L’image de la Flandre dans le mouvement wallon

Un état de la question sur les déficits de l’historiographie wallonne
25 avril, 2009

[Cet article a été publié en français et en néerlandais respectivement dans les Cahiers Marxistes, et Imavo en 2003. Il a été placé sur la page "actualités" et (re)daté en raison de l'intérêt que les internautes lui portent.]

Met de Walen maar zonder België (Ludo Abicht, Président du Maesereelfonds)

Avant-guerre, le Mouvement wallon était antiflamand (...) l’antique rivalité (...) (...) avait été entretenue par la hideuse presse bruxelloise. Sous le prétexte de créer une âme belge. (Raymond Colleye) [né et mort à Bruxelles, Président de la Ligue wallonne de Bruxelles]

Bruxelles se définit par rapport à ce qui l’entoure plus que par ce qu’elle est. (Serge Govaert)(*)


Au fur et à mesure que cet article prenait forme, je me suis rendu compte qu’il devrait faire en réalité l’objet d’un livre. Les lacunes de ce texte ont donc vocation à être comblées dans un ouvrage ultérieur bien plus étendu (si le temps m’est donné pour l’écrire). L’importance relative de l’apparat critique (encore incomplet) donne en tout cas, je l’espère, une idée (partielle) des pistes qu’il faudra encore explorer. Et j’ai aussi conscience d’être trop limité dans l’appréciation que je porte sur le positivisme de l’historiographie wallonne. Cet article résultant d’un colloque sur la bataille de Courtrai, le 5 octobre 2002, je voudrais signaler deux choses dont on n’y a pas parlé. À partir de 1937, le BWP fêta le 11 juillet 1302 et l’année suivante Paul-Henri Spaak y vint même prendre la parole. En 1939, la fête reçut un financement du syndicat des métallurgistes à majorité wallonne et un groupe d’ouvriers wallons y vont défiler avec le slogan « Les travailleurs wallons saluent les héros de la liberté en Flandre. » 1 . Pour Courtrai comme pour bien d’autres rencontres, tout un ouvrage ne suffirait pas à expliquer les relations entre mouvement flamand et mouvement wallon. D’autres que moi ont pu expliquer à quel point cette bataille de Courtrai est importante dans ce que Jean-Marc Ferry appelle la « formation » nationale, c’est-à-dire l’assemblage des territoires qui va donner naissance et contour au territoire de l’État-nation belge: on peut distinguer la « formation nationale » (élément objectif) de la « construction nationale » qui suppose un travail sur les esprits, une conscientisation 2 . À notre sens, il s’agit bien de l’État-nation belge tel que Pirenne en retrace justement la formation à partir des 14e et 15e siècles, époque précisément à partir de laquelle, comme il le note 3, une divergence apparaît dans cette formation nationale, la Principauté de Liège suivant à partir de là un destin distinct ce qui a pu conduire un André Monteyne à parler de la Belgique comme d’un malentendu 4. Et de fait la lecture attentive des tomes II à VI de Pirenne qui constituent l’histoire de la formation nationale belge, laissent de côté cette Principauté en la mettant à part (certes en y consacrant de nombreux développements). Mais le reste de la Wallonie n’est plus ou pas étudié par Pirenne. Les événements concernant la Wallonie non-liégeoise sont rares et le plus souvent inexistants. Le Hainaut n’obtient dans cet ensemble que l’une ou l’autre page, Namur ou le Brabant wallon bénéficient de quelques lignes et le Luxembourg d’à peu près rien. C’est une des choses qui étonnent quand on consulte les manuels d’histoire de Belgique, l’iconographie concernant la période de la formation nationale belge est en grosse majorité flamande (géographiquement) 5. Et c’est ce qui peut expliquer que la lecture du livre de Manu Ruys sur l’histoire de Flandre donne à un Wallon l’impression d’un déjà-vu 6. Certes, nous disons bien qu’il s’agit de la « formation nationale » mais cette « formation » a un sens sur la « construction » (on les confond même souvent, assimilant la nation à une sorte de « Corps mystique » traversant les âges). De tout quoi on peut conclure que si l’histoire officielle de la Belgique correspond bien à la formation nationale de la Flandre, on peut supposer que, dans ce cadre, la Flandre s’est aussi plus facilement « construite ». D’une certaine façon, elle n’a plus eu qu’à s’annexer la Belgique, même en nourrissant une visée séparatiste: Michel Quévit l’a remarqué (voir plus bas). On peut même aller jusqu’à penser que cela acclimate la Flandre au milieu belge, même pour des personnes attachées à la Belgique. Alors que la Wallonie « dépayse », littéralement parlé. D’où sa relative marginalité?

En fait le schéma qui informe cette histoire de la Flandre est à peu près le même pour la période 1300-1789 que celui de Pirenne ou que celui des manuels d’histoire de notre jeunesse. En ce sens la Wallonie est un peu étrangère à la Belgique et son plus grand historien a ignoré des faits aussi importants que les six siècles de l’Art mosan ou les prémices de cette révolution industrielle qui marquera profondément la Wallonie, une Wallonie très précocement à la pointe des techniques à l’honneur dans l’industrie aux 19e et 20e siècles. Dont l’aventure des Wallons en Suède (17e et 18e siècles) est l’illustration bien plus qu’anecdotique 7.

Image de la Flandre: une Wallonie existant par soi?

« J’aime la France », Fernand Braudel. commence ainsi L’identité de la France. 8 Il ne craint pas d’engager sa passion au seuil d’un ouvrage scientifique mais la somme énorme de publications de l’historiographie française, dont la valeur, globalement, n’est pas remise en cause, est aussi le fait de Français « passionnés ». (9) 9

L’auteur de ces lignes, lui-même « passionné », estime aussi que cela nuira pas à son travail. La proximité à sa propre société ou l’engagement en faveur de celle-ci n’est pas un handicap: « prendre ses distances » a écrit Ricoeur, « c’est une manière d’appartenir » et on ne peut prendre ses distances qu’en assumant ses appartenances. 10

Cependant les précautions prises par les historiens wallons comme Léopold Genicot dans la première histoire scientifique de la Wallonie (en 1973) 11, ou Philippe Destatte (24 ans plus tard en 1997) 12 n’étonnent pas: les premières histoires de Wallonie ont été jugées « non-scientifiques ». 13. Et l’historien français a cet avantage sur l’historien wallon (ou l’auteur qui cherche à transmettre son apport au débat), que la France est universellement reconnue. Pas la Wallonie. Dans la liste des mémoires en préparation à Louvain-la-neuve, en sciences politiques, on tombait une année sur le titre « L’identité wallonne existe-t-elle? » Dans son livre posthume, Jean Stengers, estime que la Wallonie et la Flandre ne sont que des « sous-produits » de la Belgique, que la Flandre est une nation, mais non la Wallonie décrite (avec Bruxelles) comme une « nébuleuse » , comme « à peine une nation francophone en devenir » 14. Les questions posées par Chantal Kesteloot au livre de Philippe Destatte L’identité wallonne, par exemple 15, montrent que la chercheuse du CGES partage le même scepticisme. Cela met l’auteur de ces lignes dans l’embarras. Si la Wallonie n’existe pas comme nation ou société (affirmation courante) comment se positionner?

Si la Wallonie existe comme nation ou société, pas de problèmes, l’exemple français le prouve. Or, c’est contesté. Faudrait-il donc d’abord s’expliquer sur l’existence d’une société wallonne? Oui. Si la Wallonie n’existe pas comme société, l’auteur de ces lignes est disqualifié pour se prononcer sur l’image de la Flandre dans le mouvement wallon puisqu’il relie ce mouvement wallon à une société qui n’existe peut-être pas. Et si celle-ci n’existe pas, le mouvement wallon n’est qu’hostilité négative, hallucinée ou hystérique à la Flandre. En revanche, si la Wallonie existe comme société, elle se fait une certaine image de la Flandre qui lui est propre et qui n’est pas celle de la Belgique francophone. Plusieurs auteurs autorisent à distinguer Belgique francophone et Wallonie, quand il s’agit du mouvement wallon. Il aurait deux branches, l’une qui défend le français en Belgique, l’autre qui se soucie des intérêts de la Wallonie et pour qui la défense du français est secondaire. En parlent ainsi un journaliste flamand 16 et une historienne bruxelloise 17.

Mais si la Wallonie est mise en doute (et elle l’est même par ces deux auteurs dont nous venons de parler, C.Kesteloot ou G.Fonteyn 18), elle n’est peut-être pas à distinguer (comme ils le prétendent), des Flamands francophones, des Belges francophones (Bruxellois ou habitants la Wallonie) qui s’en sont pris souvent - avec quelle véhémence haineuse 19 - au mouvement flamand d’émancipation populaire, pour défendre contre lui la langue française (et les Flamands francophones sont les plus durs 20). D’autres personnes estiment que la Wallonie n’est pas une nation et que sa vraie appartenance, c’est la France. Pour eux, la Wallonie appartient en un sens à la société française. 21


Si la Wallonie existe, en revanche, alors ce qui oppose le mouvement wallon à la Flandre ne doit plus être compris, moralement, comme une stigmatisation xénophobe, et, historiquement, comme un fait marginal 22. Ce mouvement a un sens en lui-même et s’il lui arrive de s’opposer à la Flandre, il s’agit d’un conflit entre groupes ou nations: dans lequel il faut montrer les raisons des uns et des autres, car les uns et les autres ont toujours jusqu’à un certain point, « raison ». Si c’est le cas, l’image de la Flandre en Wallonie (dans le mouvement wallon), négative ou positive, se rapporte à un conflit entre deux sociétés, deux nations, au même titre que les conflits qui ont opposé les nations européennes en train de s’unir, par exemple (toutes proportions gardées) la France et l’Allemagne. Mais l’historiographie wallonne peine à exprimer la Wallonie comme société, problème lié au sujet de cet article: l’image de la Flandre en Wallonie. Elle peine ou le récuse.

Le déficit théorique de l’historiographie wallonne

L’historiographie wallonne comme l’historiographie belge est d’allure positiviste. Pour elle, ce qui importe, ce sont les faits. Il y a une répugnance à saisir l’histoire comme mouvement d’ensemble 23. Alors que, pourtant, sans le recours au principe de causalité il n’y a plus ni récit ni histoire. Or l’historiographie wallonne répugne à établir des liens entre les événements 24. Non seulement les événements menant de 1830 à l’État quasiment confédéral d’aujourd’hui mais aussi les événements qui, s’enchaînant les uns aux autres, peuvent expliquer qu’il y a aujourd’hui quelque chose qui s’appelle « Wallonie » et cela en remontant dans le temps (Braudel reliait d’ailleurs la division de la Belgique en deux peuples aux invasions germaniques, y voyant le type de l’événement de longue durée 25).

Le mouvement wallon: des associations disparates ou la manifestation d’une société?

On a pu lire dans l’Encyclopédie du mouvement wallon, par exemple, que Wallonie-Écologie « ne fait pas partie du mouvement wallon » 26. Mais si la Wallonie est une société il faut intégrer en pareille Encyclopédie, non seulement ce qui porte l’étiquette « Wallonie » (y compris la Légion “ Wallonie ” 27, mais aussi les faits qui relèvent de cette société et qui ne sont pas marqués de l’estampille « mouvement wallon ». Et dépasser l’idée d’une histoire du mouvement wallon ou d’une Encyclopédie du mouvement wallon pour en arriver à une histoire de la Wallonie et une Encyclopédie de la Wallonie, tout simplement.

