Autres solutions au '' coup '' de Lutgen

Une crise politique et non institutionnelle
12 septembre, 2017

Pour que le fédéralisme serve à ce que la Flandre de droite rétablisse son emprise?

L’expérience vécue tout au long de ces derniers mois suite au revirement d’alliance voulu par Benoît Lutgen, permet de se rendre compte que, dans un contexte difficile, les législateurs qui ont transformé la « Belgique de papa » durant la décennie 1970-1980 ont réalisé un excellent travail juridique.

Malheureusement nous ne pouvons pas en dire autant de l’utilisation qui fut faite par de nombreux gouvernants de ce système institutionnel.

Pour le dire autrement, la paralysie « politique » actuelle de certaines entités (la Fédération Wallonie-Bruxelles et, dans une mesure moindre, la Région de Bruxelles-Capitale) ne tient pas au système institutionnel en soi, comme certains (dont Elio Di Rupo), l’ont récemment déclaré, mais bien plus à la méconnaissance de ces subtilités ainsi qu’à un manque de courage ou de volonté politique. Ce système contient pourtant toutes les dispositions requises pour mettre fin à l’état de paralysie actuel et ce dans le respect du droit, à condition bien sûr de vouloir avoir recours à celles-ci.

Responsabilité ministérielle, équilibre des pouvoirs et parlementarisme rationnalisé

Prenons un peu de recul historique et traversons la Manche. La monarchie parlementaire britannique, un des modèles des constituants belges en 1830-31, vit, entre 1895 et 1979, le Parlement britannique (la Chambre des communes), « la mère de tous les parlements », refuser sa confiance au gouvernement à 4 occasions (21 juin 1895, 21 janvier 1924, 8 octobre 1924 et 28 mars 1979). Dans les deux premier cas, le leader de l’opposition parlementaire fut nommé Premier Ministre et forma un nouveau gouvernement, dans les deux derniers la Chambre des communes fut dissoute par le Chef de l’Etat, ce qui provoqua de nouvelles élections. Le rejet par une majorité des membres de la Chambre des communes ayant pris part au vote (et non des membres) d’une « motion of confidence » donna lieu à de nombreuses querelles sur la nature juridique et politique de celle-ci.

Dans la pratique, trois grands catégories de motions furent recensées : les motions de confiance au sens strict déposées par le gouvernement, les motions de censure initiées par les parlementaires (de l’opposition) et celles qui, selon les circonstances spécifiques et notamment l’attitude du gouvernement, ressortissent à la première ou la deuxième catégorie. Les premières sont, en quelque sorte, le moyen pour un gouvernement de voir s’affirmer la confiance de la majorité d’une assemblée, les deuxièmes sont l’arme de l’opposition parlementaire pour censurer ce même gouvernement. Ces notions sont donc nées de la pratique parlementaire plus que d’un texte précis.

La Constitution belge de 1831 établissait dans son article 63 le principe de la responsabilité ministérielle (1) mais ne contenait aucune référence à une quelconque forme de votes de confiance ou de défiance. Ainsi, dans la pratique institutionnelle de la plupart des systèmes parlementaires « classiques » qui se mettent progressivement en place à partir du XIXe siècle, l’exécutif s’est attribué le pouvoir de demander, à tout moment, la confiance sur tout ou partie de son action à l’assemblée contrôlant sa responsabilité politique ; le gouvernement étant démissionnaire s’il n’a plus la « confiance » d’une majorité des membres de celle-ci.

De même, s’est progressivement affirmé le droit pour une assemblée de censurer l’action menée par l’exécutif (ou par certains membres de celui-ci) au moyen d’une vote qui, s’il réunit les suffrages d’une majorité de ses membres, peut entraîner la démission du gouvernement, l’assemblée exprimant ainsi sa « défiance » vis-à-vis de l’exécutif (2).

