Jugement d'un étranger sur nos autonomies régionales
Voici comment Jean Gandois explique la façon dont fut financé le plan de sauvetage de la sidérurgie en Flandre et en Wallonie. Il n'est pas inintéressant de le lire à quelques semaines d'élections régionales dont on n'aperçoit pas toujours bien l'enjeu... régional.
Jean Gandois écrivait dans "Mission acier", Duculot, Gembloux-Paris, 1986 (pp. 48-49):
On allait avoir besoin, en trois ans, d'environ 27 milliards supplémentaires. Bien entendu, il faudrait les emprunter. Il n'était pas question que l'Etat central donnât sa garantie, et les banques exigeraient un gage. Cet emprunt allait être gagé par des ressources que l'Etat accorderait aux régions; mais cet Etat lui-même, très pauvre, ne pouvait pas encore augmenter ses dépenses sans reprendre aux régions des impôts qui, normalement, leur avaient été précédemment affectés. Ceci nécessitait donc que l'un de ces impôts, en fait les droits de succession, soit retiré des ressources que la loi sur la régionalisation du 9 aout 1980 avait prévues pour les régions elles-mêmes. C'est ce qui a fait dire aux organisations syndicales que les morts wallons paieraient pour la survie de la sidérurgie de leur région.
En racontant ainsi les choses, je crois rester fidèle à leur esprit. Elles sont, dans la réalité, encore un peu plus compliquée que je ne l'explique [voir Ph. Destatte ci-dessous]. Pour arriver à bien les comprendre, je dus me plonger dans le droit constitutionnel belge: apprendre ce qu'étaient les communautés et les régions; approfondir les textes qui définissent leur rôle et leurs attributions. Je n'ai cessé, ensuite, pendant deux ans, d'essayer de mieux comprendre le fonctionnement des institutions.
Je crois que j'ai été séduit dans mon esprit et dans mon coeur: d'abord sur le plan intellectuel; il faut bien dire que la construction institutionnelle de la Belgique est un exercice extraordinaire et particulièrement sophistiqué, qui me semble tout à fait caractéristique de l'ingéniosité et de l'imagination belges. Ensuite, au plan affectif, il y avait deux façons, je crois, de ressentir ce message. L'une, décevante, qui, dans toutes ces complications, ne voyait que le côté terre-à-terre, parfois un peu mesquin, qui avait pu les engendrer. L'autre, qui me toucha, traduisait, à travers ces textes compliqués, l'effort désespéré de quelques hommes pour arriver à faire vivre ensemble, au coeur de notre Europe, deux communautés humaines qui ont tant de raisons de conjuguer leurs efforts, mais que l'histoire, la culture, la langue, séparent en les entourant de mauvais démons qui les incitent à chaque instant à se dresser l'une contre l'autre.
Dans "L'identité wallonne", IJD, Charleroi, 1997,Philippe Destatte précisa que l'opération se fit beaucoup au détriment de la Wallonie:
Le Gouvernement (...) décide la régionalisation du financement de la sidérurgie wallonne par retrait des droits de succession de la liste des impôts ristournables pour la Wallonie en échange de d'une intervention dans les charges du passé des régions et des communautés (....) L'opération se fait donc au détriment de la Wallonie, qui a géré de manière parcimonieuse alors que la trésorerie flamande est largement déficitaire... (L'identité wallonne, IJD, Charleroi, 1997, p. 357.)