André Léonard archevêque : l'Eglise du mépris

18 janvier, 2010

Laïcité

Il ne faut pas regretter que Laurette Onkelinx soit déjà intervenue (ce dimanche 17 janvier à la RTBF), pour mettre en cause la nomination de Léonard comme archevêque de Malines. Mais qu'elle l'ait fait en rappelant les prises de position de sa part qu'elle donnait en exemple : contraires à l'euthanasie, à l'avortement etc. Or, le Cardinal Danneels a pris sur ces sujets la même position. Et il est sans doute difficile d'imaginer que l'Eglise prenne une autre position pour l'instant. Pour tout ceci, on consultera une série de sources permettant de situer Léonard 1

[Voir Pour un dossier plus fouillé (Pour situer A.Léonard)]

Un philosophe agnostique comme Jean-Marc Ferry, sans pour autant renier son attachement à la dépénalisation de l'avortement, a expliqué que la position du pape sur ces problèmes (l'avortement surtout), rejoignait l'intuition morale qui s'enracine dans le respect 2. Ce qui n'empêche pas de se poser la question de savoir quel respect des femmes manifeste par ailleurs l'intransigeance dogmatique de l'Eglise sur un pareil sujet ou sur le respect des souffrances absolument insupportables des moribonds. Certes, Jean-Marc Ferry souligne qu'il admet l'éthique de conviction de Jean-Paul II s'opposant à des opinions démocratiques soutenant des lois condamnables aux yeux de ce pape. Mais il ajoute que les présupposés moraux du « principe de discussion » qu'Habermas met au fondement de la démocratie sont nécessairement liés à une intuition tout aussi profonde du respect et même plus profonde. Car ce principe de discussion possède le double avantage sur l'éthique de Jean-Paul II : « 1) de procéduraliser les conflits de convictions en direction de consensus pluralistes ; 2) sur cette voie d'offrir un recours pratique contre les pertes de déficit éventuels de sens moral » 3. Il ajoute ceci qui nous semble vraiment devoir présider à une discussion tant athée que croyante sur Léonard : la discussion « présuppose l'activation permanente de la reconnaissance d'autrui, et partant, l'élément premier de la moralité. » 4.

Les démocraties peuvent errer mais...

A cet égard, il faut peut-être regretter les critiques de Laurette Onkelinkx, car il y a bien plus fondamentalement autre chose à reprocher à Léonard et à ceux qui l'ont mis à la tête de l'Eglise de Namur et puis maintenant à la tête de l'archevêché de Malines, ce qui fait de lui le président de la Conférence épiscopale belge, lui donnant une aura incontestable (mais qui n'en fait pas le chef de l'Eglise de Belgique, chaque évêque étant autonome en son diocèse : les Namurois sont ravis...).

On oublie trop, en effet, que Léonard a été nommé évêque de Namur par Jean-Paul II en février 1991 contre la plupart des avis sollicités traditionnellement quand on doit procéder à une telle désignation. Il fut sacré évêque le 14 avril 1991. Ses premières décisions frappèrent alors l'opinion parce qu'elles consistèrent à supprimer l'école du Sénevé dans ce qui était alors le Grand-Séminaire de Namur où les prêtres sont formés (et qui est maintenant le campus provincial qui abrite plusieurs écoles dont le pouvoir organisateur est la province de Namur, le Grand-Séminaire étant revenu à son ancien emplacement plus modeste). C'était une école de théologie au plus haut niveau, frappant par sa fraîcheur conciliaire, son ouverture à la catéchèse et à la formation des laïcs. Pendant de longs mois, la plus forte opposition à cette décision émana de tous les doyens du diocèse. Christian Laporte écrivait en 1991 : « Nouveau coup de tonnerre dans le ciel tourmenté de l'évêché de Namur: puisqu'il n'est plus possible de collaborer directement avec Mgr Léonard, les animateurs du Sénevé - le centre de formation en théologie pour laïcs lié structurellement au séminaire - ont décidé de poursuivre leur travail en dehors du strict cadre épiscopal et de créer un «Sénevé nouveau». Celui-ci fera une large part à l'autogestion puisque son pouvoir organisateur comprendra le directeur et le secrétaire du centre, deux étudiant(e)s, deux délégués des doyens et un «représentant» de l'évêque dont on attend qu'il soit ouvert à l'orientation théologique et ecclésiale du Sénevé...L'équipe théologique en est arrivée là après une concertation avec les doyens et l'Association des anciens et des étudiants et, surtout, une analyse approfondie de la lettre pastorale d'André-Mutien Léonard - nos éditions du 18 juin. Dans une longue réponse circonstanciée, les membres du Sénevé expliquent qu'il était devenu indispensable de reprendre la parole, au-delà des communiqués de presse face à ce qu'ils appellent un «coup de force». Et d'exprimer leur refus de voir s'instaurer «une théologie de première classe pour les prêtres et de seconde pour les laïcs» dans la mesure où l'évêque veut changer l'équipe pour les premiers tout en faisant peu de cas des autres. » 5

