Critique de livres: Léopold II, Un Roi Génocidaire ? (Michel Dumoulin)
À partir d’un titre aussi incendiaire : Léopold II Un Roi Génocidaire ? (Classe des Lettres, Académie Royale de Belgique 2005, 122 pages.) on peut s’attendre à une réponse tout aussi incandescente. Hélas, au cours des 122 pages, on lit toute sorte de positions prises par des historiens, mais les ailes… Dumoulin ( !) s’arrêtent et ne répondent pas à la question principale posée par le titre du livre !
Il reste quand même beaucoup de grains à moudre dans ce moulin. Meunier au travail !
Dans sa présentation – voir quatrième de couverture - et à plusieurs reprises dans son livre, pp. 15, 45, 63, 83, 92, M. Dumoulin lance un nouveau concept, celui de « Nébuleuse ». Il y dépose : « journaux, périodiques, pamphlets, photographie, projections lumineuses, caricature » (p. 15).
Ces projectiles sont mis en regard, si pas en opposition avec le travail des historiens.
Pour rappel, le terme de nébuleux exprime un manque de clarté, ce qui est confus, fumeux (voir dictionnaire).
Nous nous trouvons donc devant deux mondes, l’un abondamment fumeux et l’autre particulièrement fameux ! N’est-ce pas un tant soit peu manichéen ? Ne peut-on trouver des éléments de clarté dans cette « Nébuleuse » et certains historiens ne sont-ils pas confus ?
Nous considérons que les historiens sont des personnalités très utiles. Leur tâche consiste, au prix de très durs et de très longs travaux à nous sortir, des brumes du passé et des cartons poussiéreux des archives, un certain nombre de faits dont il est assez probable qu’ils se sont produits. Mais il existe, heureusement des interprétations ô combien divergentes entre les historiens. Ce qui est réconfortant !
La « Nébuleuse », elle, est tout aussi utile car elle sert souvent d’aiguillon pour intensifier la recherche des historiens. Ces deux mondes ne sont donc pas opposés mais complémentaires ; le Congo et Léopold II en sont des exemples remarquables. S’il n’y avait pas eu de film de Peter Bate, il n’y aurait pas de livre de Monsieur Dumoulin.
Chapitre I : Le film de Peter Bate et ses sources
Il s’agit du film du réalisateur Peter Bate, un britannique, intitulé : Le roi blanc, le caoutchouc rouge, la mort noire diffusé à 20h. 30, le 8 avril 2004 sur R.T.B.F.2. Michel Dumoulin estime d’emblée que le film de Peter Bate est un réquisitoire (p. 21) ; en fin de volume il le traitera même de pamphlet télévisuel (p. 102). Pourquoi une telle mise au pilori ?
Parce que les témoignages « sont choisis en vue de conforter ce qui ressort des citations qui viennent d’être mentionnées » (p. 21) et parce que « Léopold II est muet et confiné dans un espace qui ressemble à s’y méprendre au box d’un accusé dans un prétoire ». (p. 21)
En ce qui concerne le premier argument, comme il est indiqué en bas de page 21, il s’agit de témoignages extraits des carnets de campagnes d’acteurs sur le terrain. Si les témoignages valident les citations, on ne comprend pas bien le reproche. Le contraire eut été étonnant.
Quant à voir Léopold au box d’un accusé, cela n’a rien d’infamant puisque même dans un box l’accusé est toujours présumé innocent et jouit des droits de la défense.
Oserions-nous écrire que du temps de la conquête du Congo par Léopold II, des milliers de Congolais auraient trouvé cette place très enviable plutôt que d’être arbitrairement faits prisonniers pour le travail forcé ?
