Comprendre la régionalisation de la fiscalité

27 octobre, 2010
Economie

L'impôt régional sur les revenus. A propos de la note de M. De Wever du 17 octobre 2010 et des réactions du PS et du SPa

I. Rétroactes

1.Le processus de formation du gouvernement, entamé après les élections du 13 juin 2010 par la désignation de M. Bart De Wever en qualité d’informateur, a connu de nombreux rebondissements depuis : nomination de M. Elio Di Rupo en qualité de pré-formateur, désignation de MM. André Flahaut et Danny Pieters comme médiateurs, mission de clarification confiée à M. De Wever. Puis celle de conciliation à J. Vande Lanotte

Si la majeure partie de ces négociations s’est déroulée sous le sceau du secret, certaines informations ont cependant filtré, à l’une ou l’autre reprise, vers le grand public. On a ainsi appris durant la phase de préformation que les sept partis autour de la table étaient prêts à accroître et approfondir les compétences des régions et communautés, en leur transférant de nouvelles prérogatives appartenant jusque-là à l’Etat fédéral. Les matières concernées formaient un ensemble hétéroclite, englobant des choses aussi diverses que les allocations familiales, certains aspects de la politique de l’emploi, certains aspects de la politique des soins de santés ou encore certains aspects de la politique de justice.

2. Le climat des négociations, qui était relativement serein, s’est détérioré lorsque M. De Wever a souhaité élargir la discussion aux modes de financement des entités fédérées et, plus spécialement, a demandé que la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des communautés et des régions soit révisée en profondeur. Il semble qu’en agissant ainsi, le président de la N-VA soit revenu sur les termes d’un accord conclu précédemment avec M. Di Rupo. Quoi qu’il en soit, depuis cette demande, les relations entre partenaires de négociation se sont fortement dégradées. Certes, dans un premier temps, les négociateurs sont parvenus à s’accorder sur douze principes qui devraient gouverner la réforme de la loi de financement. Très vite cependant, le parti de M. De Wever a été échaudé par des propos, réels ou non, prêtés aux partenaires francophones et qui lui ont fait craindre un encommissionnement de ces questions délicates. Une tentative du préformateur, M. Di Rupo, de conclure un accord pour une réforme de l’Etat sur base des avancées constatées jusqu’alors, renvoyant à plus tard les questions relatives à la révision de la loi de financement, a buté sur le refus de la N-VA, soutenue sur ce point par son ancien partenaire de cartel, le CD&V.

Une crise s’est alors ouverte, marquée par la désignation d’un duo de médiateurs, le président socialiste de la Chambre des représentants et le président nationaliste flamand du Sénat. En réalité, la mission de ces derniers n’aura servi qu’à entériner la convocation, par les présidents des partis engagés dans la négociation, d’un groupe d’experts (intitulés fort modestement « de haut niveau »), censé concilier les divers points de vue quant à l’application des douzes principes devant gouverner la réforme de la loi de financement.

3. Le rapport de ce groupe n’a cependant pas répondu à l’objectif assigné, puisqu’il s’est borné à énumérer les différences de perception entre les partenaires. En substance, un clivage communautaire divise flamands et francophones, les premiers souhaitant doter les régions d’une compétence fiscale propre, leur permettant de définir et éventuellement collecter l’impôt des personnes physiques, tandis que les seconds préférent limiter les pouvoirs des régions en la matière et organiser leur financement par des dotations attribuées par l’Etat fédéral.

Le rapport du groupe d'experts est, pour l'observateur extérieur, l'indice de ce que la réforme de la loi de financement constitue la pierre d'achoppement de ces négociations. Tant qu'il s'agissait de transférer de nouvelles compétences aux entités fédérées, il était manifestement possible de trouver un terrain d'entente entre les partenaires de négociation. Même le problème de la scission de l'arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvoorde ne constituait au final qu'un problème périphérique, nullement insurmontable. Par contre, dès lors qu'il s'agit de toucher aux mécanismes de financement des entités fédérées, spécialement en dotant celles-ci de prérogatives fiscales en matière d'impôts sur les revenus, on se trouve confronté à un blocage, découlant des visions radicalement différentes des uns et des autres.

Face à ce blocage, le parti de M. De Wever a décidé, le 4 octobre 2010, de mettre un terme à la négociation. Les médiateurs, MM. Flahaut et Pieters, ont été déchargés par le Roi de leur mission et, après consultation des partis engagés dans la négociation, celui-ci a finalement nommé M. De Wever « clarificateur ». Sa mission : rapprocher les points de vue.

