Compte rendu de "Brume" de François Brouyaux

17 février, 2014

Brume

Brume

Brume 1, de François Brouyaux, commence de manière surprenante par l'assassinat d'un scientifique, Li Xian Thieu, venu présider à Bruxelles une conférence internationale sur le climat. Ce Li Xian Thieu est en réalité un Français enseignant en Australie. La première partie du roman est un flash back sur sa vie et en particulier l'enquête qu'il mène sur le baron de Monthy à la demande d'un ami de l'IRM. Thieu cherche à savoir si ce baron, personnage imaginaire des Pays-Bas wallons, homme des Lumières, passionné par les sciences, ami du Suédois Linné et de nombreux philosophes français, a bien été le premier à découvrir que la brume, qui durant l'été 1783 recouvrit une grande partie de l'Europe occidentale, était due à la formidable explosion du volcan Laki en Islande qui projeta dans l'atmosphère 120 millions de tonnes de dioxyde de soufre (soit trois fois les émissions de cette matière en Europe à l'heure actuelle). Cette longe enquête qui nous amène à Mons est une sorte d'introduction à la deuxième partie du roman, la plus passionnante et la plus importante.

Une sage-femme de Valenciennes

On entre ici dans l'histoire d'une jeune sage-femme de Valenciennes, Marianne, fille de médecin, qui va épouser le Baron de Monthy, de 20 ans plus âgé. Ils ne pourront avoir qu'une seule descendance, Eléonore, en raison de la difficulté de son accouchement. En même temps que survient la brume de 1783, arrive dans le château du baron une séduisante métisse venue on ne sait d'où, Vaïna. Le baron l'installe dans une chambre à côté de celle de sa fille. Vaïna est enceinte et c'est le père de Marianne et Marianne qui vont l'aider à accoucher.

Mais d'où vient l'enfant mort-né qu'elle met au monde ? Elle effraye tant qu'elle s'en ira après l'accouchement, juste au moment où la brume disparaît, dont certains esprits superstitieux n'étaient pas loin de lui attribuer la venue. Comme les parents d'Eleonore ont ensuite « cessé de se sourire » (p. 110), éprouvant durement leur fille, le lecteur a tendance à penser que le baron (absent lors de l'accouchement), aurait trompé sa femme et que l'enfant serait de lui. On apprendra un certain temps après que toute cette affaire est plus complexe, ce que laisse deviner le fait que la baron ne quitte pas sa femme. Quand il meurt, l'un de ses amis, médecin lui aussi, hérite du volumineux journal au jour le jour des observations du climat transcrites par lui-même et Marianne. Vautreuil, c'est son nom, va confier le secret qui le lie à Vaïna, raconter ses aventures comme espion au service de la Nouvelle-France auprès des alliés des Iroquois en territoires anglais. Il lui explique notamment qu'un jour, ils, ont failli être pris et comment un Indien les a sauvés en leur faisant traverser une rivière, gardée par une importante garnison anglaise, dissimulés derrière la brume du petite matin.

Cette brume « indienne » ne les a pas sauvés à elle seule, mais surtout la conviction de l'Iroquois que la brume n'était qu'un des éléments que mettaient ses ancêtres à sa disposition pour sauver des amis. Vautreuil compare cette brume à celle qui joue un rôle important dans la bataille de Wattignies le 16 octobre 1793 qui repoussa les Autrichiens jusqu'à Namur. A la faveur de cette brume les Français surgirent sur le flanc non défendu de l'armée impériale : « Les éléments sont toujours les alliés de ceux qui ont la foi qu'ils leur seront favorables. » (p. 129). Notamment parce qu'ils se considèrent comme du côté du Bien, ce qui était le cas des soldats de la République.

On apprendra au cours de cette conversation ce qui a réellement jeté un froid dans le couple de Marianne et du baron, une histoire de jumeaux à la René Girard, bien d'autres choses encore. Il y a dans le dialogue entre cette jeune femme et ce vieux Monsieur -un ancien prêtre par-dessus le marché- beaucoup d'émotion, tous les personnages y sont justes, les dialogues acérés. Nous apprendrons encore plus loin que Vaïna avait en réalité accouché de jumeaux dont l'un avait survécu et qui rencontrera Eléonore alors mariée à un soldat de l'Empire devenu invalide.

Une brume emblématique

Il y a beaucoup de choses dans ce livre, Sars-la-Bruyère en terme de phytogéographie « correspond à une zone voisine du district picardo-brabançon et du district « mosan » [...] non loin d'une ligne séparant les bassins de l'Escaut et de la Meuse... » (p. 178). J'ai appris qu'existait la phénologie, « l'étude de l'apparition d'événements périodiques (annuels le plus souvent) dans le monde vivant, déterminée par les variations saisonnières du climat » (selon Wikipédia). Il y a aussi cette formidable explosion du volcan Laki en 1783 qui rendit fou ceux qui y assistèrent, l'éruption gigantesque prenant les allures d'une fin du monde, catastrophe naturelle qui renvoie à tout ce qui blesse le climat aujourd'hui (et moins naturel). L'auteur rêve d'un monde qui parvient à maîtriser ses folies, optimisme qui s'oppose au pessimisme foncier du fameux Vaudreuil. On songe en fermant le livre au Conservateur des ombres de Thierry Haumont, tellement, ici aussi, un phénomène naturel comme la brume semble dynamiser toute l'intrigue du roman. Elle semble s'opposer aux Lumières du siècle où elle apparaît avec l'éruption volcanique gigantesque de 1783.

Parfois, on risque un peu de se perdre dans le vaste monde de François Brouyaux et l'intrigue, l'unité du récit semble parfois se diluer un peu dans un vaste labyrinthe. Mais c'est un premier roman et il y a bien des choses auxquelles il est impossible de rester indifférent, parce que l'auteur marie un usage sobre de l'écriture à une grande culture scientifique, un grand savoir de l'histoire des sciences et du climat. On a l'impression aussi de comprendre mieux ce qui se trame derrière les bulletins météo, en particulier le fameux « après dissipation des brumes matinales », ce phénomène qui se relie à la « brume » emblématique de Brume et qui demeure une énigme que la science n'a pas encore résolue : c'est comme si la brume se retournait ou se repliait sur elle-même.


  1. 1. François Brouyaux, Brume, Les Editions Memory, Tenneville, 2013, 222 pages, environ 18 €.