Cette école a donc été simplement supprimée au début du "règne" de Léonard à Namur et cela contre l'avis de tout son diocèse.

Cette opposition a perduré. En 1997, Léonard voulait même changer la façon dont le "Conseil presbytéral" (sorte de parlement des prêtres autour d'un évêque) était constitué et élu : « Très mécontent de se voir mis perpétuellement en minorité, l'évêque avait imaginé un nouveau mode de scrutin pour tenter de renverser la vapeur. Et comme cela ne se fait guère dans les démocraties - mais rappelons que Mgr Léonard dit que l'Eglise n'en est pas une ! -, il avait imaginé qu'aux 31 membres élus, on en ajoute 24 autres dont... 5 de droit et 19 désignés par ses soins. Il s'était aussi opposé à ce que chaque réunion fasse l'objet d'un communiqué de presse. Dans un premier temps, il avait admis que l'information continue à circuler sous la responsabilité du bureau mais finalement, il a décidé qu'il ferait lui-même le point une fois par an. Ce n'est pas mauve mais franchement rouge qu'ont vu les principaux animateurs du conseil qui ont, dès lors, décidé d'inviter tous leurs pairs, effectifs comme suppléants, le 3 septembre prochain à Marche-en-Famenne car, disent-ils, le fonctionnement actuel du conseil presbytéral nous laisse tous perplexes.» 6 Bref, la version ecclésiastique du fameux mot de Brecht que je cite ici librement: « Quand le gouvernement n'est pas content du peuple, il n'a qu'à le dissoudre et le remplacer par un autre. » Et cela continue jusqu'à aujourd'hui 7. Lundi soir, 18 janvier, à la télé, au JT de la RTBF, trois prêtres du diocèse de Namur, trois hommes ayant atteint la deuxième maturité, robustes par leur bon sens, évoquaient sereinement l'arrivisme de leur (récemment ex-) évêque. A l'une des questions posées sur son arrivisme et sur son éventuelle ambition de devenir Pape, l'un des prêtres répondit spontanément que oui, que Léonard y songeait et pas que depuis peu, ajoutant qu'il faut être un peu «fou» pour nourrir de pareilles ambitions. Il me semble que c'est le cas dans la mesure où l'on ne voit pas quel pourrait être le projet qui se lie à cette ambition, quel soutien dans le Peuple de Dieu l'homme qui rêve d'être Pape pourrait compter pour ce projet qui semble se limiter à sa personne, ni quelle réussite pastorale l'amènerait à le consolider puisque (je reprends encore l'une des réflexions de ce prêtre), lorsque Léonard arrive quelque part, il songe surtout à détruire. Il faudra conclure sur cette question de la folie de Léonard.

Mais revenons d'abord à la question du respect. Où est, en dépit des vertueuses indignations de Léonard contre l'euthanasie et l'avortement (qui se fondent sur l'intuition du respect), son sens du « premier élément de la moralité », soit le respect d'autrui (qui ne se limite pas à la question de l'avortement et de l'euthanasie, sur quoi on insiste si lourdement, ce qui finalement fait aussi penser que l'Eglise de Jésus-Christ n'aurait à se prononcer que sur cela et en matière sexuelle, domaine où l'Evangile ne parle à peu près que du respect des femmes, ce qui est assez embarrassant pour l'Eglise telle qu'elle est). Il est vrai que des communautés peuvent se pervertir et que, contre cela, des gens d'Eglise font valoir qu'il leur faudrait pouvoir se retirer sur le Vatican pour s'opposer à des Etats devenus immoraux. Mais Ferry a beau jeu de répondre à cela que le fondement ultime de la moralité des communautés humaines démocratiques n'a pas à se chercher ailleurs que « dans les conditions - communicationnelles - de sa propre constitution. » 8, soit ce "respect" dont il a défini la portée pour la démocratie.