Pour arriver à cette fin, M. De Wever a pris l’initiative de rédiger une note d’une cinquantaine de pages, qu’il a présentée comme l’ébauche d’un accord de réforme institutionnelle. Ce texte rendu public le 17 octobre 2010, détaille les transferts de compétences envisagés par les parties et consacre de longs développements à la réforme de la loi de financement. Il a été accueilli fraîchement – c’est un euphémisme – par les partis politiques francophones. Ceux-ci, outre le reproche fait au clarificateur d’avoir rompu avec les codes traditionnels de la négociation en excédant les limites de la mission qui lui avait été confiée (laquelle n'incluait semble-t-il pas la rédaction d'une note de compromis), ont fait grief au clarificateur d’être partial, unilatéral, voire même provocateur. A ces arguments s’est ajouté par la suite le reproche fait à M. De Wever de vouloir appauvrir Bruxelles et la Wallonie, dès lors que les modifications proposées à la loi de financement vont les priver des ressources nécessaires à leur fonctionnement.

4. Ce genre de propos n’est pas nouveau. A plusieurs reprises, au cours du processus de formation, de telles affirmations ont été tenues par les responsables politiques francophones, toutes formations confondues. Les critiques relatives à la note de M. De Wever présentent cependant une différence fondamentale par rapport à ces reproches antérieurs : ils ont cette fois été formulés dans un document écrit, reprenant un argumentaire chiffré. Dans la mesure où la note de M. De Wever a elle aussi été largement diffusée, il est donc possible, pour la première fois depuis le début de la négociation, de dépasser le stade des slogans et de se forger personnellement une opinion en confrontant les affirmations et les chiffres des uns et des autres.

II. Esquisse des mécanismes actuels de financement

5. Le financement des Communautés flamandes et françaises, ainsi que celui des trois Régions, est régi par la loi spéciale du 16 janvier 1989. Une législation spécifique existe pour la Communauté germanophone (loi du 31 décembre 1983). Les mécanismes de financement diffèrent selon que l'on a affaire à une communauté ou une région.

1. Les communautés

6. Les Communautés sont exclusivement financées par le biais de dotations. On désigne par-là des sommes prélevées par l'Etat fédéral sur les recettes fiscales qu'il perçoit et qu'il met à disposition des entités fédérées. Ces dotations sont de trois ordres. Il y a, tout d'abord, une première dotation, qui est prélevée sur le produit de l'impôt des personnes physiques. Les Communautés reçoivent également une partie du produit de la taxe sur la valeur ajoutée. Il faut noter que, par le passé, les Communautés avaient également une compétence fiscale particulière, qui leur permettait de percevoir la redevance radio et télévision. Cette taxe a été transférée aux Régions et, depuis lors, les Communautés reçoivent une dotation compensatoire.

Ces dotations sont réparties entre les Communautés en fonction de critères variables : la dotation compensatoire de la redevance radio et télévision est partagée en fonction de la répartition géographique des appareils concernés lors du transfert de cette taxe aux régions; la dotation prélevée sur le produit de la taxe sur la valeur ajoutée est répartie en fonction du nombre d'élèves (les élèves de  plus de 6 ans et de moins de 18 ans exclusivement, et il ne faut pas publier qu'en raison des redoublemets nombreux en Communauté française, il y a un nombre assez important d'élèves de plus de 18 ans) et la dotation provenant des recettes de l'impôt des personnes physiques est partagé en fonction de la distribution géographique de ces recettes.

On reproduit ici le montant de ces diverses dotations, telles qu'elles figurent dans la note du clarificateur. Il s'agit des chiffres définitifs de l'année 2008, fixés lors du contrôle budgétaire du 30 janvier 2009.

 

Communauté flamande Communauté française
Partie attribuée de la TVA 6.520.261,282 4.936.507,018

Moyens supplémentaires de refinancement

1.012.752,599

612.114,852

Partie attribuée IPP

3.770.101,989

2.008.286,353


Compensation redevance radio télévision

527.799,676

292.730,194

Total

11.830.915,546

7.849.638,417


 

2. Les Régions

7. Contrairement aux Communautés, qui n'ont pas de compétences fiscales propres, les trois Régions disposent du droit de lever l'impôt. Ce droit est cependant limité à certaines catégories d'impôts indirects, c'est-à-dire des taxes qui frappent des opérations isolées, autres que la perception des revenus. Il s'agit, notamment, du précompte immobilier, des droits d'enregistrement sur les actes notariés par lesquels la propriété d'un immeuble est transférée, ou encore de la taxe de circulation. On ne cite là que les exemples les plus frappants.

