Critique (II) : Le chant du coq (Maarten Van Ginderachter)

30 août, 2009

Nous poursuivons ici le compte rendu d'un livre très important de Maarten Van Ginderachter, demeuré un peu ignoré en Wallonie, Le chant du coq, Nation et nationalisme en Wallonie depuis 1880, Fondation Dhondt, Gand, 2005...

Il faut maintenant aborder l'ouvrage Le chant du coq sous l'angle historique. Disons tout de suite que la « Brève histoire du Mouvement wallon » (pp. 23-27), déçoit un peu parce qu'elle ne fait que reprendre la façon dont cette histoire s'est quasiment codifiée dans les années 70 et 80 avec cette lourde insistance (que nous ne pouvons reprocher à notre historien flamand), sur le fait que le mouvement wallon était le fait de minorités, voire de « nantis », d'une élite intellectuelle, coupée des masses. Or, on le disait auparavant de tout le mouvement wallon jusqu'au déclenchement du premier conflit mondial. On peut faire à cet égard trois sondages dans la bonne historiographie wallonne : Histoire de la Wallonie, Privat, Toulouse, 1973 (dir. L.Genicot article d'A. Boland)), en 1980, un article de GH Dumont L'identité wallonne et sa prise de conscience in Etudes et expansion, janvier 1980 pp. 27-38 et, en 1993, dans un Courrier du Crisp établi par C.Kesteloot Mouvement wallon et identité nationale. Il y a une assez grande similitude des appréciations. 1

Les progrès (ignorés) du travail de Destatte

Les trois auteurs que je viens de citer voient le mouvement wallon s'organiser en réaction au mouvement flamand même si (A.Boland, 1973) évoque la minorisation de la Wallonie du fait de la suprématie catholique en Flandre (p.338), surtout en 1912 (« La victoire de la droite aux élections de 1912 excita les milieux anticléricaux de Wallonie. »(p.346)). Mais il reste que « les milieux artistiques et intellectuels étaient davantage sensibilisés aux thèmes wallons » (p.347). GH Dumont (1980) insiste sur les origines linguistiques du mouvement. Pour lui, « L'année 1912 marque une date importante dans l'histoire du mouvement wallon. » (p.32), et il insiste aussi sur son aspect anticlérical (« très accusé »), estimant qu'il est boudé par le POB. GH Dumont considère que Destrée étaye sa démarche dans sa fameuse Lettre au Roi d'arguments de nature politique et économique. Pour C.Kesteloot (1993), qui marque quelque distance avec l'interprétation du mouvement wallon comme étant surtout, à partir de 1912, celui de la minorisation politique de la Wallonie, « il s'agit d'un mouvement d'élites intellectuelles, comprenant de nombreux universitaires (avocats, enseignants, journalistes,...) (...) On y rencontre peu d'ouvriers (...) il touche essentiellement ceux pour qui la langue est un instrument de pouvoir. » (p.46). Voilà trois extraits assez significatifs de ce que j'appelle la « codification » de l'histoire du mouvement wallon (ou de la Wallonie ? Je pense que l'on va voir bientôt que l'angle d'attaque - le « mouvement wallon » - est mal choisi).