Ces principes apparaissent aujourd’hui comme évidents mais, dans la pratique, il fut nettement plus compliqué de définir la procédure, les formalités et les conséquences politiques que prennent cette confiance ou cette défiance, le Parlement britannique ne le fit d’ailleurs qu’en 2011 (3) En effet, chaque fois qu’un gouvernement est mis en minorité par le vote d’une assemblée, même au sujet d’une question politiquement importante, cela n’implique pas automatiquement qu’il ait perdu la confiance de celle-ci (4), même si la pratique conduisit justement souvent à cette conclusion. Déjà avant la Première guerre mondiale, certains libéraux (au sens politique (5), vont se pencher sur la question de l’équilibre à atteindre entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. D’aucuns s’inquiétèrent de la montée en puissance progressive du pouvoir parlementaire face à l’exécutif. Ce qui était principalement critiqué fut le recours par les assemblées à la défiance destructive (6) d’une manière formelle ou pas d’ailleurs, à savoir le renversement d’un exécutif sans proposer aucun remplaçant à celui-ci. La crainte d’un régime d’assemblée, qui plus est dominé par les partis de gauche, amena le développement de réflexions sur la mise en place d’un parlementarisme « rationnalisé » au moyen de systèmes parlementaires organisés de manière à éviter l’instabilité ministérielle chronique et à permettre le fonctionnement équilibré des institutions, notamment en rendant plus difficile, politiquement ou constitutionnellement, la mise en œuvre de la responsabilité ministérielle.

L’évolution en Autriche et surtout en Allemagne après 1918

C’est après la Grande guerre que les premières tentatives vont être faites. Ce n’est pas par hasard que celles-ci eurent lieu en Allemagne (et en Autriche). Sous l'empire de Bismarck (1871-1918) , les mœurs et pratiques politiques étaient clairement marquées par la confrontation entre l’assemblée et l’exécutif fédéral plutôt qu’au soutien d’une politique générale. Le Reichstag (Parlement impérial), même s’il participait sur un pied d’égalité avec le Bundesrat (conseil fédéral représentant les 25 Etats de l’Empire) au processus législatif, ne pouvait nullement influencer la composition du cabinet qui était d’ailleurs, la plupart du temps, purement « technocratique » (7) Et encore moins sa politique générale décidée par le seul Chancelier impérial en plus ou moins bonne intelligence avec l’Empereur.

Ce déséquilibre des pouvoirs en faveur de l’exécutif, qui se retrouvait d’ailleurs au sein des diverses composantes de l’Empire, suscita l’opposition grandissante des partis politiques et d’une partie importante de l’opinion qui souhaitaient un rééquilibrage au profit du parlement. Ce fut la Grande guerre qui amena ce changement. Après l'échec des offensives sur le front ouest du printemps et de l'été 1918, le haut commandement militaire, comprenant que la guerre est perdue et refusant d'en assumer la responsabilité pleine et entière, poussa l'Empereur à nommer un nouveau cabinet soutenu par une majorité des membres du Reichstag. Ce fait constituait une première, le cabinet n'étant pas, jusqu'alors, juridiquement et politiquement responsable devant cette Assemblée élue au suffrage universel (masculin). Le prince Max de Bade installa son cabinet début octobre 1918, il est soutenu par une partie des sociaux-démocrates (SPD), le parti catholique (Zentrum) et les divers partis libéraux de droite et de gauche (nationaux-libéraux et parti populaire progressiste. Cette coalition sera celle qui en 1919 établira la République dite de « Weimar ».

La Constituante qui se réunit à Weimar à partir du 6 février 1919 adopta, dès le 10 février, une loi d'organisation provisoire du Reich. Ce qui est marquant dans cette constitution « provisoire » de 10 paragraphes, c'est le maintien d'un système de république fédéral, à la fois héritage de l'organisation constitutionnelle de l'Empire, mais aussi du fait que la révolution qui y mit fin en novembre 1918 avait été une révolution dans chaque État distinct. Une Chambre des États (Länder) dont l'accord était nécessaire aux lois siégea à côté de la Constituante, aucune tentative véritable de régime centraliste ne fut donc réellement esquissée. Ce qui marqua beaucoup les débats fut la question de l'équilibre des pouvoirs entre le Président et le Chancelier. Les théories du juriste strasbourgeois Robert Redslob eurent beaucoup d’influence sur le juriste Hugo Press (8), ministre fédéral libéral progressiste de l’intérieur puis des affaires constitutionnelles.

