Un précieux petit livre sur la Wallonie

Economie, histoire, politique
6 septembre, 2020

Le Pari wallon

Le Pari wallon. Grantha diffusion, Liège 2020, 12V €

[ Ce texte est la préface écrite par J. Fontaine au livre de Francis Biesmans Le Pari wallon.


Nous manquons d’outils d’analyse des enjeux wallons. Crises gouvernementales après crises gouvernementales, réformes de l’État après réformes de l’État, nous n’avons guère de vues d’ensemble de leur sens, de leur impact. Avec des médias (Mordant où est-tu ?), vides de tels contenus. Le dernier livre marquant, celui de Quévit, date de 2010.

Spécificité de la problématique wallonne

Congrès wallon extraordinaire de mars 1950

Congrès wallon extraordinaire de 1950 au cours duquel la FGTB liégeoise se rallie au mouvement wallon.

En voici un autre. Son auteur, Francis Biesmans, professeur de statistiqueset d’économie à l’université de Lorraine, est l’un des meilleurs connaisseurs de l’histoire de la Wallonie dans cette discipline. Il en illustre les phases par de nombreux tableaux chiffrés, simplifiés et brièvement expliqués jusqu’à l’époque contemporaine et même à l’horizon 2034 pour ce qui est des transferts institutionnels de Région à Région. Le public n’a guère accès à de tels éclairages, absents de Wikipédia, par exemple. Wallonie et Flandre ne s’opposent pas d’abord par leurs langues, soubassement idéologique des Communautés française et flamande. Le moteur de l’affirmation de cette dernière est linguistique en un premier temps puis en un second, économique et politique, deux mouvements finalement synchronisés. Rien de tel en Wallonie.

Le Pari wallon souligne que l’affirmation wallonne ne devient populaire que lorsqu’elle se centre sur le politique et l’économique avec le ralliement de la FGTB liégeoise au mouvement wallon en mars 1950, en pleine affaire royale, ralliement imité les années suivantes par d’autres régionales wallonnes. Ce qui explique la grève générale de 60-61 et sa dimension wallonne capitale. Le lâchage des parlementaires wallons du PSB à qui Renard demandait d’ouvrir un « second front politique » (en démissionnant), le contraint de suspendre la grève et à poursuivre l’action sur le plan politique. Il meurt en 1962. Quand il lance l’idée du fédéralisme, la Wallonie est encore plus prospère que la Flandre. Renard sait la Wallonie minoritaire dans l’Etat belge depuis longtemps. Il a lu la Lettre au Roi sur la séparation de la Wallonie et de la Flandrede Jules Destrée en 1912 prenant acte de l’aggravation de cette minorité démographique en minorité politique. F. Biesmans contextualise ce texte au retentissement considérable. Depuis 1884, malgré le suffrage universel masculin obtenu en 1894 (tempéré par le vote plural), les Flamands du Parti catholique assurent, parfois à eux seuls, une majorité parlementaire aux gouvernements belges, le plus souvent certes avec les Wallons du même bord, minoritaires chez eux. Jusque 1914. Le Gouvernement Michel en est une surprenante réédition avec le MR.

Francis Biesmans a montré ailleurs que le fédéralisme que proposait Renard s’étendait à des pouvoirs que la Wallonie ne détient toujours pas, surtout en matière économique, malgré l’accroissement extraordinaire des compétences régionales depuis 1980. A l’époque, toujours politiquement minoritaire malgré le sursaut de 1950, elle recule aussi au plan économique. Le livre en donne l’évolution chiffrée : c’est en 1966 que la Flandre dépasse la Wallonie. A la minorisation démographique, devenue politiquedès 1884, s’ajoute celle par l’économieque Renard a pressentie. Il meurt en 1962, bien avant que ne s’esquisse un fédéralisme bien timide en 1980, loin de ce que le syndicaliste liégeois imaginait pour contrer le déclin wallon.

Mal expliquée dans les médias dominants, mal résolue

Vincent de Coorebyter

Vincent de Coorebyter. La discussion que nous évoquons ici est faite par deux Bruxellois mieux à même de se situer à l'égard de ces questions dans un point de vue belge. Or nous allons vers une Belgique où, de ce point de vue justement, il ne finira par rester que peu de choses. Le point de vue wallon, européen et mondial devra un jour l'emporter à l'exclusion du belge.