Destatte avait insisté dans son livre sur le fait que le texte de la Lettre au Roi de 1912 était non pas un coup de tonnerre dans un ciel bleu comme on la présente encore aujourd'hui, mais le révélateur d'un mouvement réellement massif en Wallonie (et ne concernant pas que les gens pour qui la langue est un instrument de pouvoir - qu'est ce que cela veut dire d'ailleurs ?). Avec d'infinies prudences (en 1993, rappelons-le, soit quatre ans avant le livre de Destatte), Chantal Kesteloot pensait encore devoir écrire : « On a pu souvent lire que la revendication de la séparation administrative était la résultante de l'échec électoral du cartel libéral-socialiste. » (Kesteloot, p.47). Je ne sais si le livre de Desttatte a eu l'impact qu'il méritait. J'ai tendance à penser que non parce que la critique du livre qu'en a faite Chantal Kesteloot, malheureusement, notamment sur les événements de 1912-1914 (le retentissement de la Lettre au Roi, sa publication par tous les quotidiens importants de Wallonie si du moins ils ne sont pas catholiques etc.), est absurde. Elle n'en a en effet tiré que la critique suivante: « Pourquoi le mouvement wallon ne s'ancre-t-il pas plus durablement dans le combat ouvrier? [...] le relais du militantisme wallon ne pouvait-il répondre aux élans révolutionnaires de la classe ouvrière? On peut en douter. » 2. C'est une objection d'une absurdité profonde, je regrette de ne pas l'avoir souligné assez à l'époque 3. J'ai été dur vis-à-vis de Chantal Kesteloot, mais je continue à l'être. Comment peut-on écrire, face à quelqu'un qui ne fait que rapporter des faits, que ces faits, s'ils avaient eu l'ampleur qu'on prétend, auraient avoir une répercussion profonde sur le mouvement ouvrier, notamment en sa dimension syndicale et dans les grèves ? Il faut vraiment avoir du culot pour prétendre - que sais-je ? - que la conjonction entre le mouvement wallon tel qu'il s'est produit en 1950 (partiellement), ou plus encore en 1960-1961 (mais là non plus la liaison n'est pas absolue), aurait (si Destatte avait raison), se produire par exemple durant la grève de 1913. Il y a même dans la formulation quelque chose de finalement comique, ce « On peut en douter» . Ce qui veut dire : on ne peut douter que si le mouvement wallon avait cette force supposée par Destatte, il aurait pu transformer la grève de 1913 en grève pour l'autonomie wallonne. C'est un raisonnement étrange pour un historien même si l'on peut admettre (comme Paul Ricoeur l'a écrit), que le propre du travail historique implique des « si » visant à identifier les causes réelles des événements (si telle cause n'avait pas été présente, l'événement ne se serait pas produit). Mais ici, vu le contexte? Etait-ce possible, comme cela , immédiatement? Alors que si les conflits étaient nombreux entre Flamands et Wallons, ils concernaient surtout la forme, le projet à donner au mouvement ouvrier.

... sauf par Yves Quairiaux

Au moins un autre historien a pu comprendre ce que voulait dire Destatte : il s'agit d'Yves Quairiaux, auteur de L'image du Flamand en Wallonie (Labor, Bruxelles, 2006). Aux élections de 1912, il rappelle que de graves tensions s'expriment en Wallonie à cause de l'échec du cartel POB-libéraux au plan belge (et malgré sa réussite au plan wallon). Des grèves s'ébauchent dans le Hainaut, notamment au Borinage, dans le Centre à Haine-Saint-Pierre où un vieil ouvrier harangue les grévistes : « Des ouvriers intelligents ne devraient pas se laisser mener par des bouviers et des vachers flamands. » ( Yves Quairiaux, p.52). Les Conseils provinciaux de Hainaut et de Liège votent l'autonomie des provinces wallonnes. En juin, L'Express, journal libéral liégeois, lance plusieurs campagnes de presse sur la question nationale. A Liège, toujours, d'autres incidents dégénèrent et quatre manifestants sont tués. Claude Renard (La conquête du suffrage universel, cité à la note 413, p.354), estime qu'il n'est plus possible à cette époque, de séparer la revendication du suffrage universel de celle de la séparation administrative exigée par les Wallons. Destrée publie sa fameuse Lettre au roi en juillet, justement dans ce contexte. On est face aux prodromes d'un mouvement nationaliste et séparatiste.

Et c'est d'autant plus frappant que Maarten Van Ginderachter, qui s'est très bien informé de la façon dont on gèle l'histoire de la Wallonie dans la codification belgicaine (mais qui n'en est pas conscient), apporte lui-même de l'eau au moulin de gens comme Destatte ou Quairiaux. Il écrit notamment : « ...les positions antiflamingantes génèrent des doléances wallonnes stricto sensu. Les Wallons sont pratiquement écartés du pouvoir central puisque, entre 1884 et 1902, un seul de leurs représentants participe au gouvernement... » (p. 24) en citant Wils Van Clovis tot Happart. De lange weg van de naties in de Lage Landen, Leuven/appeldoorn, 1992, p. 190. Je reconnais ne pas avoir lu ce livre, mais je travaille sur l'histoire de la Wallonie comme l'on dit « après mes heures » et même si je fais, quand il le faut et quand c'est possible, l'effort de lire ce qu'il faut lire en néerlandais, je n'y arrive pas toujours. Dommage que des gens mieux payés que moi pour ce travail, et plus aptes que moi à lire le néerlandais le négligent. Il n'y a pas de reproches à faire à Destatte et moins encore à Yves Quairiaux qui a reproduit dans son livre le tableau suivant qui me semble assez illustratif :