Ne voulant ni effectuer un « plaidoyer pour le roi »(p. 21) -qu’allions-nous penser là! - ni « se transformer en critique cinématographique » (idem), pourtant le titre lu p. 17 « Le film de Peter Bate et ses sources » y ferait penser, M. Dumoulin poursuit sa non-critique ( !) du film en faisant remarquer l’absence d’une phrase d’un témoin du film par rapport au texte du rapport original du Consul britannique (pp. 21-22). Après lecture des deux textes confrontés (pp. 21-22), à notre avis il n’y a pas faute grave, mais l’indulgence n’est pas égale pour tous. La deuxième erreur relevée par M. Dumoulin est la suivante : « Dans le rapport Casement un témoin parle de sa belle-sœur et dans le film elle devient sa sœur » ! (p. 22). Passer de belle-sœur à sœur, il faut avouer que cela pose problème ! Peut-être qu’elle était…belle cette sœur ? Allez savoir ? Alors sœur-belle ou belle-sœur…!
On en vient aux photographies des mains coupées utilisées dans le film de Bate. Les photos présentent des adolescents et des adultes ayant une ou les deux mains coupées.
La première présente Mola Ekulite, amputé des deux mains. L’explication par M. Dumoulin de cette double amputation est la suivante : « …fait prisonnier, il (Mola) a eu les mains liées. Laissé en plein air alors qu’il pleuvait très fort, il a vu ses mains gonfler » (p. 25). C’est la forte pluie qui a fait gonfler ses mains liées (p. 25) !
Le rapport est plus précis : « Les mains de Mola étaient tellement gonflées…voyant que les liens avaient pénétré dans l’os » (rapport Casement pp. 120-121 signalé p. 25). Pour que les liens pénètrent dans l’os, il faut qu’ils aient été serré avec une violence extrême.
Mola perdit ses mains. « il paraît établi que la gangrène fit son œuvre », ajoute M. Dumoulin (p25). Première remarque :il paraît établi ; deuxième remarque : la gangrène est une conséquence. N’y aurait-il pas de lien, c’est le cas de le dire, de cause à effet entre les liens serrés et la gangrène ? Il conclut (p26) : « Coupées ou fracassées, ou encore atteintes par la gangrène, le film ne fait pas la part des choses ». Alors là, si j’osais, j’écrirais, les mains m’en tombent ! D’une façon ou d’une autre, les mains de Mola sont devenues des …choses mises à part par les soldats. C’est cela la part des choses. Le reste n’est que scolastique. Le film montre et décrit cette atrocité. Cela devrait suffire.
Une autre photo d’un jeune amputé d’une main est publiée ; c’est le cas Epondo (pp. 26-27). Le 7 septembre 1903, Casement interroge Epondo, le jeune amputé, en présence des missionnaires Danielson et Armstrong. Epondo maintient, appuyé par tous les villageois présents, que c’est un certain Kelenge de la firme La Lulonga qui lui a coupé la main pour défaut de livraison de caoutchouc.(Du sang sur les lianes D.Van Groenweghe Ed.Didier Hatier, Bruxelles, 1986, p.163).
Après l’enquête judiciaire, il s’avère qu’Epondo a menti et qu’il a perdu la main par suite de la morsure d’un sanglier. Cette erreur a été reconnue depuis des dizaines d’années. C’est la seule dans tout le rapport, ce que M. Dumoulin ne relève pas. Pour conclure, il faut reconnaître qu’en voulant ratisser large, M. Dumoulin n’a qu’une pauvre moisson.
En effet, il manque une phrase dans un témoignage et un mot dans un autre, une atrocité douteuse quant à la manière d’avoir été effectuée et une erreur rectifiée en son temps. Pour parachever cette tentative de non-critique du film, M. Dumoulin a beau jeu de faire remarquer qu’un Comité Anglais chargé d’enquêter sur les atrocités commises par l’armée allemande en Belgique pendant la guerre de 1914, tenait pour vrai que six enfants belges avaient eu la main tranchée. Si les Anglais se sont laissés berner de la sorte, pourquoi pas d’autres…suivez mon regard.