L'enjeu : la Foi et la démocratie tout uniment

Je mets l'accent sur tout cela plutôt que sur les déclarations de Léonard (sur le préservatif ou que sais-je ?). Il faut bien voir en effet qu'en agissant de la sorte à l'égard d'une école, l'évêque pratiquait une sorte de censure égocentrique et narcissique. Les formateurs du Sénevé n'ont jamais été mis en cause en raison de leur fidélité à la Foi de l'Eglise, mais seulement en raison du fait qu'ils en avaient une conception plus ouverte. La plupart des formateurs du séminaire étaient ou sont devenus des professeurs de théologie à l'UCL : José Reding, Maurice Cheza, notamment. Il s'agissait donc de théologiens fiables. On peut comprendre d'ailleurs qu'il y ait dans l'Eglise catholique une volonté de rester fidèle à la Foi commune. Sur bien des points, cette Foi commune s'étend à une très grande partie du monde chrétien (la plupart des protestants et les orthodoxes), mettons sur la question de l'unité de la nature humaine et de la nature divine dans la personne du Christ - j'allais ajouter : "par exemple". Mais c'est plus qu'un "exemple", c'est le cœur même de la Foi chrétienne. Joseph Malègue a écrit sur cette question l'une des plus belles pensées qui aient jamais été formulées sur la Foi en Jésus : « Loin que le Christ me soit inintelligible s'il est Dieu, c'est Dieu qui m'est inintelligible s'il n'est le Christ. » Si Dieu est amour, il ne peut qu'être le Christ, c'est-à-dire, comme le disait Mauriac, non pas un Dieu qui « reste au balcon », mais « notre frère couvert de blessures », notre Dieu. Et cette Incarnation de Dieu procède de quelque chose qui, cette fois, non pas s'oppose à « l'élément premier de la moralité », mais le dépasse infiniment au sens des premiers mots du Sermon sur la Montagne « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, si l'on vous frappe à la joue droite, tendez la joue gauche »

C'est donc bien, en tout cas, une « tendance » qu'incarne André Léonard, non la seule manière possible de croire. Il a été répété au moment de sa nomination que l'Eglise n'était pas une démocratie. Et de la part de ceux qui le disaient - ou qui le disent aujourd'hui - c'est une manière de souligner que l'Eglise est une société différente de la société humaine. Admettons ce dernier point. Mais admettons aussi qu'il soit plus difficile d'acquiescer à ce que disaient les charismatiques réunis autour du roi Baudouin Ier lorsque celui-ci refusa de donner sa sanction à la loi dépénalisant l'avortement partiellement : « Il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes. » Car l'Eglise, c'est aussi des hommes. Certes des hommes qui, dans la tradition des écritures, sont les successeurs de Pierre lui-même institué chef de l'Eglise par Jésus en personne, tradition que les anglicans, par exemple, ne foulent pas au pied. Des hommes à qui le Christ a promis de soutenir la fidélité au message évangélique, cela ne fait pas de doute. Cependant, il faut se souvenir aussi que, lorsqu'il proclama le dogme de l'Assomption, Pie XII affirma expressément qu'en le faisant, il exprimait « la Foi de l'Eglise ». Et l'Eglise, c'est le Peuple de Dieu, un Peuple de « prêtres, de prophètes et de rois » dit l'Ecriture tant juive que chrétienne. C'était sur cela que Vatican II mettait l'accent quand il parlait de l'Eglise. On peut bien comprendre que l'Eglise ne pourrait tout à fait fonctionner comme une démocratie séculière. Mais elle fonctionne toujours aujourd'hui sur le modèle de la féodalité médiévale, elle aussi très séculière, avec une monarchie élue à sa tête. L'idée qu'elle est un Peuple et que tous ceux qui parlent en son nom en procèdent, n'est-elle pas plus proche de l'esprit de l'Evangile qu'une Eglise qui fait encore de ses évêques des sortes de féodaux, nommés de manière mystérieuse par leur suzerain, et qui choisissent ensuite des devises et des armoiries?