8. Outre ces prérogatives fiscales propres, les Régions reçoivent également, à l'instar des communautés, une dotation prélevée par l'Etat fédéral sur le produit de l'impôt des personnes physiques. De manière schématique, cette dotation est calculée et répartie de la manière suivante :

- la dotation n'est pas un pourcentage des recettes de l'Etat belge, mais est calculée par référence à un montant donné, qui été fixé en 1989, globalement, pour les trois Régions;

- ce montant global est adapté à l'évolution de la situation économique, en fonction de l'évolution de divers paramètres (croissance du PIB, inflation, évolution des taux d'intérêt). A ce stade du calcul, il faut évoquer un phénomène particulier : lorsque le PIB augmente, le produit de l'impôt des personnes physiques va augmenter, de même que le montant de la dotation aux Régions. Cependant, le produit de l'impôt des personnes physiques augmente plus vite que le montant de la dotation. En langage technique, on décrit cette situation par référence au concept d'élasticité au PIB : celle de l'impôt étant supérieure à celle de la dotation, il augmentera plus vite en cas de croissance du PIB. Inversement, en cas de récession, l'Etat fédéral verra ses recettes diminuer plus vite que la dotation aux régions.

- une fois fixé le montant global à partager, il faut encore déterminer la clé de répartition entre les Régions. Cette clé est fonction de la contribution de chaque Région au produit total de l'impôt des personnes physiques. Pour calculer cette contribution, on a égard au domicile du contribuable; on détermine donc la part d'une Région dans le produit total de l'impôt des personnes physiques en tenant compte des sommes payées par l'ensemble des personnes domiciliées dans cette région.

La clé de répartition est relativement stable dans le temps :

 

Région flamande

Région bruxelloise Région de Bruxelles-capitale
2001 62,64 % 28,41 % 8,95 %
2002 62,94 % 28,16 % 8,91 %
2003 63,02 % 28,18 % 8,80 %
2004 63,09 % 28,26 % 8,65 %
2005 63,37 % 28,08 % 8,55 %
2006 63,30 % 28,26 % 8,44 %
2007 63,27 % 28,32 % 8,41 %
2008 63,30 % 28,27 % 8,43%%

Source : Statbel et calculs personnels,  http://statbel.fgov.be/fr/binaries/fisc1993_2007_fr_tcm326-33413.xls

9.Outre la dotation générale, les Régions reçoivent également des dotations spécifiques pour des matières particulières (essentiellement liées à l'agriculture, au commerce extérieur et aux pouvoirs locaux). Ces dotations sont fixées par référence à un montant fixe et ne sont donc pas réparties en fonction de la contribution des Régions au produit de l'impôt des personnes physiques.

10. Les sommes versées aux Régions sont amputées de ce que l'on appelle le "terme négatif". De quoi s'agit-il ? Pour faire simple, on peut considérer que le "terme négatif" est la conséquence d'un marchandage budgétaire décidé en 2001. A cette date, les impôts régionaux (cf. point 7) ont en effet été étendus; de ce fait, une série de taxes jusque-là destinées à l'Etat fédéral sont tombées dans l'escarcelle des Régions. Pour que l'opération soit neutre sur le plan budgétaire, il a donc été prévu de réduire la dotation des Régions d'une somme plus ou moins équivalente: le "terme négatif".

11. Enfin, sous certaines conditions, les Régions peuvent bénéficier du versement d'une somme complémentaire : l'intervention de solidarité nationale. Celle-ci est payée aux Régions "dont le produit moyen de l'impôt des personnes physiques par habitant est inférieur au produit moyen de l'impôt des personnes physiques par habitant pour l'ensemble du Royaume".

12. En définitive, l'application des règles que nous venons d'esquisser de manière très sommaire aboutit à répartir les sommes suivantes (chiffres définitifs de l'année 2008, tels que fixés lors du contrôle budgétaire du 30 janvier 2009) :

 

Région flamande

Région wallonne

Région de Bruxelles-capitale


Partie attribuée IPP

8.136.051,936

3.640.467,032

1.080.794,772

Moyens supplémentaires

135.009,272

88.430,288


3.515,911

Terme négatif

-2.630.876,65

- 1.110.821,50

-509.601,37

Intervention solidarité nationale

800.280,89

257.935,774

Total

5.640.184,551

3.418.356,714

832.645,083

en miliers d'euros. Source: SFP Finances, reproduit dans la note du clarificateur.

 

III. La proposition du clarificateur

1. Suppression des dotations prélevées sur le produit de l'impôt des personnes physiques

13. La proposition de compromis élaborée par M. De Wever repose sur un principe simple : remplacer par un impôt régional les dotations des Communautés et des Régions prélevées par l'Etat fédéral sur le produit de l'impôt des personnes physiques. Le principe de l'impôt régional n'est pas neuf : on a vu plus haut que certaines taxes indirectes sont des taxes régionales. Ce qui est différent dans la proposition du clarificateur est que, pour la première fois, les Régions auraient compétences pour fixer les conditions d'un impôt direct, c'est-à-dire un impôt qui porte sur les revenus des contribuables.