Il est évident que ces photos et d’autres –femmes enchainées et hommes chicotés- symbolisent le martyr d’un peuple (p.23), comme la photo de la jeune fille nue brûlée au napalm symbolise la guerre du Vietnam. Malheureusement, M. Dumoulin se sent obliger d’ajouter : « or, l’utilisation de ces photographies soulève les plus expresses réserves » (p. 23). Un symbole sert de métaphore, d’image qui évoque un fait, ces photos et d’autres évoquent la brutalité de la conquête du Congo sous Léopold et cela sans aucune réserve en sachant bien qu’on n’a pas coupé les mains de tous les Congolais et que toutes les jeunes filles du Vietnam n’ont pas été brûlées au napalm.
Chapitre II : Thèse et polémique
Après le film réquisitoire, et Léopold II dans le box des accusés, nous ne quittons pas le monde judiciaire de M. Dumoulin qui évoque un complot pour imposer le silence sur la Vérité des atrocités commises au Congo (p. 31). Nous pensons qu’un complot n’était pas nécessaire « s’il a fallut près de quelque cent ans pour que, enfin remontent à la surface tous les secrets peu reluisants sur la colonisation du Congo » comme l’historien M’Bokolo le dit dans le film (p. 30), c’est que, à notre avis, après les dénonciations du début du XXème siècle – Casement, Morel,Commission d’enquête-, les effets de la guerre de 14-18 magnifièrent « le Roi Chevalier Albert I » et cette sacralisation engendra une royauté intouchable qui profita à Léopold II. Attaquer l’État Indépendant du Congo, c’était attaquer la Belgique, son Roi et son peuple, son armée et son clergé. L’étendard patriotique outragé est levé contre ceux qui attaqueraient la Couronne. C’est plus fort qu’un complot et cela a plus de résonnance. Il faut y ajouter les réalisations urbanistiques de Léopold II dont les Belges profitent – les parcs, le Cinquantenaire, l’avenue de Tervuren, Ostende,…-qui servent de couverture à son immense fortune accumulée par l’exploitation du Congo. L’ensemble de ces éléments provoquent l’admiration et pas l’investigation. Les historiens restent dans leur coin.
À l’annonce de la diffusion du film de Peter Bate, la polémique se lève. Les anciens du Congo Belge et Rwanda-Urundi sortent de leur brousse résidentielle et montent aux barricades ! Dans le même temps, février 2004, hasard, préméditation ou conjonction, le Président du Congo, Joseph Kabila prononce au Sénat un discours dans lequel il rend hommage aux pionniers de l’État de Léopold II. Dans Le Soir du 21-22/2/04, M. Poncelet, professeur à l’Université de Liège s’interroge sur ce discours en stipulant que : « une grande partie des cadres européens qui soumirent le Congo n’étaient pas des Belges ». Rien n’y fait, 24 Associations d’anciens du Congo, totalisant 10.000 adhérents et l’Union Royale Belge pour les pays d’Outre-mer s’insurgent contre lui. (Le Soir du 13-14/3/04 et La Libre Belgique du 16/3/04). Ces honorables insurgés ont mal lu l’article de M. Poncelet puisqu’il avait écrit que jusqu’en 1909 ceux qui « soumirent le Congo n’étaient pas en grande partie des Belges » et que « la pénétration civilisatrice en Afrique Centrale s’est soldée par une sorte de génocide », disons pudiquement par une « profonde décompression démographique dont les différentes formes que pris la « Léopold II S.A. » ne peuvent évidemment être exemptées »(Le Soir du 21-22/2/04) et (p. 33). Les anciens du Congo Belge c’est-à-dire après 1909, n’étaient absolument pas concernés puisqu’il s’agissait de l’État Indépendant du Congo. L’État Indépendant du Congo était la propriété privée de Léopold II, tandis que le Congo Belge était régi par la Charte Coloniale.