C'est d'autant plus sûr que Jean-Paul II s'est fait le défenseur des Droits de l'homme partout où il est allé. Et c'est compréhensible, car il y a dans les Droits de l'homme comme dans le cœur même de l'idée démocratique, le principe de l'égalité des êtres humains entre eux. Cette idée se retrouve à l'état brut dans l'Evangile de Jésus. Si la République française a mis dans sa devise le mot « fraternité », c'est parce qu'elle procède du cœur même de la Civilisation, si marquée universellement par la Tradition chrétienne de l'amour, l'amour des plus pauvres, l'amour des ennemis, l'amour qui surpasse toutes les autres valeurs.

Il y a dans l'attitude de Léonard, comme autorité, une telle ignorance de ses subordonnés qu'on est tenté de rappeler aux tenants de la formule « Il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes. », la phrase célèbre de la Première Epître de Jean : « Si quelqu'un dit: J'aime Dieu, et qu'il haïsse son frère, c'est un menteur; car celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas? » Il est vrai que l'Evangile nous commande aussi de ne pas juger, mais on est forcément amené à se poser des questions sur quelqu'un qui parvient à diriger une institution - au XXIe siècle et dans une Wallonie pétrie de démocratie - alors qu'il est manifestement rejeté par pratiquement tous ceux qui en font partie (sauf les hauts chefs qui ne sont pas ici, mais dans les couloirs arrivistes de la Curie romaine). Il y a chez les conservateurs un attachement non seulement désuet, mais surtout pathétique aux formes de la liturgie ancienne de l'Eglise, mais aussi à ses formes féodales. Le soin avec lequel ils peaufinent leurs armoiries, la façon onctueuse dont ils parlent d'une élévation possible à la « pourpre cardinalice » écoeure. Comme écoeura le sourire de requin de Léonard quand les bruits se firent précis sur sa désignation, un sourire qui n'arrivait pas à cacher l'avidité satisfaite de son ambition repue - et l'homme a septante ans ! Le malheur veut que, dans une Wallonie et un Etat fédéral belge pétris de déficits démocratiques graves 9 - et c'est l'inquiétude que m'inspire la réaction de Laurette Onkelinkx - les responsables officiels de l'Etat laïque et démocratique y regarderont à deux fois avant de critiquer ce par quoi Léonard est le plus critiquable : son manque absolu du sens des autres que manifeste d'abord et avant tout la façon dont il se passe de l'esprit même de la démocratie. Car la particratie a beaucoup de leçons à tirer de la rigidité actuelle de l'Eglise et moins à lui en donner ! Mais pour revenir à l'évêque controversé (unanimement et non comme le dit la RTBF, louangé par les uns, critiqué par les autres), comment après cela peut-il se réclamer du Christ et de son amour des ennemis, comment peut-il se prononcer en faveur du droit à la vie dans les questions de l'euthanasie et de l'avortement, quand il n'est même pas capable de respecter le principe de la discussion, exprimant « l'élément premier de la moralité » ?

Voir un fidèle interrogé sur ce qu'il pense de la désignation de Léonard comme archevêque de Bruxelles, répondre qu'il préfère ne pas s'exprimer parce que c'est « très délicat » (la RTBF de ce dimanche 17 janvier), cela fait songer à la façon dont on fuit les micros tendus dans les pays à régimes totalitaires. Et ce qui confond le plus, c'est le fait que, très probablement, les hommes politiques, notamment wallons, se garderont bien de mettre l'accent sur ce qui nous semble le plus exécrable dans une Eglise à la Léonard : le mépris des gens, le mépris de la liberté, le mépris de la Cité des hommes, le mépris de l'Evangile.