Car, hors de l’historiographie (moins en son sein), on n’hésite pas à traiter la Wallonie comme société, comme nation. Un historien comme Pierre Lebrun 28 tente d’un point de vue marxiste de comprendre les conflits des entités belges non à partir de leurs langues mais de données économiques dont il retrace le cadre à partir de la révolution industrielle qui surgit en Wallonie juste après l’Angleterre: il montre notamment que les problèmes communautaires cachent des problèmes plus fondamentaux opposant non des langues mais des sociétés 29. C’est ce que fait aussi l’économiste Francis Bismans en étudiant l’histoire de Belgique à partir du concept d’hégémonie chez Gramsci 30. Francine Kinet 31 a étudié comment les grandes grèves de 1960-1961, allumées au départ comme un conflit social classique, ont dépassé au fur et à mesure de leur déroulement ces simples objectifs sociaux pour s’en donner de nouveaux qui étaient politiques et renvoyaient à une nation ou société. Le sociologue Bernard Francq 32 fournit une explication de la rencontre entre mouvement ouvrier et mouvement wallon qui fait du Mouvement Populaire Wallon un mouvement social au sens de Touraine. Serge Deruette 33 a repris le travail marxien mené par André Renard lui-même et pense que la grève de 1960, avec son dessein fédéraliste, est une option de la classe ouvrière wallonne qui peut s’expliquer en fonction des intérêts de cette classe dans l’État belge. Giovanni Carpinelli a insisté sur le fait que les Bruxellois, les Flamands, les Wallons sont des groupes dont l’existence est en partie autonome des stratégies menées par les diverses classes sociales en leur sein (il dit certes que les Wallons forment un quasi groupe) 34. Denise Van Dam explique ce qui distingue les élites économiques et sociales ainsi que les élites culturelles de Flandre et de Wallonie (bien disposées les unes vis-à-vis des autres), et notamment l’opposition classique entre identité républicaine (plutôt la Wallonie) et ethnique (plutôt la Flandre) 35. Cette distinction classique est bien résumée par Giovanni Carpinelli 36, très récemment, dans un contexte européen où il compare plusieurs théories de la nation et plusieurs formations nationales (Italie, Allemagne, France Angleterre, Irlande, Flandre etc.). On trouve d’autres états de la question sur les diverses théories de la nation, états de la question tout à fait récents chez Michel Seymour 37 et Jean-Marc Ferry38 L’auteur résume la position de Jûrgen Habermas sur l’État mondial en confrontant cette position avec le débat américain entre « communautariens » (Waelzer par exemple ou Taylor) et « libéraux » (Rawls). Ce qui permet de saisir que la discussion n’oppose pas des visions forcément radicalement incompatibles. De sorte que sans nécessairement prendre parti dans le débat, l’historien pourrait s’en nourrir.

Michel Quévit, dans une analyse classique, a montré (ce que ressentait déjà le MPW), une Wallonie dominée par une classe dirigeante s’identifiant peu à cette société 39 ou comme le dira Robert Devleeshouwer, 40 moins solidaire de sa communauté. Jean Alexandre 41 avait pensé semblablement à la même époque. Jean-Marie Lacrosse 42 a voulu comprendre la dualisation de la Belgique à partir des réflexions de Marcel Gauchet dans Le désenchantement du monde.

Les hommes du « poème » (au sens aristotélicien de « récit » visant toute oeuvre d’art)

Le théâtre de Jean Louvet 43 est une manière de re-présenter la société comme récit sur la scène mais se différencie d’une littérature dite « engagée » (quand le « patron » politique - « patron » au sens de la couture - informe la démarche littéraire et la vide de sa spécificité). Il y a de même chez Thierry Haumont 44 une tentative de ressaisie de la Wallonie comme société dans un langage qui ne prend pas non plus comme « patron » le discours politique. Bien que s’approchant plus de la sociologie, un André-Joseph Dubois 45 relie les luttes sociales en Wallonie à certaines données de l’usage du français en Wallonie marquées par des conflits internes et non les conflits linguistiques Flamands/Wallons. Jacques Dubois 46 dénonce la « violence symbolique » des médias francophones belges sur la Wallonie et ma contribution est d’avoir rédigé un livre où je décris à travers des centaines d’articles de presse, émissions de radio et télé, livres, contributions... le discours par lequel la Wallonie est agressée et niée comme société, discours négatif à ce point répandu qu’il rappelle en négatif les exigences d’un discours identitaire efficace selon Jean-Marie Klinkenberg 47. Il y a aussi le cinéma de Paul Meyer 48, de Jean-Jacques Andrien 49, des Dardenne 50, (ceux-ci réticents à l’égard de l’idée wallonne, mais qui, en même temps, élaborent des oeuvres qui se conçoivent à partir de leur « ici » 51, comme C’est arrivé tout près de chez vous de Belvaux, Poelvoorde et Bonzel (1992). Jacques Polet, professeur à l’IAD et l’UCL, n’hésite pas à écrire ce qui nous semble exact que lorsque l’on parle pour le cinéma wallon d’un lien étroit au réel: « il ne s’agit pas simplement d’y voir un horizon référentiel, un cadre, mais bien l’articulation à une culture sociale profonde nourrie par l’histoire de la Wallonie, principalement son histoire économique, et ses mutations industrielles. » (nous soulignons) 52. L’historiographie wallonne (en raison de son caractère récent? 53) a oublié la remarque de Sartre selon laquelle les faits ne s’organisent pas d’eux-mêmes face à la conscience du savant. Il faut une théorie pour voir qu’ils sont liés entre eux (s’ils le sont). Ou seulement un cadre permettant d’embrasser les choses sur la longue durée (ce que fait Pierre Lebrun). Ou peut-être l’intuition « poétique » (de l’auteur de récits, du « poète », qu’il soit dramaturge, romancier ou cinéaste)). Ricoeur propose aussi l’idée qu’en débutant par « Il était une fois » (ou formule semblable), tout récit imite la démarche scientifique car se nourrissant de la réalité vécue, brute, chaotique, « vide » de sens, le récit du « poète » imprime à ce divers désorganisé sinon un ordre (comme c’est l’ambition de la démarche scientifique) du moins un sens. N’est-ce pas encore plus vrai des historiens qui ne lisent pas assez ce que nous nommons « poètes », alors que leur métier est quand même aussi le « récit »? Rigoureux, évidemment. mais les « poètes » sont très rigoureux...

Pourquoi la Wallonie apparaît moins comme « fait »

Le positivisme de l’historiographie wallonne tend à la focaliser sur ce qui à l’intérieur de la Belgique prend allure de fait. Si, selon Durkheim 54 ou Rousseau 55 qui l’a inspiré (comme il a inspiré Lévi-Strauss) la société ne se saisit que par inférence, réalité transcendante aux individus (mais matérielle) non visible directement, (et qui pour cet athée, est à l’origine de l’idée d’un Dieu à l’existence illusoire), on peut le comprendre. En effet, si les sociétés sont « invisibles » (au sens de Durkheim), les États ne le sont pas, tel l’État belge. De même une langue qui parvient à s’imposer comme officielle et marquant le paysage social d’une région en l’instituant comme fait collectif: la Flandre. Puis la Belgique dont la langue est le français: la Belgique francophone. Enfin, une Ville avec l’évidence du périmètre de son habitat, des activités et échanges de ses habitants: Bruxelles, Dans cette énumération, la Wallonie était (reste) le maillon faible. Il y a plus qu’un embryon d’État à Namur mais c’est très récent. Beaucoup estiment que l’existence d’institutions étatiques wallonnes, nanties de compétences étendues en politique intérieure, européenne ou extérieure, sont l’aboutissement d’une Wallonie obtenue par « soustraction » 56, ou par « réaction » au mouvement flamand 57. Cela pourrait créer une nation wallonne mais dont l’existence serait aussi artificielle 58 que la Belgique 59. Un « fait » peut-être mais qui n’a pas la consistance du fait belge, flamand, bruxellois ou belge francophone.

Un ouvrage capital: « Leopold III »

Une place importante doit être faite ici à l’ouvrage de Velaers et Van Goethem qui en 1000 pages centrées principalement sur le règne de Léopold III de 1934 à sa libération en 1945, établissent justement le cadre que nous rapprochions plus haut de la théorie. Ce qui est frappant dans ce livre c’est qu’il analyse par le menu la pièce centrale de l’édifice institutionnel belge jusqu’alors, à savoir la monarchie et en un moment où le système belge est menacé comme jamais par le cours contraire de la guerre. En 1914-1918, victoire ou défaite ont été jusqu’au bout indécises. En 1940, on pouvait penser que la victoire allemande était définitive. Or c’est dans les crises graves qu’un édifice institutionnel dévoile au plus profond ses mécanismes ultimes. Tel cet aspect du système belge qu’est la monarchie mais aussi les forces économiques dominantes, l’environnement international, les sentiments centrifuges etc. On peut estimer que cet ouvrage (publié seulement en néerlandais), est l’ouvrage le plus marquant de l’historiographie belge depuis Pirenne. Mais tout au long de ce long ouvrage, un partenaire n’apparaît jamais qu’en creux, à savoir la Wallonie. Et c’est pourtant la Wallonie qui met un terme à la crise de la monarchie par l’insurrection de juillet 1950 et le retrait de Léopold III (certes partiel puisqu’il a continué à influencer Baudouin jusqu’à l’année 1960). 60.

La leçon de Bruno Latour

Dans quelle mesure, en fin de compte, ne faut-il pas faire intervenir ici la subjectivité? C’est ce que propose Annie Dauw, analysant les réactions pro et contra du Manifeste pour la culture wallonne. Elle écrit: « Heel standpunten worden ingenomen door de militanten die de Waalse identiteit koesteren en de anderen, die deze afwijzen. Er moet dan ook rekening mee gehouden worden dat de meeste visies enkel het engagement weergeven van een auteur. Ook de antwooorden van de respondenten van de gesprekken waren nooit neutraal. De subjectiviteit van de respondenten onloochenbaar beantwoordde aan hun geloof of ongeloof in de Waalse identiteitsvorming. » 61. Beaucoup seront peut-être gênés de voir intervenir la « foi » qui ne peut évidemment pas décider du fait qu’il y ait ou non une société. Mais qui est le moyen par lequel une société s’agrège. Ricoeur émet l’idée qu’il n’y a de groupe social qu’en rapport avec son propre avènement 62. Et Bruno Latour, suivant en cela quelque peu la distinction des deux universalismes selon Waelzer 63, estime qu’il y a un universel en mesure de « sécréter du “ même ”, de l’identique du continu qui ne repose pourtant pas sur le maintien d’une substance intacte à travers l’espace et le temps ». Latour donne alors l’exemple des amants qui « peuvent dire sans mentir que l’amour qui les anime maintenant comme s’il avait duré toujours est infiniment plus fort, plus profond, plus solide, qu’il les rapproche bien davantage qu’à leurs débuts. » 64 On peut rester perplexe devant pareilles assertions mais des agnostiques comme Régis Debray parlent de la même façon de leur rapport à la nation 65. Nous reviendrons sur cette manière de penser, plus critique et empirique finalement que le positivisme.

Le conflit Flandre/Wallonie au-delà du conflit français/néerlandais

L’historiographie wallonne - comme l’historiographie belge - fuit devant le concept 66, quelle que soit son origine: « poétique » (au sens d’Aristote), philosophique, sociologique, économique et même... historique. Elle se méfie de la théorie. On peut contester que l’histoire a un Sens qui rendrait compte de tout, diluant la nature même de l’événement. Mais il est tout autant dangereux de nier que l’histoire ait « du » sens 67 (un événement qui n’est pas raconté n’a pas eu lieu estime Hannah Arendt). Comment des historiens, qui doivent relier des faits entre eux, hésitent-ils à le faire sans déterminer au moins un certain cadre? Refusant la théorie, s’en tenant trop aux seuls « faits », l’historiographie wallonne laisse libre cours à la théorie sur les faits les plus patents: Belgique, Belgique francophone, Flandre, Bruxelles. Or ces diverses entités ne sont pas sans discours à leur propos, contenant nombre d’éléments théoriques! Nous reviendrons surtout sur la Belgique et la Belgique francophone et ce que nous croyons être sa xénophobie foncière. Mais, ici, voyons d’abord la Flandre.