On notera que, dans le système proposé par le clarificateur, les Communautés continuent de percevoir de l'Etat fédéral la dotation prélevée sur le produit de la T.V.A. La dotation prélevée sur le produit de l'impôt des personnes physiques est quant à elle supprimée et remplacée par une dotation des Régions aux Communautés. Le clarificateur, dans sa note, propose de fixer cette dotation à 40 % du montant de l'impôt régional.

2. Impôt régional sur les revenus

14. Selon la note, le système de taxation envisagé est celui du "split rate". Cet anglicisme désigne un mécanisme où un même revenu est soumis à deux impôts concurrents. Pour expliciter le propos, prenons un exemple. Imaginons un habitant de la Région wallonne qui ne perçoit que des revenus professionnels, d'un montant que nous supposerons égal à 35.000 euros.

A l'heure actuelle, cette personne paie un impôt unique, l'impôt des personnes physiques. Celui-ci est calculé par les services du S.P.F. Finances en fonction des règles qui sont établies par le Parlement fédéral, en l'occurrence le Code des impôts sur les revenus 1992. Ce Code détermine le revenu imposable, définit une série de dépenses déductibles de ce revenu (pensions alimentaires, libéralités, titres-services, etc.) et fixe le montant de l'impôt (par tranches de revenus, tarif variant de 25 à 50 %).

A l'avenir, le Parlement fédéral, en concertation ou non avec les régions, continuera à fixer les règles qui déterminent les revenus imposables de cette personne. Ensuite, tant l'Etat fédéral que la Région wallonne détermineront une série de dépenses déductibles, pour le calcul de leur impôt propre. Ils fixeront également, chacun de leur côté, le tarif de leur impôt. Ces deux impôts seront récoltés, dans un premier temps, par le S.P.F. Finances; par la suite, il est possible que les Régions organisent elles-mêmes la collecte (comme elles se préparent actuellement à collecter certains impôts régionaux indirects).

Il est évident que, dans un tel système, le tarif de l'impôt fédéral sera revu à la baisse : il n'est pas question de rajouter à la fiscalité existante un nouvel impôt régional. Ce qui est en vue, c'est le remplacement d'une partie de l'impôt fédéral par un impôt régional.

Pour reprendre notre exemple, notre contribuable wallon paie aujourd'hui 11.000 euros d'impôt fédéral. Sur ces 11.000 euros, l'Etat prélève 5.000 euros qu'il attribue à la Région wallonne et à la Communauté française. A l'avenir, via le "split rate", le contribuable paiera 6.000 euros à l'Etat fédéral et 5.000 euros à la Région wallonne.

15. Le système proposé par le clarificateur est délicat à mettre en oeuvre. Il faut en effet réaliser plusieurs ajustements fins :

- il faut calibrer le nouvel impôt régional pour que celui-ci corresponde aux montants des dotations qu'il doit remplacer;

- il faut calibrer la réduction de la fiscalité fédérale pour que celle-ci corresponde au nouvel impôt régional.

Ce double impératif implique, à notre avis, que l'impôt régional soit nécessairement un impôt proportionnel.

16. Pourquoi l'impôt régional ne peut-il pas être un impôt progressif ? Tout simplement parce que l'application dans chacune des régions d'une même grille tarifaire progressive ne permettrait pas d'obtenir partout un rendement identique. En effet, dans la mesure où les revenus taxables ne sont pas structurés de la même manière en Wallonie, en Flandre et à Bruxelles, l'application d'une même grille tarifaire aboutirait à des résultats différents..

Ce phénomène peut facilement être démontré. Il suffit de comparer le produit de l'actuel impôt fédéral dans chacune des régions du pays, au regard des revenus nets imposables dans ces mêmes régions :

 

Revenus nets imposables Impôt prélevé Rendement

Région flamande

95.819.595.121

21.416.211.623

22,35%

Région wallonne

47.417.636.028

9.563.952.936

20,17%

Région de BXL-C.

12.867.260.327

2.853.491.373

22,18 %

Source Statbel. Données exercice d'imposition 2008 en euros

On le voit, la Wallonie, avec 47,417 milliards d'euros de revenus imposables, collecte un impôt de 9,563 milliards, soit 20,17 %, tandis que la Flandre, avec 95,819 milliards de revenus et 21,416 milliards d'impôt perçoit près de 22,35 % des revenus imposables. Cette différence s'explique par le fait que, dans les deux cas, on applique la même grille tarifaire, mais à des revenus qui sont structurés différemment. Par conséquent, pour que des impôts régionaux progressifs délivrent partout un même résultat, il faudrait nécessairement que la grille tarifaire diffère dans chaque région.  Pour le dire crûment, un tel mécanisme aboutirait à aggraver la charge fiscale en Wallonie.

