Avec "MANIFESTEMENT" nous sommes "contre" la Démocratie
Le Collectif Manifestement 1 a organisé la seule manifestation importante dans la capitale du pays le 23 janvier dernier. Il y avait (paraît-il), 150 manifestants selon les organisateurs et 149 selon la police. C'était une manifestation contre la démocratie, bienvenue en ces temps où l'on peut qualifier une manifestation de 30.000 personnes comme un sursaut citoyen ! Qui ne fut qu'une manière pour les médias de gigoter et de se faire valoir.
Les médias...
Le JT de la RTBF du lundi 24 chiffrait à 300 les articles concernant cette manifestation parus dans la presse écrite, quasiment dans la dernière semaine.
La Une de certains journaux appelaient encore à y aller le 22 janvier alors que quotidiennement la semaine qui précédait, plusieurs fois par jour, la radio et la télé y firent allusion, certains journalistes se sentant quand même parfois obligés, au moment même où ils matraquaient l'appel implicite à y participer, de dire qu'il ne fallait pas imaginer que c'était cela qu'ils faisaient. Bel aveu. Le Soir qui, comme toujours, se distingue dans le matraquage belgicain, a même réussi à consacrer huit pages à ce non-événement le 24. Les éditorialistes quotidiens de la RTBF peu après 13h. y vont de leurs commentaires. Aucun d'entre eux (ou à peu près), n'expriment un point de vue wallon dans ces billets. Tout est à sens unique comme les incessants rappels qui ont fini par presque dépasser l'engouement médiatique lors de la mort de Baudouin Ier, l'une des plus formidables dérives de la presse belge. Non seulement, les médias ont réellement téléguidé cette manifestation (plutôt que télévisé), mais en plus ils ont eu l'indécence de demander à des spécialistes si le succès de la promenade des fistons de la Belgique de papa était dû à leur propagande, spécialistes qui ne pouvaient que répondre que les médias avaient répondu à une attente objective. Vu qu'ils sont des sociologues de la com...
Pourtant, à voir ce qui s'est passé ces derniers quinze jours, on en viendrait à se demander si la RTBF n'organise pas elle-même non seulement ce genre d' « événement », mais même les inondations en Wallonie tellement cela sert sa vocation à l'information-spectacle. Même les chiffres lancés étaient faux. Alors que les organisateurs s'en sont tenus longtemps à estimer les manifestants à 25.000 et même moins selon certains responsables de terrain 2, on se demande pourquoi le JT de la RTBF a dû gonfler le chiffre de la police (plus de 30.000 selon L'Avenir du 24 janvier), jusqu'à 35.000 voire 50.000. Or il existe des sources qui mettent en cause cette évaluation de la police 3.
En fait (et ce n'est pas nouveau), comme le remarquait dès 1991, Jean-Marc Ferry : « Le but du système médiatique ne consiste pas à donner la parole au public, de sorte que celui-ci devienne acteur véritable de la communication dans un espace entièrement libéré. Il consiste plutôt à se légitimer comme le porte-parole de l'opinion, afin d'être consacré comme son medium quasi naturel, authentiquement représentatif et seul capable d'en assurer la véritable publicité. » (Jean-Marc Ferry, Les puissances de l'expérience, Tome II, Cerf, Paris, 1991, p.56).
Cette revue a annoncé qu'après l'échec de la manifestation belgicaine de mai 2010, il n'y aurait plus de vraie manifestation de ce type. Et c'est vrai notamment par le contenu de la manifestation dont l'interprétation relève de l'indécidable. C'est vrai aussi parce que cette fois, contrairement à ce qui s'était passé pour les quatre précédentes, la propagande effrénée du système médiatique blegicain a en fait ôté toute signification citoyenne à cet « événement » artificiel qu'on a osé rapprocher de la sanglante révolte tunisienne. Et dont a osé demander également la signification à un enfant de cinq ans (JT de la RTBF le 23 au soir). Sorte de pédophilie symbolique.
A chaque fois que la télévision tombe plus bas, on se pose la question de savoir si des limites ne seront pas encore franchies à l'avenir. Jusqu'ici la descente aux enfers de l'insignifiance se poursuit et nous en arriverons donc à quelque chose comme la Chute de Satan qui « depuis quatre mille ans tombait dans l'abîme » (Victor Hugo).