Le wallon dans le conflit dit « linguistique », surdétermination de ce conflit

La Flandre va mettre en avant son émancipation culturelle. et par là présenter comme obstacles à celle-ci, indifféremment, Wallonie ou Belgique francophone, désigner d’un seul mot Wallons et « Belges francophones » (« Walen ») 68 . Il peut s’ensuivre que l’on décrive le mouvement wallon (car on ne reconnaît pas la Wallonie comme société), comme simplement hostile à la Flandre ou au flamingantisme 69. Or, indépendamment du fait qu’il faut considérer la Wallonie comme société, il existe un série de conflits à l’intérieur de la formation sociale belge qui opposent la Wallonie à la Flandre, hors du champ linguistique, mais que le seul poids du positivisme pousse à envisager quand même encore sous le seul angle linguistique ou quasiment. Ou principalement déterminé par ce phénomène de l’opposition de deux langues.

D’ailleurs, même sur le plan strictement linguistique, le français et le néerlandais (ou le flamand) ne sont pas seuls en jeu. Il y a ausi le wallon 70 . C.Kesteloot estime: C'est au nom du français que les premiers militants wallons encouragèrent les Flamands à abandonner leur langue sous prétexte que les Wallons aussi avaient abandonné leurs dialectes en faveur du français, langue universelle: unique chemin vers la civilisation. Les premiers militants wallons identifiaient clairement le flamand - de quelque forme qu'il soit - avec leurs dialectes régionaux et essayaient de démontrer qu'eux aussi avaient dû renoncer à leurs pratiques linguistiques ancestrales pour accéder à la langue française. 71 Les parlers wallons n’ont pas seulement été instrumentalisés en faveur de la défense d’une Belgique française. C’était sans doute l’intention des premiers militants wallons et les institutions fondées pour la défense des dialectes en Wallonie étaient pénétrées de l’idée qu’il fallait en finir avec le wallon. Mais d’autres militants ont eu une autre attitude commelemontre Arnaud Pirotte 72. A.Pirotte souligne aussi que la référence au wallon peut être un simple prétexte pour refuser l’institution du néerlandais comme langue officielle. Mais qu’elle est aussi, souvent, prise en compte pour elle-même, sans être instrumentalisée. Et surtout il y a la réalité (indépendamment des intentions, même Arnaud Pirotte tend peut-être à l’oublier...), de ce qu’ont éprouvé les Wallons face à la substitution du français au wallon. Une langue ne meurt pas, on la tue répète Laurent Hendschel 73. Les langues les plus exposées à ce meurtre peuvent résister si elles trouvent une « zone de résistance » comme le gallois dans le fait qu’il est la langue de la liturgie qui joue de ce fait « un rôle protecteur » 74 à son égard, rôle pouvant être assumé aussi quand la langue se trouve être « un instrument et un symbole de l’identité » quand existe une conscience nationale.

La disparition du wallon ne prouve-t-elle cependant pas l’inexistence d’une conscience nationale wallonne? La langue wallonne a toujours été considérée comme n’ayant aucun statut dans les recensements linguistiques alors que, dans certains cas, le résultat des recensements en aurait été modifié 75. Il est vrai qu’il a été question d’imposer le wallon aux juges nommés en Wallonie (en 1935) 76 mais on peut penser qu’il s’agit là aussi en partie d’une instrumentalisation du wallon, le but étant d’empêcher que des juges flamands soient nommés, car le wallon, langue populaire, non officielle, peu ou pas étudiée scolairement, était, comme toutes les langues dans cette situation, bien plus difficile à apprendre pour quelqu’un qui n’est pas un locuteur natif. Mais on peut penser que le mouvement flamand a eu aussi le même but, toutes proportions gardées. Car, si, dans les années 1930, le wallon était bien moins établi que le néerlandais - et l’est encore bien moins aujourd’hui - l’attractivité sociale du néerlandais pour des habitants d’une Wallonie n’ayant jamais possédé d’élite néerlandophone au contraire de la Flandre, qui, elle, a toujours possédé une élite francophone, était fatalement très faible. On pourrait même dire que le wallon par rapport au néerlandais était peut-être - dans le rapport des forces ou compte tenu de ce que Bourdieu appelle la « distinction » - dans une position comparable (en Flandre) à celle du néerlandais par rapport au français, raison pour laquelle le wallon n’aurait pas pu être pris en compte dans les recensements linguistiques aux yeux des Flamands, la comparaison étant de fait humiliante et dangereuse (voir P.Lévy à la note (76)). En outre, de nombreux linguistes observent qu’une langue ne peut s’imposer par la seule contrainte étatique, la seule qui aurait pu jouer - en Wallonie - en faveur du néerlandais. Il n’en allait pas de même pour le français en Flandre, non pas nécessairement d’abord en raison du grand prestige du français à l’époque (et qu’il garde en quelque mesure), mais en raison du fait que la langue de la bourgeoisie exerce une contrainte moins évidente, moins visible que la pure contrainte étatique, une contrainte étatique qu’on pourrait assimiler quasiment à la violence au sens propre par opposition à la violence symbolique (qui suppose le consentement de celui qui la subit), violence typique d’une domination linguistique.

Trois éléments rarement pris en considération

Il reste à signaler trois autres éléments tout aussi importants - sinon plus importants - mieux connus, plus généralement acceptés, mais qu’on perd de vue. Le premier, c’est que les Wallons, vivant difficilement la substitution du wallon au français (même plus ou moins consentants) 77, ont dû ressentir durement en 1932 les propositions d’étendre le bilinguisme envisageable en Flandre à tout le pays. On continue à dire aujourd’hui que l’unilinguisme de 1932 aurait été une erreur 78, vieille rengaine. On a quelques indices (et plus encore la simple logique!) à ce sujet qui permettent de dire: la population wallonne, après avoir dû commencer à substituer le français à sa langue, ne pouvait que ressentir comme impossible le fait qu’on la pousse à en adopter une seconde, le néerlandais, alors que le français était loin d’être assimilé. Les préjugés d’une certaine élite flamande bilingue ont marqué l’opinion wallonne à cet égard, mais sans modifier son comportement et pour cause ... 79. Ceci a joué contre le bilinguisme: réaction spontanée 80. Le deuxième élément c’est le fait que, comme l’a montré Pierre Verjans, le refus du néerlandais, comme dans les Fourons 81, s’exacerbe, car son imposition exprime la minorisation de la Wallonie. Plusieurs lois linguistiques, celles de 1921 82 et celles de 1962 83 notamment, ont été votées au parlement belge par une majorité de parlementaires flamands 84).s’imposant numériquement aux parlementaires wallons, chose qui s’est récemment reproduite 85 . Le troisième élément c’est que, d’une manière générale (quoique par des gens extérieurs à la Wallonie ou se disant tels), les traces du wallon subsistant toujours aujourd’hui sont parfois moquées d’une manière 86 qui ressemble à la façon dont autrefois le flamand était méprisé. Dans le discours antiwallon à la suite du Manifeste pour la culture wallonne, c’est cette langue méprisée qui est associée au texte (qui n’en parle pourtant pas!) pour le décrier 87 . On peut même trouver dans la presse francophone le même comportement à l’égard de langues minoritaires, mais visant la démarche culturelle wallonne 88. Les Flamands eux-mêmes à Leuven, imitaient la manière dont les Wallons (non les Français ni les Francophones), prononcent « Wallon » ou « Wallonie » (en traînant sur le W) dans la manière de crier « Walen buiten ».

Les autres conflits: dans le mouvement ouvrier en 1880, dans la Deuxième Guerre...

Si le wallon a été aussi instrumentalisé pour combattre le flamand ou le néerlandais, cette langue, indépendamment des projets qui visent à en faire une langue officielle de la Wallonie, a été imputée à certaines formes de mouvement wallon qui pourtant ne s’en réclamaient pas ouvertement ou avaient pris soin de ne pas le faire 5fn] Voir Qué walon po dmwin, op. cit. et JC Somja qui montre que la Communauté française a comme conséquence de pousser les Wallons à n'exister que face à l'hostilité flamande, p. 335.. Sauf certains historiens comme Philippe Raxhon, on ne lit guère les textes wallons pour éclairer l’histoire 89. Dans plusieurs circonstances la Flandre et la Wallonie (ou du moins Wallons et Flamands) s’opposent sur un autre terrain que le terrain linguistique comme le montrent les dissensions dans le mouvement ouvrier (étudiées par Jean Puissant 90 à la fin du 19e siècle, et illustrée par une lettre pathétique d’Alfred Defuisseaux 91 absent de l’Encyclopédie du mouvement wallon), ou durant la campagne des 18 jours en mai 1940 92 qui a suscité des traumatismes comme le démontre le Manifeste de la Wallonie Libre 93. Les meilleurs textes sur ces déchirures peuvent être écrits en wallon, l’expérience des prisonniers de guerre par exemple 94 . Les contradictions entre l’aile flamande et l’aile wallonne du mouvement ouvrier sur le type d’organisation à donner à l’action politique et syndicale de la classe ouvrière dont nous avons parlé pour les années 1880 vont se reproduire dans un autre contexte dans les années 50 (et pas seulement sur le problème du déclin wallon comme on le croit trop vite (voir infra note (109))

Le comportement des régiments flamands et wallons pendant la campagne des 18 jours interpelle aussi. Cela n’aurait pas été l’élément déterminant d’un conflit Flandre-Wallonie selon Philippe Destatte. Mais le Manifeste de la Wallonie Libre monte pourtant ce fait en épingle (voir note (90)). Il y a eu un sentiment diffus d’une différence fondamentale entre Flamands et Wallons. Louis Sohy, Wallon prisonnier de guerre en 1940, a écrit l’un des récits les plus documentés, le plus chargés de réflexion (voir note (97), sur l’expérience des Wallons retenus jusque la fin de la guerre en Allemagne contrairement aux Flamands libérés dans les premiers jours, semaines ou mois. Il note au moment où se pressent cette libération des Flamands par les Allemands: « Si dj’vos è pârlè du meur di bârbèlès, c’èst pou vos dîre èl vrè. Djé l’fè sins mèchançté, sins mwèchès pinsèyes, pacquî pou mi, in ome, c’è-st-in ome, mins î faut awè passé tous cès pas-la pou comprînde qui ieûs’ eyèt nous-autes, non, nos n’ pârlons nén l’min.me lingâdje, qui nos n’avons nèn lès min;mes camarâdes èyèt co mwins’ lès min.mès idèyes (...) Oyi, nos avons d’dja ieû dès sonètes dèl mobilisation mins roci is nos ont drouvu lès îs... » (p. 51) Car on a nié ou douté de la vraisemblance de ces attitudes, comme Marc Delforge juste après la guerre 95, mais la Résistance fut sept fois plus forte en Wallonie et à Bruxelles qu’en Flandre 96, ce qui à son tour explique, proposition universellement reçue, l’attitude de la Wallonie face à Léopold III de 1945 à 1950.

