Bilinguisme canadien : une fiction et un drame pour la francophonie

Toudi mensuel n°51, novembre-décembre 2002

Le Canada: une fédération et non une Confédération

Pour comprendre la dynamique de la Francophonie canadienne, il faut la situer dans un contexte historique. C'est à la demande de politiciens du Canada-Uni (qui deviendra le Québec et l'Ontario), du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, que la Grande-Bretagne a adopté une loi pour former la fédération canadienne en 1867.

Des gens, les uns ignorants et les autres jouant sur les mots, ont improprement appelé ce nouveau dominion «Confédération», alors que ce n'en était pas une du tout! Au Québec, on interprétait cela comme un pacte entre deux nations fondatrices soit la francophone majoritaire au Québec et l'anglophone majoritaire hors Québec. Le Canada d'aujourd'hui comprend le hors Québec et ses neuf provinces majoritairement anglophones ... et le Québec.

Le «Pacte» créant le Canada de 1867, il faut le noter, prévoyait la protection des droits de la minorité anglo-québécoise mais pas ceux des Francophones hors Québec. Peu de temps après, dans les provinces anglophones, au cours des ans, de nombreuses lois furent adoptées contre le français et particulièrement contre l'enseignement en français. Les conséquences s'en font sentir très fortement encore aujourd'hui.

Or, vers 1960, un fort mouvement se créa au Québec par lequel les Francophones du Québec commencèrent à s'identifier dorénavant comme des Québécois et non comme des «Canadiens français». Voyant le malaise de la Francophonie au Canada, et particulièrement au Québec, le Premier Ministre fédéral Lester B. Pearson créa, en 1963, une Commission royale fédérale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme en lui donnant le mandat suivant: «Recommander les mesures à prendre pour que la Confdération canadienne se développe d'après les principes de l'égalité.»

La loi des langues officielles ou loi du bilinguisme

En 1968, arrive un nouveau Premier Ministre canadien en provenance du Québec: Pierre Elliott Trudeau, un anti-nationaliste québécois et même anti- «Canadien français ». Il fait adopter par le Canada, en 1969, une loi des langues: il y aura deux langues officielles au Canada. Le Canada sera bilingue, disait-il! Puis, en 1971, le même gouvernement fait adopter une loi sur le multiculturalisme et non pas sur le biculturalisme. Ce faisant, était rayé de la carte ce principe (enjeu fondamental), «d'égalité entre deux peuples fondateurs» et de «biculturalisme».

Roméo Paquette du Conseil de Vie française en Amérique (CVFA) a très bien décrit le rôle néfaste de Trudeau et des siens, dans la revue France Contact Volume 5 , No 4, Décembre 1997: «Cet enjeu, c'est un gouvernement Fédéral dominé par des Québécois, au tournant des années 70, qui l'a définitivement enterré. Obnubilés par des préjugés anti-nationalistes, ils ont condamné la notion de peuples-fondateurs, inventé le multiculturalisme et le bilinguisme, comme si un pays pouvait se morceler en enclaves culturelles et véhiculer deux langues sans en préciser les bases communautaires

Comment valoriser une langue sans lui donner des assises communautaires? Il aurait fallu accorder aux Francophones hors Québec les mêmes droits et services qu'aux Anglo-Québécois et reconnaître le Québec comme société distincte avec droits et pouvoirs ad hoc.

Or, hors Québec, les droits des Francophones sont reconnus sur une base individuelle soit «là où cela se justifie». Les Francophones hors Québec s'identifient maintenant autour de leur entité provinciale (Franco-Ontariens, Franco-Manitobains....etc). Le Canada n'a pas fait du français une valeur nationale. Il en a fait un droit individuel. «Là où le nombre» le justifie, notre culture a droit à une assistance du gouvernement, des formulaires traduits, etc..

Et le comble de tout, en 1982, les neuf provinces anglophones et le gouvernement fédéral modifiaient unilatéralement la Constitution canadienne reléguant le Québec au rang de simple province sur dix provinces. Constitution que le Québec n'a jamais signée!

