Béatrice Delvaux et la Wallonie (nouvelle édition augmentée)

4 mars, 2009

Il y a de quoi se plaindre de la manière dont Béatrice Delvaux présente la question belge en France. On nous critique parce que nous sommes chaque fois choqués si l'on substitue le mot "francophone" au mot "wallon". Mais c'est bien ce qui se passe ici.

Les Wallons sont décrits dans cette séquence (C dans l'air, France 5, 19.09.07) comme ayant dominé la Flandre jusqu'à pratiquement aujourd'hui sans que jamais l'on ne dise un mot des Flamands francophones, aussi présents dans les conseils d'administration que les autres Belges francophones et dominant la vie économique et culturelle du pays à l'instar des Wallons et des Bruxellois de la bourgeoisie. La vie politique aussi comme le montre ce tableau:

 

Périodes et Ministères Flamands Bruxellois Wallons
A. Beernaert  : 26 octobre 1884/ 17 mars 1894 60% 14 % 26 %
J.de Burlet  : 26 mars/1894/25 juin 1896 75 % 9 % 16  %
P.de Smet de Naeye : 26 juin 1896/ 23 janvier 1899 87 % - 13 %
J.Vanden Peereboom : 24 janvier 1899/ 31 juillet 1899 84% - 16 %
P. de Smet de Naeyer : 5 août 1899/ 12 avril 1907 76 % - 24 %
J. de Trooz : 1er mai 1907/ 31 décembre 1907 67 % 11 % 22 %
F.Schollaert : 9 janvier 1908/ 8 juin 1911 57% 22 % 21 %
Ch. de Broqueville : 18 juin 1911/ 4 août 1914 42% 22 % 36 %
Yves Quairiaux, L'image du Flamand en Wallonie, Labor, Bruxelles, 2006, p. 25.

 

Il est assez étonnant que, durant cette période dont parle Béatrice Delvaux, Jules Destrée ait écrit une lettre au roi dénonçant la minorisation des Wallons, que des grèves générales aient traversé le pays wallon de 1885 à 1960 et que, dès 1950,  ces grèves générales aient eu un lien avec ce que déplorait Destrée en 1912 puisque, en 1950, c'est bien la Flandre majoritaire qui imposait ses vues au pays. Il est vrai que Béatrice Delvaux dit finalement qu'il y a une différence entre Wallons et Bruxellois, mais  tout à la fin de son exposé après que les injustices faites aux Flamands aient été longuement attribuées indistinctement à deux sortes de Belges francophones, soit les Bruxellois et les Wallons (mais non les Flamands francophones? Pourquoi?). Des Bruxellois qui ne parlaient pas en majorité le français avant 1940, ce qui était aussi le cas des Wallons (et des Flamands). En quel sens doit-on dire que ces Wallons auraient "refusé" le bilinguisme en 1932? Que se serait-il passé s'ils l'avaient accepté? Surtout : qu'aurait signifié une acceptation du bilinguisme par les Wallons en 1932? Cela n'aurait-il pas surtout signifié que la Flandre serait devenue unilingue française comme Bruxelles l'est devenue (au moins de facto)? Mais cette "acceptation" aurait-elle modifié le comportement des troupes flamandes à la bataille de la Lys en 1940 par exemple (six divisions de ligne se rendirent aux Allemands ou ne les combattirent pas)? Cela aurait-il changé quelque chose à la décision d'Hitler de garder en Allemagne les seuls prisonniers wallons? Il est peut-être difficile de répondre à des questions pareilles, mais elles sont surtout des objections à un exposé de l'histoire de Belgique qui se moque des Wallons (et de l'histoire). Notamment de ces nombreux Wallons qui ne refusèrent pas d'apprendre l'allemand en Allemagne dans des conditions où c'était utile pour eux de le faire, utilité dont on aurait le droit de douter pour ce qui est du néerlandais dans les quartiers populaires de Charleroi ou de Liège en 1932... Dont le bilinguisme (à supposer qu'il ait été réalisable avant la Deuxième guerre mondiale), aurait évité quelle humiliation aux Flamands? On ne nie pas que les Flamands aient été humiliés, mais par qui l'ont-ils été? La belle Béatrice aurait pu le préciser. On est un peu anéanti aussi de la voir importer en France une vision flamingante de l'histoire de Belgique qui va jusqu'à avaliser l'idée que la Flandre aurait pris en charge la Wallonie sur le plan économique depuis un certain temps. Pourquoi les Wallons ont-ils réclamé le fédéralisme économique dès  la grève de l'hiver 1960-1961  sinon pour s'assumer -comme le dit Béatrice Delvaux - avec les instruments politiques adéquats dont ils étaient dépourvus en même temps que des instruments économiques dont disposaient tant la bourgeoisie francophone que  la bourgeoisie flamande ? Mais qui s'est opposé à la transformation de l'Etat belge unitaire en un Etat fédéral à un tel point qu'on peut estimer qu'une véritable autonomie économique n'a été atteinte en Wallonie qu'au milieu des années 90? Depuis quand le journal Le Soir, dont Béatrice Delvaux est la rédactrice en chef, a-t-il encouragé clairement les Wallons à s'assumer à partir de la Wallonie?  Depuis quand l'a-t-il vigoureusement revendiqué avec toute la force de son rayonnement? L'a-t-il seulement jamais proposé avant que le fédéralisme économique - dont on ne peut pas dire qu'il y ait clairement poussé - ne devienne une réalité? Jusqu'à tout récemment, on a plutôt lu dans Le Soir des éditoriaux amers sur le transfert de compétences économiques aux Régions. A travers cette amertume, Le Soir déplorait-il que les Wallons s'assument économiquement? On n'ose le croire malgré la tentation qu'on a de le penser...