Quant à la libération des prisonniers flamands, on peut certes l’imputer aux seuls Allemands. Mais le comportement électoral des Wallons d’avant 1940 l’a aussi dictée de même que leur attitude durant la campagne des 18 jours 97. De plus, elle n’a été possible en certains cas qu’avec la collaboration de commissions composées de Flamands seuls à même de faire la différence entre Flamands et Wallons, surtout les Wallons capables de parler le néerlandais, ayant un nom flamand etc., chose dont les Allemands ignorant souvent le néerlandais étaient la plupart du temps incapables 98. Louis Sohy explique que voulant visiter un ami flamand dans le quartier réservé aux Flamands (premiers mois de captivité en Allemagne): « on m’rèspond “ Walen buiten ” come djî vos l’dis... » (p. 52). Il ponctue souvent ces observations de « c’est vrai », de « je ne vous mens pas » (etc.), comme si cela sortait de l’ordinaire, du vraisemblable. En général, on oublie que sur les événements de rupture belge, surtout du côté wallon et francophone, s’organise immédiatement un discours belge lénifiant et euphémisant. Louis Sohy revient à maintes reprises sur la libération des prisonniers flamands, ce qui montre bien qu’elle l’a marqué. À la p. 59 (« on va lès rèvoyî d’èyu c’qu’is vèn-nut, come dès djins, mins pus come dès tchvaus »), à la p. 70 (les Français remplacent les Flamands dans certains commandos de travail), à la p. 71 sur les Flamands d’origine mais wallonisés avec leurs patronymes flamands (« lès céns (...) qui ont vnu cachî à mindjî dins nos corons » mais « acetûre c’ît dès walons, dès vrés » ), à la p. 73 sur la réaction des Alsaciens-Lorrains que le narrateur trouve différente avec moins de gens qui sont libérés (« i gn’a wère pacqui, in fracès c’è-st-in francès, bén pus “ chauvin ” qu’nous-autes tèrtous. »), etc. Le livre regorge de témoignages de sentiments d’appartenance à la Wallonie au point que lorsque le train des captifs libérés arrive en Wallonie par Tournai (étrangement), il commente: « Tous lès prijonïs pou l’Borinâdge, Châlèrwè, Nameur, Lîdge èt co pus lon duvnut candjî d’ train. » (p. 162). Ce récit est corroboré par les notes historiques de Paul Delforge. Malgré la libération de certains prisonniers parlant le luxembourgeois dans l’arrondissement d’Arlon 99, le nombre de prisonniers de l’armée de réserve provenant de Bruxelles, est trois fois moins élevé que ceux de la province de Luxembourg, cependant cinq fois moins peuplée avec 200.000 habitants à l’époque contre 1 million à Bruxelles.

Congrès wallons, contradictions au sein de la FGTB dans les années 50

La rupture avec la Flandre sur des questions qui ne sont pas celles de la langue mais qui oppose deux sociétés (ce qui est déjà vrai à la fin du 19e siècle, puis à travers la Première puis la Deuxième guerre) se vérifie sur d’autres phénomène comme le culte à Albert I 100, et se répète avec les Congrès nationaux de Liège en 1945 et Charleroi en 1946 (et 1950). Plusieurs interventions (comme le rapport de Fernand Schreurs 101 sont très sévères à propos de la Flandre. François Simon agite dans son discours des fantasmes antiflamands à la limite de la germanophobie (mais il y a peu d’allusions à la langue 102 ). Cependant l’orateur le plus longuement et le plus fortement applaudi (d’après les comptes rendus et à l’exception de Plisnier en clôture), c’est Fernand Dehousse qui n’évoque pas un seul instant les problèmes de la Wallonie vis-à-vis de la Flandre mais de « Bruxelles », entendue ici comme le symbole du pouvoir belge 103. Il place la Wallonie exactement dans la même situation, mutatis mutandis , que pouvait se situer la Flandre en 1850. On sait le résultat de la Consultation populaire en mars 1950. Les votes OUI et NON peuvent être découpés selon un autre critère que le fait d’appartenir à la Wallonie (et à Bruxelles), d’une part, à la Flandre d’autre part: selon le degré d’urbanisation ou d’industrialisation des arrondissements. Mais même l’arrondissement wallon d’Arlon-Marche-Bastogne - très rural, le plus favorable à Léopold III (et des prisonniers luxembourgophones y ont été libérés en 1940) -, est cependant à peine au-dessus de l’arrondissement le moins favorable de Flandre, soit celui d’Anvers 104. Contrairement à ce qui est souvent dit, l’abdication différée au début d’août 1950, soulignée par la prestation de serment du Prince Royal, ne met pas un terme à l’agitation. Puisque Julien Lahaut est assassiné le 18 août et son enterrement suivi par une foule de plus de 100.000 personnes. Robert Moreau note que dès le 30 août 1952, le Comité provincial élargi de la FGTB-Hainaut se prononce pour le confédéralisme; le 29 août 1953, la Régionale FGTB de Charleroi prend position pour le fédéralisme, avec le 30 août 1953 une nouvelle prise de position en ce sens de l’ensemble des régionales du Hainaut; le 25 septembre, c’est au tour de celle de Namur ce qui fait qu’on peut penser (l’adhésion de la FGTB de Liège au mouvement wallon date du Congrès national wallon extraordinaire de Charleroi en mars 50), que la prise de parole de Willy Schugens (de Liège) au Congrès national wallon de 1953 représente le sentiment de la FGTB wallonne; l’interprétation pratique des résolutions unanimes des Congrès FGTB de 1954 et 1956 sur les réformes de structures font l’objet de graves tensions entre Flamands et Wallons de la FGTB; en 1952 et en 1957, des tensions apparaissent également devant des projets visant à accorder des exemptions fiscales en Flandre dans des arrondissements représentant 65% de la population flamande (contre la même chose pour seulement 20 % de la population wallonne); en 1957, un autre projet permettait de limiter les salaires pour les mêmes raisons dans les mêmes régions et selon les mêmes proportions; le 10 mars 1958, une rencontre entre la FGTB du Hainaut et André Renard propose une fédéralisation de la FGTB; toutes ces tensions aboutissent à ce que le 29 janvier 1960, une grève, que Renard avait voulue nationale au Congrès de la FGTB de 1959 (grève d’avertissement en faveur des réformes de structures), n’ait lieu qu’en Wallonie (105. C’est la préfiguration des dissensions 11 mois plus tard en décembre 1960 et janvier 1961 et l’écho aux autres dissensions déjà apparues dans les années 1880, quoique pour d’autres raisons, mais tenant aussi à la différence de conceptions de l’action ouvrière, et d’alleurs sur l’opportunité également de proposer la grève générale. Bizarrement, Witte et Craeybecks minimisent ce phénomène autour de Renard et en font un isolé 106

Nous insisterons moins sur ce qui suit, parce que cela est un peu mieux connu alors que sont moins connues les discussions au sein de la FGTB durant pratiquement toutes les années 1950 et où se profilent les développements ultérieurs. Redisons que ce qui est en cause, ce n’est pas nécessairement l’appréhension du déclin wallon mais, comme dans les années 1880 et après, le heurt de deux conceptions du syndicalisme et de l’action politique ouvrière, heurt renvoyant à des conceptions liées au fait que Wallons et Flamands appartiennent à des sociétés différentes dont les réactions foncières ne sont pas les mêmes dans un nombre élevé de situations. Le fait que ces différences aient été reconnues au sein même du mouvement ouvrier est un indice de toute première force parce que le mouvement ouvrier a un adversaire principal qui est la bourgeoisie et parce que les appels à l’unité ont souvent recouvert les divergences entre Flamands et Wallons, une certaine orthodoxie marxiste et social-démocrate pouvant, à la rigueur, plaider en faveur des Flamands (dans la conception qui fait de la Flandre la seule société ou la seule nation dominée, la Wallonie ne pouvant l’être puisqu’assimilée au groupe francophone dominant). Il y a une telle récurrence dans ce type d’argument (en faveur de l’unité ouvrière) qu’on se dispensera d’en donner des exemples.

Les griefs que la Wallonie nourrit à l’égard de la Flandre sont parfois violents et haineux. Ils peuvent évidemment paraître se confondre avec l’hostilité foncière de la Belgique francophone (Flandre comprise) de sentiment unitaire vis-à-vis du mouvement flamand. Mais ils ne s’y ramènent pas. Parler des sentiments négatifs de la Wallonie vis-à-vis de la Flandre ne concerne donc pas seulement une émancipation linguistique et culturelle considérée comme légitime. L’hostilité à la Flandre a bien d’autres raisons que la supposée prétention francophone à la supériorité du français (même si cela existe), de même qu’à un certain degré d’avancement économique, social et culturel de la Wallonie pendant les 140 premières années de l’histoire de Belgique. Il faudrait peut-être dans le cadre de la fameuse « identité reconstructive » chère à Jean-Marc Ferry (c’est-à-dire la réconciliation), s’habituer à considérer l’opposition de la Wallonie à la Flandre comme aussi légitime que l’opposition de la Flandre à la Wallonie. Il y a là un conflit très fondamental, qui ne provient pas seulement de l’injustice ayant consisté pour l’État belge à imposer le français comme langue officielle aux Flamands en 1830. Sans doute, peut-on penser que ce fut l’élément déclencheur , mais il rend vraiment très mal compte de ce qui suit. De la même manière que le mouvement wallon n’est pas d’abord antiflamand, le mouvement flamand n’est pas d’abord antiwallon: la Flandre et la Wallonie sont à la recherche de leur reconnaissance dans un cadre belge où il arrive qu’elles se heurtent durement mais aussi où il arrive - peut-être plus souvent - qu’elles parviennent à trouver entre elles les compromis nécessaires, ayant toujours évité la violence dans l’affrontement nationaliste direct, et devant sans doute l’éviter à l’avenir au fur et à mesure où ces deux sociétés en devenant distinctes, sentent s’ouvrir leur appétit de s’entendre comme les nations européennes s’entendent aujourd’hui, le nationalisme agressif étant rejeté par l’expérience des deux guerres. À notre sens, définitivement. C’est une façon de rencontrer cette importante difficulté soulevée par Philippe Raxhon dans son ouvrage sur le Congrès national wallon de Liège: « Le mouvement wallon (...) se structure à un moment où l’idée nationale elle-même est remise en question, notamment chez les démocrates, parce qu’elle a montré ses limites et ses dérives qui ne ce seront plus d’être mises en évidences après la Première Guerre Mondiale, et parce qu’elle n’est plus intellectuellement recevable sans critique. » 107.

Il faut voir aussi de quelle nature est l’opposition de la Wallonie à Bruxelles ou à ce que l’on suppose être « Bruxelles » et parler du discours théorique belge sur la singularité belge qui est prioritairement répandu. Cette singularité nous semble celle du discours, non de la chose visée. Voici comment nous pouvons l’établir.

Le nationalisme belge dissimulé comme nationalisme

Invitée en mars 2000 à animer un séminaire à l’Université de Louvain-la-neuve la professeure de lettres françaises de l’université d’Aalborg, Inge Degn, met en cause la façon dont Marc Quaghebeur voit la réalité littéraire belge 108. Notamment dans un texte intitulé Et si nous cessions d’hypostasier la langue 109. Pour Inge Degn, Marc Quaghebeur, tend à opposer une France jacobine, homogène, peu réceptive à la diversité, à une Belgique francophone plurielle, riche de diversités, en raison de la dualité linguistique du pays.

Elle pense que la définition que tend à donner M.Quaghebeur de la Belgique francophone, vise aussi à empêcher l’expression sereine, « naturelle » d’une littérature qui se sentirait simplement chez soi, une littérature wallonne (de langue française), telle que Jean Louvet, Thierry Haumont, Guy Denis, Nicole Malinconi, Julos Beaucarne, André-Joseph Dubois, Charles Plisnier, Maurice des Ombiaux, Georges Simenon, Henri Michaux, Robert Vivier, Herman Closson, Madeleine Bourdouxhe (etc!) l’illustrent à foison. Pour elle, la question de savoir si, au Damemark, on peut définir la littérature du pays comme « danoise » ne se pose pas. La question ne se pose pas non plus de savoir si définir la littérature danoise comme... danoise serait « nationaliste ». Ce qui est insinué pour la littérature de Wallonie par tout un courant dont l’un des penseurs est justement Marc Quaghebeur. Celui-ci renverse étrangement les rapports de la littérature à la société en imaginant que les écrivains belges se seraient adaptés à une société sans histoire! 110 Nous y reviendrons pour finir.

