Un cadre budgétaire objet des négociations pour la formation d'un Gouvernement
À la suite d'élections, les négociations entre les partis formant une majorité portent traditionnellement et à l'évidence sur le contenu du programme gouvernemental. Parce qu'il s'agit de coalition, aucun parti ne peut réaliser l'intégralité de son programme mais chacun est amené à trouver un compromis sur les points principaux. A charge pour le Gouvernement lui-même, et non pour les négociateurs, de déterminer le cadre budgétaire, les recettes et les affectations de dépenses ainsi que le calendrier de réalisation.
L'informateur désigné, Élio Di Rupo, parle de programme mais aussi et simultanément de budget. Les économies européennes sont en récession ou, en tout cas, en sont très proches, les recettes fiscales sont, dès lors en diminution : TVA, impôts des personnes physiques et impôts des sociétés et certaines dépenses incompressibles sont en augmentation, on pense notamment aux indemnités de chômage.
D'une part, on doit s'attendre à des difficultés pour réaliser les engagements du Gouvernement Arc-en-ciel précédent, notamment la réforme fiscale, mais aussi à pour concrétiser le programme du nouveau Gouvernement qui ne peut pas ne rien faire, d'autant que les élections régionales et européennes se profilent dans un an. D'autre part, les règles européennes qui président à l'EURO imposent un déficit budgétaire maximum de 3% du PIB et des mesures précises pour réduire ce déficit de manière à revenir à l'équilibre.
Première contradiction : croissance et réduction du déficit public
Etant donné la faiblesse de la croissance, surtout celle des investissements, réduire encore les dépenses budgétaires parce que les rentrées fiscales seront moindres est, a priori, absurde. Il faudrait au contraire augmenter les dépenses, ce qui soutiendrait la croissance surtout si les affectations sont bien choisies et correspondent à des effets multiplicateurs comme, par exemple des logements, des rénovations urbaines ou rurales.
Certes, la dette publique belge est déjà à un niveau très élevé puisqu'elle atteint 106,1 % du PIB en fin 2002. En 1980 la dette atteignait 2.819 milliards de francs belges de l'époque. Chacune des années suivantes, la dette s'est accrue au rythme d'environ 600 milliards de francs par an jusqu'en 1984, ensuite au rythme annuel de 500 milliards de francs pour se stabiliser à environ 10.500 milliards de francs belges à partir de 1994. Aujourd'hui, elle est toujours au niveau de 10.500 milliards de francs belges ou 260 millions euros. En chiffres absolus, la dette publique n'a pas diminué.
Quand on la calcule non plus en francs ou en EURO mais en % du PIB, elle est passée d'un maximum de 130 % en 1993 à 106 % aujourd'hui du seul fait de l'accroissement du PIB. C'est pour nous bercer d'illusions que le Ministre des Finances parle toujours et uniquement de la dette en % du PIB.
Certes, cette dette est élevée et coûte cher en charges d'intérêts, encore que les taux actuels soient nettement inférieurs à ce qu'ils étaient il y a cinq ans ou plus.. Mais même à environ 4% l'an, cela fait une charge annuelle récurrente de 420 milliards de francs (environ 100 millions EURO). L'ensemble des contribuables doit payer cette charge, chaque année, aux nantis qui ont pu épargner et perçoivent les intérêts.
En elle-même, la dette, si élevée soit-elle, n'est pas inquiétante parce qu'elle est presque totalement en EURO (elle était en francs belges antérieurement), seulement 2,5 à 3 % sont en monnaie hors zone EURO, principalement en francs suisses. Tout se passe, donc, comme si Monsieur prêtait à Madame au sein d'un ménage, la situation globale du ménage ne change pas. Par contre, lorsque le ménage éclate, alors des problèmes se posent: comment partager la dette ?
Malgré l'importance de la dette publique, on peut admettre un déficit de l'ordre de 1,5 à 2 % sur l'année 2003, pour soutenir la croissance, les revenus des plus faibles et les PME à la condition de récupérer ces montants au cours des années 2004 et 2005, lorsqu'une croissance meilleure pourra assurer des recettes fiscales en hausse. Cela signifie clairement qu'on ne pourrait pas engager des dépenses récurrentes, comme une réforme fiscale abaissant les charges pour les contribuables ou des exonérations de cotisations sociales. Par contre, on pourrait fort bien concevoir un financement de programme de construction et de rénovation de logements à réaliser par les Régions en supplément aux efforts qu'elles font déjà.
Deuxième contradiction : exonérations de cotisations patronales de sécurité sociale et création d'emplois
Tout le monde admet qu'il faut réduire les charges sociales pour augmenter l'emploi, comme si un emploi était un kilog de fraises. Si le prix des fraises diminue, les consommateurs en achètent plus. Ce n'est pas vrai de l'emploi qui n'obéit pas, en tout cas pas complètement, aux règles habituelles des marchés.