Cette figure dominante dans la rédaction de la constitution du 11 août 1919 accorda à la présidence un rôle conséquent dans la conduite de la politique, tant intérieure, de la République, le Chancelier étant lui nommé par ce dernier. Cependant son cabinet était responsable devant le Reichstag. Le nouveau régime enfin stabilisé du point de vue institutionnel pouvait commencer à fonctionner mais confronté à de multiples crises, à commencer par la signature du Traité de Versailles en juin 1919. Il se révéla vite une République sans républicains qui sombra en janvier 1933 avec l’arrivée au pouvoir des nationaux-socialistes. (9)

Le « parlementarisme rationalisé » en Allemagne après 1945

Ce fut donc après le second conflit mondial que le parlementarisme « rationalisé » s’imposa réellement, même si ce fut finalement avec peu d’effet contre l’instabilité politique. Il inspira diverses dispositions de la Constitution de la IVe République française (1946) et de la Ière République italienne (1947) mais sa manifestation la plus éclatante fut la Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne du 23 mai 1949 (10)

Rappelons d’abord que celle-ci est le résultat des discussions entre les représentants des gouvernements des diverses entités politiques qui, depuis fin 1945, s’étaient progressivement constituées dans les zones d’occupation états-unienne, britannique et française. (11) Les entités fédérées ont donc précédé la fédération et dans la plupart des Constitutions (12) de celles-ci, ayant tiré les leçons du régime de la République de Weimar, des procédures de défiance constructive avaient été introduites selon des formes variables. La Loi fondamentale reprit donc au niveau fédéral ce principe dans son article 67 (13).

L’article 68 établit quant à lui la procédure de la motion de confiance posée par le Chancelier fédéral (14) la seule pouvant aboutir à une dissolution anticipée du Bundestag. Il faut noter que ce qui est visé par ces articles est la fonction de Chancelier fédéral et pas le gouvernement fédéral dans son ensemble ou les ministres fédéraux pris individuellement. Ceux-ci sont bien responsables de leurs actes devant le Bundestag (15) mais ils sont nommés et révoqués par le Président fédéral sur proposition du Chancelier (16) Une motion de défiance peut donc porter uniquement sur le titulaire de la fonction de Chancelier fédéral, car c’est lui qui, selon la Loi fondamentale, fixe les grandes orientations de la politique et en assume la responsabilité. Les constitutions de certains Länder (17) prévoient la possibilité de motion de défiance constructive, outre le Ministre-président, à l’égard du gouvernement régional et/ou d’un ministre régional. Ces mécanismes se sont révélés d’une grande efficacité et ont un caractère exceptionnel (18).

Depuis 1949, l’article 67 n’a été utilisé qu’à deux reprises par le Bundestag, le 27 avril 1972 sans succès contre Willy Brandt et avec succès le 1er octobre 1982 contre Helmut Schmidt, Helmut Kohl devenant Chancelier fédéral suite au renversement d’alliance des libéraux (FDP) en sa faveur. Au cours de la même période, le mécanisme de l’article 68 ne fut utilisé par un Chancelier fédéral qu’à 5 reprises (19) dans trois cas (20) Celui-ci recherchait ainsi par l’utilisation de cette procédure une dissolution anticipée du Bundestag et le retour aux urnes. Le caractère dissuasif de ces deux mécanismes explique la rareté de son utilisation. Dans les deux cas, il faut réunir le vote positif d’une majorité des membres du Bundestag, il y a un délai minimum de 48 heures de réflexion entre le dépôt de la motion et le vote qui se déroule à bulletin secret. Ce dernier point peut réserver des surprises, ce fut le cas en avril 1972 où il manqua 2 voix au candidat de la CDU-CSU Rainer Barzel pour être élu Chancelier fédéral alors que, sur le papier, il avait une majorité de députés en sa faveur.