Et il y a de fait toute une théorie du nationalisme belge sans cesse reconstruite depuis Pirenne (lui-même plus nuancé 111), qui insiste sur le fait que la nationalité belge peut se glorifier du fait qu’elle n’est pas une nationalité en raison de la dualité belge. Paul Dresse 112 écrivait en 1945 devant les deux tours de la cathédrale Saints Michel et Gudule: « Voilà notre palladium, notre arche d’alliance! Le lieu d’unanimité, Flamands et Wallons, il est là, sur son parvis, au pied de ces tours couleur de cendre devant lesquelles s’extasiait Rodin et qui peuvent s’appeler Michel ou Gudule, mais qui, plus profondément, se nomment Wallonie et Flandre. Pour arriver là, vous aurez dû les uns dévaler la montagne, les autres la gravir à demi; mais ici, en vous rencontrant, vous rencontrerez un terrain bien plane où, sans peine, on s’agenouille. Vous prierez Dieu chacun dans la langue qui vous plaira et le prêtre priera en latin pour tous. Et, quand vous vous relèverez, vous verrez l’église déployer à vos yeux ce que vous chérissez le plus: aux uns, Sainte-Gudule apparaîtra comme une claire forêt foisonnante de fûts, aux autres elle offrira son grand vaisseau de nef en partance. » (p.42). Pour lui « Flandre et Wallonie [sont] soeurs siamoises » (p.32), c’est « notre essence double » (p.45) d’« une nation sans nationalité » (p.94).

Le courant de la « belgitude » né en 1975 accentue une orientation comme celle-là 113 Pour ses promoteurs, il y a la volonté, d'assumer une littérature qui ne se coupe pas de la Belgique. Ils avaient perçu l'autonomie culturelle accordée en 1970 aux deux Communautés du pays comme teintée d’une trop grande francolâtrie et y opposèrent à nouveau non pas la Wallonie ni la France, mais la Belgique. Dans la « belgitude » on sent encore le besoin de se différencier de la France, de la France idéalisée par le courant dit « lundiste » (qui, sur le plan littéraire identifie entièrement expression littéraire française de Belgique et française de France, sorte de réunionnisme culturel). Les tenants de la « belgitude », insistent sur ce qui, par rapport à la France, fait notre relative misère: modestie des dimensions du pays, son caractère hybride (wallon et flamand) et son manque d'identité. La « belgitude » (mot fabriqué sur le modèle de « négritude » forgé par le Président Senghor), est d'emblée la revendication d'un « ici » peu glorieux, mais à assumer. Une des grandes idées de la belgitude, dans la ligne de Pirenne d'ailleurs (ou de Dresse), parfois en employant les mêmes mots 114 , avec une intention différente - « syncrétisme », « carrefour » qu'on retrouve dans la préface à l'Histoire de Belgique -, c'est d'affirmer une identité en creux, faible, quasi inexistante, l'identité d'une non-identité. L'un des chevaux de bataille de la « belgitude », c'est en effet l'idée du métissage mais un métissage qui relance paradoxalement une identité forte.

On peut le contrôler une dernière fois en relisant un de ces très très nombreux livres qui reconduisent sans cesse la théorie nationaliste belge et son chauvinisme de dénégation. Pour un Marc Uyttendaele 115, la Belgique a vécu 170 années d’histoire « en existant à peine à ses propres yeux » (p.21), Bruxelles est « un grand carrefour » (p.31), la Belgique est « bonne pâte » (p.47), le 21 juillet 2002 « était très bon enfant » (p.51), en Belgique « aucun débat n’est jamais neuf » (p.57), Eddy Merckx et Paul Van Himst « se retrouvent sur les plateaux de télévision, incarnant comme Quick et Flupke, une certaine idée, triviale et ludique de la Belgique » (p.75), l’Atomium symbolise « la richesse et la diversité d’un pays pas comme les autres » (p.88), on est en Belgique et non en France et « la Belgique est une terre de surréalisme et d’imagination. Elle est également terre de solutions. Quand il est impossible de choisir entre deux solutions, la solution est de choisir en même temps les deux solutions. » (p.108). À propos de la compétence universelle que s’est octroyée la Justice belge en matière de crimes contre l’humanité: « Seul un pays humble pouvait devenir une sorte de village planétaire gaulois des droits de l’homme et donner espoir à tant de martyrs que nul sinon n’entendrait. La Belgique, en créant aujourd’hui une justice universelle est en avance sur le monde entier... » (p.119), « les conflits aussi sérieux soient-ils, ne font pas de morts. ils empoisonnent, simplement, un temps, l’atmosphère. Ils sont une gêne, sans plus, et toujours le pays rebondit. » (p.131), La modestie des Belges « est légendaire » (p.139), « Ici l’autoflagellation est un véritable sport national. Toujours, il faut rappeler les Belges à l’ordre et leur montrer qu’ils n’ont rien à envier aux grandes nations. » (p.161), de sorte que se prépare le grand contresens final du livre de Marc Uyttendaele qui aime à répéter le vers de Brel (« Avec un ciel si bas qu’il fait l’humilité »): « La Belgique avec sa rare capacité de concilier l’inconciliable, de faire primer la raison sur l’exaltation, de privilégier les réponses par rapport aux questions, de ne pas nier la dimension pacificatrice des compromis, et somme toute d’avoir fait de l’humilité un projet politique, peut être demain un modèle, en creux certes, pour les pays en conflit. En cassant la logique nationaliste, la Belgique est le laboratoire de l’Europe de demain. » (p.162), parce que n’ayant pas de nationalité, ce qui est sans cesse répété, martelé comme le mot « roi » (à toutes les pages de la p. 17 à la p. 100), et le mot « surréalisme » avec le contresens signalé par Barthes (le surréalisme est confondu avec « réalité biscornue » comme Barthes l’a montré dans ses Mythologies, mais ce n’est pas ce qu’entend signifier le courant « surréaliste »).

Il s’agit donc d’une théorie finalement totalitaire, qui intellectuellement emprisonne, mais dont la violence éclate lorsque la réalité de la société « Wallonie » comme de la société « Flandre » se manifestent trop clairement et lorsque des citoyens de ces deux nations se décident à exister, à avoir une histoire contrairement à l’idée reçue.

Ou lorsque l’on souligne que cette manière de parler de soi serait clairement le fait d’un nationalisme exacerbé! Voici par exemple quelques échantillons de réactions prélevés justement au moment de la parution du Manifeste pour la culture wallonne, affirmation wallonne assez forte. Le 10 février 1984, lors d’une confrontation à Ottignies entre François Martou (président du MOC) et Jean Louvet (dramaturge), j’avais relevé une série d’expressions utilisées à propos du manifeste ou de ses signataires. J’en cite à nouveau quelques unes: « rester la tête dans la terre » [La Cité], « nationalistes » [Le Soir], « bas de plafond » [Pol Vandromme], « jobards » [idem], « primaires », [idem] « médiocres avides » [Pan], « moineaux » [Pan] « totalitaires »[Le Soir, carte blanche], « repli frileux » [Le Soir, carte blanche], « d’Annunzio de la Wallonie » [Le Soir], « rétrécissement culturel » [Philippe Moureaux], « des subsides pour le dialecte d’Écaussines » [La Libre Belgique], « grotesques », « bouffons » [un collaborateur de Critique Politique], « si on ne peut plus rentrer dans le ventre de sa mère, on peut se resserrer dans un milieu où l’on est à l’aise » [Philippe. Moureaux], « le chez-nous douillet exprime le besoin de rentrer dans le ventre maternel » [La Flaque], « corniauds frileux » [Pol Vandromme], etc. 116.

En 1994, après sa réélection triomphale comme député européen, José Happart est successivement traité de « sous-Keynes de bistrot » [Guy Haarscher, Le Vif], de partie prenante « d’une logique pas fondamentalement éloignée de l’extrême-droite » [Claude Demelenne in Celsius, septembre 1994], de « bonhomme sorti de sa glaise » [un lecteur du journal Le Soir], de fauteur de « populisme » et de « démagogie », de responsable d’un « double jeu grossier » [La Libre Belgique] avec des comparaisons explicites avec Degrelle, Mussolini et Hitler... 117 .

La polémique sur Happart et la Wallonie trouvera son point culminant quelques mois plus tard avec une interview de Philippe Moureaux proférant l’accusation d’antisémitisme, d’autant plus grave que dite dans un livre qui a eu le temps d’être lu, relu, corrigé etc. Il déclare que Jules Destrée rejette les Bruxellois parce qu’ils ne sont pas « de pure race », ce dont seraient conscients les « wallingants » qui l’invoquent et, notamment, Jean-Maurice Dehousse, ferme partisan d’Happart alors au sein du PS, et, dès lors, en toute simplicité, accusé d’antisémitisme... 118

Plutôt que d’image négative de la Flandre dans le mouvement wallon, il faudrait plutôt parler d’une image négative de la Flandre dans le nationalisme belge, image négative dont les arguments, les logiques, les routines peuvent se retourner, à volonté, contre les Wallons ou les Flamands. La belgitude use de la méthode sophistique dénoncée par Platon: prendre pour position d’adopter en même temps les positions conceptuelles les plus contradictoires, à partir de la dualité belge empirique (les Flamands, les Wallons...), ces deux réalités empiriques étant élevées ensuite au rang d’une substance constituée de leur imbrication absolue ou indivisible. Ce qui permet d’échapper au dialogue non pas même par une position de surplomb, mais par une position qui voudrait vraiment n’avoir jamais à se définir car relevant de l’ « indicible » dont Marc Uyttendaele parle ouvertement à propos de la Belgique. C’est au fond cette thèse que défend Renée Fox 119: la Belgique n’existerait jamais autant que lorsqu’elle se nie, ce qui rend évidemment toute discussion impossible. Alors que, par ailleurs, les tenants de ces théories exhibent fièrement le compromis comme la quintessence belge. Mais quel est le compromis qui peut s’établir automatiquement? Un dialogue démocratique n’a-t-il pas par définition une conclusion imprévisible? Il y a reproduction indéfinie de l’être belge...

À fuir la théorie, on prend le risque d’adopter les théories les plus saugrenues comme celle de la belgitude. Nous ne disons pas que les historiens que nous qualifions de positivistes ont adopté ce concept de belgitude. Mais le fait, par exemple, de présenter la Wallonie et la Flandre comme des sous-produits de la Belgique, tend à faire de celle-ci une essence de nature supérieure à ses composantes, toujours considérées comme des accidents à l’égard d’une sorte de substance intangible. Une substance qu’il devient dès lors moralement inadmissible de remettre en cause, car ce serait privilégier le conflit « nationaliste » sur une unité aussi réticente à la différence (et au mouvement, comme nous le rappelle Robert Devleeshouwer), que celle de l’Être chez Parménide, une unité plus métaphysique que métissée (métissage, que de crimes on commet en ton nom!). On en arrive à penser que l’opposition entre Flandre et Wallonie est en quelques sorte suscitée par l’une ou l’autre de ces entités, qui vivrait seulement de ce rejet, par exemple la Flandre qui ne réaliserait son unité que « par l’opposition, l’exclusion et le rejet tant de fois renouvelé du sud du pays » 120.

Le conflit entre la Flandre et Wallonie n’est-il pas plus simplement un conflit classique entre deux nations cherchant à supplanter l’État existant pour affirmer simplement leur existence et leur singularité? Qu’elles prônent comme telles sans en faire la pierre de touche de l’universel? Il y a dans l’adhésion sans fard aux particularismes, une acceptation de la singularité plus porteuse de modestie et d’éthique que l’orgueilleuse dénégation/autodérision du nationalisme belge. Et en même temps un plus grand respect empirique de la spécificité - justement et paradoxalement! - des faits, des contextes, des événements, des histoires, des cultures et des nations. Il arrive, on voudrait le souligner cent fois, que cette approche belge dépasse l’entendement. Voici.