Contrairement à ce qui a été dit dans l'émission « regards croisés » de la RTBF du 16 janvier, on ne peut pas poser l'hypothèse d'une Eglise prétendument immobile, acceptant tantôt de s'ouvrir au mouvement du Monde et tantôt s'y fermant , comme aujourd'hui, en fonction d'un certain opportunisme ecclésiastique avide de nombreux membres. Il est possible que, comme le disait Luc Vandendorpe, évoquant déjà Léonard à la mort de Baudouin Ier , l'Eglise est au contraire parfaitement en phase sur un monde séculier qui a appris lui aussi à mépriser la République 10. Après tout, la manière de désigner les présidents des partis vaut bien la manière rampante dont Léonard est parvenu au trône de Malines. Quant à la la résistance des politiques aux primats de la rentabilité économique et aux ukases des patrons ou des banques, elle est si faible que l'on considère aujourd'hui le Pape, avant tout, comme un grand de ce monde...

Conclusion

On a finalement le sentiment en tout ceci d'un écart tel entre la réalité et l'arrivisme infantile d'un homme (le "fou" dénoncé par l'un de ses prêtres), que l'on se demande si l'espace public belge ne vient pas surtout de (re)découvrir un concurrent possible de Michel Daerden - avec un autre style et d'une autre façon évidemment, mais enfin toujours un Wallon... Parce que, finalement, Léonard est surtout ridicule. Il se sert de son pouvoir pour tout bloquer et détruire pas mal de choses. Mais la force de notre monde vécu démocratique (et chrétien), est telle qu'il va surtout causer, blablater, souligner et répéter l'écart qu'il y a entre Rome et les vérités du monde contemporain. Si ceux qui l'ont nommé croient que sa présence à la tête (d'une certaine façon qu'il faut nuancer), de ce que l'on peut appeler encore "l'Eglise de Belgique", pourrait redorer le blason de cette Eglise, ils se trompent lourdement. Dans les régimes qui sombrent, qui sont à deux doigts de leur mort, les arrivistes et les courtisans se pressent encore pathétiquement autour du Chef qui va disparaître pour augmenter le nombre de rubans qui marquent leur rang plus ou moins élevé dans la hiérarchie. Il en est même qui rêvent de remplacer ce Chef, quand tout sera fini, ne serait-ce que pour être ceux qui assistent à l'écroulement final du système, mais pour parader encore «ne serait-ce qu'une minute M. le Bourreau». On en rirait si cela ne finissait pas, comme dans les guerres ou les révolutions, par beaucoup de sang, de violence et de mort.

Or, dans l'écroulement de l'Eglise de Rome qui semble se préparer, on doute qu'il se produise des choses aussi tragiques. Et on se demande finalement si Léonard n'est pas prédestiné à jouer le rôle de bouffon final - voire papal - d'un système ecclésiastique qui, en tant que système du moins, n'a nullement les promesses de la vie éternelle. Les protestants et les orthodoxes ont maintenu ce lien vivant avec la Tradition et avec le Christ depuis des siècles sans l'Eglise de Rome, sans l'Eglise dite "catholique". Au lieu de se lamenter sur la nomination absurde de Léonard, ne pourrait-on pas plutôt préparer une future Eglise catholique qui serait, elle, vraiment universelle, regroupant tous les chrétiens dispersés, d'une autre façon que dans le froufrou imbécile des soutanes blanches, pourpres, violettes et noires. Quand cela ne va pas dans l'Eglise, comme le disait Claudel, je crois, il y a toujours «de pauvres âmes à cheval sur la Croix au milieu des étoiles et qui appellent Dieu au secours». Elles ont raison puisque nous lisons dans l'Evangile: « Le Ciel et la Terre passeront, mes paroles ne passeront pas... Si eux se taisent, les pierres crieront... »

