Une découverte toute neuve : la culture wallonne
Lors des récentes fêtes de Wallonie , le journal de gauche liégeois La Walloniepubliait un éditorial entièrement rédigé en dialecte. C'était un événement dans la mesure où l'on considère le wallon comme apte à dire les réalités quotidiennes et locales mais comme incapable de s'exprimer sur des données plus rationnelles ou universelles ; la politque dans un Etat par exemple.
Aussitôt, le journal télévisé y consacrait une importante séquence, des quotidiens reproduisaient l'article in extenso : tout cela avec des traductions parlée ou écrites, en... néerlandais. Seule, en effet, la presse flamande avait jugé bon de donner un tel écho à l'article de Joseph Coppé, tandis que la chose passait presque inaperçue dans la parue française (et wallonne), du pays. Sans prétendre ni juger ni expliquer cette paradoxale discrimination flamande en faveur de la Wallonie, nous voudrions situer cette anecdote significative dans une problématique plus large : peut-on, oui ou non, parler d'une culture wallonne originale ?
Pour quelqu'un comme J-P Schyns, secrétaire du C.A.CE.F., la réponse est non. Il y a des problèmes culturels spécifiques à la Wallonie mais pas de culture wallonne autonome. A l'opposé, un philologue comme R. Viroux considère le wallon comme une langue parfaitement distincte du français. Dans le cadre d'une parelle théorie, il est plus facile de parler d'une culture wallonne. En effet, même si langue et culture ne sont pas deux notions qui se recouvrent parfaitement, il reste qu'une langue originale constitue le meilleur instrument d'affirmation et d'expression d'une culture spécifique.
Le fait culturel wallon
Les thèses peut-être trop radicales de Viroux ne doivent pas nous empêcher de rappeler la consistance du fait littéraire et culturel wallon. L'Anthologie publiée par Maurice Piron en août dernier révèle une littérature wallonne, de 1600 à nos jours, aussi abondante que la littérature occitane. Les travailleurs immigrés en Wallonie (Flamands ou étrangers), adopte rapidement l'usage du wallon dans les usines, avant celui du français. Et si le phénomène tend à s'estomper il donne quand même la mesure de la prodigieuse capacité assimilatrice du pays wallon. Beaucoup de Flamands par les origines sont devenus et se veulent intégralement wallons, come André Cools, président du PS et petit-fils d'un Campinois.Mettre en évidence la consistance du fait dialectal wallon, son épaisseur sociologique, ce n'est pas nécessairement vouloir établir une vaine concurrence avec le français. Des philologues ont montré que les échanges linguistiques sont nombreux du français au wallon, ou, à l'inverse, du wallon au français, depuis les temps les plus reculés. Ils en concluent qu'on ne peut opposer les deux langages.
Provincialisme ?
C'est un peu à partir de cette position intellectuelle nuancée et aussi, tout simplement, en fonction de leur expérience vécue, que des créateurs wallons de toutes les régions se sont réunis en octobre et décembre à la Maison de la culture de Namur : des poètes (Vanorlé), des écrivains (Guy Denis), des chanteurs (Cabay, Watrin), des journalistes, animateurs, des philologues. Ces gens ne s'expriment pas nécessairement en dialecte mais affirment l'existence d'un « phénomène culturel wallon contemporain », assument comme un fait positif la pluralité dialectale en Wallonie, ne récusent nullement le français : « En français ou en wallon, en français serti de wallon, le créateur écrit, chante, crée ce qu'il ressent » (1) Au même moment et dans un esprit très proche de ces rencontres, le professeur Otten, de l'U.CL., par lait de l'Académie luxembourgeoise de l' « invention » d'un pays par des Detrez, des Otte, des Hubert Juin ou encore ce Verheggen qui publie le wallon des basses classes chez l'éditeur parisien Christian Bourgeois (2).
Provincialisme ? Probablement pas : la qualité des auteurs cités l'atteste, de même que leur ouverture sur le monde. Mais il y a plus que l'ouverture. Chan ter le terroir, la région, la « petite patrie », ce n'est pas la même chose qu' « inventer un pays » .
L'effort fourni par un peuple pour conquérir son identité comporte un aspect éminemment particulariste (par définition), mais il a aussi une portée universelle et présente un intérêt pour tous les autres hommes : inutile de citer les nombreux exemples qu'en offre le vingtième siècle. Le régionalisme peut se dépasser aussi de l'intérieur, en raison de l'amplitude de son objectif intime. C'est dans ces perspectives qu'il faut situer les réflexions d'un Guy Denis dans son essais consacré à Hubert Juin, paru aux éditions Seghers.
L'entretien consacré par Jean Louvet à la revue Critique politique(n° 4, janvier 1980), s'inscrit dans le même ordre de préoccupations. Louvet y constate notamment : « Aucun parti ou mouvement se revendiquant du fédéralisme n'a sérieusement posé le problème de l'identité wallonne. Les modèles littéraires dans les écoles (sont) sans référence (...) à la civilisation wallonne. » Il annonce aussi le sujet de sa prochaine pièce de théâtre : l'assassinat en 1950 du député communiste wallon Julien Lahaut.
Et ceci lui donne l'occasion de regretter l'absence de mémoire historique en Wallonie : « Aucun peuple ne recommence l'histoire à zéro, à chaque génération. La notion de continuité est impérative, faute de quoi il n'y a pas de peuple historique. »
Toute cette recherche aboutira-t-elle ? Le simple fait que la question puisse se poser démontre l'insuffisance d'une remarque comme celle de J-P. Schyns sans pour autant justifier la position inverse de Viroux. Michel Tremblay, l'écrivain québécois, résume peut-être excellemment la démarche commune aux Wallons que nous avons évoqués : « Je veux faire partie de la culture francophone universelle, mais je ne veux pas être un sous-français. »
(1) Roger Bronckaert in La Wallonie du 17 octobre 1979.
(2) Le Degré Zorro de l'écriture.
(*) Le Monde du 24 janvier 1980. On a corrigé le passage « la wallon des basses classes » qui n'est pas le titre du livre de Verheggen qui est bien le degré « zorro »...