Périodes et Ministères

Flamands

Bruxellois

Wallons

A. Beernaert : 26 octobre 1884/ 17 mars 1894

60%

14 %

26 %

J.de Burlet : 26 mars/1894/25 juin 1896

75 %

9 %

16 %

P.de Smet de Naeyer : 26 juin 1896/ 23 janvier 1899

87 %

-

13 %

J.Vanden Peereboom : 24 janvier 1899/ 31 juillet 1899

84%

-

16 %

P. de Smet de Naeyer : 5 août 1899/ 12 avril 1907

76 %

-

24 %

J. de Trooz : 1er mai 1907/ 31 décembre 1907

67 %

11 %

22 %

F.Schollaert : 9 janvier 1908/ 8 juin 1911

57%

22 %

21 %

Ch. de Broqueville : 18 juin 1911/ 4 août 1914

42%

22 %

36 %

Les initiatives du mouvement wallon (mais faut-il l'appeler comme cela ?), à l'époque ne sont généralement pas prises au sérieux chez les historiens que je mets en cause parce qu'ils ne nous parlent de la réalité qu'à travers leurs codes belgifiés. Or, elles sont en quelque sorte appropriées à l'état de grave mise en minorité de la Wallonie à l'époque (quelqu'un comme Léopold Genicot d'ailleurs l'avait souligné dans l'histoire de la Wallonie publiée en 1973). Chantal Kesteloot dit dans le même article que nous avons cité que ces situations auraient produire une profonde conscience wallonne. Elle, comme d'autres critiques de Destatte, auraient mieux fait de se poser la question de savoir comment il se faisait qu'eux-mêmes ne prenaient pas en compte la façon dont Philippe Destatte avait contesté, en partant de simples faits vrais, la minimisation absolument courante des réactions wallonnes de 1912-1914. Lier la revendication du suffrage universel à la question wallonne comme Quairiaux et le communiste Claude Renard l'ont souligné, ce n'était certes pas rien du tout. Et cependant, on en revient toujours à la petite élite wallingante coupée des masses. Sans toujours se rendre compte évidemment que les problèmes politiques ne sont jamais perçus, sentis, compris en profondeur par un pourcentage de la population qu'un sociologue comme Pierre Bourdieu évalue à environ 20% d'une population donnée (non pas des esprits supérieurs mais des gens qui s'intéressent à ces questions). Les Wallons sont donc « pratiquement écartés du pouvoir central », selon des historiens flamands. Il aurait fallu, il faudrait que les historiens wallons, en s'inspirant de Destatte et de ses collègues wallons, en tirent les conséquences et cesse de minimiser la gravité de la situation en 1914. Il n'est pourtant pas si rare que l'on continue dans les milieux belgicains à considérer la situation d'alors et les réactions (sans doute trop faibles), de la Wallonie comme relevant du folklore. D'autres historiens (comme Robert Devleeshouwer dans une interview pour La Cité qu'il nous donna en juillet 1980), ou de simples militants wallons ont bien raison de comprendre la suite des événements comme ceci : la Grande guerre, la guerre européenne, la guerre mondiale relativisa considérablement l'ampleur des questions soulevées par la période mise à l'écart presque totale de la Wallonie avant 1914 (ou entre 1884 et 1902). D'autant plus que le suffrage universel devint « pur et simple » après cette guerre et qu'il eut - surtout - comme effet, en brisant la domination du Parti catholique (lui-même dominé par son aile flamande, les Wallons n'y étant quasiment rien, ce sont des Flamands qui l'admettent), de briser aussi le lien entre la cause d'une minorité en voie d'oppression pure et simple et un combat de principe plus général (le SU). L'oppression s'éloignait, la démocratie s'instaurait.