Est-ce l'intention du clarificateur ?  A vrai dire, sa pensée à cet égard gagnerait à être...clarifiée.  La question n'est en effet pas élucidée par la note : le passage qui définit les caractéristiques de l'impôt régional est tout sauf clair. On relève cependant que, dans l'exemple de calcul qu'il propose, M. De Wever se réfère un impôt régional de 10,25 %.  Mais vise-t-il par là le taux de l'impôt ou son rendement ?  C'est là toute la question...

 

Revenus imposables nets

95.819.595.121

21.416.211.623

22,35%

Taux de l'impôt régional

47.417.636.028

9.563.952.936

 

 

20,17%

Région de BXL-C.

12.867.260.327

 

2.853.491.373

22,18 %

 

3. Cotisation de solidarité

17.La note du clarificateur prévoit une modification substantielle de l'intervention de solidarité nationale.  Il a en effet été constaté que, dans ses modalités actuelles, cette intervention produit des effets pervers, dès lors qu'elle sanctionne les progrès économiques réalisés par une région en réduisant les sommes dont elle dispose.

La nouvelle allocation de solidarité serait calculée en appliquant le taux de l'impôt régional à la différence entre le revenu imposable moyen par habitant du royaume et le revenu imposable moyen par habitant des régions.  Cette différence serait plafonnée à 80 %.

Ainsi expliqué, le mécanisme peut paraître compliqué.  L'exemple suivant permet de clarifier les choses :

 

 

Belgique

Wallonie

Nombre d'habitants

10.666.866

3.456.775

 

 

Revenus imposables (en €)

156.104.491.477

 

48.398.741.436

Revenu imposable par habitant (en €) 14.634,52 14.001,13

 

Il y a donc une différence 633,40 € entre la moyenne wallonne et la moyenne nationale.  Le clarificateur propose de plafonner cette différence à 80 %, soit 506,72 €, pour le calcul de l'intervention de solidarité.

Il faudra alors soumettre ces 506,72 € au taux de l'impôt régional (10,25 %) pour obtenir le montant de l'intervention de solidarité par habitant : 506,72 x 10,25 % = 51,94 € par habitant.

Puisqu'il y a 3.456.775 habitants en Wallonie, l'intervention de solidarité totale se montera à 179.539.852,93 €.

 

4. Récapitulatif

18. Les tableaux suivants permettent de comparer le régime des dotations prélevées sur le produit de l'impôt des personnes physiques, tel qu'il est organisé aujourd'hui, avec le système d'impôt régional proposé par M. De Wever.

Régime actuel :

 

 

Région et Communauté flamandes

Région wallonne et Communauté Française

Région de BXL-C.

Dotation IPP aux communautés

4.297.901,665

2.301.016,547

Dotation IPP aux régions

8.136.051,936

3.640.467,032

1.080.794,772

Moyens supplémentaires régions 135.009,272 88.430,288 3.515,911
Terme négatif régions -2.630.876,657 -1.110.821,500 -509.601,374
Intervention de solidarité nationale 800.280,894 257.935,774
Total 9.938.086,216 5.719.373,261 832.645,083

 

Régime de l'impôt régional :

 

 

Région et Communauté flamandes

Région wallonne et Communauté Française

Région de BXL-C.

Impôt régional

9.821.508,500

4.960.870,997

1.318.894,184

Cotisation de solidarité

 

179.539,853

203.106,202

Dotation de la Région de BXL-C.
aux communautés (40% du produit
de l'impôt réparti sur base d'une clé 20/80
121.760,031 487.040,124 -608.800,154
Total 9.934.268,531 5.627.450,974 913.200,232

en miliers d'euros

On constate donc que le nouveau régime tel que proposé par le clarificateur aboutit aux résultats suivants :

 

 

Région et Communauté flamandes

Région wallonne et Communauté Française

Région de BXL-C.

Ancien régime

 

9.938.086,216

5.719.373,261

832.645,083

Nouveau régime

9.934.268,531

5.627.450,974

913.200,232

Différence 5.182,315 -91.922,287 80.555,149

 

La Wallonie et la Communauté française, dans le nouveau régime, perdraient près de 92 millions d'euros, tandis que Bruxelles recevrait 80 millions supplémentaires.

 

19. On rappelle qu'un tel résultat repose sur les hypothèses suivantes :

- impôt régional proportionnel de 10,25 %;

- réduction de l'impôt fédéral progressif d'un montant équivalent à celui de l'impôt régional;

- financement des Communautés par les Régions au moyen d'une dotation égale à 40 % de l'impôt régional;

- dotation bruxelloise aux Communautés partagées selon une clé 80/20 entre les Communautés française et flamandes.