Enfin, on peut se poser la question de savoir pourquoi Béatrice Delvaux peut écrire dans Le Soir du 8 novembre 2007 que le vote Wallons et Francophones contre Flamands sur la scission de BHV en Commission de la Chambre est (titre) La mort d'une certaine Belgique. Nous lisons encore à la même date: '' les Flamands ont transgressé un tabou et peuvent avoir pris goût à cet exercice unilatéral de leur pouvoir. Les Francophones eux, ont subi une humiliation sans précédent et vont se vivre en victimes de l'ex-pacte belge.'' Pourtant, ce n'est nullement la première fois qu'un vote Flamands contre Wallons se produit au parlement belge. Cela avait été le cas (et cette fois de manière décisionnelle), sur la question des Fourons en octobre 1962. Cela avait été le cas, bien plus gravement, en mars 1950 et cette fois à travers une consultation populaire sur le retour du roi. Cela avait été le cas en 1938 à propos de la division de l'armée belge en régiments flamands et wallons. Cela avait été le cas le 29 juillet  1921  à la Chambre sur le régime linguistique des administrations dans tout le pays, une majorité flamande imposant  l'unilinguisme en Flandre contre une majorité de députés wallons (52 députés sur 59 députés wallons ayant pris part au vote) [fn] Encyclopédie du mouvement wallon, Tome II,p. 942[/fn].

Remarquons qu'en dramatisant l'incident du 7 novembre 2007, Le Soir n'était pas une exception: tous les médias présentèrent le vote du 7 novembre 2007 comme une première historique!!! Alors que cette soi-disant première et ce soi-disant "tabou" que B.Delvaux considérait comme "violé" le 7/11/2007 a eu non seulement des dizaines de précédents, mais surtout des précédents  bien plus graves. Comment personne ne s'en souvient-il? La question mérite d'être posée (mais nous avons conscience que nous sommes les seuls à poser cette question publiquement), parce que la division du 7 novembre 2007 à la Chambre belge est une situation à ce point récurrente dans l'Etat belge depuis près d'un siècle qu'elle peut être considérée comme en constituant la trame même.

Voyez notamment :

Le chant du coq de Maarten Van Ginderachter (en particulier le paragraphe La création du POB s'inaugure par une dissidence wallonne)

et aussi plus récemment

Un éditorial antidémocratique de Béatrice Delvaux

et La Wallonie et la Première Guerre mondiale + le commentaire

ou encore (mais avec le tableau ci-dessus), plus la phrase du commentaire de "La Première Guerre..." mais aussi un point de vue flamand

 

En sens inverse voyez [#2589]