La création du POB s'inaugure par une dissidence wallonne

Maarten Van Ginderachter a lui-même étudié cette question dans Het rode vaderland. De vergeten geschiedenis van de communautaire spanningen in het Belgische socialisme voor WOI, Tielt-Gent, Lannoo-Amsab-ISG, 2005. Il aurait été intéressant que l'Encyclopédie du mouvement wallon signale cet aspect du mouvement wallon avant la Grande guerre et, en tout particulier, les frères Defuisseaux qui s'inscrivent dans cette part relativement méconnue du mouvement wallon. Il nous a semblé (mais seulement sur la base d'une consultation de l'exemplaire partiellement numérisé du livre de M. V. G., et notamment les notes), que les faits suivants n'étaient pas signalés comme le fait Yves Quairiaux. Quoiqu'il en soit, Yves Quairiaux développe toute une analyse à propos de cette dimension du mouvement wallon et nous nous permettrons de le citer longuement (les astérisques de la citation renvoient aux sources d'Y.Quairiaux et nous les signalons dans la note de bas de page qui suit la citation) : « 1885 se signale par l'apparition du parti ouvrier belge. Sa difficile gestation provoque des frustrations en Wallonie industrielle d'où proviennent ses plus gros bataillons. Lors du congrès constitutif d'avril 1885 à Bruxelles, 112 délégués représentant 59 groupes se sont rassemblés, 25 ont leur siège dans la capitale et 13 à Gand. La Wallonie n'y participe que par 10 associations : 2 viennent de Charleroi, 3 du Borinage, 1 seule de Liège et 4 de Verviers. Ce sont des Bruxellois qui ont préparé le Congrès, présidé par l'un des leurs, Louis Bertrand. Sociologiquement, c'est la petite-bourgeoisie artisanale qui domine. Elle ne reflète nullement les réalités sociales de la Wallonie. Un autre fossé se creuse. Les Bruxellois modérés n'excluent pas une alliance avec la bourgeoisie progressiste. Les Flamands conduits par Edouard Anseele (1856-1938), rejettent cette collaboration, tout en prônant le réformisme et la création de syndicats, mutuelles, caisses d'épargne et coopératives. En Wallonie, cette voie organisationnelle ne séduit pas. Le mouvement anarchiste y compte même de nombreux adeptes. Les événements de 1886 vont le montrer. Le marasme économique provoque une grave crise sociale (*). Des troubles éclatent à Liège le 18 mars, lors de la commémoration du quinzième anniversaire de la Commune. Le désordre gagne le Pays noir. Le comble de la violence est atteint le 26 mars, lorsque des émeutiers incendient le château et la verrerie Baudoux à Roux. Les observateurs remarquent la différence de comportement entre la Wallonie et la Flandre, restée étrangère au mouvement. Au Congrès de Damprémy, le 10 avril 1887, l'assemblée se divise sur la stratégie à adopter pour la conquête du suffrage universel. D'un côté , des Wallons, rassemblés autour du leader charismatique Alfred Defuisseaux (1843-1901) (**), prônent la grève générale immédiate. De l'autre côté, les Bruxellois et les Gantois craignent les risques d'une aventure incertaine. Comme l'écrit F.Poty, « Au travers des mots apparaît aussi un antagonisme entre Flamands et Wallons. » (***) Ces dissensions provoquent une scission. Le conseil général ayant exclu A.Defuisseaux, celui-ci décide de créer un nouveau parti vraiment « socialiste et wallon ». Il ne lui semble plus possible d'envisager la coexistence de Flamands et Wallons au sein du POB, dont la direction est accusée de vouloir « asservir la Wallonie » (****). La création du Parti socialiste républicain belge en août 1887, sanctionne cette incompatibilité d'humeur (*****). Les événements de 1886 affecteront durablement la Wallonie ouvrière. Des historiens se poseront même la question : « La Wallonie n'est-elle pas née de la grève ? » (******)4

Pour plus de détails à ce sujet, ainsi, on peut lire aussi L'image de la Flandre dans le mouvement wallon 5 , Socialisme et question nationale 6 , ou encore une Lettre publique de Defuisseaux aux anciens de son parti républicain dissident 7