L’analyse des graves crises gouvernementales de 2007-2008 et surtout de 2010-2011 en vaut la peine. La problématique wallonne, masquée par une Communauté française d’idéologie purement linguistique, est évincée des médias francophones dominants (qui, certes, cherchent à se corriger… sans y parvenir). Le Pari wallon expose aussi ce que devrait être un État wallon souverain disposant de la plénitude des compétences en matière économique et fiscale, récupérant celles de la Communauté en matière d’enseignement et de culture. Il se chargerait de la dette publique belge partagée avec la Flandre en prenant comme critère les PIB régionaux. Là aussi nous disposons dans ce livre d’une argumentation chiffrée fondée notamment sur la fin des transferts institutionnels prévus pour 2034. Et le plus rapide vieillissement de la Flandre, qui engage à régionaliser la Sécurité sociale. Ces propositions risquent d’être accueillies avec scepticisme. Alors que, le livre le montre, la Wallonie sera de toute façon confrontée à la nécessité de s’en tirer seule, y compris en matière de Sécurité sociale (1). Chaque « sauvetage » de la Belgique comme l’appellent les politiciens en place, n’est en fait que du temps gagné avant l’inéluctable autonomie des deux peuples. Elle grandit. Mais l’augmentation des pouvoirs de la Wallonie s’interprète absurdement comme une concession, « pour sauver la Belgique ».

Je le redis, nous manquons dramatiquement d’études qui mettent en perspective historique – donc vraiment politiqueet vraiment économique ! –, l’essentiel : la manière dont évolue la minorisation de la Wallonie dans ces deux dimensions. Nulles vraies réponses à ces défis. L’intelligent dialogue entre Marc Uyttendaele et Vincent de Coorebyter que Le Soirpubliait le 23 novembre 2019, est significatif à cet égard. Ces deux intellectuels bruxellois conscients de la gravité de la crise et qui le soulignent de commun accord, se soucient de l’avenir du pays, également des francophones, ne rejettent pas un approfondissement du fédéralisme avec le soutien d’un homme d’État, de Flandre disent-ils, avec l’accord, certes, des « francophones ». Ils ne sont pas non plus certains de l’attachement automatique de ceux-ci à la Belgique.

Démocratie directe, Wallonie souveraine, transition climatique

Mais ils n’utilisent jamais les mots « Wallons » ni « Wallonie ». Les préoccupations et la largeur de vue de ce livre sont absents de leur propos. Fait qui n’est pas isolé, tout aussi insupportable que la triste expérience du gouvernement Michel. Aussi troublant que la première réunion du gouvernement Di Rupo le 6 décembre 2011. Le Soir, quia pu en apprendre la teneur, la publie le 26 décembre suivant. Nous y lisons, sidérés : « Les ministres viennent à peine de prêter serment entre les mains du Roi. Chacun cherche un peu sa place, le 6 décembre à la grande table ronde du Seize, rue de la Loi. Le tout nouveau Premier Ministre, Elio Di Rupo préside son premier Conseil des ministres. Il prend la parole. Son intervention est quelque peu solennelle. Il y va de la survie des familles politiques traditionnelles en Flandre. Il s'agit bien là de sa priorité absolue « Nous devons tout faire pour soutenir les partis flamands de la majorité, pour leur faire gagner les prochaines élections. Nous [nous = ministres wallons et francophones, je ne trahis rien en le précisant] devons être parfaitement conscients que leur position n'est pas facile. Nous leur sommes redevables de l'effort qu'ils ont fait.» Ces partis flamands ont accepté d’entrer dans un gouvernement qui va devoir affronter la NVA et risquent de subir une défaite électorale si ses exigences flamandes et conservatrices ne sont pas, en quelque mesure, prises en compte. Qu’un Premier ministre, socialiste wallon, doive appeler les ministres wallons de son gouvernement à aider les partis de droite flamands à tenir compte de pareilles exigences, soit fatalement, en quelque mesure, à les satisfaire, pose problème. La politique est affaire de compromis ? Oui, mais ne va-t-on pas trop loin ? Il faut sauver la Belgique ? Soit, mais V. de Coorebyter ne dit-il pas souvent avant les élections que leurs résultats seront déterminants en Flandre ? Eux seuls ? Alors à quoi bon voter en Wallonie ? A quoi bon même la Wallonie ?