Lorsque Marc Quaghebeur écrit à propos de l’oeuvre de Jean Louvet: « (Elle) s’est également tissée à partir de ce réel belge dépourvu de langue et d’histoire qui a contraint les plus originaux de ses dramaturges à élaborer une langue et une fantasmagorie capable d’exprimer cette anhistoricité obsédante. » 121, il commet là un contresens matérialiste ou scientifique de toute première grandeur qu’un jeune sociologue démonte avec éclat en reprenant la phrase et en la retournant pour en faire ressortir la non-pertinence: « Les plus originaux de nos dramaturges ont élaboré une langue et une fantasmagorie dont les oeuvres expriment une anhistoricité obsédante qui a contraint la Belgique à se dépourvoir de langue et d’histoire. » 122

Pour les relations Flandre/Wallonie, il faudrait prolonger les études de Denise Van Dam. Mais à condition de rejeter la substantialisation des nations telle que l’opère la belgitude ou les théories nationalistes belges. La manière dont les nations existent n’a en effet rien de substantiel, elles n’existent qu’en fabriquant « de l’identique, du continu qui ne repose pourtant pas sur le maintien d’une substance intacte à travers l’espace et le temps » comme le dit si bien Bruno Latour. De l’humain sans cesse variable et à remettre en cause, vivant. La Belgique? En tout cas pas celle qui se donne à voir dans les théories nationalistes belges explicites ou implicites telles qu’on en fabrique depuis un siècle, très probablement par peur que se disent la Flandre et la Wallonie en accord avec l’esprit le plus critique et le plus matérialiste.

José Fontaine

(*) Les textes cités en exergue sont tirés, pour Serge, Govaert de Dictionnaire de Bruxelles, Labor, Maison de la Francité, Bruxelles, 2000, p.235; pour Raymond Colleye, de Paroles d’un Wallon au Peuple flamand, Les éditions gauloises, Bruxelles, 1939; et en ce qui concerne Ludo Abicht, de bons moments passés ensemble « au pays de Flandre et d’ailleurs ».


