(II) Crise de l'euro
Depuis le début des années 70 et du flottement du dollar 1, on est entré dans la financiarisation du monde 2. Depuis la décision américaine sur l'inconvertibilité du dollar en or, les Etats engagés dans la construction européenne, ont en quelque sorte réinstauré entre eux un système de changes fixes, plus propice aux échanges, aux investissements, à la croissance. Cela a été le cas avec le Serpent monétaire européen puis le Système monétaire européen. En raison du fait que l'Acte unique européen (1986) libéralisant la circulation des capitaux ouvrait trop de possibilités aux spéculateurs, on a voulu en arriver à la création d'une monnaie unique.
L'Allemagne et son Mark solide, symbole de sa prospérité retrouvée, aimant à mener une politique monétaire autonome, était fort réticente à la création d'une monnaie unique. C'est la chute du Mur de Berlin en 1989 qui va permettre la création de la monnaie européenne. En échange de l'appui de ses voisins à la réunification, l'Allemagne l'accepte finalement. Cet accord sur la monnaie unique se traduit par le Traité de Maastricht, ratifié de justesse par le peuple français en 1992. Ce traité impose les fameux critères de convergence : l'inflation ne doit pas excéder de plus d'1,5% celle des trois pays où elle est la plus faible ; les déficits budgétaires doivent être inférieurs à 3% du PIB ; l'endettement public ne doit pas excéder les 60% du PIB (une condition que la Belgique n'a pas eu à remplir, sa dette tournant autour des 100% du PIB, mais cette dette est intérieure, le pays inspire confiance) ; les pays qui veulent intégrer la zone euro ne doivent pas avoir procédé à plus d'une dévaluation les deux années précédant leur intégration dans cette zone. De même les taux d'intérêt à long terme doivent être déterminés en fonction des pays où les taux sont les plus bas.
Ces critères ont un sens, mais comme ils ont commencé à être appliqués en 1993 en pleine récession - ce qui impliquait de laisser en bon keynésianisme de laisser filer la dette publique -, l'application des critères de Maastricht a eu comme effet d'empêcher la croissance économique dans la zone euro. Notre revue s'est élevée à de nombreuses reprises contre cette politique 3.
C'est en 1997 que l'on fait en quelque sorte le « choix » des pays qui entreront dans la zone euro. L'Espagne et l'Italie font tout ce qui est en leur pouvoir pour y rentrer. La France les soutient malgré les réticences de l'Allemagne. C'est depuis cette année que l'euro existe de facto même s'il n'est institué que le 1e janvier 1999 et ne circule qu'à partir de janvier 2001. La Grèce rentre dans la zone euro en 2001 seulement.
C'est à ce moment que se met au fond en place la dynamique qui crée la crise actuelle. Les pays économiquement les plus faibles ont cherché à rentrer dans la zone euro pour bénéficier (eux-mêmes et/ou leurs entreprises et ressortissants), de taux d'intérêt peu élevés, alignés sur celui de l'Allemagne. Et c'est bien ce qui se produit. Guillaume Duval écrit : « Avant même le lancement officiel de l'euro, les taux d'intérêt convergent à la baisse vers les niveaux allemands. Seulement, parallèlement, de légères différences d'inflation subsistent, même si la hausse des prix est, elle aussi, orientée partout vers le bas. Résultat : en mettant les compteurs à 100 en 1997, le niveau des prix était monté à 146 en Grèce en 2009 et à 139 en Espagne, tandis qu'il n'était qu'à 119 en Allemagne et 122 en France... » 4
Avant l'euro, c'était l'Allemagne qui bénéficiait des taux d'intérêt réel les plus bas (une fois l'inflation déduite), après ce fut au contraire au tour de la Grèce, l'Irlande, l'Espagne, le Portugal parce que leurs taux d'inflation étaient très élevés. Pendant un certain nombre d'années, les taux d'intérêts réels ont même été négatifs pour ces pays. C'est ainsi que a Grèce s'est fortement endettée, l'Etat grec en fait. Dans d'autres pays comme l'Espagne, le Portugal et l'Irlande, ce furent les particuliers et les entreprises. Ces pays ont à supporter une dette publique (Grèce) ou une dette des consommateurs (Espagne, Portugal) énorme. Ils ont cessé d'épargner et ont vécu au-dessus de leurs moyens. Contrairement à ces pays, l'Allemagne a vu la croissance de son économie freinée par des taux d'intérêt réels importants. Mais elle se rattrapait par les exportations.
Les problèmes rencontrés actuellement par l'euro tiennent aussi à cela, pas seulement à la spéculation (même si Goldman Sachs, tout en aidant les Grecs à dissimuler leur dette, s'est mis aussi à spéculer à la baisse sur les bons d'Etats grecs en les vendant « à découvert » - soit en en vendant à terme, sans les posséder - escomptant empocher la différence dans le cas où ils baissent).
Les difficultés de la Grèce auraient été plus facilement surmontées sans zone euro. En dévaluant, la Grèce aurait rendu tous ses ressortissants plus pauvres « mais aussi plus compétitifs vis-à-vis des voisins » 5. Les mesures demandées à la Grèce sont bien plus douloureuses. Ou les mesures demandées à d'autres pays comme l'Espagne et le Portugal qui vont se retrouver avec une croissance très lente contrairement aux années antérieures. Les pays plus favorisés comme l'Allemagne ou les Pays-Bas pourraient éventuellement relancer leur demande intérieure et ainsi soulager les autres pays européens (ce que la France avait fait, on s'en rend mieux compte aujourd'hui, lorsque Mitterrand prit le pouvoir en 1981 : sa relance intérieure fut alors en somme une relance pour toute l'Union européenne). Mais ce n'est pas ce qui est prévisible et au contraire, on s'oriente vers des politiques d'austérité. D'où le fait que certains préconisent un « gouvernement économique européen » susceptible d'obliger les pays de l'Union à adopter des politiques conformes à l'intérêt général européen.
Numéro de mars d' Alternatives économiques
Voir la partie (I) : (I) Grande Guerre, Keynésianisme, Stabilité, Dollar flottant, Néolibéralisme
- 1. La finance mondiale et sa crise
- 2. La "financiarisation" du monde
- 3. Voir Demain, l'Euro. Et alors ? avec tous les liens ad hoc vers les réflexions sur Maastricht.
- 4. Guillaume Duval, Comment la zone euro en est-elle arrivée là ?, in Alternatives économiques, mars, 2010, pp. 8-10, p. 9.
- 5. Guillaume Duval, ibidem.