Les entités fédérées en Belgique, genèse institutionnelle 1970-1980

Repassons maintenant la frontière allemande. Au fond pourquoi nos entités fédérées se virent-elles doter d’un mécanisme largement inspiré de celui en vigueur en Allemagne ? Rappelons d’abord que le fédéralisme belge est dit de « dissociation ». En 1949 ce sont les entités fédérées disposant de leur propres Constitutions qui ont établi la RFA, rien de tel ici, nos entités fédérées n’ont pas de Constitutions propres et ont reçu des compétences retirées au pouvoir central.

Il faut tenir compte ensuite du contexte des premières réformes institutionnelles à savoir la période 1970-1980. D’abord en toile de fond, les théories du parlementarisme rationalisé rencontraient la faveur d’un grand nombre de juristes, elles étaient clairement dans l’air du temps comme l’a montré par exemple la Constitution de la Ve République française de 1958. La RFA apparaissait aussi clairement comme étant en Europe occidentale la référence « ultime » en terme de système fédéral, les systèmes suisse et étatsuniens étant difficilement transposables, il faut sans doute y ajouter la fascination alors exercée par le miracle économique et politique allemand. La Belgique avait certes connu depuis la résolution de la question royale en 1950 une stabilité gouvernementale relative mais, depuis l’arrivée de la crise économique du début des années 1970, elle retournait à une forme d’instabilité politique (21) rappelant à l’opinion publique et aux commentateurs celle vécue au cours des années 1920 et 1930 (18 gouvernements entre 1919 et 1939 comparé à 13 gouvernements de 1972 à 1981. Enfin le passage d’un régime unitaire à un régime fédéralisé/ régionalisé s’est déroulé dans un curieux mélange pour quasi tous les partis politiques d’enthousiasme (parfois), de crainte et de réticence (souvent).

Lorsqu’il fut question de doter les entités fédérées d’exécutifs autonomes, les uns voulaient prouver que cela pouvait fonctionner, les autres voulaient éviter que cela échoue et, par répercussion, que cela paralyse le gouvernement «central ». Tous ces éléments semblent expliquer pourquoi, au fond, il fut mis autant de garde-fous et de limites à un fonctionnement « normal » du système parlementaire des entités fédérées (22).

Fédération Wallonie-Bruxelles 2017, l’année dangereuse ?

Nous ne nous appesantirons pas sur le triste cas de Benoit Lutgen qui a cru qu’il suffisait de clamer sa volonté de changer de coalition pour qu’un gouvernement tombe aussi facilement qu’un fruit mûr. Cette manière de mettre cul par-dessus tête les institutions fédérées est d’autant plus curieuse que le dit Lutgen est Bourgmestre de Bastogne. Or, dans sa commune, le collège communal ou l’un de ses membres ne peut être censuré qu’au moyen d’une motion de défiance constructive (23), réforme que son parti le CDH vota en son temps… Quelle surprise donc de le voir, après avoir proclamé urbi et orbi son excommunication du PS, commencer seulement à courtiser un ou des partenaires de substitution en vue de célébrer de nouvelles épousailles. La preuve que le système institutionnel fut bien pensé, c’est qu’au bout d’un mois d’incertitude, le vote de la motion de défiance constructive en Wallonie, en dépit de grossesses en phase terminale, s’est déroulé d’une manière civilisée. La mise en place d’un nouveau gouvernement wallon ne fut ni un psychodrame ni un séisme. En s’inspirant de l’Allemagne, on peut certes se poser des questions sur la légitimité et encore plus sur la moralité de ce nouveau gouvernement mais certainement aucune quant à sa légalité.