La polémique s’accentue avec l’entrée en scène du Palais Royal et de Louis Michel, Ministre des Affaires Etrangères. Le Palais Royal fait savoir qu’il s’agit d’un « pamphlet scandaleux »(p. 34) et Louis Michel est « atterré » (p. 34). Soulignons le pléonasme royal puisque le propre d’un pamphlet est d’être scandaleux, sans cela, il ne serait plus un pamphlet ! Quant à Louis Michel, « atterré » après avoir visionné une partie du film (p. 34), où l’aurait-on trouvé s’il avait visionné tout le film ? Mais M. Dumoulin ne cite pas l’entièreté de la position du Palais Royal : « Pamphlet scandaleux, émaillé d’erreurs historiques qui jettent le discrédit sur notre deuxième Roi mais aussi sur la Belgique dans son ensemble » (Le Soir du 24/3/04). On aurait aimé connaître ne fût-ce qu’une « erreur historique » relevée par le Palais Royal, à moins que comme le suggère Christian Laporte dans Le Soir du 24/3/04 : « À la Place des Palais, où l’on a apparemment visionné le film », il s’agirait donc d’une apparence de vision et dans ce cas les « erreurs historiques » prennent évidemment le large !
« Quant à jeter le discrédit », Léopold II s’en est chargé lui-même. Il a subi le discrédit – perte de confiance- de la plupart de ses collaborateurs de l’entreprise Congolaise. De Stanley à Beernaert et de bien d’autres engagés dans sa conquête du Congo, ils finirent tous par être écœurés par ses agissements. (Voir la publication de leurs mémoires). Certains admirateurs inconditionnels iront peut-être jusqu'à dire que cela faisait partie du « génie » de Léopold II !
Dans le livre Léopold II, la folie des grandeurs de Lucas Catherine-Edition L.Pire », Mr Dumoulin trouve surprenants les propos suivants (p. 36) : « Il (Léopold II) sévissait sur Bruxelles comme un ouragan dévastateur. Il y a détruit plus d’habitations et de quartiers que toutes les guerres, du bombardement des Français en 1695 à la deuxième guerre mondiale(…) » « Curieux rapprochement entre l’argent du Congo et la description de Bruxelles » (p. 35) écrit-il.
Tous les grands travaux entrepris par Léopold II en Belgique venaient de l’argent du Congo. « L’on utilisait l’argent Congolais par brassées de dizaines de millions pour construire l’Arcade du Cinquantenaire, la Tour Japonaise ou le golf de Klemeskerke. » (J.Stengers Congo Mythe et Réalités, Edition Duculot, Bruxelles, 1989, p.31 ). Rien que pour la construction du Palais de Justice, la totalité des venelles, ruelles et passages compris entre la rue des Minimes et la rue aux Laines furent détruits. Le Boulevard Anspach nécessita aussi des destructions massives. Pour terminer ce chapitre, M. Dumoulin consacre étrangement cinq pages au pillage des ressources du Congo de 1999 à 2004. Dans un livre intitulé : « Léopold II génocidaire ? » on aurait pu s’attendre à au moins cinq pages sur le pillage des ressources du Congo de 1878 à 1909 par Léopold II au lieu du pillage de 1999 à 2004 que personne ne conteste.
Chapitre III : La Nébuleuse
M. Dumoulin commence par évoquer la visite du Premier Ministre au printemps 2000 à Kigali et ce pour accomplir : « une mission sacrée, celle de la mémoire » dans le cadre de la commémoration du génocide Rwandais » (p. 45). « Mission sacrée » sont des termes religieux qui, a notre avis, ne concordent pas avec la démarche politique d’un Premier Ministre. Quant à la mémoire, elle est cette chose molle indéfiniment transformable. Quand on la fige dans des commémorations elle se nourrit de slogans et l’histoire se réduit à une chronologie de frigidaire.
Passons maintenant aux Théâtres. À partir de deux pièces de théâtre sur le drame rwandais et d’une troisième intitulée Bruxelles Ville d’ Afrique suite aux lectures de Rwanda histoire d’un génocideet Du sang sur les lianes, des réactions qu’elles provoquent, ajouter à cela le film de Peter Bate : Le roi blanc, le caoutchouc rouge, la mort noire, qui constitue pour M. Dumoulin « le point culminant » (p. 47), nous entrons dans ce qu’il qualifie de : « Nébuleuse des présentations et des représentations du passé Colonial » (p. 47). Ce n’est plus la boite de Pandore bien qu’il la sortira plus loin aux pages 57 et 66 ( !), c’est « la Nébuleuse Dumoulin ». Qui sait si celle-ci entrera dans l’histoire comme la précédente ! Prenons donc notre engin spatial et suivons cette « Nébuleuse » en n’oubliant pas qu’il s’agit d’ « un corps céleste dont les contours ne sont pas nets » (Le Robert p. 672).