Plus de 30 ans après l'adoption de la Loi des langues officielles (devant faire du Canada un pays bilingue) et de celle du multiculturalisme, qu'en est-il?

Le Canada n'a jamais été bilingue

- En 2002, les Anglo-Québécois ont toujours des services mur à mur d'éducation, de santé, de services sociaux. Comme les Francophones hors Québec n'ont pas eu, et n'ont pas encore, les mêmes services que les Anglo-Québécois, ils doivent s'assimiler à tour-de-bras parce qu'ils n'ont pas d'environnement favorable faute d'institutions et de services dans leur langue.

- Les données des recensements canadiens, de 5 ans en 5 ans, prouvent, hors de tout doute, que le bilinguisme est une fiction étrangère au fonctionnement du Canada hors Québec. En 1996, seulement 7% des Anglophones hors Québec étaient bilingues et seulement 9% à Ottawa même (la capitale du Canada). Les bilingues au Canada sont les Francophones et les Québécois. Et se faire servir en français, hors Québec, c'est tout un exploit!

À la suite de la parution des données du recensement de 1996, des démographes ont parlé de: «La disparition tendancielle ou l'extinction intergénérationnelle» (http://www.imperatif-francais.org/archives/recens.html)

À titre d'exemple, les Anglo-Québécois (population de 750 000 environ), ont trois universités, pendant que les Franco-Ontariens(naguère au nombre de 500 000, dont le nombre dépassait à peine le 300 000 au dernier recensement en vertu de l'assimilation), crient encore pour en avoir une ! Et c'est ainsi à tous les niveaux de services hors Québec. Avec une exception pour la partie acadienne du Nouveau Brunswick.

- À la veille du VIIIe Sommet de la Francophonie et des Jeux de la Francophonie (événements tous deux tenus au Canada), le mouvement Impératif français lançait un cri d'alarme: «Le Canada l'admet officiellement, le français est en péril au Canda Canad». http://www.imperatif-francais.org/articles/sommet.html, http://www.imperatif-francais.org/articles/peril.html

- Les provinces de l'Alberta et de la Saskatchewan sont officiellement unilingues anglaises depuis 1988. La Fédération des Francophones de Saskatoon: «L'ethnocide de la Francophonie minoritaire s'est toujours perpétué par les gouvernements provinciaux.» http://www.imperatif-francais.org/archives/saskatoon.html

"Dix ans de l'infâme Loi 2 en Saskatchewan" selon le Président de l'Association des francophones de Saskatoon.

Ernest Bourgault, qui fut longtemps très impliqué dans la Francophonie hors Québec, écrivait : «Le Grand nettoyage Canadien ... L'Acte de décès du français est ainsi gravé dans la pierre (tombale) à des dizaines de milliers d'exemplaires... Le Canada est l'auteur d'une des plus vastes opérations de nettoyage culturel des temps modernes.», http://www.imperatif-francais.org/archives/nettoyage.html

D'autre part, feu le sénateur (au parlement d'Ottawa), Jean-Maurice Simard écrivait: «La purification ethnique au Canada anglais est une forme de nettoyage, ("cleansing") culturelle.» juin 1999-http://www.ottawacitizen.com/national/990610/2706109.html

- Dans son livre Sortie de secours (février 2001), Jean-François Lisée présente une étude fort bien documentée, à partir des recensements de 1961 à 1996. Il parle des conséquences politiques de l'échec du bilinguisme et des politiques trudeauistes. Il parle «d'un État d'implosion appréhendée». Il écrit: «Après plus d'un quart de siècle de trudeauisme, le caractère francophone du Canada est en régression.....malgré l'instauration de droits formels pour les francophones depuis 25 ans, Le pays est moins bilingue qu'avant l'élection de Pierre Trudeau [en 1068 note de PG.].»

