Wallonie, Bruxelles: deux régions "claires et distinctes"
[Extrait du discours de Jean-Claude Vandermeeren, secrétaire général de ma FGTB wallonne le 29 février 2008]
Les récentes déclarations de Rudy Demotte dans Métro (18/5/2009) sont-elles compatibles avec ce que propose le Livre Blanc ? Rudy Demotte, rejetant la fusion Communauté/région, s'exprime comme suit : « Je préfère passer par une généralisation des ministres à double casquette. L'idée est d'avoir un gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles composé exclusivement des ministres issus de la Région bruxelloise et de la Région wallonne. Cela permettrait de diminuer le nombre de ministres. avec ça, on obtient un noyau qui gère les compétences au niveau de pouvoir le plus pertinent. »
Ô réalité économique que de crimes on connaît en ton nom !
Ce n'est pas exactement ce que dit le Livre blanc qui souhaite plutôt transférer la plupart des compétences en matière de culture et d'enseignement à la Wallonie et à Bruxelles, Wallonie et Bruxelles coopérant de manière étroite, dans ces domaines et dans d'autres.
Il nous semble que, constitutionnellement et politiquement, il n'est pas possible d'avoir un véritable gouvernement de la Wallonie et de Bruxelles, qui se consacrerait entièrement et exclusivement à cette entité dans la mesure où il restera tout de même un gouvernement bruxellois siégeant de manière distincte de ce gouvernement wallo-bruxellois.
Proposer cela, c'est donc jeter la confusion.
Le journal Le Soir (du 9 mai) parlait de clarification à propos de l'entretien entre Vincent de Coorebyter et Jacques Thisse. Le directeur du CRISP a pourtant montré toutes les difficultés de la faisabilité d'une sorte de fusion des deux gouvernements (wallon et bruxellois).
Si l'on se place du point de vue du citoyen, c'est encore moins clair. Le Livre Blanc insiste sur la notion de territoire dans la conscience citoyenne. Y a-t-il un territoire Wallonie-Bruxelles de nature à « clarifier » le rapport des citoyens aux pouvoirs publics en Wallonie et à Bruxelles ? Certes, on peut l'imaginer, mais réellement, est-ce que la mise en avant d'un tel territoire (difficile à définir dans la mesure où il unit la capitale fédérale et deux entités fédérées), va clarifier les choses ?
Jacques Thisse est assez catégorique dans sa façon de s'exprimer disant que les forces politiques wallonnes n'ont pas compris l'importance des métropoles dans la vie économique d'aujourd'hui. Mais cela, c'est aussi un point de vue sociologique. Et peut-on dire que l'intérêt de la Wallonie et de Bruxelles se confondraient absolument vu sous cet angle (celui du territoire)? Si les Wallons n'ont pas vu, du moins historiquement, l'importance de Bruxelles, au moins tel que le pense le Professeur Thisse, ce n'est pas qu'ils aient été aveugles. C'est le contraire. C'est qu'ils étaient lucides. Après tout le fédéralisme c'est aussi s'éloigner du Centre duquel vous avez été longtemps gouvernés et s'en émanciper dans une large mesure. Il n'y a là rien de bien neuf: c'est une donnée constante des rapports humains. Si je suis trop près d'un Centre très massif et très lourd, je suis satellisé par lui.
Jacques Thisse insiste beaucoup sur le « fait » que Bruxelles est la capitale économique de la Wallonie et sur le fait aussi que c'est une réalité économique qui « ne se soucie guère de ce genre de réalités politiques ». Jacques Thisse fait ici une erreur. Il ne faut pas faire jouer une réalité contre une autre. Et notamment pas une réalité économique contre une réalité politique. Une réalité politique, c'est quelque chose qui a avoir avec la citoyenneté. Une réalité économique, c'est une contrainte.
Si les réalités économiques devaient toujours l'emporter en toutes circonstances, pourquoi faudrait-il encore qu'il y ait des réalités politiques, celles-ci devant se soumettre aux réalités économiques?
Ne pas confondre le Politique et les intérêts politiciens
Raisonnons par l'absurde. Si les réalités économiques liées aux métropoles devaient jouer dans tous les cas, ne faudrait-il pas alors réunir une grande partie du Luxembourg wallon au Grand-Duché? (Ou le Grand-Duché à la Belgique tant qu'on y est !). Qui plus est, ne serait-il pas temps de réaliser en 2009 qu'une action politique intelligemment ciblée, imprégnée d'un esprit véritable de rassemblement wallon, concertée au niveau du Gouvernement Régional, en consonance avec les forces vives patronales et syndicales de la Région, et dans une perspective de développement transversal (reliant l'économique au territorial, à l'urbain et au culturel-éducatif ) peut parfaitement aider à faire surgir - mais il faut le vouloir politiquement - une fonction de Capitale économique wallonne ! Laquelle ? Une Capitale, de forme spécifique , appuyée sur le double pôle métropolitain wallon Liège - Charleroi, encadrant par l'Est et l'Ouest, le pôle politique régional de Namur . Et ce bipôle économique authentiquement wallon peut ensuite établir , en tant que tel, des liens équilibrés « win-win » avec des métropoles extérieures, telles que Bruxelles et sa Région, et d'autres ! Le Schéma de développement spatial wallon du SDER, comme le rappelle heureusement [#923] dans le Livre Blanc, Schéma politiquement approuvé depuis 1999 ! , n'affirme en effet rien d'autre , en termes de structuration inter-urbaine, et de stratégie d'avenir, mais - il faut le dire - , il a été scandaleusement ignoré , précisément par les milieux politiques successivement parvenus à la Direction Gouvernementale wallonne depuis dix ans , et l'on sait aussi, à cet égard, que les acteurs primo - responsables de cette « ignorance-refoulement » sont forcément à trouver au niveau des présidences-appareils de Partis,.. faiseurs et défaiseurs de Ministres ! Et nous voilà ramenés, de fait, aux questions majeures de Gouvernance !