À partir d’émissions de la R.T.B.F. et de la V.R.T. sur le Congo, en passant par le livre de L. De Wittte sur l’assassinat de Lumumba, d’une coproduction Australienne sur le colonialisme en Afrique et d’un documentaire de la B.B.C. sur cette mort, ainsi que d’autres projets, nous sommes d’après M. Dumoulin face à une « Nébuleuse » « qui dispose avec lui (Lumumba) d’une figure emblématique positive, et Léopold II symbolisant la noirceur des desseins et le cynisme de l’action » (p. 49). Présenter cet état des productions culturelles d’une façon aussi manichéenne n’est pas ce qu’il y a de mieux en matière d’approche historique. S’il y eu des massacres sous Léopold II, il y en eu aussi sous Lumumba, Premier Ministre en juillet 1960 au Kasaï. Pas de la même ampleur évidemment.
Entrons au théâtre en sachant bien que le théâtre est un espace de toutes les outrances aussi bien que de toutes les mièvreries, de toutes les joies et de toutes les tristesses, sinon ce ne serait plus du théâtre. Du 22 février au 26 mars 2005 : Marche blanche, terre noire et rideau rouge du metteur en scène J.M. D’Hoop est jouée au théâtre de la place des Martyrs ; adaptation du King Léopold’s soliloguy de l’écrivain américain Marc Twain. (p. 51) Les associations des Anciens d’Afrique dénoncent le caractère « insultant » de la pièce. L’Union Royale belge pour les pays d’Outre-mer demande l’annulation des représentations de celle-ci. (p. 52) Pour M. Dumoulin, il y a consistance de la « Nébuleuse » (p53). Pour nous, il y a un auteur américain qui a imaginé un soliloque de Léopold II. Rien de moins, rien de plus. Alors laissons l’imagination à sa place… même des martyrs ! Et cela n’a rien avoir avec : « les notions de droit au souvenir et de devoir de mémoire » (p53) Nous avons vu cette pièce; l’adaptation ne dépassait pas le niveau d’une pièce de patronage !
Nous poursuivons la « Nébuleuse Dumoulin » qui vise Internet, le trouvant « malaisé à caractériser »(p. 55), d’un coté Internet donne une bibliographie historique sérieuse, mais de l’autre : « donne de l’espace à la rumeur et brouille les cartes en termes de repérages des sources » (p. 55). Ce qui gêne le plus, c’est la liberté d’expression qui règne sur Internet. Tout le monde peut insulter ou louanger quiconque a un site et comme toute personne sérieuse veut avoir un site, personne n’est à l’abri de zigotos qui « brouillent les cartes ». Va-t-on instaurer un passeport d’accès à Internet ? Verrons-nous une foule de sans passeports-Internet manifester comme les sans-papiers ?
« La victimisation » que l’auteur relève page 57 est à notre avis une invention de certains médias qui visent à déconsidérer un combat pour la reconnaissance de ce que certaines populations ont subi. Il existerait « une course à la victimisation » souvent accompagnée de « la pernicieuse confusion entre droit au souvenir et devoir de mémoire ». (p. 57) Rien de moins ! Et comme par hasard cela viendrait de l’Afrique. Les Africains jouent aux victimes, mais les victimes européennes de la deuxième guerre mondiale sont des héros indemnisés ! Les uns seraient des mendiants intempestifs et les autres des victimes méritantes. Drôle de dualité !