Et Lisée poursuit: « Hors Québec, trois fois plus de gens parlent à la maison une langue minoritaire autre que le Français. En Ontario et au Manitoba, cinq fois plus. En Saskatchewan, sept fois plus. En Colombie-Britannique, 32 fois plus. Selon les démographes, le recensement de 2001, (dont les données devraient être officielles bientôt), confirmera la tendance observée en 1996 et démontrera qu'à l'extérieur du Québec, y compris en Ontario, un plus grand nombre de citoyens parlent le chinois à la maison que le Français. Autrement dit, la principale minorité hors Québec ne sera plus les francophones, mais les sinophones...»

- Dans les faits, le Français est une langue locale et marginale au Canada. De plus, la seule province où le bilinguisme institutionnalisé se trouve être une réalité et où on peut obtenir des services dans la langue de la minorité... eh bien! c'est le Québec où la langue officielle est le français. Au recensement de 1996, le Québec comptait 62% d'Anglophones bilingues, 34% de Francophones bilingues et 45% d'allophones bilingues. Donc près de 50% de la population québécoise.

- Le bilinguisme est tellement peu une réalité hors Québec que les Francophones doivent s'assimiler à un taux effarant justement parce que le Canada n'est pas bilingue. Au recensement de 1996, on a dénombré un taux d'assimilation de 36% des Francophones hors Québec. Soit 43% en Nouvelle Écosse, 39% en Ontario, 8% au Nouveau-Brunswick, 53% au Manitoba, 71% en Saskatchewan, 68% en Alberta et 71% en Colombie Britannique 71%. Source: volume Francophones minoritaires au Canada, J.Y.Thériault (1999) professeur à l'université d'Ottawa .

- Très récemment le ministre canadien responsable des langues officielles implorait les provinces anglaises d'être plus ouvertes au bilinguisme. Immédiatement, le Premier Ministre de la Saskatchewan et le chef de l'Opposition Officielle à Ottawa, Stephen Harper (dont les députés proviennent tous de l'ouest canadien), lui ont répondu niet! Et cela en 2002, soit 33 ans après l'adoption de la loi des langues officielles! Alors....tirez-en vous-mêmes les conclusions!

- Quant au Québec, sa Charte (loi 101), de la langue Française (laquelle notamment oblige la majorité des immigrants à envoyer leurs enfants à l'école française aux niveaux élémentaire et secondaire), est subordonnée à la Charte des droits individuels fédérale. Des pans entiers de la loi 101 ont été charcutés. L'attrait de l'anglais est très fort pour les immigrants. C'est ainsi que 57% des étudiants néo-québécois se dirigent vers des institutions anglophones au niveau collégial.

Conclusion

Le Canada n'a jamais été un pays bilingue et le sera de moins en moins. Je cite ici Marc Labelle, un ex Franco-Ontarien: « La Loi des langues officielles, dont un des objectifs fut d'arrêter la disparition des Francophones hors Québec, s'est avérée lamentablement inefficace. En revanche, elle procure une façade bilingue au fédéral qui le fait apparaître comme le sauveur des communautés françaises hors Québec, lui qui a fait la guerre avec son armée et sa police montée aux Francophones de l'Ouest et "légalement assassiné" leur chef Louis Riel à la fin du siècle dernier afin de faire place nette àl'occupation anglo-saxonne...» "http://www.imperatif-francais.org/archives/colonial2.html" µhttp://www.imperatif-francais.org/archives/colonial2.html

Et le professeur Denis Monière ajoute: «On fait ainsi l'impasse sur toutes les luttes de résistance qu'a imposées le système colonial britannique à la population française et on fait passer comme vertus du fédéralisme les compromis arrachés après d'âpres batailles juridiques et politiques. Notre survivance est réinterprétée et récupérée comme symbole de magnanimité et de tolérance de la société canadienne.»

J'ose espérer que cela aidera nos amis Wallons à mieux comprendre la dynamique anglicisante canadienne que l'on camoufle sous l'appellation de bilinguisme... à sens unique !