Les années 30

Il nous a semblé que les quelques lignes que consacre Maarten Van Ginderachter aux années 1920 sont exactes. En revanche, ce qu'il dit des lois linguistiques de 1932 ne nous semblent pas tout à fait pertinent. Il cite Chantal Kesteloot mettant en cause le fait que le « mouvement wallon s'exprime au nom de la Wallonie prise dans sa totalité » et le fait que ce même mouvement wallon « s'exprime au nom de considérations linguistiques qui ne sont en rien limitées au territoire wallon » 8. En fait, il n'y a là aucun paradoxe. Il faut savoir qu'en 1921 une loi fut votée à la Chambre (après être passée aussi par le Sénat) - Flamands contre Wallons - par 75 députés contre 57, le 29 juillet 1921. Sur les 57 députés qui ont rejeté le projet de loi , 52 députés sont des Wallons. Comme l'observe Micheline Libon dans son article de l'Encyclopédie du mouvement wallon, le bilinguisme que prônait la loi en Flandre était également applicable aussi en Wallonie 9. La remarque de C.Keesteloot n'est en rien acceptable. Il est évident, pour tout qui raisonne un peu, que la satisfaction des revendications linguistiques de la Flandre, a été perçue d'emblée comme posant la question de la mise en minorité de la Wallonie. Si, pour reprendre les termes de M. V.G., la Wallonie est écartée de 1884 à 1902 (et sans doute aussi au-delà), du pouvoir national, elle va fatalement ressentir l'adoption du néerlandais en Flandre comme seule langue officielle, comme quelque chose qui va renforcer sa minorisation. C'est bien ainsi que les Wallons l'ont perçu dès ces années-là. Il est évident que la reconnaissance du néerlandais en Flandre, par la population majoritaire en Belgique, une population qui avait déjà pu, via ses représentants, écarter (même temporairement) les Wallons du pouvoir national, était une façon indirecte d'en imposer la connaissance aux Wallons, ce que nous voyons bien aujourd'hui. Certes, la démarche flamande est, sur le plan politique et moral, indiscutablement légitime. Mais la position wallonne de ne pas accepter la minorisation l'est tout autant. Les vrais conflits sont tragiques et opposent des adversaires qui ont chacun « raison ». Même l'Assemblée wallonne considérée comme « modérée » par M.G.V avait ressenti toute la procédure de 1920-1921 comme la révélation de la mise en minorité de la Wallonie et l'avait exprimé. Son secrétaire général Joseph-Maurice Remouchamps proposa dès 1919 que l'on inscrive dans la Constitution belge le principe du « vote bilatéral », principe qui proposait que toute loi votée au Parlement belge obtienne la majorité des voix des parlementaires mais aussi la majorité dans chaque groupe linguistique. La proposition de révision constitutionnelle à ce sujet fut déposée au parlement par JM Remouchamps lui-même. Sophie Jaminon écrit : « Malgré un accueil très favorable des libéraux et des socialistes wallons, ce projet est rejeté par la majorité flamande, preuve s'il en fallait de la nécessité de ce système. » 10.

Il existe vraiment sur ce point un malentendu profond entre Wallons et Flamands mais qui peut être aussi le fait de Wallons ou de Francophones. Ainsi par exemple, nous avons pu lire sous la plume d'un historien flamand à propos de la législation linguistique de l'armée belge, adoptée également par des votes Flamands contre Wallons, que les lois linguistiques ont toujours été votées à une large majorité par la Chambre et que la différence entre votes wallons et flamands atteint rarement plus que 10% , 11. Or le vote flamand en 1921 comme les lois linguistiques de 1962 ont, au contraire, été votées par une majorité de parlementaires flamands contre pratiquement tous les députés wallons. Qu'il s'agisse de Bétarice Delvaux dans Le Soir du 8 novembre 2007, ou du journal de la RTBF le 7 novembre (et ensuite de manière récurrente), pratiquement tous les médias francophones semblent complètement ignorer l'histoire. Ils ont en effet présenté le vote Flamands contre Wallons et francophones à propos de la scission de BHV le 7 novembre 2007 comme La fin d'une certaine Belgique (pour reprendre le titre de l'éditorial de B.Delvaux), soit la fin d'une Belgique où les questions opposant wallons et Flamands se réglaient par des compromis. Alors que nous venons de le voir, en 1921 comme en 1938 et en 1962, il n 'y eut pas de compromis du tout, mais le diktat d'une majorité (au nom sans doute d'une revendication légitime, mais qui n'excuse pas la procédé à notre sens). On a fait valoir qu'avant 2007, les groupes linguistiques à la Chambre et au Sénat n'étaient pas déterminés par la loi et la Constitution comme ils le sont à présent. Mais à notre sens ce n'est pas du tout une réponse à l'objection. On peut s'étonner aussi que M.V.G. ne dise rien des Congrès séparés tenus tant par les socialistes wallons et le communistes wallons en 1938, ni de l'opposition entre Wallons et Flamands à la politique de neutralité, ni de l'attitude des troupes wallonnes et flamandes à la Bataille de la Lys en mai 1940. Or ces divergences furent évoquées au Congrès national wallon de 1950. M.V.G. écrit que la question royale s'ajoute aux conséquences du conflit mondial sur la radicalisation du mouvement wallon (p.26). C'est une manière de s'exprimer, mais il nous semblerait plus opportun de signaler que tous ces faits sont liés entre eux. Et que la grève générale de juillet 1950 l'exprime de manière dramatique. Il dit aussi que le mouvement wallon s'est essoufflé entre 1950 et 1960, pour reprendre vigueur après la grève générale de 1960-1961. C'est bien ce qui est dit généralement.