Wij staan achter Wallonië

Wij staan achter Wallonië. Dans "Marianne", les manifestants allemands ou néerlandais, la Wallonie est soutenue pour son rejet du CETA : l'ouverture sur le monde que le fédéralisme permet à la Wallonie.

Ce livre donne de tout ceci la démonstration précise et chiffrée. Certes, on peut toujours opposer des chiffres aux chiffres. Mais nous disposons ici d’une étude scientifique. De plus elle contient un constat d’une ironie amère pour les Wallons. On sait que la clé de répartition des subsides SNCB est de 60 pour la Flandre et 40 pour la Flandre, clé que Le Pari wallonv eut corriger et qu’on retrouve partout ailleurs. Il n’y a pas vraiment de régions en difficultés en Flandre selon les critères européens. Pourtant selon quelle clé se répartissent les aides européennes aux régions en difficultés ? La clé 60 (Flandre)/40 (Wallonie) !

Francis Biesmans explique également de manière très pédagogique le rôle des banques dans le monde contemporain, rôle néfaste dans la mesure où banques d’affaires et banques de dépôts n’étant pas séparées, le monde entier est exposé à des crises à répétition avec tous les malheurs qu’elles entraînent y compris la guerre, le pourrissement du climat. On va vers une grave crise. Il propose la séparation radicale des deux types de banques. La création de toute monnaie serait exclusivement du ressort de la puissance publique. L’explication est claire et convaincante. Le chapitre sur la transition énergétique est couplé à toute une réflexion sur l’austérité, la pauvreté en Wallonie, ainsi qu’à une réforme de la fiscalité en vue de réduire les inégalités. La financiarisation du monde avec le néolibéralisme, écrit l’auteur, ont renforcé « la tendance originelle du capitalisme à détruire l’environnement et la biosphère. »

Le Pari wallon énumère un ensemble de mesures tout uniment sociales et environnementales. Il propose enfin de refonder la démocratie par la démocratie directe, le référendum d’initiative populaire. Ce fut la grande mobilisation après la grève générale de 60-61. Militants wallons et syndicaux recueillirent 600.000 signatures en vue de l’inscription dans la Constitution du RIC des Gilets jaunes, un demi-siècle avant eux. En vain. La lutte pour le suffrage universel et son obtention en 1894 firent prendre conscience à la Wallonie de sa minorisation politique avec Destrée en 1912. Problème surtout démocratique. Le référendum non décisionnel de mars 1950 sur le retour de Léopold III fractionne le pays. Problème surtout démocratique. Flandre OUI à 72 %, Wallonie : NON à 58 %, à Bruxelles, 52%. Avant que les Chambres ne votent la fin de l’impossibilité de régner, condition de ce retour, Collard, Wallon modéré, avertit : la Wallonie est menacée «d'un mouvement incontrôlable et irrationnel de nature morale et psychologique ». (2) Malgré cette longue expérience d’une démocratie faussée, le peuple wallon lui demeure fidèle : lutte pour le suffrage universel, résistance au nazisme, lutte pour la sécurité sociale, insurrection de juillet 50, grève du siècle, rejet têtu de l’extrême droite, écologie, opposition au CETA. Le Pari wallon soulève aussi la question de l’Union européenne. Sa main de fer se resserre sur les nations pour les contraindre à une austérité sans fin ni finalité. Union européenne et Belgique ont ceci en commun qu’elles s’éloignent de plus en plus de la démocratie tant sociale qu’économique et politique. N’unissent pas. Voilà les vrais défis de l’avenir.

Je parlais plus haut de largeur de vues. C’est celle dont fait preuve cet universitaire, pour nous éclairer et nous affranchir de tout ce qui asservit la Wallonie, écrase l’Europe, détruit la Planète.

(1) Dans La Libre Belgiquedu 23 septembre 2019, Tony Demonte qui vient de prendre sa retraite de secrétaire général adjoint de la CSC explique la « dictature flamande » à la CSC, puis déclare : « Si la NVA détruit la sécurité sociale, de toute façon on va devenir pauvres. Alors dans ce cas, autant prendre notre destin en mains. La Slovaquie, c'était le même schéma et ils ont bien rebondi. »

(2) Annales parlementaires, session chambres réunie, 18/7/1950 cité Par Paul Theunissen Le dénouement de la question royale, Complexe, Bruxelles, 1986, p. 88.