Six mois princiers pour la RTBF
Le 23 mars 2000 s’est achevée au Limbourg la saga de six mois d’actualité princière : les fiançailles et le mariage de Philippe et Mathilde ainsi que leurs nombreuses Joyeuses Entrées. (L’écriture de ce dossier s’est clôturée le 20 février 2000).
Sur cette actualité, la RTBF en a fait bien plus que la VRT, sa consœur flamande. Le présent dossier va nous permettre de nous demander pourquoi il en a été ainsi. Pareille option se justifie-t-elle par sa mission de service public ?
Nous ne comparerons pas cette stratégie à celle de RTL TVi, tout simplement parce que nous n'avons pas eu la possibilité matérielle d'analyser systématiquement les démarches de ces deux chaînes pendant près de six mois.
Trop, c'est trop !
La veille du mariage princier, le vendredi 3 décembre 1999, nous avons été attentif aux émissions d'information de la RTBF. Peu de nouvelles capitales étaient à signaler concernant les festivités du lendemain. Par contre, il se passait pas mal d'événements majeurs dans le reste de l'actualité.
Le JT de la mi-journée a, néanmoins, consacré ses vingt-cinq premières minutes aux préparatifs du mariage. Il a fallu attendre 13H15 pour découvrir six autres sujets traités en moins de dix minutes. A 13H24, retour à la Cathédrale pour apprendre que Mathilde s'apprête à répéter les gestes qu'elle y fera le lendemain. A 13H25, avant de clôturer le journal, il est rappelé aux distraits que, ce soir-là, Paul Germain animera une soirée spéciale «Philippe et Mathilde» dès 20H10. Le téléspectateur était au courant puisque l'invité de ce JT de la mi-journée était précisément Paul Germain. A 13H35, une nouvelle annonce de la soirée de Paul Germain sera à nouveau proposée. Tout cela entraînera un retard de près de dix minutes pour les programmes suivants.
De 18H51 à 19H21, pendant une demi-heure, «Régions Soir» commente une nouvelle fois les préparatifs du mariage. «Cartes sur table» est supprimé.
Pendant ce temps-là, la télévision locale «Télé Bruxelles» ne se prive pas d'aborder de nombreux sujets sans aucun rapport avec le mariage princier bien que Bruxelles soit la ville où se dérouleront les festivités du lendemain. Tous les médias ne pratiquent donc pas le même matraquage.
A la RTBF, le JT de 19H30 consacrera ses vingt-quatre premières minutes aux préparatifs princiers. Ensuite, onze autres informations seront commentées en moins de treize minutes.
Malgré ces multiples rendez-vous d'information télévisés (JT de la mi-journée, Régions Soirs, le 19H30), il faudra attendre 20H02 pour apprendre que l'euro est descendu au niveau du taux du dollar, puis passé en dessous. En radio, sur la même RTBF, cette information avait été déjà donnée, douze heures plus tôt, aux infos de 8H. Elle fera la une du quotidien français Le Monde publié ce jour-là.
Le JT de fin de soirée de la RTBF (édition de 23H15) proposera un sommaire plus équilibré: ses sept premières minutes seront consacrées aux préparatifs et sept autres aborderont six autres points de l'actualité. Le respect des téléspectateurs ne serait donc possible que lorsque nombre d'entre eux dorment déjà!
Ignorés, méprisés
Le samedi 4 décembre, jour J du mariage, il était logique que la RTBF consacre un temps appréciable à l'événement du jour. les programmes annoncés par la presse écrite prévoyaient trois périodes : de 8H30 à 14H15; de 18H à 21H05; de 21H10 à 21H55.
En fait, l'antenne fut monopolisée par le mariage princier depuis le matin jusqu'à 21H30! Ainsi, tous les programmes annoncés pour l'après-midi furent balayés. Aux oubliettes, le concert de Julos Beaucarne, La clef des champs, Javas, Papa, maman et moi ou le Génies en herbe spécial St Nicolas! Et ce, sans aucune annonce au public, ni aucune excuse, ni aucune information sur un éventuel report de ces programmes. Les téléspectateurs qui s'intéressaient à ces multiples productions ont été ignorés, méprisés. La RTBF a ainsi été incapable d'assumer son rôle de relations publiques vis-à-vis des publics attachés à des programmes autres que le mariage princier.