Venons-en maintenant au Parlement de la FWB devenu, en quelque sorte, la nouvelle incarnation de la Chambre introuvable de notre vie politico-particratique contemporaine. Rappelons d’abord que celui-ci est composé de tous les parlementaires wallons (75) et de 19 parlementaires francophones de Bruxelles, ce qui se traduit, vu le nouvel équilibre « géopolitique » de la francophonie belge, entre, d’un côté, les 47 ultras (30 MR, 16 CDH et 1 J’EXISTE) et de l’autre les 47 constitutionnels (36 PS, 6 Ecolo, 3 Défi, 2 PTB). Après avoir paradé en vain pour trouver une coalition à son goût, le paon Lutgen semble, en ce début septembre, se résoudre à cohabiter jusqu’en 2019 avec un coq socialiste passablement vieillissant et déclinant depuis qu’il se travestit en lion belge.

Une pseudo-solution à la FWB

Cette pseudo-solution n’était pourtant pas la seule possible. Si vous vous souvenez de ce qui a été écrit précédemment au sujet du vote de confiance et du vote de défiance, examinons ce qui aurait pu se passer si le PS ou le CDH l’avait vraiment voulu.

Commençons par la confiance, l’article 72 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 aout 1980 déclare que : « Le Gouvernement peut décider à tout moment de poser la question de confiance sous la forme d'une motion. Le vote sur cette motion ne peut intervenir qu'après un délai de quarante-huit heures. La motion n'est adoptée que si la majorité des membres du Parlement (48) y souscrit. Si la confiance est refusée, le Gouvernement est démissionnaire de plein droit. » En clair, les ministres PS du gouvernement de la FWB étant majoritaires (5 contre 2), ils pouvaient très bien déposer au nom du gouvernement devant le Parlement une motion de confiance qui aurait placé le CDH devant ses responsabilités : soit ses députés la votaient et le gouvernement était confirmé sans aucune ambiguïté, soit il ne la votait pas et alors le gouvernement n’avait plus de majorité et se retrouvait démissionnaire de plein droit et chargé des affaires courantes (24)

La responsabilité politique et publique de cette situation aurait été imputable au seul CDH. Certains émettront l’objection que le fonctionnement d’un gouvernement est collégial et que, face à cette mise en minorité, les 2 ministres CDH n’auraient eu d’autre choix que de présenter leur démission. Eh bien ! alors l’article 73 se serait appliqué (25) et il aurait fallu procéder à l’élection de deux nouveaux ministres selon la procédure de l’article 60 (26), ce qui n’aurait nullement sorti de ce piège et de ses contradictions le CDH.

Si la confiance n’était pas jugée opportune, que penser alors de la méfiance constructive dans le chef du Parlement ? Nous aurions été dans le cadre de l’article 71 : Le Parlement peut, à tout moment, adopter une motion de méfiance à l'égard du Gouvernement ou d'un ou de plusieurs de ses membres. Cette motion n'est recevable que si elle présente un successeur au Gouvernement à un ou à plusieurs de ses membres, selon le cas. Le vote sur la motion ne peut intervenir qu'à l'expiration d'un délai de quarante-huit heures. Elle ne peut être adoptée qu'à la majorité des membres du Parlement. L'adoption de la motion emporte la démission du Gouvernement ou du ou des membres contestés ainsi que l'installation du nouveau Gouvernement ou du ou des nouveaux membres.