Mais, si l'on signale le ralliement de Renard (et de la FGTB liégeoise) au mouvement wallon au Congrès national wallon extraordinaire du 26 mars 1950 (ce que ne signale pas M.V.G.), on oublie souvent les autres ralliements dans les rangs syndicaux. Par exemple, e 30 août 1952, le vote du Comité provincial de la FGTB du Hainaut (qui regroupe toutes les régionales de la province), en faveur du confédéralisme. Ce vote de 1952 fut suivi le 29 août 1953 et le 30 août 1953 de votes semblables émis par la Régionale de la FGTB de Charleroi puis par le Congrès des régionales de la FGTB du Hainaut le lendemain... Le 25 septembre 1953, c'était le tour de la régionale de Namur. Nous nous référons ici au livre de Robert Moreau Combat syndical et conscience wallonne qui estime que les dissensions entre syndicalistes flamands et wallons, même si elles n'éclatent pas au grand jour ou, du moins, ne se révèlent qu'à travers des tensions à l'intérieur de l'appareil syndical sont en réalité permanentes et ont comme conséquence un malaise diffus et profond 12. Ce malaise éclata plus publiquement les 6 et 7 juin 1959 lors d'un Congrés séparé des socialistes wallons qui proposa la création d'un Comité d'action wallonne. C'est sur cette lancée que les Régionales wallonnes citées par Robert Moreau ainsi que celles de Verviers votent le 16 décembre 1960 le principe de la grève générale contre la Loi unique, proposition rejetée par les Régionales flamandes et la Régionale de Tournai, la Régionale de Bruxelles s'abstenant. De cette façon, les Wallons étaient également mis en minorité dans le mouvement ouvrier. On oserait ajouter : comme depuis le début.

Après avoir cité les diverses transformations de l'Etat belge dans les décennies qui suivent, M.V.G. fait le constat suivant (datant de 2005, rappelons-le) : « Actuellement, les politiciens wallons rechignent à accepter de nouveaux transferts de compétences vers les régions et les communautés. Ils craignent la pente glissante qui mènerait à la séparation du pays. » (p. 27). C'est sans doute le cas de la majorité des hommes politiques. Mais demeure au sein du groupe PS au Parlement wallon un certain nombre de députés dits régionalistes. On a assisté tout au long de l'année 2008 au réveil de ce régionalisme ponctué par diverses prises de positions comme celles de députés régionaux wallons dont Eliane Tillieux, devenue depuis ministre du gouvernement wallon ainsi que de Christian Marcourt qui l'était et le demeure aujourd'hui 13 La question que pose C.Kesteloot à propos du Mouvement wallon est pertinente . Elle se demande dans la Nieuwe Encyclopedie van de Vlaamse Beweging si, comme le résume M.V.G., « l'institutionnalisation de la lutte menée par le Mouvement wallon, relayée par la Région wallonne ne sonne pas, à terme, le glas de celui-ci » 14. Nous nous demandons depuis toujours si c'est de cette façon que la question doit être posée. Il faudrait plutôt se poser la question de savoir ce qu'est exactement le mouvement wallon. Nous avons signalé l'absence de gens comme les Defuisseaux qui, si l'on suit Yves Quairiaux (dont le livre a été publié après la parution de l'Encyclopédie du mouvement wallon), en font clairement et fortement partie. Et cela bien avant ce qui est dit parfois du renforcement du mouvement wallon en général (entre 1905 et 1914), et ont été des leaders entraînant dans leur sillage des contingents d'ouvriers bien avant 1960-1961. Ce qui ne veut pas dire que les Defuisseaux puisent être comparés (du point de vue de l'importance politique, ni même de leurs intentions), à André Renard. La réponse à la question devrait être sans doute donnée dans le sens de ce que MGV nous dit du nationalisme banal. Fatalement, au fur et à mesure que la Wallonie se construit, le mouvement wallon devient le mouvement même de la Wallonie comme société y compris de ses superstructures étatiques. Il est regrettable qu'on ne lise pas plus en Wallonie des considérations un peu plus théoriques du type de celles que développe Maarten Van Ginderachter. Par ailleurs le constat qu'il pose en 2005: "Actuellement, les politiciens wallons rechignent à accepter de nouveaux transferts de compétences vers les régions et les communautés. Ils craignent la pente glissante qui mènerait à la séparation du pays." (p.27), mériterait d'être nuancé. Nous le faisons ci-dessous.