Un trou de 12 heures
La médiatisation du mariage écrase tout sur son passage.
A 21H30, s'achevait un JT qui avait démarré une demi-heure plus tôt. Il fut exclusivement consacré au mariage, avec la énième rediffusion des reportages déjà multidiffusés au cours de la journée. Aucune information internationale n'y fut proposée, même pas succinctement !
Il fallait remonter, ce jour-là, à 8H37 du matin, pour se souvenir que François De Brigode a présenté en moins de 30 secondes l'événement qui marquera, pour beaucoup, la fin de cette année 1999: l'échec des négociations de l'OMC à Seattle. Ensuite, c'est l'amnésie jusqu'en fin de soirée.
Rien sur le Sida
La surmédiatisation du mariage princier et de ses préparatifs a empêché les téléspectateurs de la RTBF de découvrir nombre d'activités auxquelles les émissions d'information devaient normalement ouvrir leurs portes. Ne prenons, à titre d'exemple, que le domaine de la santé.
C'est Pierre De Greef, présentateur de Midi Première (diffusé par la chaîne de radio de la RTBF, La Première) qui le dira lui-même, le 3 décembre vers 12H10 : cette semaine où se prépare le mariage princier «...a quelque peu occulté» la semaine européenne de la personne handicapée.
Dans La Libre Belgique des 4-5 décembre 1999, le coordonnateur du Téléthon Belgique, Jean-Marie Huet, déplore : «Nous aurions aimé être l'événement du week-end, ce sera pour l'année prochaine...»
Depuis plusieurs années déjà, le sida et une information sur sa prévention sont à l'honneur, durant le mois de décembre. Telle année, ce fut le sidaction programmé le 1er décembre, Journée internationale du sida. Telle autre, la RTBF proposa un Ecran Témoin spécial, un 30 décembre: rappeler l'utilité des préservatifs à la veille du réveillon est utile. Il n'y a toujours pas de vaccin pour combattre cette maladie. La télévision reste donc un moyen majeur et récurrent pour favoriser la prévention. Cette année, la Mathildemania ertébéenne a occulté cette responsabilité de notre Service public.
Interviewé par Le Matin, dès le 18 novembre 1999, l'A.T.A. commentait ainsi l'attitude rédactionnelle que la RTBF s'impose depuis l'annonce des fiançailles jusqu'aux lendemains du mariage : «Le problème ce n'est pas ce qu'on voit, mais ce qu'on ne voit plus. Le 11 novembre, par exemple, dans le JT de la RTBF de la mi-journée, il y a eu un reportage sur le livre Les Dossiers X. Ce livre, qu'on soit d'accord ou pas d'accord avec ses thèses, est un événement et il faut le traiter de façon détaillée. Or, le soir, au moment de la grande écoute, le sujet a disparu. A sa place, il y avait un reportage portant sur la décoration florale de la soirée des fiançailles du 13 novembre. C'est en regardant les journaux télévisés sur les chaînes françaises qu'on se rend compte qu'il y a des sujets qui ne passent plus chez nous...»
La RTBF ne ménage pas ses moyens
Il était logique que la RTBF commente l'actualité princière. Par exemple, en ce qui concerne les Joyeuses- Entrées, pourquoi ne pas diffuser en direct la première et puis, se contenter pour les autres (une par province) qui se poursuivent jusqu'au 23 mars 2000, d'un compte-rendu dans le journal télévisé ?
Non. La RTBF s'obstine à présenter en direct toutes les Joyeuses Entrées. À Liège, le 18 janvier 2000, son commentateur Michel Deville (à la ville : Michel de Ville de Goyet) confirme, vers 16H13, que la RTBF met beaucoup d'énergie dans cette entreprise: «...Une très grosse couverture de la RTBF qui n'a pas ménagé ses moyens.»