Qu’Alain Destexhe souhaite : « un repentir belge pour la déportation » et que Philippe Monfils trouve que la commission Lumumba « n’a guère eu d’intérêt » (p. 57), cela signifie qu’en ce qui concerne Destexhe, un repentir ne coûte rien et n’exclut pas la récidive, et qu’en ce qui concerne Monfils, on peut être sénateur, ancien ministre, et avoir des propos qui relèvent d’une intelligence limitée.
Chapitre IV : Rupture et continuité dans historiographies
Si l’historiographie officielle de la colonisation belge en Afrique Centrale a présenté jusqu’en 1960 un « géant » Léopold II et les Belges trop petits pour en avoir compris le « génie » (p. 59) pourquoi continuer dans cette voie et ne pas informer sur tous les autres « génies » qui ont soutenus Léopold II : Stanley, Beernaert, Wahis, Theys, Jadot etc… Il n’y a jamais eu de « grand roi » et de « pauvre Belgique ». Pour accomplir son « œuvre », le Parlement par deux fois lui a octroyé des millions de francs or et c’est lui qui tenait au secret le plus absolu sur le Congo, manipulant tout le monde avec des hommes de paille pour arriver à ses fins personnelles. Par ailleurs ces millions n’ont jamais été remboursés au Parlement par le Roi. Si comme l’écrit l’auteur (p. 62) les travaux anglo-saxons très nombreux sur le Congo qu’il recense p 60-61 « n’ont guère retenu l’attention des historiens belges », n’est-ce pas parce que ceux-ci subissaient inconsciemment, si pas un tabou du moins un « arrêt sur image » du grand roi tout comme existait avant 60 un « arrêt sur image » du Congo : colonie modèle ! N’est-ce pas ! Pour dépasser cet arrêt, il faut non seulement sortir du conformisme officiel mais aussi prendre des risques pour sa carrière, ce qui n’est encouragé par personne.
-Faire intervenir le « divorce belge »-Néerlandophones-Francophones, dans l’historiographie du Congo nous paraît surprenant. Il existerait « un décalage important dans le temps et le contenu entre la manière dont le passé colonial a été revisité par les Flamands et par les Francophones »(p. 63) et « le passé colonial ne paraît guère attiré l’attention des Francophones »(p. 63). Signalons à l’auteur l’existence de la série de livres de Michel Massoz, un Francophone : Le Congo de papa, Le Zaïre authentique, Le Congo de Léopold II, Les femmes bantoues du XXème siècle, Le Congo des Belges. Jules Marchal, un néerlandophone, cité page 65 n’a pas seulement écrit un ouvrage mais sept sur le même sujet que Michel Massoz et, entre l’un et l’autre, il n’y a aucun « décalage important »(p. 63). Francophone et Néerlandophone : Egalité.
Le mot génocide est de Raphaël Lemkin dans un livre : Axes Rules in Occupied Europe rédigé en 1943 et publié en 1944. Le Publishers Weckly du 10 novembre-10 décembre 1944 en avait fait le Livre juif du mois (Jewish book of the month). J.J. Martin en a sorti un livre : The man who invented Genocide The Public Carcer and consequences of Raphaël Lemkin.
Le livre de Raphaël Lemkin est très explicite dans le but de différencier le sort des juifs par rapport aux autres massacres de population dont les guerres sont le théâtre.Ce mot « génocide » a été utilisé à Nüremberg en 1945, mais est, resté confiné dans des cercles limités. Il a émergé lentement dans les années cinquante et n’a accédé au statut de représentation universellement admise que dans le courant des années soixante. Depuis le mot génocide a atteint un contenu conceptuel bien précis.
Chapitre V: la nébuleuse est changeante
Dans la bibliographie du livre d’Adam Hochschild : Les fantômes du Roi Léopold , nous avons répertorié 14 livres d’auteurs Belges qui dénoncent le régime léopoldien. Il s’est appuyé sur eux et connaissait la dénonciation du régime léopoldien par des Belges. Il est donc erroné d’écrire le contraire (p. 83).