Découvrir le Collectif Manifestement
Mais à quelque chose malheur est bon et on a pu découvrir aussi , à cette occasion le Collectif Manifestement qui se réclame notamment d'Habermas comme nous-mêmes et dont nous voudrions enrichir si cela lui convient les références à sa lutte contre la démocratie dont le premier intertitre ci-dessous donne le sens. 4
Quelques apports de (ou par) la revue TOUDI
1) La démocratie au sens strict est hors du système démocratique
[Quelles sont les conséquences néfastes de l'absolutisme démocratique? C'est une question que se pose Ferry sur la base de l'idée de Volonté générale chez Rousseau qui procède plus d'une production arithmétique de l'opinion que d'une élaboration de celle-ci à travers les discussions...] « L'hypostase d'un sujet collectif de la volonté politique dispensait sans doute la démocratie de retourner au sol originaire de pratiques consensuelles. Mais elle se paie d'un dédoublement idéologique par lequel le système démocratique laisse au monde vécu social la possibilité manquée d'ouvrir un espace de discussion pour une formation authentique de la volonté politique et de l'opinion publique. Jusqu'ici,la volonté politique est mesurée par les résultats électoraux,lors d'élections générales ou partielles; elle n'est à ce titre rien de plus qu'une somme arithmétique de décisions individuelles isolées. Quant à la notion d'opinion publique, elle tend à se confondre avec le concept imposé dans l'expression trompeuse par lesquels les instituts de sondage, forts de statistiques effectuées à partir d'échantillons pris dans la population, désignent des agrégats statiques d'avis privés. C'est l'apparence derrière laquelle la réalité de la volonté politique et de l'opinion publique demeure largement inconnue. Du moins échappe-t-elle aux canalisations que le système démocratique avait prévues pour elle. C'est pourquoi elle se retrouve à l'extérieur du système démocratique stricto sensu. Un autre semble à présent en passe de récupérer pour son compte la perte de puissance : le système médiatique. »(Jean-Marc Ferry, Ibidem, p. 58)
2) La communication « démocratique » tue la communication
Beaucoup de sociologues s'entendent implicitement sur un concept de la communication politique comme ce qui s'établirait seulement à travers sur un concept de la communication politique comme ce qui s'établirait seulement à travers le « système » d'un espace public élargi par les médias et les instituts de sondage. Beaucoup de sociologues n'appellent communication que ce qui justement instrumentalise la communication et le sens. On est ici au cœur de la thèse centrale d'Habermas : le « système » de la communication politique valorise les valeurs consacrées, socialement admises pour susciter des motivations et pour ses besoins propres de légitimation. Cela se voit dans les campagnes électorales. Toutes les valeurs y passent : on les arrache au contexte de leurs traditions vives et on leur fait perdre aussitôt leur apparence « naturelle » Ce travail de la communication politique n'est pas suffisamment ancré dans la communication sociale pour être un vrai procès de communication vraie [...] Et c'est là que Habermas voit une possibilité de destruction du sens. Celle-ci déboucherait soit sur l'anomie, soit sur une situation où il ne resterait que l'exigence purement formelle et théorique liée à l'éthique communicationnelle. Les moyens du discours et de la communication subsisteraient, bien sûr, mais il n'y aurait plus de valeurs concrètement vécues et communiquées. » (Jean-Marc Ferry sur Habermas, in TOUDI, n° 3, 1989, p.16)
4) Qu'est-ce que le monde vécu ?