Ce jour-là, le direct est annoncé, sur la Deux, de 10H35 jusqu'à 12H45 et de 15H20 jusqu'à 16H25. Des duplex étaient également prévus pendant le JT de la mi-journée et pendant Régions Soir.
Tous les médias ne suivent pas la même ligne éditoriale. Ainsi, le lendemain matin, Le Soir ne consacra à cette Joyeuse-Entrée liégeoise qu'une photo légendée publiée en page 15.
La VRT n'a pas fait le même choix que la RTBF: elle ne diffuse en direct que les Joyeuses-Entrées flamandes et reprend des extraits des autres pour illustrer des reportages diffusés au JT.
Les horaires!
Comme les horaires prévus par le Palais Royal sont rarement respectés (à Anvers, vers midi, un retard d'une heure était déjà signalé), la RTBF doit jouer les prolongations et chambouler l'ordre de ses programmes. Ce sont «les aléas du direct», comme on dit. Mais la RTBF tient rarement le public au courant des modifications.
Le Soir, dans sa page TV du 24 janvier 2000, annonce que le Régions Soir de ce jour-là sera consacré à la Joyeuse- Entrée en province d'Anvers. Ce ne fut pas le cas. Aucune explication ne fut donnée par la chaîne à ses téléspectateurs.
Pas de traducteur pour la Dioxine
Qui dit grosse couverture, pense moyens financiers importants. À cela, on nous répond que les frais de ces Joyeuses-Entrées sont divisés en deux puisque la RTBF reprend, pour les visites flamandes, les images de la VRT. «Il suffit de prévoir les commentaires en français», nous confirme Gérard Lovérius, le Directeur de la télévision.
Exact, du moins pour la moitié de ces Joyeuses-Entrées (c'est la RTBF qui assure la captation des Joyeuses-Entrées francophones, à l'exception de celle du Tournaisis qui fut mise en images par la télé locale No Télé), mais il faut faire des choix. Pendant que se déroulait cette dizaine de Joyeuses-Entrées qui se ressemblent toutes comme sœurs jumelles, se tenait la Commission Dioxine. Les téléspectateurs n'auront pas l'occasion de découvrir en direct le déroulement de ses séances alors que les auditions de Karel Pinxten, de Marcel Colla et de Jean-Luc Dehaene ont été retransmises en direct par la VRT. Tout d'un coup, la RTBF ne dispose plus d'un simple traducteur ?
Et qu'on ne vienne pas nous dire que ces trois personnalités auditionnées sont flamandes! Il s'agit d'une problématique fédérale et l'affaire de la Dioxine, durant l'été 1999, a profondément touché tout notre pays.
Ce sont les Flamands, à qui de nombreux francophones reprochèrent naguère de n'avoir diffusé de la Commission des enfants disparus ou assassinés principalement que des séances concernant Ann et Efje, qui peuvent aujourd'hui à juste titre ne plus très bien comprendre la politique éditoriale de la RTBF.
Alors que le cycle des Joyeuses-Entrées s'approche de sa fin, la RTBF annonce qu'elle va retransmettre en différé des séances publiques du débat sur l'euthanasie. C'est intéressant. Mais pourquoi uniquement l'euthanasie et pas la dioxine ?
Financer les frais techniques d'une retransmission d'une Joyeuse Entrée doit chiffrer: deux cars de captation nécessaires aux «directs», une dizaine de caméras, le faisceau, les notes de frais dont les nuits à l'hôtel, des équipes ENF (vidéo légère) pour les journaux télévisés, etc.
Pourquoi dix directs pour les Joyeuses-Entrées et rien pour la dioxine? Quand et qui a fait ce choix à la RTBF? Pourquoi ne pas avoir ouvert à l'antenne une réflexion sur cette décision qui peut paraître pour le moins unilatérale? Il y aurait eu là matière pour un utile «Mise au point». Pareille initiative aurait permis à la RTBF de concrétiser ponctuellement sa mission (actuellement fort délaissée) de programmer des émission d'éducation aux médias.