Dans une interview parue dans le numéro spécial de Toudi, décembre 2001-janvier2002-Les Faces Cachées de la Dynastie page 2, Adam Hochschild déclare : « il est encourageant que depuis peu d’années quelques Belges, Wallons et Flamands examinent plus étroitement ce passé colonial. »
Nous allons connaître enfin le contenu global de la « Nébuleuse Dumoulin ». Quatre exemples. Il s’agit de la caricature et de la photographie en premier. Elle est véhémente (p. 93). En deuxième, il s’agit d’un projet de film d’Henri Storck sur l’épopée léopoldienne jamais réalisé. Il est conciliant. En troisième, c’est un article d’un journaliste anglais paru dans l’Encyclopaedia britannica en 1929. En 1938, Hervé de Gruben, conseiller à l’ambassade de Belgique à Washington s’inquiète de ces écrits sur « les atrocités commises par les Belges au Congo ». Le but est de contrecarrer l’Angleterre qui voudrait monnayer le Congo avec l’Allemagne sur base des atrocités commises. J.G. Whitley ancien consul général de l’État Indépendant du Congo aux Etats-Unis est chargé de faire ajouter à l’Encyclopédie une appréciation favorable sur la colonisation belge. La manœuvre ne réussit pas.
Nous revenons en Belgique avec le quatrième exemple qui traite de la radio et de la télévision. Après avoir salué la trempe des journalistes : R. Goulard, E. Hancevale, H.F.Van Aal, P. De Vos, F. Francois, P. Dasnoy, P. Delrock qui ont « ouvert la voie avec une impressionnante moisson de reportages » (p. 96) « force est de reconnaître, en revanche qu’il subsiste une grande zone d’ombre »(p. 97). La R.T.B.F. s’est figée dans une présentation d’un Léopold II bienfaiteur du Congo et de la Belgique au temps de l’État Indépendant du Congo. Un ancien directeur de l’information de la R.T.B.F. avoue : « on a passé de la pommade »(p. 98). L’auteur termine sa « Nébuleuse » en souhaitant que les concepteurs des programmes audiovisuels laissent définitivement l’usage de la pommade dans les pharmacies et que les blessures de l’histoire soient soignées par le produit de l’intelligence. Au vu de la tendance Phillippot, cela ne va pas être de tout Rupo…pardon de tout repos ! On peut rêver !
Que dire de cette « Nébuleuse Dumoulin » ? Qu’elle voyage d’un océan à l’autre, comme une comète qui rencontre un nuage d’oubli : la bibliographie d’Adam Hochschild, qu’elle se cogne à la caricature et à la photographie, qu’elle tente de s’éclaircir avec H.Storck et Hervé de Gruben, pour atterrir sur des antennes bien trempées de la R.T.B.F. devenue un théâtre d’ombres ! Le voyage est disparate, éclectique, cela tangue de gauche à droite sans qu'on puisse percevoir le sens de la manœuvre sinon qu’elle ne clarifie pas l’horizon de la connaissance.
Nous souscrivons entièrement aux dernières pages du livre qui traite de l’absence d’un enseignement de l’histoire du Congo du secondaire à l’université.(pp. 98-99) Nous ne pouvons être d’accord avec l’auteur qui traite le film de Peter Bate de pamphlet télévisuel (p. 102). Il s’agit d’un film composé de pièces d’archives, de montages et de témoignages. Il faut laisser le pamphlet au pamphlétaire et voir un film avec plus d’un critère et surtout pas celui du mépris continu. Pour terminer, puisque M. Dumoulin cite Jean Stengers en fin de volume (p. 122), nous voudrions faire de même : « Des soldats rapportaient des mains coupées aux morts (ou aux mourants) afin de prouver à leurs officiers qu’ils avaient fait bon usage des cartouches qu’on leur avait distribuées. ».(Congo Mythes et Réalité. Ed. Duculot, Gembloux, 1989, p. 99)
Léopold II, un roi génocidaire ?de Michel Dumoulin, est un soufflé exposé au rayon pâtisserie d’un supermarché, bien emballé, il retombe avant même d’avoir franchi la porte de sortie du grand magasin.
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