie se trouve en droit d’y voir archiver son patrimoine audiovisuel, qu’il s’agisse des archives des programmes de radio et de télévision publiques produits sur son sol ou des nombreux documents d’intérêt collectif à rassembler au plus vite dans ce but. A l’instar de l’INA français, l’Institut national de l’Audiovisuel, ce centre serait ouvert au public et mettrait à disposition les archives numérisées dans le respect d’une charte éthique, afin d’éviter toute commercialisation indécente. Voilà un véritable avenir pour la mémoire audiovisuelle de la Wallonie. Qui mérite mieux que de la poussière sur des caisses en carton…
- 1. Pour en savoir plus, visitez le site www.videographies.org
- 2. Le projet est détaillé sur le site de l’Agence www.awt.be
- 3. L’Echo du 30 mai 2003.
- 4. Le Soir du 10 févr. 2004 et laviedunet.be du 12 déc. 2003.
- 5. « Je ne peux décemment empêcher M. Kubla d’avancer sur ce dossier. L’essentiel reste que la Communauté française détient, via la RTBF, le patrimoine. Je souhaite que la Région bruxelloise développe à son tour un projet d’ensemble. Je veux bien écrire une nouvelle fois au gouvernement bruxellois pour qu’il concrétise l’archivage numérique » (Richard MILLER, ministre des Arts et des Lettres et de l’Audiovisuel, in Commission de la Culture, de l’Audiovisuel, de l’Aide à la Presse et du Cinéma, session 2002-2003, résumé des débats n° 28 Cult. n° 9, 12 mars 2003).