Silence et obstination
Les téléspectateurs ont parfois du talent ! Alexandre Chaidron de Louvain-la-Neuve a écrit une lettre particulièrement inspirée que Le Soir a publiée dans son courrier du 12 novembre 1999: «À en croire nos télévisions, les Joyeuses-Entrées constituent un événement d'une importance capitale. En effet, la rédaction des journaux télévisés n'hésite pas à propulser ce fait à la une de l'information et au moins pendant la moitié des nouvelles. J'en suis scandalisé pour deux raisons. D'une part, il existe dans l'actualité d'autres événements prioritaires bien plus intéressants qui mériteraient l'attention du citoyen téléspectateur. D'autre part, les interviews ne laissent paraître qu'un seul avis, en apparence unanime (le grand intérêt que portent les gens à ces entrées), alors que ce n'est sans doute pas le cas.»
On remarquera donc, à propos de ce sujet, le manque d'esprit critique et de recul de la part des journalistes. De plus, nous assistons à la construction médiatique d'un climat de ferveur généralisée qui n'existe peut-être pas. J'en appelle à l'analyse critique des journalistes et de citoyens...» Ce téléspectateur ne sera pas entendu par la RTBF.
L'A.T.A. non plus. Dès le 18 novembre 1999, dans une interview publiée par Le Matin, elle demande à la RTBF de ne plus transmettre en direct les Joyeuses-Entrées après le mariage parce qu'elle ne correspondent pas à une demande et parce qu'elles ne répondent pas à une démarche journalistique.
La RTBF aurait pu écouter, dialoguer, réagir, évoluer. Ce fut le silence et l'obstination.
Un culte
On doit donc s'interroger sur les raisons de cette Mathildemania à la RTBF.
Dorothée Klein note dans Le Vif/L'Express du 3 décembre 1999 : «Y a-t-il eu confusion entre journalisme et communication, voire promotion?»
Dans le même article, José-Manuel Nobre Correia, professeur à l'ULB, esquisse une hypothèse : «Certains ne se sont-ils pas mis au service d'une cause? Une grande partie des informations correspond à ce que le Palais souhaitait qu'on dise. Ainsi, nous avons eu droit à plusieurs reprises au CV de Mathilde qui était pourtant d'une parfaite platitude.»
Dans l'émission Arrêt sur images de la Cinquième, le 14 novembre 1999, (voir pages 26-27), la seule réponse que Michel Konen, le rédacteur en chef du journal télévisé de la RTBF, donne se résume au fait qu'après les années noires (Dutroux, la Dioxine), la Belgique se portait mieux avec les Diables Rouges et le couple princier. Ceci explique peut-être pourquoi la RTBF en a parlé, mais pas pourquoi elle s'est autant étendue sur cette thématique.
Ceci laisse aussi entendre que le but des émissions d'information de la RTBF n'est pas de relater la réalité et de l'expliquer dans sa complexité mais bien de tenter de rendre les Belges plus heureux. Est-ce déontologique? Ne s'agit-il pas là d'un endoctrinement? La télé doit-elle relater ou créer la réalité?
Quant à Gérard Lovérius, le Directeur de la télévision, il explique dans Le Vif/L'Express du 3 décembre 1999: «...Je compare souvent ces directs à la retransmission d'un culte : je ne vais quand même pas envoyer un laïque commenter la messe dominicale!»
Cette réponse admet implicitement que le traitement journalistique de ces nombreux directs ne fut pas critique et dépourvu de tout travail d'investigation. Le mensuel républicain TOUDI considère même, en ce qui concerne la relation des Joyeuses-Entrées, que La Libre Belgique et Vers L'Avenir ont été plus circonspects que le service public: «.pourquoi la RTBF demeure-t-elle le seul média important à dire ce qui n'est pas?»
Or, il est intéressant de signaler que les transmissions de ces Joyeuses- Entrées étaient précédées systématiquement par la diffusion du générique du Journal télévisé.
