Un musée intelligent et vivant sur Arthur Masson à Treignes

Toudi mensuel n°40, juin-juillet 2001

Les écrivains les plus de Wallonie? Paul Biron qui écrit dans une langue mi-wallonne mi-française. Arthur Masson (1896-1970) très différent, incruste dans un français recherché (jusqu'à la préciosité), des phrases en wallon (souvent traduites). Né en 1896 à Riézes (qui s'intitule glorieusement «Village de la bonne humeur»), mort en 1970, Arthur Masson a écrit de 1938 à 1966 des Toine Culot en série avec un succès prodigieux. En classe, les élèves comprennent presque aussi aisément un exemple tiré de son oeuvre que de la télé.

Masson est un écrivain «régionaliste» et pas un «écrivain wallon de langue française» (il se voulait tel) comme Simenon et Plisnier évidemment plus universels. Mais, cet admirateur de Don Quichotte et des Caractères de La Bruyère a créé des «types». Le plus connu est l'antipathique Pestiau, faux pharmacien et vrai collabo sous l'occupation,. Masson le maintient longtemps en vie pour l'opposer aux autres personnages de ses romans qui, comme le dit le Professeur Klinkenberg «pètent de santé», physique et morale.

Il y a du conformisme chez Masson. Nous ne trouverons pas chez lui la tragédie qui se tord dans les pièces de Louvet par exemple. Mais la façon dont il a de camper son oeuvre surprend. La visite à l' Espace Arthur Masson le confirme. Visite passionnante avec des enregistreurs de maniement aisé qui commentent une onze scènes reproduites à partir de personnages grandeur nature, des mannequins en des décors magnifiquement reconstitués, dont la voie humaine (ils parlent wallon souvent), les rend aussi réels que dans un film ou sur les planches.

Prenons la visite d'un inspecteur à l'école. Le premier élève à répondre s'exprime avec l'accent flamand, le deuxième avec l'accent de la France proche. On parle des gosses d'Italiens, Polonais qui viennent en vacances dans le village, enfants de mineurs immigrés. La Wallonie «multiculturelle», mais la scène date d'avant la guerre... Toine Culot a épousé une Flamande et son petit-fils, coureur flamand, gagnera une étape du Tour de France et la main de sa Wallonne bien-aimée disputée par Pestiau (Le Tour de France à Trignolles, 1956). Cependant, la traduction de Toine Culot en néerlandais fut un échec. Alors que, cependant les romanciers régionalistes s'exportent souvent (on est même venu d'Australie étudier Arthur Masson).

Les scènes se succèdent. À l'arrière-plan, l'histoire de la Wallonie parfois retracée en images fixes (photos) ou mobiles (films et vidéos): la vie dure des agriculteurs avant-guerre (un pied dans la ferme, l'autre dans l'usine à l'époque), la Wallonie industrielle (en ce coin d'Ardenne mais à deux pas du sillon Sambre-Meuse), la Résistance, le massacre de Bande, le mariage de Baudouin et Fabiola, la grève de 1960 qui accoucha de la Wallonie autonome. Dans le bureau du maïeur de Trignolles, on voit une photo (sans commentaires) du Congrès national wallon de 1912 avec Jules Destrée, les politiques des années 30. Et, à la fin, est représenté (toujours de la même façon), un départ à la mer en famille (une famille héroïne de Masson), avec des images des plages du début des années 60 et les superbes jeunes filles d'alors en bikini, la soif de vivre au rythme des disques de l'époque. Chrétien, profondément, Masson aimait cela: la vie.

L'oeuvre de Masson c'est aussi l'actualité politique et sociologique. La littérature c'est le réel. Masson est régionaliste certes, mais... Mais il a perçu son pays mieux que beaucoup, cela se sent, en ce village de Treignes qui semble exister pour dire les multiples facettes de la Wallonie (proche de la France, ardennaise, paysanne et industrielle, influencée par la Flandre etc.). Les concepteurs du musée ont été intelligents, fins, nuancés pour cette oeuvre qui attire comme la vie. Il y a de très nombreux visiteurs, jeunes et moins jeunes, avec de frais éclats de rire quand on parle en wallon.