Post-scriptum : le réveil régionaliste de 2008

Pascal Fenaux a pu écrire dans La Revue Nouvelle que « le mouvement régionaliste wallon est cliniquement mort » 15

Mais le Mouvement du manifeste wallon organisa un rassemblement de « plus de 300 militants » 16 le 29 février 2008 à Namur. La Revue Nouvelle publiait par ailleurs au mois d'avril 2008 un numéro spécial intitulé Wallonie-Bruxelles : au-delà de la Belgique où les différentes options pour ces deux régions étaient étudiées avec, pour l'essentiel, des collaborations de régionalistes wallons et bruxellois 17. Le ministre wallon Jean-Claude Marcourt plaidait le même mois en faveur de la régionalisation de toutes les compétences de la Communauté française 18. Didier Gosuin, homme politique bruxellois du FDF-MR renchérissait en déclarant La Communauté, finissons-en 19 . Le même jour, Rudy Demotte, Ministre-président de la Région wallonne et de la Communauté Wallonie-Bruxelles et Charles Picqué , président de la Région bruxelloise (reconduits à ces deux postes à l'été 2009), plaidaient, eux, pour une Fédération Wallonie-Bruxelles. Le projet était généralement bien accueilli bien qu'interprété selon certains comme un plaidoyer régionaliste mettant en cause la Communauté française, selon d'autres, comme par exemple le directeur du CRISP, comme la maintenant 20. Lors de la démission du Premier Ministre Yves Leterme le 14 juillet 2008, Luc Delfosse estime, en apparence contradictoirement, que « Ce pays, répétons-le, sans se lasser, ne survivra que s'il évolue vers un nouveau modèle : un Etat confédéral mature, composé de trois Régions émancipées : la Flandre, la Wallonie et Bruxelles. » 21 La question du choix entre la priorité à donner aux Régions (Wallonie et Bruxelles) ou à la Communauté ne semble donc résolue ni dans un sens ni dans l'autre mais le régionalisme wallon et bruxellois se réveille dans un contexte d'exacerbation des problèmes communautaires belges. Il y a aussi, de la part d'observateurs des évolutions institutionnelles, la prise en compte de l'étendue des autonomies des entités fédérées.

Comme par exemple Vincent de Coorebyter, Directeur du CRISP : « La Belgique est (...) incontestablement, une fédération : il n'y a aucun doute (...) Cela étant, la fédération belge possède d'ores et déjà des traits confédéraux qui en font un pays atypique, et qui encouragent apparemment certains responsables à réfléchir à des accommodements supplémentaires dans un cadre qui resterait, vaille que vaille, national... 22 Michel Quévit, Professeur à l'UCL renchérit : « Le système institutionnel belge est déjà inscrit dans une dynamique de type confédéral... 23. Il n'empêche que demeure « le refus des partis francophones d'inclure la lettre B [pour Bruxelles Note de JF] ou W [pour Wallonie, note de JF] lors de la reformulation de leurs sigles respectifs, contrairement aux labels nationalistes flamands et d'autre part, la mise au frigidaire d'un projet de Constitution wallonne, en réponse à celle de la Flandre [...]» 24. L'éditorial d'Olivier Mouton dans Le Soir du 27 août 2009 avalise cependant l'idée avancée par le Premier ministre flamand que les entités fédérées ont la priorité sur l'Etat fédéral.

  1. 1. Je reprends en partie, un compte rendu publié sur le livre de Ph. Destatte, L'identité wallonne, IJD, Namur, 1997, en mai 1997dans la revue mensuelle Toudi.
  2. 2. Être ou vouloir être, le difficile cheminement de l'identité wallonne (in Cahiers/Bijdragen, Bruxelles, 1997 n° Nationalisme, pp. 186-187.
  3. 3. Science, appartenance, identité
  4. 4. Yves Quairiaux, L'image du Flamand en Wallonie, Labor, Bruxelles, 2006, pp. 31-32. Les sources d'Y.Q ; sont respectivement : (*) J.Neuville, L'évolution des relations industrielles, I, Bruxelles, 1975, pp. 303-308. La note (**) signale simplement qui fut A.Defuisseaux. (***) F.Poty, Histoire de la démocratie et du mouvement ouvrier au pays de Charleroi, Bruxelles, 1975, p. 97. (****) Au congrès de Dampremy, du fait de leur représentation surévaluée, « ce sont d20.000 ouvriers flamands qui font la loi à 180.000 Wallons ». Les ouvriers de La Louvière n'avaient qu'1 délégué pour 500 ouvriers, contre 6 pour 1000 pour les Gantois. Voir Le Combat, 24 avril