  1. 1. Christian Dutoit, Gauche et mouvement flamand, une symphonie inachevée, in TOUDI annuel, 1989, pp. 299-312.
  2. 2. Jean-Marc Ferry, La question de l’État européen, Gallimard, Paris, 2000.
  3. 3. Henri Pirenne, Histoire de Belgique, quatrième édition, Tome II, p. 268, Bruxelles, 1947: « Pourquoi les Liégeois, dont tout présageait à la fin du XIVe siècle la réunion aux principautés voisines s’en détournent-ils si résolument au XVe? »
  4. 4. André Monteyne, België een misverstand, Bruxelles, 1979.
  5. 5. Thibaut Hogge, Des Wallons sans histoire? Le passé belge conçu par les manuels d’histoire de l’enseignement primaire avant 1914, in Luc Courtois et Jean Pirotte, L’imaginaire wallon, une identité qui se construit, Fondation wallonne, Louvain, 1994, pp. 51-76.
  6. 6. Manu Ruys, Les Flamands, Lannoo, Tielt, 1968. J’ai résumé ces sentiments dans Réflexions sur certains aspects idéologiques de l’expression « déclin wallon », in Critique Politique, n° 5, mai 1980, pp. 36-45.
  7. 7. Luc Courtois et Jean Pirotte (directeur) De fer et de feu, l’émigration wallonne vers la Suède, Fondation wallonne, Louvain, 2003.
  8. 8. Arthaud-Flammarion, Tome I, Paris, 1986.
  9. 9. Théodore Zeldin, Histoire des passions françaises, Tome I, Ambition et amour, Seuil, Paris, 1980, remarque (p. 13), que la Bibliographie annuelle de l’histoire de France signale 9.246 parutions en 1970 et qu’en 1969, sur les 1380 thèses de doctorat en préparation dans les universités, 640 concernaient l’histoire de France.
  10. 10. Paul Ricoeur, Science et idéologie in Du texte à l’action essais d’herméneutique, Seuil, Paris, 1996, Tome II, pp. 305-331. Réédition d’une communication faite à Leuven dans le cadre du 700e anniversaire de la mort de St Thomas d’Aquin et parue dans La revue Philosophique de Louvain, mai 1974.
  11. 11. Léopold Genicot (directeur), Histoire de la Wallonie, Privat Toulouse, 1973 (Introduction, p. 9): « Une oeuvre de foi? Et d’amour? Certes. Mais l’histoire ne peut s’écrire sans chaleur... »
  12. 12. Philippe Destatte, L’identité wallonne, IJD, Charleroi, 1997, notamment pp. 13-14.
  13. 13. Hervé Hasquin, Historiographie et Politique, Essai sur l’histoire de Belgique et la Wallonie, 2e édition, IJD, Charleroi 1996, cite (p. 105 note 35) des commentaires de La Libre Belgique et du journal Le Rappel, contestant la valeur scientifique de La Wallonie le pays et les hommes (2 tomes consacrés à « Histoire, économies, sociétés » et 4 tomes à « Lettres, arts, culture »), de 1976 à 1984 à Bruxelles (éditions: la Renaissance du livre)
  14. 14. Jean Stengers, Le siècle de la nationalité belge, Quorum, Bruxelles, 2002, p. 201.
  15. 15. C.Kesteloot, Être et vouloir être, le difficile cheminement de l’identité wallonne, in Cahiers de l’histoire du temps présent, n° 3, 1997 pp. 181-201.
  16. 16. Guido Fonteyn, De Nieuwe Walen, Lannoo, Tielt, 1988, notamment p. 136.
  17. 17. C.Kesteloot, The Growth of the Walloon Movement, in Nationalism in Belgium, Macmillan, Londres, 1998, p. 140. Traduit en néerlandais sous le titre Waalse beweging en nationale identiteit in Kaz Deprez et Louis Vos, Nationalisme in België, Houtekiet, Antwerpen, 1999, pp. 160-176. Londres, 1997, pp. 137-152.
  18. 18. Chaque mardi dans De Standaard, Guido Fonteyn résume l’actualité politique et sociale en Wallonie sur un ton devenu de plus en plus sceptique qui l’amène à considérer que la seule solution pour la Wallonie est d’être réunie à la France.
  19. 19. Jean Stengers, Le siècle de la nationalité belge, op. cit. p. 127. Il est question dans la presse libérale gantoise, selon Stengers et à propos des Flamingants, d’ « hurluberlus », de « forcenés », de poignées d’agitateurs, « que leur naissance obscure au fond d’une ferme ont rendu incapable d’apprendre le français ».
  20. 20. Marianne Pierson-Piérard, Lettres à Louis Piérard, Lettres Modernes, Paris 1971. Un très grand nombre de lettres écrites à l’écrivain et homme politique dans les années précédant la Première Guerre Mondiale expriment le sentiment de nombreux Wallons sur la question nationale. Le seul interlocuteur à user de l’expression « sale flamingant » est l’écrivain flamand Max Elskamp, p. 161.
  21. 21. Paul-Henry Gendebien, Le choix de la France, Luc Pire, Bruxelles, 2002. L’auteur concède qu’il existe un peuple wallon, mais pas de nation wallonne. Ce qui pose un problème qui est celui de la distinction à opérer entre « peuple » et « nation », dont on ne voit pas très bien ce qu’elle est...
  22. 22. Le texte le plus étonnant à cet égard est le fascicule Le rôle des chrétiens dans l’avenir économique de la Wallonie rédigé par la « Commision de pastorale ouvrière » et publié aux EVO, Bruxelles, 1967. Une feuille a été encartée dans le volume où les évêques wallons et le Cardinal Suenens explique pourquoi, sans nécessairement partager toutes les idées du texte, ils l’ont fait parvenir au clergé de Wallonie.
  23. 23. Voir Robert Devleeshouwer, Quelques questions sur l’histoire de Belgique in Critique Politique, n° 2, pp. 5-38 (1979).
  24. 24. C’est l’impression que donne l’article de C.Kesteloot cité à la note (17).
  25. 25. Fernand Braudel, L’identité de la France, op. cit., p. 14.
  26. 26. Donat Carlier, article Wallonie-Écologie in Encyclopédie du mouvement wallon Tome III, pp. 1635-1638. L’auteur considère que ce mouvement « ne constitue par une branche du Mouvement Wallon » (p. 1635).
  27. 27. Les 50 fiches de l’actualité 2000 publiées par Le Soir (un panorama historique du XXe siècle). Voir Radioscopie d’une récente publication du journal Le Soir in TOUDI mensuel, juillet 2000 n° 30, pp. 22-23: le tableau p. 23 indique que la Wallonie n’y est nommée que trois fois, dont la principale en association avec l’officier wallon de la SS et son régiment, les collaborateurs wallons de 1940-1944...
  28. 28. On cite classiquement Pierre Lebrun, Essai sur la révolution industrielle en Belgique, Bruxelles, 1979.
  29. 29. Pierre Lebrun, Schéma du développement capitaliste belge de 1830 à aujourd’hui: pourquoi le communautaire masque-t-il les conflits entre Flandre, Wallonie et Bruxelles? in Problématique de l’histoire liégeoise, Le Grand Liège, 1981. Ce schéma est reproduit dans République, n° 16, p. 3, janvier 1994.
  30. 30. Francis Biesmans et José Fontaine, Nation et classes dans l’histoire de Belgique, in La Revue Nouvelle, 1986.
  31. 31. Francine Kinet, Mouvement ouvrier et question nationale: la grève générale de l’hiver 1960-1961, Thèse de doctorat, Université de Liège, année académique 1985-1986. (Manuscrit).
  32. 32. Bernard Francq et Didier Lapeyronie, Les deux morts de la Wallonie sidérurgique, Bruxelles, 1990. On trouve un résumé de la thèse de l’ouvrage in José Fontaine Socialisme et question nationale, in TOUDI (annuel), n° 4, pp. 69-90, pp. 80-82.
  33. 33. Serge Deruette, La grève de l’hiver 1960-1961, moteur du fédéralisme wallon in TOUDI (annuel) n° 3, pp. 46-67.
  34. 34. Giovanni Carpinelli, Le fractionnement de l’unité belge (pp. 43-57) et surtout L’État, les groupes et les classes dans la structure actuelle du fait national belge (pp. 247-256) in Contradictions n° 23-24, Walhain, 1980 (n° spécial sur l’histoire de Belgique).
  35. 35. Denise Van Dam, Blijven we buren in België? Vlamingen en Walen over Vlamingen en Walen, Van Halewijck, Leuven, 1996. Le titre, très explicite en néerlandais a été traduit en français (sur proposition de l’éditeur) par Flandre, Wallonie, le rêve brisé, Quorum Bruxelles, 1997. Le titre français trahit l’esprit du titre flamand et l’esprit de l’ouvrage. Ce premier ouvrage concerne les élites politiques et sociales, le second plutôt les élites culturelles: Denis Van Dam, Wallonie Flandre, des regards croisés, Presses Universitaires de Namur, De Boeck Université, Namur Bruxelles, 2002, voir p. 122 l’avis de quelqu’un comme Jean-Luc Outers pour qui la culture wallonne n’existe pas et des avis inverses...
  36. 36. Giovanni Carpinelli, Contribution au colloque Nazione e nationalismo nelle didattica delle storia contamporanea. L’insegnamento della storia in dimensione europea, Confronta pro insegnamenti di Köln, Lille e Torino, mars 1996, traduit par l’auteur sous le titre L’idée nationale, ses fondements, ses avatars, in TOUDI (mensuel) n° 38-39, mai 2001 pp. 31-36.
  37. 37. M.Seymour Le pari de la démesure, L’Hexagone, Québec-Montréal, 2001. On découvre un état de la question sur les théories de la nation dans le monde anglo-saxon, pp. 63-83.
  38. 38. Jean-Marc Ferry, Comment articuler mondialisation, Europe, États-nations et idéaux républicains?, interview in TOUDI (mensuel) n° 36-37, mars-avril 2001, pp. 41-50.
  39. 39. Michel Quévit, Les causes du déclin wallon, EVO, Bruxelles, 1978. La Wallonie, l’indispensable autonomie, Entente, Paris, 1982.
  40. 40. Robert Devlesshouwer , La Belgique, contradictions, paradoxes et résurgences, in Histoire et historiens en Belgique depuis 1830, pp. 21-35, Bruxelles, 1980, p. 34.
  41. 41. Jean Alexandre, Les causes du déclin wallon, thèse de doctorat, Paris, 1978.
  42. 42. Jean-Marie Lacrosse, La Belgique telle qu’elle s’ignore, in Le Débat, mars 1997, pp. 12-41.
  43. 43. Pierre Fontaine, Jean Louvet, lois sociologiques et spécificité littéraire, mémoire de licence, Louvain-la-neuve, 2000. (Manuscrit).
  44. 44. Thierry Haumont, Les peupliers, Gallimard, Paris, 1991
  45. 45. André-Joseph Dubois, Loeil de la mouche, Balland, Paris, 1981.
  46. 46. Jacques Dubois, Réalité wallonne et médias dans JC Van Cauwenberghe (directeur) Oser être wallon, Quorum, Gerpinnes, 1998, pp. 55-67. J’ai essayé de donner des illustrations nombreuses du phénomène dans José Fontaine, Le discours antiwallon en Belgique francophone, publié par TOUDI, (mensuel) n° 13-14, septembre-octobre, 1998.
  47. 47. Jean-Marie Klinkenberg, L’identité wallonne, hypothèques et faux-papiers, in La Wallonie et ses intellectuels, publié par Cahiers Marxistes n° 187 et TOUDI (annuel) n° 7, 1992, pp. 37-50.
  48. 48. Paul Meyer Déjà s’envole la fleur maigre sorti en 1959. Le film a connu une sortie couronnée de succès à Paris (où il n’avait jamais été vu) en 1994 (voir République, n° 21, juin 1994, p. 7). Voir une interprétation de ce film dans la note n° 51. L’ouvrage collectif Cinéma Wallonie Bruxelles, Du documentaire à la fiction, Èwaré -W’allons-nous?, Liège, 1989, rassemble une série d’études autour du film et de Paul Meyer, principalement, pp. 118-262 (Thierry Michel, Roger Mounège, Henri Storck, Jacques Cordier, Girolamo Santocono, Bert Hogenkamp, Anne Morelli etc.).
  49. 49. Jean-Jacques Andrien, Le grand paysage d’Alexis Droeven, auquel un n° spécial de la revue W’allons-nous? consacre tout un dossier en novembre 1992.
  50. 50. Jean-Pierre et Luc Dardenne, Rosetta (1999) couronné par le Grand Prix du festival de Cannes, Le Fils (2002); également primé à Cannes pour le rôle d’Olivier Gourmet.
  51. 51. François André esquisse une sorte d’histoire du cinéma wallon dans Cinéma wallon et réalité particulière, in TOUDI 49-50, septembre 2002, pp. 13-14.
  52. 52. Jacques Polet, Un enracinement porteur d’universalité, in Sur l’identité francophone en Belgique, n° spécial de la revue des Alumni de l’UCL, Louvain, n° 133, 2003, pp. 23-25, p. 23. Il écrit aussi qu’il s’agit « d’un cinéma bien enraciné, qui témoigne activement d’un espace, d’un temps et qui a la préoccupation de la durée historique » (Ibidem, p.25). Et cela à propos du film du réalisateur de C’est arrivé près de chez vous (1992), comme à propos d’Andrien et d’autres que nous ne citons pas ici (Benoït Mariage notamment).
  53. 53. Hervé Hasquin estime son retard sur l’historiographie flamande à 35 ans.
  54. 54. Durkheim, Le suicide, PUF, Paris, 1980 avec un commentaire de cette oeuvre la réactualisant par Baudelot et Establet dans Durkheim, PUF, Paris, 1986.
  55. 55. Victor Goldschmidt Anthropologie et politique, Les principes du système de Rousseau, Vrin, Paris, 1974 : « Rousseau a découvert la contrainte sociale, le rapport (ou relation) social, enfin la vie et le développement autonome de ces structures c’est-à-dire leur indépendance à l’égard des individus... » pp. 779-780.
  56. 56. Expression relevée chez C.Franck, A.Frognier, B.Remiche, Choisir l’avenir, in La Revue Générale belge, n° 7, 1997, p. 22.
  57. 57. Georges-Henri Dumont, L’identité wallonne et sa prise de conscience in Études et expansion, n° 283, mars 1980, pp. 27-38.
  58. 58. Pour Hervé Hasquin la prise de conscience wallonne n’aurait pas eu de prolongements dans les années 60 et après, sans l’intransigeance de la Flandre à Leuven, et dans les Fourons voir Historiographie et politique, op. cit. p. 212.Notons que cette appréciation émise en 1981 est reprise telle quelle en 1996 assortie cependant de considérations sur les difficultés économiques wallonnes.
  59. 59. .Kesteloot, Une identité wallonne aux contours incertains in La Belgique et ses nations dans la nouvelle Europe, publié par Espaces de liberté, ULB, Bruxelles, 1997. Ou également Waalse beweging en nationale identiteit in Kaz Deprez et Louis Vos, Nationalisme in België 1999, op. cit. pp. 160-176 et notamment cette phrase : « Als de Waalse natie nog altijd geen realiteit is, zijn we nu misschien getuige van het gekende fenomeen van een staat die de natie laat ontstaan, al was het maar na aftrekking van de andere eenheden. » Ce « phénomène bien connu » pourrait être une allusion à rien moins que la France, ce à quoi l’auteure à mon sens n’a pas pensé (p.175). Toujours l’idée de soustraction et surtout l’idée que la Wallonie arrive à son autonomie d’une façon qu’elle n’a pas vraiment voulue et donc artificielle ou, mieux, hétéronome. Contentons-nous de remarquer ici que bien malin qui pourrait dire qui crée quoi? Si l’État crée la nation, celle-ci serait-elle purement passive au point d’être une sorte de materia prima que l’État viendrait seulement « informer » au sens philosophique?) (comme une certaine contestation antibelge y insiste), une Wallonie promise peut-être alors au même processus de dégradation que la formation sociale belge Jean-François Dechamps dans Ma Belgique à deux évoque (in La Libre Belgique 25/8/1987), l’idée qu’en cas de réunion à la France, la Wallonie devrait « faire son deuil » de ses « terres picardes ». Ce sentiment s’exprime souvent que la Wallonie se démembrerait dès la dissolution de la Belgique, notamment dans René Swennen, Belgique requiem, Julliard, Paris, 1980.