N'eut-il pas été plus sain de considérer que certains de ces directs n'étaient pas des émissions d'information? La soirée des fiançailles, par exemple, n'était-elle pas tout simplement une agréable soirée de divertissement? Ainsi, on aurait évité une dangereuse confusion des genres, celle qui a consisté à demander à des journalistes du Service Public de faire, pendant de très nombreuses heures, un travail d'animateur.
Pourquoi la RTBF, si attentive à son budget lorsqu'il s'agit de mettre à l'antenne un JT pour les enfants (il a fallu se battre pendant 3 ans pour que ce projet aboutisse), est si dépensière lorsqu'elle relate l'actualité très répétitive du Palais?
Point de vue, Images du monde...
Dans l'émission Arrêt sur images (voir compte-rendu page 10), le journaliste de terrain Pascal Bustamante déclare: «Il n'y a pas de grande dimension critique dans le reportage. Donc, on raconte ce qu'on voit, on fait un peu des images "Point de vue, images du monde". Cela n'a pas un très grand intérêt...» et Michel Konen, le Directeur de la Rédaction du Journal télévisé de la RTBF confirme: «C'est vrai que cela a un côté "Point de vue Images" quand on passe en direct...». Mais il n'y a pas que les transmissions en directs des Joyeuses-Entrées...
Signalons également que l'un des commentateurs du mariage princier à la RTBF était Vincent Pellan, l'un des journalistes de Point de Vue.
La RTBF a également proposé plusieurs émissions en studio où elle a invité des journalistes de "Point de vue" ou de Paris Match...
Est-ce ce type de journalisme que le Service public doit favoriser ? Existe-t-il d'autres manières de commenter pareil événement? Philippe et Mathilde sortent-ils grandis par pareil type de traitement? Et les journalistes de la RTBF?
...et Stéphane Bern !
On aurait pu espérer que, dans le créneau «grand public», d'autres émissions de la RTBF, en contre point, pour respecter une diversité d'approches, abordent cette thématique d'une manière différente. Cela ne fut pas le cas.
Il y eut bien un Mise au point qui donna la parole pendant quelques minutes à la tendance «républicaine» mais cette émission n'appartient pas à ce créneau «grand public». On retrouve là le même procédé que celui qui est dénoncé par l'équipe d'Arrêt sur images (voir compte-rendu en page s 26-27): certaines séquences plus critiques, davantage distanciées, ne sont pas diffusées au Journal Télévisé de 19H30 mais plutôt dans Régions Soir !
Cette alternance à Point de vue aurait été salutaire dans l'Écran Témoin Prince et princesse: un sort à envier? du 29 novembre 1999. Hélas... l'invité particulièrement mis en exergue sur le plateau de l'émission ainsi que dans les bandes annonces de cette émission diffusée par la RTBF était Stéphane Bern, coprésentateur de l'émission Célébrités de TF1. Pour rappel, l'Écran Témoin est une émission d'information et non de divertissement. Paul Germain, dès le 24 novembre 1999, décrivait ainsi l'enjeu de ce débat, dans Le Soir: «L'axe ne sera pas de remettre en question la monarchie mais de voir pourquoi aujourd'hui les princes et les princesses font rêver. C'est une émission "people" d'un enjeu limité.»
Stéphane Bern fit quelques déclarations qui n'avaient rien de «people». Elles étaient tout à fait politiques et même carrément poujadistes, voire ségrégationnistes !
Vers 22H13, Stéphane Bern expliqua que les reines, contrairement aux femmes de personnalités politiques, vivent «un vrai sacerdoce», celui d'aller serrer les mains des malades ou des déshérités, de visiter les malades du Sida... Face à cette affirmation, Paul Germain n'a suscité aucune réaction. Il lui aurait été pourtant simple d'évoquer, par exemple, la femme du Président François Mitterrand.
Plus grave: vers 22H30, Paul Germain n'a pas réagi non plus lorsque Stéphane Bern expliqua pourquoi il préférait les rois aux hommes politiques. Selon lui, les premiers ne paient pas leurs électeurs et ne doivent pas «faire du baratin»...