    1887. Sur cet hebdomadaire louviérois fondé par A.Defuisseaux, voir M.Arnould, Répertoire de la presse de l'arrondissement de Soignies (1841-1940), Cahiers 93, CHC, Louvain-Paris, 1982., pp. 84-86. (*****) L'échec de la grève de 1888 lui porte un coup fatal et les dissidents regagnent le giron du POB. Voir J.Puisant Le POB a-t-il failli disparaître en Wallonie ? in Mélanges rené van Santbergen, Cahiers de Clio, décembre 1884, pp. 109-117.(******) M.Bruwier estime que les « troubles sociaux du printemps 1886 ont provoqué des changements profonds. La Wallonie n'est plus la même. » (M.Bruwier in La Wallonie née de la grève ? , Bruxelles, 1990, pp. 117-118.

  5. 5. L'image de la Flandre dans le mouvement wallon
  6. 6. Socialisme et question nationale (où l'on peut voir, trop brièvement, que Marx et Engels avaient bien vu la divergence entre Flamands et Wallons)
  7. 7. Flamands/Wallons, la différence permanente dans le mouvement ouvrier, avec une lettre de Defuisseaux plusieurs années après que le dissidents wallons du POB l'aient rejoint, une preuve de plus des difficultés profondes à cette époque dans le mouvement socialiste.
  8. 8. C.Kestelooot, Mouvement wallon et identité nationale, in Courrier hebdomadaire du CRISP, 1993, n° 1392, pp. 27-28.
  9. 9. Législations linguistiques in Encyclopédie du mouvement wallon, tome II, pp. 942-959,p. 942•
  10. 10. S.Jaminon, article Remouchamps Joseph-Maurice, in Encyclopédie du Mouvement wallon tome III, p. 1376.
  11. 11. Richard Boijen, De taalwetgeving in het Belgische Leger, Musée royal de l'armée, Bruxelles, 1992, p. 316.
  12. 12. Robert Moreau, Combat syndical et conscience wallonne, FAR, EVO, IJD, Liège, Charleroi, Bruxelles, 1984, pp. 97-128.
  13. 13. Voir notamment, Eliane Tillieux, ministre régionaliste. Le Livre blanc pour la Wallonie est signé par l'ancien comme le nouveau secrétaire régional de la FGTB wallonne Livre Blanc pour la Wallonie (*) avec les signatures de Jean-Claude Vandermeeren et Thierry Bodson.
  14. 14. C. Kesteloot Nieuwe Encyclopedie van de Vlaamse Beweging article Waalse Beweging, t. 3 Tielt, 1998 pp. 3635-3651. On peut regretter que dans presque tous ses articles relatifs au mouvement wallon, Chantal Kesteloot utilise sans cesse des mots comme « glas », « étiolement », « déclin », « mort » etc. Cela pose problème, on en conviendra. D'autant plus que si le glas sonnait déjà en 1998, il y a là un cadavre qu'on n'a pas encore enterré...
  15. 15. La Revue Nouvelle, janvier 2008, p. 76
  16. 16. Paul Piret, La Libre Belgique, 1er mars 2008.
  17. 17. Notamment le vif plaidoyer d'un de leur leader, Alain Maskens sous le titre Valoriser les fondements du fédéralisme, ibidem, pp. 56-61
  18. 18. Le Soir du 9/4/2008.
  19. 19. Le Soir, 17 avril 2008
  20. 20. Le Soir du 24 avril 2008
  21. 21. Editorial du journal Le Soir du 15 juillet 2008.
  22. 22. Vincent de Coorebyter, La Belgique (con)fédérale, Le Soir 24 juin 2008.
  23. 23. Michel Quévit Le confédéralisme est une chance pour les Wallons et les Bruxellois, in Le Soir, 19 septembre 2008.
  24. 24. Michel de Coster, Les enjeux des conflits linguistiques, Éd. L'Harmattan, Paris, 2007, p. 127.