Ce qu'est une revue (selon Régis Debray)
La revue n'appartient pas à l'univers des mass medias : tout en étant mise sur le marché, ce n'est pas une marchandise. Ferait-elle par miracle des bénéfices (il est de l'essence de la revue d'être déficitaire, mais un accident n'est jamais exclu), serait-elle criblée de coupons à découper, cadeaux-surprises et quadrichromies, qu'elle resterait par essence l'opposé du magazine (...) Elle cherche l'influence et non l'audience, la cohérence et non l'éclectisme. La vérité (sa vérité) et non l'aménité. Elle se meut dans la qualité et non le volume ne recevant d'ordre que des valeurs qu'elle s'est choisies et non des faits qui l'investissent. L'opposition n'est donc pas dans la périodicité, mais l'élément. La revue prospecte, le magazine exploite. Ce qui veut dire que l'intendance suit éventuellement la première et précède nécessairement le second. Qu'une revue est l'affaire d'un homme ou d'une communauté, et un magazine une affaire tout court. L'apostolat de la revue exige des volontaires, l'entreprise d'un magazine, des fichiers et un mailing avant toute chose. La revue œuvre en différé - vers l'avant, le magazine opère en direct - donc vers l'arrière. Dire que la première est affaire de durée et que le deuxième réagit à l'instant, c'est dire que l'une s'oblige à l'authentique (ce qui résiste à la vérification et à l'épreuve du temps), et l'autre à l'idéologie (la présence de l'illusion tenant à l'illusion du présent).
Régis Debray, Le pouvoir intellectuel en France.