Enfin, vers 23H05, le journaliste n'a pas non plus remis en question l'ultime salve de son confrère de TF1, lorsque celui-ci expliqua que l'une des grandes qualités de Mathilde était le fait que «la future reine des Belges était Belge». Pourtant Paul Germain aurait pu simplement lire quelques extraits d'une lettre de Linda Mouakri-Asbergh, publiée dans le courrier du quotidien Le Matin, le 19 novembre 1999: «Les médias se réjouissent du fait que Mathilde soit Belge. Cela démontre que toutes les déclarations sur l'égalité et l'antiracisme sont des formules creuses...»
Omniprésence de Francis Balace
L'historien Francis Balace fut l'omniprésent commentateur des festivités Princières. Une lettre d'Alfred Rottenberg de Waterloo publiée par le courrier des lecteurs du Vif/L'Express du 24 décembre 1999 compare même Francis Balace à un clone triste de Stéphane Bern. Afin d'illustrer cette critique, le lecteur décrit la manière dont Francis Balace s'est comporté lors d'un Mise au Point qui abordait notamment la relation entre la famille royale et l'Eglise: l'animateur demande: «Supposons qu'un jour, le roi veuille adhérer au judaïsme ou à l'islam...» Balace fuse: «S'il s'agit de judaïsme en tous cas, les discours du roi seront courts car "Sire concis" (sic !)...»
Depuis l'annonce des fiançailles Princières, les prestations de Francis Balace ne permettent plus à la RTBF de proposer régulièrement un panel d'avis diversifiés émanant d'historiens. Ce n'est pas la prestation de Jean Marie Chauchie (Faculé St-Louis, UCL) lors de la Joyeuse-Entrée en Hainaut qui peut remettre en question ce constat global.
Le choix de privilégier les prestations télévisées de l'historien liégeois nous semble émaner davantage de préoccupations liées à l'audience (trouver un historien familier qui fait rire le public), plutôt qu'à des objectifs d'éducation permanente. Il faudrait ici rappeler que ces derniers objectifs peuvent intéresser un vaste public. Le travail mené par un Jean-Jacques Jespers (Autant savoir) ou par Bernard Balteau (Les années belges) le prouve indubitablement.
Deux hypothÈses erronées
Pourquoi cette Mathildemania à la RTBF? Certains ont affirmé que les fastes du mariage Princier redoreraient l'image de marque de la Belgique à l'étranger. Ceux-là ont-ils vu les reportages diffusés par les chaînes françaises qui ne manquèrent pas de rappeler à cette occasion ce que notre pays voulait faire oublier. Ainsi, une enquête diffusée par le JT de France 2 présenta des images de la marche blanche, de la fermeture de l'usine Renault de Vilvorde et du scandale du poulet à la Dioxine pour conclure: «les Belges sont pressés -trop peut-être- d'oublier leurs problèmes.»
Cette médiatisation fut donc une corde que les Belges se sont tendue pour mieux se pendre !
D'autres estiment qu'il est extrêmement rare que l'on célèbre le mariage d'un futur roi et donc qu'il fallait mettre tout le toutim pour la cérémonie du 4 décembre dernier. Ceux-ci ne sont que des magiciens qui tirent de leurs chapeaux les noms de Philippe et Mathilde... Peut-être est-ce eux qui, déjà, à la mort de Baudouin 1er, juraient mordicus que ce serait Philippe qui allait être intronisé. Actuellement, plusieurs membres de la famille royale peuvent succéder à Albert II. Tout le reste est affaire de cartomanciennes et non de journalistes de la RTBF ! Donc, par son hypermédiatisation, le service public a peut-être cavalièrement confondu mariage princier et royal.
Peu de monde
Puisqu'il n'existe pas d'explication rationnelle, il convient de s'orienter vers la demande du public pour tenter de justifier cette hypermédiatisation. En fait, une majorité du public semble moins demandeur qu'on ne l'aurait imaginé, et ce, à deux niveaux.