Dans sa tentative pour fonder l'analyse critique du présent historique, Habermas est amené à désigner deux formes idéales-typiques de socialité propres à l'époque moderne : celle qui s'ordonne en fonction des exigences des systèmes anonymes de pouvoir et de régulation et celle qui se développe au sein d'un monde vécu en voie de rationalisation. Ce second pôle renvoie au fait que, dans l'horizon des pratiques ordinaires et en lien avec l'expérience vécue, se déploient des formes sociales culturelles multiples, de plus en plus souples et inventives. Mais, en raison de la pression exercée par les pouvoirs extérieurs et les régulations froides (appareil bureaucratique et organisationnel, marché capitaliste), cette capacité reste brimée ; et les ressources qui permettraient à la société civile d'apprendre, c'est-à-dire de continuer à expérimenter des formes de liens sociaux à la fois solidaires et créateurs,tendent à s'assécher ; le monde vécu quotidien tend ainsi à se marginaliser. « La disjonction entre système et monde vécu se reflète d'abord au sein des mondes vécus modernes sous la forme de la réification : le système social fait définitivement éclater l'horizon du monde vécu, il se dérobe à la pratique communicationnelle courante .[...] Plus les systèmes sociaux sont complexes, plus les mondes vécus deviennent périphériques. Dans un monde social différencié, le monde vécu se réduit à un sous-système. » (Théorie de l'agir communicationnel Tome II, p. 189). A terme, la marchandisation et la bureaucratisation qui s'immiscent toujours plus profondément dans le tissu de la vie quotidienne menacent de l'asphyxier. Mais ce que Marcuse décrit comme un résultat d'ordre irréversible, Habermas le pense comme une tendance polymorphe vouée à se heurter à de fortes résistances qui s'enracinent dans l'essence même du monde vécu, lequel est en quelque sorte habité par une vitalité et une tendance à l'autonomie irrépressibles. Ces résistances prennent la forme d'innovations culturelles, de mouvements sociaux et de luttes politiques. - Sur un plan strictement philosophique, Habermas fait par ailleurs du monde vécu quotidien le contexte originel de toute expérience de soi, du monde et d'autrui. Il constitue selon lui la source qui continue à irriguer secrètement toutes les sphères différenciées de la vie sociale, le principe de l'unité de l'expérience en général et donc ce qui assure la commensurabilité des manifestations de l'esprit. La philosophie, en ce sens, est d'abord l'explicitation du monde vécu quotidien, origine et point de fuite des différentes formes de la connaissance et de la pratique, terre natale d'une raison qui doit comprendre son ancrage dans l'usage ordinaire du langage. « Une philosophie [...] dont le regard n'est plus fixé sur le système des sciences et qui adopte un point de vue opposé pour se retourner vers cette forêt épaisse qu'est le monde vécu [...] découvre une raison qui opère déjà dans la pratique même de la communication quotidienne [...] : ce qui, à la suite de la désintégration des images du mode métaphysiques et religieuses s'est séparé en fonction de divers aspects de validité [...] ne se rejoint plus et ne se rééquilibre plus que dans le contexte d'expérience qu'est la pratique du monde vécu. » (La pensée post-métaphysique, pp. 59-60).
[Extraits de Le vocabulaire de l'Ecole de Francfort, Ellipses, Paris, 2002, pp. 43-44]
5) Que faire ?
[Habermas refuse la perspective d'Horkheimer pour qui la raison était définitivement viciée car ses promesses d'émancipation se réalisent au prix de mutilations graves de la nature intérieure et extérieure.]
Habermas critique cette conception dans la théorie de l'agir communicationnel. Car, pour lui, dire que la raison c'est la domination, la technique, l'instrumentalisation, c'est une présupposition pure et simple. La raison es autant le domaine du « il », de l'objectivité impersonnelle , que le domaine du « tu ». Ce qu'il faut critiquer, c'est la priorité absolue donnée au « il », priorité qui fait que la raison deviendrait effectivement la domination mais, quant au principe, la raison se déploie aussi dans l'activité communicationnelle, dans l'intersubjectivité. Si Adorno refuse toute militance révolutionnaire, c'est pour éviter de se faire le complice des crimes qu'il croit commis par la raison se déployant dans l'histoire. Habermas refuse cette perspective même s'il est malaisé de voir ce qui constituerait chez lui les canaux politico-juridictionnels par lesquels agir, étant donné ce que sont devenus les partis, les syndicats, la bureaucratie. La question est de savoir comment redonner à l'homme une qualité de citoyen mais aussi, problème qui lui est lié, comment lui restituer une identité. Car l'identité et la citoyenneté sont menacées par la colonisation du « monde vécu » par le « système ». Et il faut se rendre compte que, à travers le concept de citoyenneté, les hommes des Lumières avait vraiment cru en la possibilité pour les société s humaines de devenir maîtresses de leur destin... Le fonctionnement du « système » tel que nous l'avons vu se dérouler, ne signifie pas, pour Habermas, qu'il faudrait faire une croix sur les partis et les syndicats. Ce qu'il faut faire peut-être c'est les asseoir et les ancrer plus profondément dans la société . mais comme les partis et les syndicats se sont coupés des mondes vécus en raison même de leurs pratiques de communication, il faut recréer des réseaux. Il faudrait peut-être reconstruire une infrastructure communicationnelle naturelle à l'intérieur de ces canaux de la représentation que sont les partis et les syndicats. (TOUDI, n° 3, 1989).