  60. 60. Velaers et Van Goethem, Leopold III, De Koning. Het Land. De Oorlog, Lannoo, Tielt, 1994.
  61. 61. Annie Dauw, De Waalse Identiteit en het Integratiebeleid in Wallonië, Mémoire de licence, Université de Gand, Année académique, 2001-2002 (manuscrit), p.43. Beaucoup de positions ont été prises pardes militants qui, les uns, soutenaient l'identité wallonne et, les autres, la récusaient. Il faut à cet égardtenircompte du fait que la plupart des prises de positions ne reflètent que l'engagement d'un seul auteur. Les répondants à nos entretiens n'étaient pas non plus neutres dans leur expression. Leur subjectivité correspondait indubitablement à leur foi, ou crédulité, dans la formation, d'une identité wallonne.
  62. 62. Paul Ricoeur, Histoire et vérité, Seuil, Paris 1963.
  63. 63. M.Waelzer, Les deux universalismes, in Esprit, Paris, décembre 1992, n° 187, pp. 114-133, cité par Gérard Fourez, Jubiler ou les tourments de la parole religieuse (compte rendu) in La Revue Nouvelle, juin 2002, pp. 79-85.
  64. 64. Bruno Latour, Jubiler ou les tourments de la parole religieuse, Seuil, Paris, 2002, p. 57.
  65. 65. Régis Debray, Le Scribe, Grasset, Paris, 1980: « Un corps social ne peut pas se fonder comme corps à partir de sa seule matérialité sociale, par simple addition ou totalisation de ses éléments internes. »(p.67). Au demeurant, si l’on ne peut se fier à la foi comme telle, on peut constater sa présence: : R.Doutrelepont, Jaak Billiet et M.Vandenkeere, Profils identitaires en Belgique in Bernadette Bawin, Liliane Voyé, Karel Dobbelaere, Mark Elchardus (directeurs) Belge toujours De Boeck et Fondation Roi Baudouin (Bruxelles, 2001), pp. 213-256 constatent la force du sentiment wallon. Ce qui corrobore les enquêtes du CLEO de 1989 à 1997 dont la revue TOUDI, (annuelle) n° 4, 1989, a publié les deux premières.
  66. 66. Critique Politique, n° 1, éditorial, 1978, p.9.
  67. 67. Maurice Merleau-Ponty, voir aussi Éloge de la philosophie et autres essais. Gallimard, Paris, 1960 (Collection « Idées »): « L’histoire n’a pas de sens si son sens est compris comme celui d’une rivière qui coule sous l’action de causes toutes-puissantes vers un océan où elle disparaît. » (p.61).
  68. 68. C.Kesteloot et A.Gavroy, Pour la défense intégrale de la Wallonie, François Bovesse., coll. Ecrits politiques wallons, IJD, Charleroi, 1990, p. 43 situent l’apparition du mot « francophone » à Bruxelles en 1930 du fait de l’obligation de différencier ces deux groupes: les Wallons et les Bruxellois francophones.
  69. 69. Choisir l’avenir (op.cit.) adopte cette manière de voir trouvée chez L.Wils, Histoire des nations belges, Quorum, Bruxelles, 1996.
  70. 70. Lucien Mahin, Qué walon po dmwin, Quorum, Bruxelles, 1999 est un ouvrage de référence pour tout ce qui a un rapport avec la langue wallonne et d’autres dialectes de Wallonie y compris le dialecte germanique (luxembourgeois). On y donne plusieurs chiffres sur l’usage du wallon à diverses périodes du XXe siècle.
  71. 71. C.Kesteloot, The Growth of the Walloon Movement, in Nationalism in Belgium, op. cit.« It was for the sake of the French language that the first Walloon militants urged the Flemings to abandon Flemish under the argument that the Walloons too had abandonned their dialects in favour of French, the universal language; the only road to civilization. Clearly, the first walloon militants put Flemish - any form of Flemish - on a par with their Walloon dialects and tried to show that they too had to sacrifice their ancestral language habits as so to have access to the Fench language. » « De eerste Waalse militanten ertoe aanzetten hun dialecten op te geven, doen dat inderdaad in naam van het Frans; zij zijn immers van mening dat ook de Walen hun dilaecten hadden opgegeven voor een universele taal, het Frans, ” de enige weg naar de beschaving ”. Het is duidelijk dat de eerste Waalse militanten de Vlaamse en de Waalse dialecten met elkaar gelijkstelden en probeerden aan te tonen dat ook zij de gebruiken van hun voorouders hadden moeten « opofferen » om toegang tot het Frans te krijgen. »
  72. 72. Arnaud Pirotte, L’apport des courants régionalistes et dialectaux au mouvement wallon naissant, in UCL, Recueil de travaux d’histoire et de philologie, 7e série, Fascicule 5, 329 pages, Louvain, 1997.
  73. 73. Laurent Hendschel, Vers la substitution linguistique en Wallonie? Mémoire de licence présenté sous la direction de M.Francard, année académique, 1998-1999, p. 56, avec une citation de J.Calvet, Linguistique et colonialisme, Petit traité de glottophagie, Paris, Payot, 1974, p. 155. (Manuscrit).
  74. 74. Ibidem, p. 64.
  75. 75. Élisée Legros La frontière des dialectes romans en Belgique in Mémoires de la Commision royale de toponymie et de dialectologie, 4, Bruxelles, 1948 cite une sorte de langage appelé « Duitsch-Waalsch » dans la région d’Enghien. À l’article Recensements linguistiques de l’Encyclopédie du mouvement wallon, Tome III (pp. 1366-1368), le Professeur Lévy établit un bon état de la question soulignant que le wallon n’a jamais été pris en compte dans les recensements linguistiques, pour des raisons compréhensibles (le mouvement flamand ne voulant pas que l’on considère le véhicule linguistique le plus usité en Flandre à l’égal de cette langue décriée).
  76. 76. C.Kesteloot et A.Gavroy, Pour la défense..., op. cit., p. 45
  77. 77. . L.Hendschel démontre la légèreté de cette assertion à l'aide de quelques bons exemples, op. cit. p. 63.
  78. 78. Notamment Paul Wynants, Élio Di Rupo in La Libre Belgique du 7/1/2003, p. 14. P.Wynants parle de l’ « erreur historique » de 1932, Élio Di Rupo de celle de 1963.
  79. 79. Roger Avermaete, La Belgique se meurt, Paul van der Perre, Bruxelles, 1938, p. 13: « Le Wallon apprendrait le néerlandais comme autre chose s’il était obligé de le faire. » (c’est-à-dire par exemple les mathématiques, l’histoire, la grammaire qui sont des matières à présenter pour certains examens en vue de la carrière administrative).
  80. 80. (81) Pol Vandromme, La Belgique francophone, Labor, Bruxelles, 1980.
  81. 81. Pierre Verjans, article Fourons dans Encyclopédie du mouvement wallon, Tome II, pp. 662-667
  82. 82. P.Dupuis et J.E. Humblet, Un siècle de mouvement wallon, Quorum, Bruxelles, Gerpinnes, 1998, p. 79 (avec le décompte des votes selon les députés wallons et flamands).
  83. 83. (84) José Happart, Fourons/Happart, pomme de discorde et fruit défendu, in TOUDI (annuel) n° 1, pp. 46-55. À noter l’intéressante étude de J.Vanlaer, Géographie des élections européennes de juin 1984 (en Belgique et dans la Communauté), in Revue belge de géographie, 108- 1984 - 1 Fascicule 27 (analyse de l’ « effet Happart » pp. 7 et 8).
  84. 84. José Fontaine, José Happart, een Waals Standpunt, in Vlaanderen Morgen, Antwerpen, décembre 1984. L’auteur y défend un point de vue proche de celui de P.Verjans (voir note (77)
  85. 85. (86) Émile Delferrière, Francorchamps, un révélateur, in TOUDI (mensuel) n° 51, pp. 21-23.
  86. 86. La prononciation du « W » dans « Walen Buiten ».
  87. 87. L’un des premiers à l’avoir fait, c’est Jacques Hislaire dans La Libre Belgique du 30/9/1983. C’est récurrent dans P.Vandromme Les gribouilles du repli wallon, Laudelout, Bruxelles, 1983. Tristan Lazarre fait de même dans La Flaque (hebdomadaire de l’AGL à Louvain-la-neuve), n° 19, février 1984. Plus près de nous Hervé Hasquin dans La Wallonie son histoire, Luc Pire, Bruxelles, 1999 écrit que la « mise en accusation » (des subsides inégaux entre Bruxelles et la Wallonie) « s’est accompagnée d’une revendication d’un soutien aux dialectes » (p.285), ce qui de fait n’a été soutenu que par l’un ou l’autre signataire à l’époque et est absent du texte lui-même. Le texte du Manifeste pour la culture wallonne est reproduit dans le manuscrit d’Annie Dauw déjà cité. Il est reproduit également dans La Wallonie et ses intellectuels op. cit. (in Cahiers marxistes et TOUDI), dans Hervé Hasquin, La Wallonie son histoire, op. cit. dans La Revue Nouvelle, janvier 1984, dans le livre de Pol Vandromme, Les gribouilles du repli wallon, op. cit., dans l’ouvrage de JE Humblet et P.Dupuis, Un siècle de mouvement wallon, op. cit. La revue Kultuurleven en a publié un résumé en 1983, lisible sur le site de la revue TOUDI (toudi.org).
  88. 88. Voir JP Hiernaux, Bulletin de la Fondation Élie Baussart (3/93) citant Le Soir du 10/8/92 qui s’en prend au catalan: l’auteur voit dans cette manière de procéder une manière de mettre en cause tout régionalisme et en particulier le régionalisme wallon.
  89. 89. Par exemple Philippe Raxhon, La Marseillaise ou le devenir d'un chant révolutionnaire, IJD, Charleroi, 1998.
  90. 90. J.Fontaine, Mouvement wallon et question nationale, in TOUDI, n°4, op. cit.
  91. 91. Freddy Joris reproduit une lettre d’Alfred Defuisseaux in 1885-1995 Du Parti Ouvrier Belge au parti Socialiste, Labor, Bruxelles, p. 38. Cette lettre est également reproduite dans République, n° 12, juin 1993, p. 4.
  92. 92. J.Gérard-Libois et José Gotovitch, L’an 40, CRISP, Bruxelles, 1971, pp. 96-97. Autres références à la note (97)
  93. 93. JP Dupuis et JE Humblet, op cit. pp. 138-140.
  94. 94. ) L.Sohy, Sodâr di 40, Les éditions du Bourdon, Charleroi 1964, 164 pages. préface de L.Wilmotte, membre du bureau de la FNAPG (Fédération nationale des Anciens Prisonniers de Guerre).
  95. 95. Marc Delforge, À la recherche de l’opinion wallonne, in La Revue Nouvelle, novembre 1945.
  96. 96. Paul Delforge, article Résistance dans Encyclopédie du mouvement wallon, Tome III, pp. 1400-1405. Carte des sabotages par région reproduite dans Les faces cachées de la dynastie belge, in TOUDI (mensuel), n° 44, décembre 2001, p. 9.
  97. 97. Philippe Destatte, L’identité wallonne, op. cit. pp. 191-192, évoque aussi les sentiments antifascistes des Wallons.
  98. 98. Philippe Destatte, Paul Delforge, Témoignages... in Les combattants de 40, Hommage aux prisonniers de guerre, IJD, Charleroi, 1995, notamment pp. 25, 36, 52, 53, 87, 91.
  99. 99. Ibidem, p. 24.
  100. 100. Laurence Van Yperseele, Le roi Albert, Histoire d’un mythe, Quorum, Ottignies, 1995, pp. 70 et 322: « le mythe du roi Albert ne s’est pas écrit en flamand ».
  101. 101. Le Congrès de Liège des 20 et 21 octobre 1945 in Les documents du Congrès national wallon, Liège (sans date), pp.17-29.
  102. 102. Ibidem, pp. 67-71.
  103. 103. Ibidem. Le compte rendu affirme pour Simon « Une partie de l’assemblée se lève et acclame longuement l’orateur » (p.71), et pour Dehousse « L’assemblée se lève et acclame très longuement l’orateur » (p.47). La grande tenue de ce Congrès plaide en faveur de l’exactitude des comptes rendus des mouvements de l’assemblée.
  104. 104. Serge Deruette, La phase finale de la question royale: une question populaire, in Les faces cachées de la monarchie belge, publié par TOUDI, n° 5, pp. 221-256. P. Theunissen, 1950: Ontknoping van de Koningskwestie, De Nederlansche Boekhandel, Antwerpen-Amsterdam, 1984, pp. 16-17 pour les résultats de la Consultation populaire ou La Revue Nouvelle, n° 4 , 1950, pp. 337-385. Une interprétation plus centrée sur les éléments wallons du dénouement est proposée par Manuel Dolhet, Le dénouement de la question royale, juillet, août 1950, Mémoire de licence, Janvier 2001, Louvain-la-neuve (manuscrit).
  105. 105. Robert Moreau, Combat syndical et conscience wallonne, IJD, EVO, FAR, Charleroi, Bruxelles, Liège, pp. 66-67 et pp. 75-86.
  106. 106. Els Witte, Jan Craeybeckx La Belgique politique de 1830 à nos jours, Labor, Bruxelles, 1987 présentent André Renard quasiment comme un marginal (voir p. 330). Il est vrai qu’à d’autres endroits ils soulignent l’importance du « renardisme ».
  107. 107. Philippe Raxhon, Histoire du Congrès wallon d’octobre 1945, Préface de Paul Gérin, IJD, Charleroi, 1995, p.13. Il est important de lire aussi du même auteur La mémoire de la révolution française, entre Liège et Wallonie, Labor, Bruxelles, 1996 qui a inspiré la préface de P.Fontaine La longue durée du Congrès wallon de 1945 à la réédition de la pièce de Jean Louvet, Le coup de semonce, in TOUDI n°18-19, Graty, 1999, pp. 4-12.
  108. 108. José Fontaine, Regard danois sur la Wallonie et, au-delà, l’Europe, in TOUDI n° 27, avril-mai 2000, pp. 20-21
  109. 109. Belgique toujours grande et belle, Complexes, Bruxelles, 1998.
  110. 110. Pierre Fontaine, op. cit., p. 88.
  111. 111. Jacques Stiennon Les régions wallonnes et le travail historique de 1805 à 1905 in La Wallonie, le pays et les hommes, Tome II (lettres, arts, culture), pp. 452-462 insiste sur le fait que Pirenne se sépare de l’idée même d’« âme belge » - expression qu'il n'utilise pas d'ailleurs dans son oeuvre - devant le Congrès wallon de 1905.
  112. 112. Paul Dresse, Le complexe belge, Dessart, Bruxelles, 1945.
  113. 113. La Belgique malgré tout n° spécial de La Revue de l'ULB, 1980.
  114. 114. Pirenne, Histoire de Belgique, op. cit., TOME I, p. XI à XVI, le terme « syncrétisme » s’y trouve, pas le mot « carrefour » mais l’idée...
  115. 115. Marc Uyttendaele, La Belgique racontée à Noa, éd. Le grand miroir, Bruxelles, 2002.
  116. 116. Pour l’ensemble de ces textes et d’autres voir José Fontaine Le discours antiwallon en Belgique francophone, n° spécial de TOUDI n° 13-14, septembre-octobre, 1998.
  117. 117. Ibidem, particulièrement le chapitre IV.
  118. 118. Claude Demelenne et Bénédicte Vaes Le cas Happart. La tentation nationaliste, Luc Pire, Bruxelles, 1995.
  119. 119. Renée Fox, In the Belgian Château, Ivan R.Dee, Chicago, 1994.
  120. 120. Philippe Godts, Belgique 2002, la désintégration (Préface de Charles-Ferdinand Nothomb), Quorum, Bruxelles, 1994, p. 103. Philippe Godts avoue d’ailleurs dans le sens de Jean Stengers: « Le pays n’est pas grand, de fait, mais les peuples qu’il unit, désunit ou mal-unit, n’existaient pas avant lui. » (p.105), ce sui nous semble assez inexact mais c’est une thèse dont Philippe Godts a besoin pour sa thèse qui substantialise aussi la Belgique.
  121. 121. Marc Quaghebeur, L’homme qui avait l’amour dans sa poche, préface à Jean Louvet, théâtre, avec À bientôt Monsieur Lang et L’homme qui avait le soleil dans sa poche, éd. Labor, Bruxelles, 1984, pp. 7-15.
  122. 122. Pierre Fontaine, Jean Louvet, Lois sociologiques et spécificité littéraire, op. cit.p. 88.