Il faut noter, chose que le clarificateur n'a pas mise en évidence, qu'une dotation aux communautés égale à 40 % de l'impôt régional et de l'allocation de solidarité aboutit, en Wallonie, à une remise en cause de l'équilibre Région/Communauté.

 

En effet, dans cette hypothèse, la ventilation entre les deux entités serait la suivante:

- Région wallonne : 3.084.246.510 euros (contre 3.418.356.714 euros dans le régime actuel);

- Communauté française: 2.543.204.464 euros (contre 2.301.016.547 euros dans le régime actuel).

Il est cependant possible, puisque le clarificateur n'aborde pas explicitement cette question, que la clé de 40 % soit uniquement destinée au calcul des dotations communautaires de la Région de Bruxelles-capitale.  Ce point mériterait d'être éclairci.

IV. Les critiques du SPa et du PS

1. Critique du SPa

20. Dans les jours qui ont suivi la publication de la note de M. De Wever, le parti socialiste flamand (SPa), par la voix de M. Frank Vandenbroecke, a critiqué la validité des calculs réalisés par le clarificateur.  Il est reproché à M. De Wever d'avoir calculé le rendement de l'impôt régional sans avoir égard à la "capacité fiscale" des Régions.  Cette critique fait écho au problème que nous avons esquissé plus haut, sous les numéros 15 et 16.

Si les revenus imposables dans deux Régions distinctes atteignent le même montant, mais que ces revenus ne sont pas structurés de  manière identique, un même impôt progressif appliqué à l'identique dans chacune d'elles ne rapportera pas la même chose.

Si l'intention du clarificateur est d'introduire un impôt régional progressif, c'est à bon droit que M. Vandenbroucke critique les calculs que ce dernier a fait : pour obtenir un même rendement de 10,25 % en Flandre et en Wallonie, il faudrait que la charge fiscale soit plus élevée en Wallonie.  Ou encore, si l'on prend le problème par l'autre bout : à échelle fiscale identique, l'impôt qui livre un rendement de 10,25 % en Flandre aura un rendement moindre en Wallonie.

21. Les critiques de M. Vandenbroucke renvoient à une question qu'il conviendra de surveiller de près.

Il est sans doute possible de trouver des systèmes qui évitent un tel écueil, par exemple en adoptant un impôt régional proportionnel.  La progressivité de la taxation finale serait alors assurée par le seul impôt fédéral.  Dans un tel schéma, les différences de rendement entre les deux Régions seraient supportées par le seul Etat fédéral.

2. Critique du PS

22. Le parti socialiste francophone a également distribué à la presse une note aux termes de laquelle le nouveau procédé de financement des régions et communautés proposé par M. De Wever priverait la Wallonie, au cours des dix prochaines années, d'une somme moyenne annuelle de 816 millions d'euros.

Comment arrive-t-on à ce montant ?

En réalité, l'essentiel de cette somme provient de la diminution de l'intervention nationale de solidarité.  Le PS chiffre cette diminution comme suit (les chiffres sont apparemment en milliers d'euros) :

 

Perte Solidarité

Fédéral

Wallonie

Flandre Bruxelles

2012

710.433

- 617.321

- - 93.112

2014

754.100

- 653.911

- - 100.189
2016 791.564 - 694.258 - - 97.306
2018 899.477 - 735.866 - - 90.222
2020 1.046.973 - 779.622 - - 78.583

 

Ce procédé est assez curieux.  Certes, le clarificateur propose de remplacer l'allocation actuelle de 800 millions d'euros par une allocation de 180 millions (chiffres 2008).  Il y a donc, en chiffres bruts, une diminution des montants perçus par la Wallonie.  Cependant, cette diminution de l'allocation (qui est prélevée par l'Etat fédéral sur le produit de l'IPP) est compensée à due concurrence par une perception directe de l'IPP par la région wallonne.

En d'autres termes, on se trouve dans une situation similaire à celle d'un particulier qui vendrait sa maison pour 250.000 euros.  D'un côté, il s'appauvrit, car son actif immobilier a disparu.  Dans le même temps, cependant, son compte en banque a été crédité du prix de vente.  C'est un jeu à somme nulle.

Évidemment, il y a une différence entre le fait de percevoir une allocation de solidarité et celui de toucher de l'impôt : lorsque le revenu imposable diminue, l'allocation de solidarité  augmente, tandis que le produit de l'impôt diminue...