On pourrait se demander également si l'on ne parle pas autant d'une tentative de fusion entre la Wallonie et Bruxelles pour deux raisons qui sont tout d'abord politiques et non économiques:
- la nécessité d'être d'un plus grand poids face à la Flandre: c'est d'ailleurs ce que dit Rudy Demotte, on est plus fort à 4,5 millions (Wallonie + Bruxelles), contre 6 millions que à 3,5 divisés du 1 restant.
- une autre nécessité dont on parle peu, c'est que les partis sont organisés sur l'espace francophone et que cela doit beaucoup les gêner d'avoir deux types de politiques à mener alors que pour les affiliations et le pouvoir absolu des présidents de partis sur les partis, il n'y a pas de problèmes.
En revanche, le problème du citoyen, c'est qu'il ne siège pas dans une Présidence de Parti sise à Bruxelles (à noter que les Ecolos ont leur siège à Namur), et que la réalité politique principale à laquelle il s'identifie (dans la mesure où le Territoire est important et même capital dans l'identification du citoyen à sa Cité), c'est sa Région (soit la Wallonie, soit Bruxelles). Le citoyen peut aussi se dire que, que l'on soit à 3,5 millions ou que l'on soit à 4,5 millions, on est toujours minoritaire. Il est vrai que l'on peut trouver des circonstances où le poids wallon et bruxellois a pu jouer contre les Flamands.
Mais... c'était justement pour leur faire admettre que la Région bruxelloise devait être une région à part entière, ce qui entraîne nécessairement que la Wallonie l'est également.
Les Wallons ne sont pas des gens mais des citoyens
Il est difficile de sortir de la logique d'une Belgique à trois. Ce qui s'est passé en 1985 l'atteste: le PS alors renvoyé dans l'opposition avait vu un gouvernement PRL-PSC à Namur défaire le transfert des cabinets wallons à Namur et ceux-ci regagner la capitale belge. Mais qu'est-ce qui pesait fondamentalement dans cette décision? La volonté de ces deux partis de trouver la meilleure solution pour la Wallonie? La volonté de contredire ce qu'il percevait comme l'intérêt politique du PS? C'est la deuxième hypothèse qui est la bonne. Mais il faut l'assortir de cette remarque. Il est possible que cela a été l'intérêt du PS d'avoir une Région wallonne où il a cru longtemps être le parti dominant. Mais ce qui demeure quand il ne n'est plus (ce qui semble plausible aujourd'hui), c'est l'intérêt démocratique des Wallons à avoir un pays qu'ils peuvent comprendre et auquel ils peuvent s' identifier.
On parle beaucoup de clarté en ce moment où les médias (qui n'ont pas tout fait quand même pour que l'on comprenne bien les enjeux de ces élections), soulignent à traits noircis l'ignorance par le public wallon du Plan Marshall. Ces idées de fusion ou de confusion entre la Wallonie et Bruxelles n'amènent aucune clarté. Il y a un risque énorme de plonger les citoyens de Wallonie et de Bruxelles dans une confusion plus grande encore si on leur dit qu'ils sont à la fois les citoyens de la capitale de l'Europe et de l'une des Régions d'Europe. Après tout, se définir comme une Région d'Europe c'est parfaitement à la portée du Nord-Pas-de-Calais, de la Champagne Ardenne, de la Communauté Germanophone, de la Sarre ou de la Rhénanie-Palatinat. Pourquoi veut-on s'obstiner à empêcher la Wallonie de se définir comme cela alors que de bien plus petites entités se le permettent ou des entités qui n'ont pas, comme la Wallonie, le pouvoir de se donner à elles-mêmes des lois et d'agir sur la scène internationale. Et pourquoi le refuse-t-on à la Wallonie alors qu'on fait remarquer aux Bruxellois qu'ils perdraient leur contrôle citoyen s'ils devenaient un district européen ?
Il faut souligner ce dernier point : on est très attentif au fait que les Bruxellois gardent la maîtrise de leurs affaires, de leur Cité. Il ne semble pas qu'on dise la même chose aux Wallons.
La Wallonie compte aussi des citoyens et pas seulement des « gens » et peut-être que ceux qui utilisent ce vocabulaire antipolitique (les gens), ne nous voient pas comme des individus et une collectivité qui veulent exister.
La clarté qu'ils disaient...
La clarté c'est que les Wallons soient gouvernés de Namur et représentés à Namur. Et cette situation n'est en rien un obstacle avec des collaborations avec Bruxelles, Luxembourg, d'autres grandes villes de France, d'Allemagne et des Pays-Bas. Bruxelles n'a pas comme seuls partenaires la Flandre et la Wallonie. La Wallonie a d'autres partenaires que Bruxelles même s'il est patent que Bruxelles soit le plus proche. Redisons encore une fois l'importance d'un des chapitres les plus importants du Livre Balnc, les [#920]. C'est sans doute à travers ce texte qu'on mesure mieux tout le chemin parcouru depuis le Manifeste pour la culture wallonne de 1983. Ce texte correspond à l'approfondissement d'un élan né il y a plus d'un quart de siècle et peut-être parvenu à sa maturité intellectuelle et politique.
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