Les parlementaires du PS pouvaient donc déposer une motion de défiance constructive à l’encontre des deux ministres du CDH et présenter la candidature des deux nouveaux membres. Là tout était possible. Puisque l'on peut supposer que le nom des candidats ne sera pas présenté au parlement sur une liste ayant recueilli 48 signatures de parlementaires, le vote se fait à bulletin secret, par exemple la présentation de deux techniciens issus de la société civile avec un profil suffisamment consensuel ou rassembleur pour réunir sur leur nom un soutien dépassant les frontières des partis. Nous ne doutons pas qu’il existe de telles personnes (de préférence jeunes) en Wallonie et à Bruxelles, ou bien deux candidats « purement » politiques soutenu par une coalition alternative. L’avantage de cette procédure est, qu’à nouveau, elle aurait mis le CDH face à ses contradictions (ou responsabilités) : comment aurait-il pu justifier un refus de voter cette motion de défiance remplaçant ses ministres alors qu’il déclare sur tous les tons ne plus vouloir gouverner avec le PS ? De plus, comme le montre la pratique allemande, le vote à bulletin secret peut toujours générer des surprises. En fait, si nous observons ces derniers mois, bien plus que la demi vaine agitation du CDH, ce qui surprend c’est bien l’inertie voire l’immobilisme du PS. Alors qu’il a les moyens institutionnels, si pas de forcer le déblocage de la situation, d’imputer au seul CDH la responsabilité politique du champ de ruines s’offrant aux yeux des citoyens wallons et bruxellois. Ce constat est encore plus frappant lorsque nous examinons la situation du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale.

Bruxelles-capitale 2017, quoi de neuf à l’ombre de l’iris ?

La situation de cette Région perpétuellement complexe vu les équilibres entre les deux groupes linguistiques à concilier est en fait institutionnellement soluble. Prenant en compte le fait que les représentants des Bruxellois flamands n’ont aucune envie (et nous les comprenons), de s’impliquer dans la querelle de ménage particratiques des francophones bruxellois, c’est donc au sein de ces derniers que la solution doit être trouvée. La Loi spéciale du 12 janvier 1989 sur les institutions bruxelloises reprend texto les articles évoqués ci-dessus par la FWB (27) et qui s'applique à la Wallonie et à la Flandre sauf l’article 71 qui fut adapté aux spécificités de la région capitale. En effet, hors la personne du Ministre-Président, le nombre de ministres francophones et flamands est paritaire, actuellement 2 et 2.

L’ article 36§1er de la loi spéciale de 1989 (28) reprend le principe de la défiance constructive contre le gouvernement ou l’un de ses membres avec la différence que la motion doit être adoptée à la majorité des membres du Parlement si elle est dirigée contre le président, et à la majorité des membres du Parlement ainsi qu'à la majorité des membres de chaque groupe linguistique, si elle est dirigée contre le Gouvernement. Lorsqu'une telle motion est dirigée contre un membre du Gouvernement à l'exception du président, elle doit être adoptée à la majorité des membres du groupe linguistique auquel ce membre du Gouvernement appartient. En clair il suffit donc de trouver une majorité des 72 élus francophones bruxellois pour démettre la ministre du CDH (29). PS et Défi ayant 34 sièges, il ne leur en manque que trois pour avoir cette majorité. Quant au choix du ministre remplaçant, je renvoie à ce qui a été dit précédemment concernant le gouvernement de la FWB. Ecolo (et Groen) ayant trouvé un accord avec Défi sur une réforme considérable de la gouvernance de la Région, il est plausible d’imaginer un soutien extérieur des 8 élus verts en échange de l’adoption rapide de ces mesures. Ecolo pourrait d’ailleurs n’accorder que le nombre requis (3) pour remplacer la Ministre CDH, ses autres élus pouvant s’abstenir afin de montrer ainsi qu’il conserve sa liberté de manœuvre. La situation est donc ici beaucoup moins compliquée, car si la coalition PS-Défi réussit à obtenir des soutiens extérieurs chez Ecolo et pourquoi pas au PTB (4 élus), le vote négatif éventuel des 8 élus du CDH n’aurait pesé d’aucun poids. On voit donc qu’ici aussi la clé pour débloquer la situation est uniquement politique, le système institutionnel n’étant pas un obstacle.

Conclusions provisoires...