Pour créer un emploi, car c'est bien de cela qu'il s'agit, il faut d'abord qu'une entreprise ou un pouvoir public ouvre un poste de travail supplémentaire. Jamais une entreprise ou un pouvoir public n'engagera, même à une faible rémunération quelqu'un dont elle n'a pas besoin. Pour créer des emplois, il faut, donc, qu'une entreprise ait des commandes supplémentaires, donc des clients supplémentaires: il faut une croissance économique.
Dans la période actuelle de faible croissance, les capacités de production de biens et de services sont sous-utilisées, des travailleurs sont en chômage économique partiel, on licencie ou on ne remplace pas les personnes qui partent (pension, maladie, décès par exemple). Accorder des réductions de cotisations patronales de sécurité sociale pour stimuler l'emploi est inefficace puisqu'il n'existe pas de postes de travail supplémentaires à pourvoir.
Ce n'est évidemment pas perdu pour les entreprises qui bénéficient ainsi d'un effet d'aubaine. Celui-ci se traduit, finalement, en profits supplémentaires et ne contribue même pas à stimuler la croissance, mais plutôt l'épargne. Déjà actuellement, les abattements de cotisations patronales de sécurité sociale représentent 120 milliards de francs. Les économistes sont critiques à l'égard de cette mesure peu efficace et, en tout cas, très coûteuse pour le budget de l'ÉÒtat et celui de la Sécurité sociale.
Par contre, l'équilibre financier de la sécurité sociale est mis en question. Il faut alors comprimer les dépenses : réduire les allocations, retarder les adaptations des petites pensions, diminuer les remboursements des journées d'hospitalisation (et réduire les durées d'hospitalisation). Les effets économiques sont négatifs : la consommation est freinée, l'emploi dans les soins de santé se contracte.
Ainsi, une politique apparemment bonne et généralement admise aboutit à des effets contraires à son objectif : elle veut stimuler la création d'emploi, elle aboutit à diminuer l'emploi existant sans pour autant faire naître de nouveaux emplois.
Pour créer un emploi, il faut la conjonction de trois conditions : un poste de travail, un équilibre financier pour l'entreprise (la vente de produit ou du service doit permettre le paiement des salaires et cotisations sociales) et une personne apte à occuper le poste de travail ainsi ouvert. D'où l'objectif permanent de formation dans toutes les qualifications.
Vouloir diminuer les charges sociales, voire diminuer les salaires pour les emplois de faible qualification est une erreur. Tout le monde sait que l'avenir économique des pays développés n'est plus dans des activités à faible niveau de qualification. On sait aussi que les qualifications s'élèvent de plus en plus : nettoyer des bureaux demande aujourd'hui le maniement de machines, l'utilisation de produits d'entretien spécifiques aux diverses surfaces, etc. Tout emploi, même celui qu'on considère comme moindre demande aujourd'hui une qualification. Un réel objectif d'emploi est d'amener chacune et chacun à une qualification aussi élevée que possible.
Conclusion
En période de faible croissance économique et même de récession dans plusieurs pays vers lesquels nous exportons, on doit bien admettre que :
- stimuler, ici, la croissance économique générale par les moyens traditionnels n'a pas de sens, c'est au niveau européen et de la Banque centrale européenne qu'il faut agir;
- réduire les dépenses budgétaires, pour éviter à toutes forces un déficit budgétaire est une erreur, la restriction de consommation qui s'en suivra ne fera qu'aggraver la situation en plombant plus encore la croissance, les recettes fiscales et finalement le déficit;
- réduire les impôts par une réforme fiscale nouvelle additionne toutes les conséquences néfastes: contraction des dépenses publiques d'où réduction de la consommation, donc de la croissance et par effet immédiat réduction des rentrées fiscales et accroissement du chômage; il vaut mieux au contraire étaler ou décaler d'un an l'application de la réforme fiscale décidée par le Gouvernement Arc-en-ciel;
- accorder de nouvelles exonérations de cotisations patronales de sécurité sociale ne créera pas d'emplois supplémentaires, puisque les entreprises manquent de commandes; au contraire, cela pourrait contraindre la Sécurité sociale à réduire les allocations et indemnités, lesquelles forment, avec les salaires, la base de la consommation, donc du maintien d'une croissance économique;
- au contraire, créer, de manière délibérée et contrôlée, un ensemble de dépenses budgétaires non récurrentes permet de soutenir l'emploi intérieur, de soutenir la consommation, de répondre à des besoins et de se préparer à un retour de la croissance dans une perspective de développement durable.
Ces objectifs pourraient être rencontrés dans un « Projet-progrès » dont les contenus principaux porteraient sur des financements supplémentaires et exceptionnels dans les domaines suivants: éducation et formation, construction et rénovation de logements, initiatives d'énergies renouvelables, transports en commun.
La plupart de ces domaines sont de la compétence des Régions, mais celles-ci n'ont pas les moyens financiers de tels programmes relativement importants et ponctuels. À l'État fédéral d'assurer les moyens financiers, aux Régions l'exécution des programmes et un cofinancement.
Le financement par l'État pourrait se faire par quelques emprunts spéciaux émis sur une période de un à deux ans, éventuellement assortis de certains avantages futurs pour ne pas peser sur les taux d'intérêt et donc sur les charges d'intérêt.