Post-Scriptum

On lira par ailleurs dans la revue TOUDI en ligne le texte passionné de Jacques Meurice, EXIT GODFRIED. Du point de vue de l'analyse de l'autoritarisme ecclésiastique, je n'ai pas de réserves. En revanche j'en ai beaucoup vis-à-vis de la façon dont Jacques Meurice expédie un peu facilement les débats sur la personne du Christ aux IVe et Ve siècles. Marcel Gauchet, théologien athée nous met en garde contre cette façon de voir les choses. C'est un très grand texte, d'autant plus crédible qu'il est écrit par quelqu'un qui ne croit pas, mais qui a saisi le coeur du christianisme: "Vacuité de l'objet, arbitraire des argumentations, disproportion inintelligible entre la minceur des enjeux et la virulence des passions investies: ces disputes meurtrières sont devenues l'image de l'aberration même, la mobilisation des populations dans ces batailles théologiques achevant de leur conférer un cachet à la fois burlesque et tragique. L'emblème s'il en fut jamais de l'humaine propension à se déchirer sur le vide et pour à peu près rien. Vision des choses très normalement sécrétée par le recul et la perte des repères qui sous-tendaient l'affrontement, contre laquelle il faut regagner la vérité du moment natif. Car ces discussions autour de la véritable nature du messager de Dieu cessent de paraître absurdes lorsqu'on prend en compte le foyer organisateur auquel elles se rapportent. Elles sont directement en prise, en réalité, sur l'opération structurale qui constitue le coeur de l'intervention christique, à savoir l'inversion de toute jonction possible entre les deux ordres de réalité et une compréhension à la mesure de l'image radicalement nouvelle, entièrement opposée qu'en produit Jésus. D'un côté, ceux pour qui la rencontre entre l'humain et le divin, entendue dans l'échelle générale des supériorités, doit demeurer d'essence hiérarchique, l'écart des grandeurs restant nécessairement lisible jusque dans leur collusion, soit qu'en Christ le divin domine décidément sur l'humain - les deux versions, humanisation ou divinsation du Christ, avec leurs innombrables versions possibles, procédant rigoureusement du même cadre de pensée et revenant logiquement au même. Et de l'autre côté ceux qui s'efforcent de prêter langage à l'exception christique au regard de tout emboîtement jusqu'alors concevable entre l'ici-bas et l'au-delà, à la dé-hiérarchisation signifiée par l'avènement du Messie en dehors, parce que au plus bas, de l'ordre des grandeurs terrestres. Ceux pour qui l'Incarnation est à concevoir non plus en fonction de la vieille logique de la supérirorité, mais en fonction d'une logique purement métaphysique de l'altérité , dans le cadre de laquelle l'absolue différence de l'humain et du divin est ce qui permet de penser leur union par faite "sans confusion, sans changement, sans division, sans séparation, la différence des natures n'étant nullement supprimée par l'union mais plutôt les propriétés de l'une et de l'autre étant sauvegardées et réunies en une seule personne et une seule hypostase." selon la formulation fameuse du concile de Chalcédoine." 11 En conclusion d'une admirable réflexion sur la Trinité, Remi Brague écrit: "Confesser l'unité de Dieu, c'est ainsi lui être uni. Mais d'une unité qui est analogue à la sienne. Dieu est librement uni à soi-même. Être uni à Dieu, c'est unir sa liberté à celle de Dieu. Et deux libertés ne peuvent s'unir comme le font les objets matériels, par fusion ou agglomération. L'union la plus haute est l'union des volontés, laquelle n'est pas mélange, mais accord, une union qui, loin de dissimuler l'identité de chacun de ses termes, l'accroît bien plutôt." 12

  1. 1. Pour situer André-Joseph Léonard (1940-2010)
  2. 2. L'éthique reconstructive, Certf, Paris, 1996, pp. 95-104.
  3. 3. Jean-Marc Ferry, ibidem, pp. 98-99.
  4. 4. Ibidem, note 16, p. 99.
  5. 5. Le Soir, 26 juin 1991
  6. 6. Le Soir du 7 août 1997
  7. 7. Blog religieux de Couvin
  8. 8. Jean-Marc Ferry, ibidem, p. 101.
  9. 9. Critique : Un autre Pays [Conclusions] (Marnix Beyen & Philippe Destatte)
  10. 10. L'abdication symbolique de la société
  11. 11. Marcel Gauchet, Le désenchantement du monde, Gallimard Paris, 1987, pp. 173-174: le Concile de Chalcédoine se tint en 451.
  12. 12. Rémi Brague, Du Dieu des chrétiens et d'un ou deux autres, Flammarion, Paris, 2008, pp. 112-113.