Le système institutionnel des entités fédérées vient de démontrer, au cours des derniers mois, sa solidité juridique y compris en période d’orage politique, l’épisode du CETA l’année passée pouvant d’ailleurs être aussi appréhendé en ce même sens. Ceci constitue en soi un démenti à tous ceux qui se complaisent parfois depuis longtemps à considérer comme « faibles » les institutions étatiques belges, notamment en les comparant à celles de la France, même si l’extrême impuissance (fébrile ou placide) des deux derniers mandats présidentiels aurait déjà dû les inciter à réviser leurs appréciations. Toutefois il ne faudrait pas pour autant sombrer dans une forme de fétichisme juridique. Même les réalisations juridiques les plus raffinées sont dépendantes des qualités (et des défauts) de celles et ceux qui en sont les principaux acteurs. Si nous pouvons être en quelque sorte rassuré sur les fondements juridiques de ce système parlementaire, par contre nous pouvons être clairement être préoccupés par une certaine forme d’inculture historique et politico-juridique de certains intervenants, y compris dans le champ médiatique, par rapport à ces institutions. Ce n’est clairement pas un signe encourageant. Après le « citoyen déclassé », en serions-nous déjà arrivés au gouvernant déclassé n’habitant plus les institutions qu’il est pourtant dans l’obligation de faire fonctionner le plus harmonieusement possible ?


(1) Disposition inspirée de l’Article 12 de la Charte constitutionnelle française du 14/8/1830 :La personne du roi est inviolable et sacrée. Ses ministres sont responsables. Au roi seul appartient la puissance exécutive.

(2) A Government is entitled to assume the confidence of Parliament even if it is faced with defeats or significant rebellions in the division lobbies. The Government may decide to put Parliament's confidence to the test by moving a motion of confidence or by expressly treating a motion put down by itself or by others as a confidence motion, or it can refuse to do this and put the onus on its opponents to provoke such a test by moving a no-confidence motion. Standard Note 2873. Confidence Motions, 13 May 2013

(3) Fixed-term Parliaments Act 2011

(4) Le vote par la Chambre le 3 avril 1990 de la loi dépénalisant partiellement l’IVG en Belgique n’entraina pas la chute du gouvernement Martens VIII, la difficulté politique survint ailleurs…

(5) Nous n’évoquerons pas ici les critiques radicales du parlementarisme, de « la gueuse », appelant à un exécutif fort portée une grande partie de la droite extrême en Europe avant et après la grande guerre.

(6) destruktives Misstrauen en allemand

(7) Les Secrétaires d’Etat à la tête des départements fédéraux n’étaient pas responsables devant le Reichstag, en langue allemande le « cabinet » était dénommé « Reichsleitung » direction ou administration impériale et non « Reichsregierung » gouvernement impérial

(9) Détails voir http://www.larevuetoudi.org/fr/story/une-république-sans-républicains-l’allemagne-de-1918-à-1933

(10) Traduction française intégrale disponible sur le site web du Bundestag : https://www.bundestag.de/blob/189762/f0568757877611b2e434039d29a1a822/lo...

(11) Elles étaient alors au nombre de 11, l’actuel Land de Bade-Wurtemberg était divisé en trois entités, la Sarre avait encore un statut « internationalisé » spécifique.

(12) La Bavière et la Hesse font exception

(13) [Motion de défiance constructive]

1.Le Bundestag ne peut exprimer sa défiance envers le Chancelier fédéral qu’en élisant un successeur à la majorité de ses membres et en demandant au Président fédéral de révoquer le Chancelier fédéral. Le Président fédéral doit faire droit à la demande et nommer l’élu.

2. Quarante-huit heures doivent s’écouler entre le dépôt de la motion et l’élection.

(14) [Motion de confiance, dissolution du Bundestag]

1. Si une motion de confiance proposée par le Chancelier fédéral n’obtient pas l’approbation de la majorité des membres du Bundestag, le Président fédéral peut, sur proposition du Chancelier fédéral, dissoudre le Bundestag dans les vingt et un jours. Le droit de dissolution s’éteint dès que le Bundestag a élu un autre Chancelier fédéral à la majorité de ses membres.