Cela dit, même si l'on part du présupposé que le revenu imposable va diminuer en Wallonie au cours des années à venir (ce qui serait singulièrement manquer de confiance en l'avenir pour un parti qui est au gouvernement régional), cela ne justifie cependant pas que l'on considère que la totalité de la différence entre l'ancienne et la nouvelle mouture de l'intervention de solidarité soit portée en perte.  En effet, la perte à comptabiliser serait uniquement la différence entre, d'une part, le montant qui aurait été celui de l'intervention de solidarité "ancienne mouture" compte tenu de la dégradation de la situation économique et, d'autre part, la somme de la nouvelle intervention de solidarité et de la portion de l'impôt régional qui remplace l'ancienne intervention de solidarité.

Prenons un exemple chiffré pour illustrer le propos qui peut paraître nébuleux : l'intervention de solidarité est fixée à 800 millions d'euros.  On remplace cette somme par un impôt régional - 620 millions d'euros - et une nouvelle allocation de solidarité - 180 millions d'euros.  Si les conditions économiques en Wallonie se détériorent par rapport au reste du pays, le rendement des 620 millions d'impôt régional va baisser, par exemple de 10 %.  Dans le même temps, l'allocation de solidarité, nouvelle mouture, va augmenter, mais d'un pourcentage moindre, mettons 8 %.  On aura donc 558 millions d'impôt régional et 194,4 millions d'allocations de solidarité.  Si l'ancien régime avait été conservé, l'allocation ancienne mouture aurait augmenté de 10 % (880 millions).  La seule perte que le nouveau régime pourrait induire, si la situation de la Wallonie venait à se dégrader par rapport au reste du pays, serait donc la différence entre 880 millions et 752,4 millions (558+194,4), soit 127,6 millions.  On est loin des presque 620 millions que la note PS, dans la logique qui est la sienne, porte en compte.

23. Si la note du PS pose problème en ce qu'elle intègre la diminution de l'allocation de solidarité dans les pertes que le nouveau système infligerait à la Wallonie, elle relève cependant deux problèmes réels, mais qui ne sont pas liés en tant que tels à l'introduction d'un impôt régional sur le revenu.

Le premier problème a trait au financement des allocations familiales ensuite du transfert annoncé de celles-ci aux Communautés.  Ces allocations, on le sait, sont financées par des cotisations sociales à charge des employeurs.  Il y a donc une grande manne collectée à l'échelle du pays par des organismes publics ou semi-publics : les caisses d'allocations familiales.

Le financement des allocations familiales communautarisées pourrait bien évidemment passer par le biais d'une collecte et d'une redistribution distincte auprès des employeurs wallons, bruxellois et flamands.  Tel n'est pas le choix fait par le clarificateur (à vrai dire, un tel mécanisme pourrait augurer d'une scission pure et simple de la sécurité sociale) : celui prévoit donc de partager les moyens collectés entre les communautés en divisant les total des moyens par le nombre d'enfants et en octroyer à chacune des communautés autant de fois ce montant qu'il y a d'enfants attributaires sur son territoire.

Selon le PS, ce procédé de répartition ne tient pas compte du fait que les structures familiales peuvent différer entre les communautés : familles nombreuses, familles monoparentales, etc.  Le montant forfaitaire par enfant désavantagerait la Wallonie et Bruxelles.

Un second problème vient de ce que la note du clarificateur n'aborde pas la question du financement des nouvelles compétences à transférer aux Régions ou aux Communautés : politique de l'emploi, justice, par exemple.  Il serait logique que ce transfert s'accompagne de l'octroi de moyens nouveaux aux entités fédérées.  Ce transfert, dans la logique de la réforme de la loi de financement, devrait s'opérer par une augmentation de l'impôt régional et, corrélativement, une diminution de l'impôt fédéral

Dans ce cas, le financement global des nouvelles compétences transférées serait donc partagé entre les Régions en fonction du rendement de l'impôt régional.  Le PS, qui raisonne dans l'optique d'une répartition des budgets existants selon leur utilisation actuelle, considère que cela induirait une perte pour la Région wallonne.

A défaut de pouvoir disposer de statistiques détaillées concernant la répartition géographique  des dépenses effectuées par le gouvernement fédéral dans les matières à transférer au entités fédérées, on n'est pas en mesure de vérifier les chiffres avancés par le PS.  On constate simplement que la critique est fondée sur un présupposé qui reste ouvert à discussion : que le financement des nouvelles compétences ait lieu par le biais de l'impôt régional.

Conclusion

24. La possibilité pour les Régions de lever des impôt sur les revenus est une question cruciale des présentes négociations institutionnelles, pour deux raisons.

La première est que, pour un certains nombres d'acteurs, le fait de lier les recettes d'une Région à l'évolution du revenu imposable de ses habitants constitue le moyen par excellence de rendre les autorités de cette Région responsables de ses politiques.  Cet argument n'est cependant pas décisif, dans la mesure où le système actuel de dotations, où le montant attribué aux régions dépend grandement de leurs contributions respectives au produit de l'impôt fédéral, aboutit déjà une forme manifeste de responsabilité financière.