La foule qui a assisté dans les rues aux Joyeuses-Entrées ainsi qu'au Mariage Princier est moins importante que celle qui était attendue. Elle n'est pas non plus représentative de la population belge.
L'émission Arrêt sur images (voir page 10) l'a démontré. Le public des premières Joyeuses-Entrées est non seulement peu nombreux mais essentiellement composé des enfants des écoles. Deux mois plus tard, après le mariage, le même scénario se reproduit. Le Matin l'explique, le 19 janvier 2000 : «La foule, Liège se l'est garantie en "invitant" 12.500 enfants des écoles, des clients sûrs qu'aucune condition météo ne rebute à agiter leurs petits drapeaux.» Lors du direct télé de la RTBF de cette Joyeuse-Entrée, Michel Deville rappelle que lors de la Joyeuse-Entrée d'Albert et Paola, en 1959, il y avait eu 250.000 personnes qui s'étaient massées sur un parcours qui faisait le tour de la ville de Liège alors que pour la Joyeuse entrée de Philippe et Mathilde, l'itinéraire est fort circonscrit.
On peut se demander pourquoi les Joyeuses Entrées de Philippe et Mathilde ont été prévues en semaine: par peur d'une trop grande cohue, le week-end, ou par crainte de perdre le public «obligé» des élèves ?
En tous les cas, le samedi ne semble pas attirer les foules. Le 4 décembre 1999, TF1 et France 2 analysaient de la même manière, dans leurs JT de 20H, l'affluence au mariage princier. Claire Chazal, sur la chaîne privée, constate que «...le peuple belge n'était pas venu très nombreux» et France 2 titrait sur le fait qu'il s'agit d'un mariage «sans la ferveur de la population qui n'est pas venue en nombre.» Un reportage y commente ainsi ce constat : «.l'alliance du fils aîné du roi à cette jeune aristocrate n'a pas attiré les foules. Malgré la popularité de la princesse, pas plus de 35.000 personnes sur le parcours, alors que les autorités en prévoyaient au moins le triple. Dans les rues, on est loin de la ferveur populaire annoncée...»
Les jours qui précédèrent le mariage, l'une des estimations de la foule était de 300.000 personnes. Ce chiffre était cité, par exemple par la RTBF, le 3 décembre 1999 ou par Télé Bruxelles, le 30 novembre 1999. Et non pas 200.000 ou 100.000, comme on le laissera croire après le mariage. Ainsi, Le Vif/L'Express, dans son édition du 10 décembre 2000 note : «selon la police, pas plus de 30.000 personnes se sont déplacées à Bruxelles. On en attendait entre 100.000 et 200.000! Bien sûr, beaucoup d'autres ont préféré la télévision...»
Et à la télé ?
Dans les jours qui suivirent le mariage, tous les médias expliquèrent le manque de ferveur dans les rues par l'attrait de la télévision. «Philippe et Mathilde ont été, samedi, les vedettes exclusives du petit écran» note ainsi Le Soir, le 7 décembre 1999. Ce même jour, la première page de La Lanterne est quelque peu trompeuse! La photo montre deux personnes qui regardent chez un marchand de vidéo hi-fi plein d'écrans de télévision qui relaient le mariage princier. Un texte explique cette photo : «Philippe et Mathilde: nous étions 8 millions devant la télé.» Il faut aller lire l'article en page 12 pour découvrir qu'il ne s'agit pas de 8 millions de belges... mais 8 millions de téléspectateurs dans le monde entier !
Quelques jours plus tard, l'effet télé se dégonflera quelque peu. On comprendra, en effet, que l'effet massifiant des résultats d'audience est dû au fait que toutes les chaînes de chez nous (ainsi que TF1, TV5, etc.) diffusaient en même temps les mêmes images et leurs téléspectateurs s'additionneraient. En effet, le hit parade des audiences de la semaine place bien loin la retransmission du mariage. La 10ème place revient à la RTBF (avec 482.000 téléspectateurs). Et la 16ème place à RTL TVi (avec 402.900 téléspectateurs). Derrière «Mars Attacks!» ou «Ralph super king»...