2. Quarante-huit heures doivent s’écouler entre le dépôt de la motion et le vote.

(15) Article 65 LF « Dans le cadre de ces grandes orientations (fixées par le Chancelier fédéral), chaque ministre fédéral dirige son département de façon autonome et sous sa propre responsabilité »

(16) Article 64 LF

(17) Principalement les villes-régions que sont Berlin, Hambourg et Brème mais la possibilité est prévue en Sarre et en Rhénanie-Palatinat.

(18) Le caractère exceptionnel de cette procédure se retrouve aussi au niveau des länder, il y a été recouru une fois sans succès en Basse-Saxe (1988), deux fois avec succès en Rhénanie-Westphalie (1956 et 1966), quatre fois sans succès en Rhénanie-Palatinat, une fois avec succès à Berlin (2001).

(19) Brandt le 20 septembre 1972, Schmidt le 5 février 1982, Kohl le 17 décembre 1982, Schröder le 16 novembre 2001 et le 1er juillet 2005.

(20) Brandt, Kohl et Schröder en 2005, seuls les deux premiers remportèrent les élections fédérales anticipées qui s’ensuivirent.

(21) Instabilité qu’il faut toutefois relativiser car les coalitions et surtout le personnel politique l’étaient eux.

(22) Un système monocaméral de législature presque sans aucun rôle pour le roi avec dans un premier temps des parlementaires issues des élections « nationales » (Chambre et Sénat)

(23) C'est l'article L1123-3, al. 3, du Code wallon de la démocratie locale et de la décentralisation

(24) Voir Art 73 LSRI 1980

(25) Si le Gouvernement ou si l'un ou plusieurs de ses membres sont démissionnaires, il est pourvu sans délai à leur remplacement. Tant qu'il n'a pas été remplacé, le Gouvernement démissionnaire expédie les affaires courantes.

(26) Art. 60. §1. Les candidats au Gouvernement présentés sur une même liste signée par la majorité absolue des membres du Parlement, sont élus. (…)

§ 2. Si, au jour de l’élection, aucune liste, signée par la majorité absolue des membres du Parlement, n’est déposée entre les mains du président du Parlement, il est procédé à des élections séparées des membres du Gouvernement conformément au §3 du présent article.

§ 3. Les présentations des candidatures au Gouvernement doivent être signées par cinq membres au moins du Parlement. Ceux-ci ne peuvent signer qu’une seule présentation à chaque mandat. L’élection a lieu au scrutin secret et à la majorité absolue des membres du Parlement par autant de scrutins séparés qu’il y a de membres à élire. Si, au cours d’un scrutin, aucun candidat ne recueille la majorité absolue au premier vote, il est procédé à un second vote pour départager les deux candidats ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages, après désistement éventuel d’un candidat mieux placé. En cas de parité de suffrages, la préférence est donnée au candidat le plus jeune.

(27) Art. 36.§ 1. Les articles 68, alinéa 1er, 69, 70, 72 et 73 de la loi spéciale sont applicables à la Région de Bruxelles-Capitale. Le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale détermine le statut de ses membres.

(28) Le Parlement peut, à tout moment, adopter une motion de méfiance à l'égard du Gouvernement ou d'un ou de plusieurs de ses membres. Cette motion n'est recevable que si elle présente un successeur au Gouvernement, à un ou à plusieurs de ses membres, selon le cas. Le vote sur la motion ne peut intervenir qu'à l'expiration d'un délai de quarante-huit heures.

(29) L'adoption de la motion emporte la démission du Gouvernement ou du ou des membres contestés ainsi que l'installation du nouvel Exécutif ou du ou des nouveaux membres. Notons que cette démission entraine automatiquement celle de ses fonctions de membre du collège de la COCOF et de membre du collège réuni de la COCOM même si la loi spéciale ne prévoit ni motion de méfiance à l’égard du collège réuni ni question de confiance.