Le second argument, qui constitue sans doute le coeur du problème, est d'ordre symbolique : les prérogatives fiscales constituent en effet un critère à l'aune duquel l'importance d'une collectivité politique est appréciée.  Il suffit, à cet égard, de songer aux situations respectives des communes et de l'Etat fédéral.

Les communes, tout comme l'Etat fédéral, sont dotées d'organes élus, qui sont chargés de statuer sur les matières qui relèvent de l'intérêt communal.  Les communes ont cependant un rang subalterne, qui se marque de deux manières : d'une part, par le biais de la tutelle administrative, elles doivent subir l'ingérence de l'autorité supérieure dans leur gestion, d'autre part, leurs prérogatives fiscales sont limitées, puisqu'elles sont uniquement autorisées à lever des centimes additionnels à l'impôt des personnes physiques ou des taxes indirectes qui ne peuvent jamais porter sur l'assiette taxable à l'impôt des personnes physiques.  C'est ce qui explique la prolifération de taxes aussi diverses que les taxes sur seconde résidence, sur les immondices, sur les dépôts de mitrailles, sur les distributeurs de carburant, sur les affiches publicitaires, etc.

Les Régions, pour leur part, sont autonomes, au sens juridique du terme (leurs décisions sont souveraines et ne peuvent pas être remises en cause par l'Etat fédéral, qui n'exerce aucune tutelle sur elles).  Sur le plan fiscal, par contre, les diverses réformes de l'Etat ont réservé à l'Etat fédéral le droit de lever les impôts sur les revenus.  De ce fait, les Régions restent dans une situation fort proche de celle  des communes : elles peuvent lever des taxes indirectes et faire varier le montant de l'impôt sur les revenus au moyen de centimes additionnels (variation à la hausse) ou soustractionnels (variations à la baisse).

A l'aune de leurs prérogatives fiscales, les Régions sont des naines.  On ne s'étonnera donc pas qu'un parti tel que la NV-A fasse une question de principe du prélèvement direct, par les Régions, d'une partie de l'impôt des personnes physiques.

25. Pour quelles raisons s'opposer à cette évolution ?  A vrai dire, il paraît y avoir deux raisons de refuser un tel système : une bonne et une mauvaise.

La mauvaise raison serait évidemment idéologique; elle consisterait à refuser par principe tout approfondissement du fédéralisme.  On parle bien ici – cela doit être souligné – de fédéralisme.  En effet, quoi qu'on ait pu en dire, l'octroi aux Régions d'une compétence fiscale propre en matière d'impôts sur les revenus est parfaitement compatible avec le fédéralisme.  On en veut pour preuve que le "split rate" auquel il est fait référence dans la note de M. De Wever est une technique utilisée dans le cadre du fédéralisme helvétique (rappelons au passage que la confédération helvétique est bel et bien un Etat fédéral, malgré ce que son nom pourrait laisser croire).  L'opposition idéologique se drape parfois de considérations techniques: il en va notamment ainsi de l'argumentation qui refuse toute régionalisation de l'impôt au motif que cette régionalisation finirait par créer des régimes différents dans chacune des Régions.  A première lecture, l'argument peut paraître cohérent.  En réalité, il consiste à nier l'essence même du fédéralisme, puisque celui-ci est justement fondé sur la possibilité, pour les entités fédérées, de mener des politiques divergentes répondant à des besoins différents.

Il serait par contre légitime de s'opposer à la création d'un impôt régional sur les revenus si cet impôt était ainsi conçu qu'il entraîne un appauvrissement structurel, programmé et volontaire de l'une ou l'autre des Régions.  A cet égard, les choix techniques seront déterminants.  Il y a en effet suffisamment de marge, dans l'arsenal des procédés fiscaux, pour trouver les bases d'un impôt régional qui réponde à l'exigence de neutralité (celle-ci étant entendue comme le fait que, lors de la transformation du système de dotation en impôt régional, les montants transférés aux régions et à l'Etat fédéral soient sensiblement les mêmes).

26. Le 23 octobre 2010, le Roi a confié à M. Johan Vande Lanotte, ancien ministre SPa du budget, une mission de conciliation.  Celui-ci est notamment chargé de faire procéder, par le Bureau du Plan et la Banque Nationale, à des simulations chiffrées des propositions du clarificateur.

Malgré l'accueil défavorable que les propositions de M. De Wever ont reçu de la part des partis francophones, la mission du clarificateur ne se solde donc pas par un échec.  Les propositions de celui-ci, bien qu'accueillies fraîchement, vont alimenter la discussion.  En ce sens, la note du clarificateur constitue en définitive une étape nécessaire dans le lent processus d'ajustement des mentalités, de part et d'autre de la frontière linguistique.