Et lorsque la Régie Média Belge diffuse le classement des 100 meilleures audiences de 1999 relevées par le CIM, la cérémonie du mariage princier est absente. Philippe Vandenbergh note dans La Libre Belgique du 21 janvier 2000 : «Et le mariage princier, alors? Il avait fait une excellente audience cumulée mais, à l'heure des comptes, chaque chaîne a repris ses billes. L'union sacrée, à ce niveau, cela ne dure qu'un temps.» Le même journaliste commentait ainsi les audiences du mariage princier, le 7 décembre 1999: «On sait que l'on peut faire dire aux chiffres ce que l'on veut. Mais ceux enregistrés par les audimètres du CIM samedi parlent d'eux-mêmes: en termes d'audiences, ils sont tout simplement historiques.»
Les médias populaires n'ont pas repris l'analyse de la lettre n°494 du 8 décembre 1999 de Media Marketing, une «news» respectée dans le monde des publicitaires. L'article paru en couverture est intitulé Mariage princier : succès mitigé. On peut y lire : «Rien n'a échappé aux journalistes qui venaient de dénicher la poule aux œufs d'or. Et puis vint le jour J, ce samedi 4 décembre. La fébrilité médiatique a alors atteint son paroxysme, tandis que dans les régies (publicitaires), on annonçait déjà des chiffres d'audience records pour la retransmission live de l'événement. La liesse passée, c'est l'heure des comptes. Un constat général: le mariage princier n'a déclenché ni le succès de foule escompté, ni le raz-de-marée d'audience prévu.»
Et les audiences de la dizaine de Joyeuses-Entrées? Michel Konen, le rédacteur en chef de la rédaction du Journal Télévisé de la RTBF, ne juge pas du tout extraordinaire celle de Bastogne, lorsqu'il est interrogé par l'équipe de Arrêt sur images (voir annexe, page 10).
Le «direct» de Bastogne (le 21 octobre 1999) n'a, en effet, été suivi, sur la RTBF que par 103.800 téléspectateurs. Par la suite, la sauce n'a pas vraiment pris. À Bruges (le 25 octobre 1999) : 101.600 téléspectateurs. À Wavre (le 28 octobre 1999) : 82.800 téléspectateurs. À Louvain (le 4 novembre 1999) : 198.300 téléspectateurs.
Bonnes ou mauvaises, quel crédit faut-il accorder à ces audiences? Quelles leçons en tirer? Signifient-elles une adhésion à la cause de la Cour ? La lettre de Marie M. de Bruxelles publiée par le courrier des lecteurs du Vif/L'Express du 23 décembre 1999 donne à réfléchir : «Combien de personnes, dont je suis, n'ont regardé le mariage de Philippe et Mathilde à la TV que pour les toilettes, la grosseur des perles et la beauté des lieux ? Idem quand je regarde Place royale, mais là je coupe le son! Quand donc cessera-t-on d'interpréter n'importe comment l'audimat ?»
Bientôt, l'Euro 2000
Le présent dossier a un but précis: que la RTBF ne réitère plus à l'avenir les erreurs qu'elle a commises pour la relation de l'union princière.
Attention ! En ligne de mire, se profile déjà l'Euro 2000.
Va-t-on à nouveau nous assommer pendant des mois et des mois avec cet «événement» au point de sous-traiter tous les autres faits de l'actualité nationale et internationale? Faudra-t-il absolument s'intéresser au football pour être un usager choyé par la RTBF?
Il devient, en effet, de plus en plus insupportable d'accepter que le Service Public adopte, à chaque grand événement médiatique, une stratégie audimatique qui ne lui permet plus de respecter les intérêts et les attentes différentes de ses multiples publics. La RTBF catalyse toutes ses forces sur l'événement du moment et oublie qu'il en existe des dizaines d'autres dont la relation concerne également ses téléspectateurs.